21/01/2010
21 JANVIER 1793
« Mon père resta avec son confesseur, se coucha à minuit et dormit jusqu'à 5 heures qu'il fut réveillé par le tambour. A 6 heures, l'abbé Edgeworth de Firmont dit la messe. Il partit à 9 heures... Il reçut le coup de la mort le 21 janvier 1793 à 10 heurs 10 minutes du matin (1). Ainsi périt Louis XVI, roi des Français, âgé de trente-neuf ans, cinq mois, et trois jours, après avoir régné 18 ans. Il avait été en prison 5 mois et 8 jours... »
C'est ce qu'écrit Madame Royale, fille de l'infortuné Louis XVI...
Qu'on imagine ce roi, qui n'en est pas moins homme, isolé des siens, ne recevant pour tout soutien dans sa geôle que les attentions dévouées de son valet Cléry et celles de son confesseur lui prodiguant les secours de la religion ; qu'on l'imagine le 20 janvier, à « deux heures après midi », à l'écoute de l'arrêt de mort dont on lui donne lecture... Qu'on l'imagine encore, au matin de son dernier jour, guettant les bruits de pas et le mouvement des troupes sur les pavés du Temple, attendant qu'on cogne à la porte...
Edmond Biré, auquel on doit le « Journal d'un bourgeois de Paris pendant la Terreur », retrace fidèlement, puisant aux meilleures sources, ce que furent les dernières heures du Roi.
« Six heures du matin. Il pleut toujours. On continue à battre la générale la nuit du 20 au 21 avait été pluvieuse et froide. Le matin la pluie continua. Cette pluie persistante avait fait disparaître en partie la neige qui, la veille, couvrait Paris comme un vaste linceul. Des patrouilles circulaient lentement dans les rues. Dans tous les quartiers on battait la générale... »
Il fait froid ce matin du 21 janvier, et aux dires de témoins oculaires, la pluie ayant cessé, un brouillard assez dense et glacé couvre la ville. Place de la Révolution, ex-place Louis XV actuellement place de la Concorde, le bourreau avait pris la précaution de dépêcher suffisamment tôt les charpentiers pour dresser les bois de justice.
Une foule importante, contenue en partie par les troupes s'avance jusqu'au pied de la guillotine en attente du lever de rideau...
C'est l'heure... Santerre, suivi de 10 gendarmes vient chercher « L'individu déclaré roi des Français » (Danton) à 9 heures. Le Roi n'a que le temps de remettre à Godeau, membre de la Commune, un papier pour la Reine ; c'est le testament qui nous est parvenu, précieux document, rédigé le 25 décembre, jour de Noël.
La berline, dans laquelle a pris place le condamné à mort, roule au pas de l'infanterie, entre une triple allée d'hommes armés. Il lui faut plus d'une grande heure pour parvenir au terme du voyage. Le Roi, au côté de son confesseur, indifférent à ce qui se passe au-dehors, lit des psaumes en vis-à-vis des deux gardes qui le surveillent...
Rendu au pied de l'échafaud, il quitte lui-même l'habit dont il n'a plus besoin, et retrousse le col de sa chemise. Il refuse qu'on lui lie les mains mais devant l'insistance des aides du bourreau, il cède, encouragé par son confesseur en s'exclamant : « Faites ce que vous voudrez, je boirai le calice jusqu'à la lie. » Madame Royale rapporte qu'on lui lia les mains avec son mouchoir et non avec une corde. Aidé par son confesseur, il monte les degrés abrupts de l'échelle de meunier jusqu'à la plateforme qu'il traverse d'un pas assuré.
Le roulement des tambours ne s'est jamais interrompu ; néanmoins le Roi parvient, par un signe, à les faire taire le temps de dire d'une voix portant jusqu'au Pont Tournant : « Je meurs innocent des crimes qu'on m'impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort et je prie Dieu que mon sang ne retombe jamais sur la France... ». Il veut poursuivre, mais sur l'ordre de Santerre, les tambours reprennent leur roulement et couvrent sa voix... Puis tout va très vite, les aides se saisissent du condamné, le couchent sur la planche à bascule, ferment la lunette... Sanson libère le couperet qui s'abat dans un bruit sourd : « le cou du Roi était très fort... la tête ne se détacha pas entièrement sous le tranchant. On du appuyer sur le triangle pour achever de la séparer du corps... le couteau ne retomba pas sur le cou, mais sur l'occiput, c'est-à-dire trop haut, de sorte que la mâchoire fut horriblement coupée. » C'est ce que rapporte Maurice de la Fuye dans son étude, puis il poursuit : « C'est, autour de la guillotine, une saturnale dégoûtante, une danse macabre, au-dessus de laquelle retentit la Marseillaise. »
L'un des aides du bourreau, s'emparant de la tête par les cheveux, la promène en dansant autour de la plateforme ; un homme plonge ses mains dans le sang figé et, asperge la foule de caillots en s'écriant : « Les rois ont dit : Si vous faites mourir votre souverain, son sang retombera sur vos têtes... Eh bien ! la prédiction est accomplie ! »
Des sectionnaires rougissent leurs sabres et leurs piques en les plongeant dans la cuve ; la plateforme est envahie et les bourreaux ont du mal à contenir les plus enragés. Certains se barbouillent le visage de sang et, rapportent les témoins : « d'autres le goûtent et semblent le savourer, cependant que l'un d'eux s'écrie en grimaçant qu'il est bougrement salé ! »
Puis, on se partage les dépouilles, un étranger paie 15 livres une touffe des cheveux, d'autres trempent leur mouchoir dans le sang royal ou, comme le fit Monsieur de la Roserie, une enveloppe, pour l'envoyer à sa mère... Les effets du mort sont déchiquetés et partagés entre les assistants ; le cadavre ne gardera que sa chemise, sa culotte et ses bas gris (Procès-verbal d'inhumation).
On se posera la question de savoir s'il s'agit là de profanation sacrilège ou de culte pieux des reliques. Ce qui fera dire à Joseph de Maistre : « Il semble qu'au pied de l'échafaud de Louis XVI, amis et ennemis du prince immolé se soient rencontrés pour apporter un témoignage involontaire en faveur du « Salut par le sang ».
A la liesse collective succèdera bientôt un morne silence. Dans ses Mémoires, le Chancelier Pasquier rapporte que « Le reste du jour se passa dans une profonde stupeur ; elle s'était étendue à la ville entière... ».
Le corps et la tête de l'infortuné monarque seront transportés jusqu'au cimetière de la rue d'Anjou Saint Honoré ; ils y resteront jusqu'en 1814, date à laquelle, grâce à Descloseaux ils rejoindront la basilique de Saint Denis.
Les journaux du temps ont rapporté l'événement dans sa vérité et sa cruauté ; le Républicain le 22 janvier 1793, le Journal de Perlet, et le Nouveau Paris de Mercier, à la même date. Cléry a retracé les derniers moments du Roi dans son « Journal de ce qui s'est passé à la cour du Temple ». Et Rivarol pouvait écrire dans le sien :
« L' Assemblée Constituante tua la royauté, et par conséquent le roi ; la Convention ne tua que l'homme. La première fut régicide, et l'autre parricide. La victime était parée, les jacobins n'eurent qu'à appliquer la hache. Comme roi, Louis XVI mérita ses malheurs parce qu'il ne sut pas faire son métier ; comme homme, il ne les méritait pas. Ses vertus le rendirent étranger à son peuple. »
Rappelons que l'Assemblée, n'a voté « la mort sans condition », que par une majorité de 3 voix et qu' au nombre des régicides il faut compter Philippe d'Orléans, dit « Philippe Egalité ». On rivalisait de zèle homicide et de cruauté sous la Terreur ; rien d'étonnant dès lors à ce qu'il se soit trouvé parmi les furieux des hommes de la trempe du député Legendre, qui demanda « qu'on déchire le corps de Capet en quatre-vingt-sept morceaux pour les distribuer aux départements. » et, ajoute l'historien Jules Mazé : « On peut penser qu'en sa qualité de boucher, il se fut volontiers chargé de l'opération... »
C'était il y a 217 ans ; c'était hier...
Lire le TESTAMENT de LOUIS XVI:
http://fr.wikisource.org/wiki/Testament_de_Louis_XVI
(1) Le Républicain du 22 janvier 1793 rapporte : 10H 24 minutes.
Lectures :
- Jules Mazé : La famille royale et la révolution ; Hachette 1943.
- Le Notre : La guillotine.
- Rivarol : Journal ; Editions du Rocher.
- Edmond Biré : Journal d'un bourgeois de Paris pendant la Terreur ; Librairie Académique Perrin (5 volumes), 1907.
- Maurice de la Fuye : Louis XVI, Denoël, 1943.
- de Beauchesne : Vie de Louis XVII
- Hippolyte Taine : Considérations sur les origines de la France Contemporaine, collection Bouquins, Laffont.
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20/01/2010
BULLETIN CELINIEN
Bulletin célinien N° 315
Belle couverture où l'on voit Louis Destouches en grande tenue de cuirassier. Engagé volontaire au 12ème Régiment de cavalerie lourde de Rambouillet à l'automne 1912, il avait alors vingt ans au moment de la déclaration de la première guerre mondiale...
Après la récente parution de l'incontournable cinquième volume de la Pléiade (« Lettres »), rapidement épuisé, ce 315ème numéro du bulletin est l'occasion pour Marc Laudelout, de faire un tour d'horizon des réactions de la presse à la faveur de cet événement littéraire.
Car c'est bien de littérature qu'il s'agit, Céline ne nous déçoit pas ! Le ton y est et le talent aussi, naturellement... Et quoi qu'en pensent ses détracteurs pour des raisons diverses, Céline est à présent au Panthéon des lettres (il ne reste qu'un sixième volume pour qu'il y soit tout à fait) et il y a peu de chances qu'eux s'y trouvent un jour !... Attendons donc, avec Pierre Assouline, la publication de ce sixième volume, car celle de la correspondance, dit-il, « est un chevau-léger de l'ultime charge à venir du cuirassier Destouches. » Aussi sommes nous d'accord avec lui lorsqu'il ajoute :
« Il serait temps de s'aviser qu'un écrivain est un bloc. Rien à jeter. Ses lettres font œuvre comme le reste. Céline n'y échappe pas. L'épistolier en lui n'est pas seulement abondant : il est nombreux, multiple. »
Ce choix de lettres, qui a l'avantage d'être publié chronologiquement, permet au lecteur qui connaît l'œuvre de suivre à la trace la transposition que fait l'auteur de son « histoire personnelle » dans ses romans ; c'est par là aussi qu'on mesure le talent. Qu'importe alors la part du réel, au regard de son double ? Notre vie même, dès l'instant qu'elle est couchée sur le vélin, n'est que fiction, et ce qu'on en dit, n'est point tant important que la façon dont on le dit ! Aussi, rendons grâce à Céline d'avoir beaucoup brodé...
Ajoutons qu'à la lecture de cette correspondance, on mesure, faut-il le rappeler, la grande culture d'un auteur nourri des classiques.
Hommage est rendu par F. Marchetti, dans ce numéro 315, à Bente Karild décédée en septembre 2009, pour laquelle Céline s'était pris d'affection lors de son exil danois. Grâce à F. Marchetti, qui l'a bien connue, les lecteurs du Bulletin ont pu apprécier les souvenirs, que Bente Karild à laissés sur l'écrivain et sur leur passions commune, la danse.
Dans ce même bulletin, Marc Laudelout rappelle quel regard portait Céline sur deux de ses contemporains, Alfred Fabre-Luce et Bernard Faÿ, ayant traversé comme lui ces « années troubles », avec plus ou moins de zèle et de compromissions... Il évoque le critique averti que fut Lucien Rebatet en matière de septième art et signale la parution chez Pardès de « Quatre ans de cinéma », ouvrage de 406 pages auquel il a collaboré, puis il dresse un panorama de l'année 2009, « année célinienne », où parmi de nombreux événements, nous retiendrons particulièrement :
- la création en mai du blog « Le Petit célinien » dû à Matthias Gadret, et la parution chez Gallimard des « Lettres à Albert Paraz » (réédition revue et augmentée par Jean-Paul Louis) ;
- en juillet le « Dossier Céline » du Magazine des Livres ;
- en novembre bien sûr les « Lettres de Céline » dans la Pléiade ainsi que l'ouvrage de Véronique Robert-Chovin « Devenir Céline, lettres inédites 1912-1919 ;
- et en décembre la publication de « L'année Céline 2008.
Edmond Gaudin, fidèle abonné du Bulletin et admirateur de l'œuvre célinienne brosse en quelques pages un portrait de Céline tel qu'il le voit : « Outrancier ! Voilà comment je vois Céline. Dans ses propos, dans ses opinions, dans ses actes avec lui-même et avec les autres. Dans ses textes aussi... ». Convenons en, mais convenons aussi que l'outrance atteint à de ces hauteurs, lorsqu'elle est conduite avec brio, qui laisse loin derrière elle tous ces petits « à la manière de... » qui encombrent bien des rayonnages et bien des têtes de gondoles des épiceries littéraires contemporaines.
Terminons cette recension par l'annonce que fait Jean-Paul Louis de « l'Année Céline 2008 » ; on aura le plaisir d'y trouver « des lettres inédites qui, faute de place, n'ont pas pu être retenues dans le volume de Lettres qui vient de paraître chez Gallimard. »
On peut la commander au Bulletin célinien en adressant un chèque de 39 euros à l'ordre de marc Laudelout (Bulletin célinien, BP 70, B 1000 Bruxelles 22).
Bonne lecture !
10:11 Publié dans notes de lecture | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : célinien, rebatet, outrance, année 2008
14/01/2010
CES CHENES QU'ON ABAT
En relisant la vingt quatrième élégie de Ronsard « Aux bûcherons de la forêt de Gâtine » je pense aux arbres abattus, et il ne se trouve guère de semaines sans que je n'en croise au bord des routes ou n'en suive aux culs des semis...
« Escoute, Bucheron, arreste un peu le bras ;
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas ;
Ne vois-tu pas le sang lequel degoute à force
Des nymphes qui vivoient dessous la dure écorce ?
Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses
Mérites-tu, meschant, pour tuer nos Déesses ?
...
Adieu, chesnes, couronne aux vaillants citoyens,
Arbres de Jupiter, germes Dodonéens,
Qui premiers aux humains donnastes à repaistre ;
Peuples vraiment ingrats, qui n'ont sçeu recognoistre
Les biens receus de vous, peuples vrayment grossiers,
De massacrer ainsi leurs peres nourriciers. »
On chercherait vainement aujourd'hui les chênes millénaires de l'immense forêt hercynienne, de la grande forêt d'Ardenne ou de la légendaire forêt de Brocéliande. Jacques Brosse, dans sa belle étude sur la mythologie des arbres nous dit du chêne de Zeus, qui est la variété Quercus Robur de Linné, qu'avec l'âge « ce chêne acquiert un port d'une majesté incomparable. C'est seulement vers soixante ou même quatre-vingts ans qu'il fructifie et sa longévité est à proportion. Il vit au moins quatre ou cinq cents ans, et vivrait bien davantage s'il n'était abattu par l'homme qui veut exploiter son bois au moment où il peut en tirer le meilleur profit. Sinon il atteint le millénaire ou même le dépasse. « Quercus Robur pourrait sans doute parvenir à l'âge de 2000 ans, il aurait alors quelque neuf mètres de diamètre » (H. de Witt). C'est probablement à cette taille gigantesque et à cet âge qu'étaient voués les vigoureux ancêtres qu'étaient les chênes sacrés protégés par des lois sévères qui condamnaient à mort ceux qui les abattaient sans nécessité. »
Les arbres qui façonnent nos paysages, derniers vestiges du peuplement arboricole de nos campagnes sont aujourd'hui victimes de massacre à la tronçonneuse et de défrichements quelquefois à grande échelle. On ne leur laisse pas le temps de vieillir. Et parce que le « temps c'est de l'argent », en vertu du sacro-saint principe de rentabilité de la société de consommation, les propriétaires boiseurs, encouragés par les pouvoirs publics, continuent de remplacer presque partout les peuplements traditionnels de feuillus par des résineux. On mesure déjà, et on mesurera bien mieux encore dans quelque temps, les dégâts faits par ce procédé à l'écosystème...
Il reste encore de belles forêts me direz-vous, sans doute, et assurément, en l'espèce des forêts domaniales gérées par l'ONF qui entretient de belles futaies. Et sur des parcelles difficilement exploitables, il est toujours possible de dénicher quelques beaux hêtres, voire de très vieux sujets ayant échappé au destin tragique de leurs frères transformés pour la plupart, il n'y a pas si longtemps encore, en traverses de chemins de fer...
On ne contestera pas que la forêt soit de production, c'est même sa fonction première ; ce qui est plus discutable c'est la façon dont on la gère dans la logique du « grand gaspillage » de la société marchande et de la jouissance immédiate des biens qui se font tous deux au détriment de la vie, sous toutes ses formes.
Le chêne doit sa réputation de noblesse au fait qu'on l'ait préféré comme bois d'œuvre au détriment des autres essences. Les maîtres charpentiers l'ont employé avec brio sur terre où sur mer et leurs chefs d'œuvre ont donné aux chênes sacrifiés une seconde vie. Les compagnons menuisiers ont habillé de boiseries les murs entiers de bâtiments nationaux, palais, châteaux et pavillons de plaisance. Les charrons et les artisans des campagnes ont façonné dans son bois les instruments du labeur et le mobilier des maisons paysannes, à part égale pour ce dernier, avec le bois des fruitiers et celui du hêtre. Et nul ne contestera que c'est dans le bois de chêne, utilisé pour la fabrication du merrain, que vieillissent le mieux les grands crus...
Chacune de ces réalisations, on ne saurait le contester, honore à part égale celui qui a fourni son bois et celui qui l'a mis en œuvre. On aurait du mal à gratifier d'une telle reconnaissance ce que produit le siècle, il suffit de passer en revue ce qui sort des fabriques : mobilier « rustique », menuiseries « traditionnelles », cercueils ( Ah ! les redondantes boîtes, vernies et boursouflées bardées de dorures...), pour y trouver partout la marque de la vulgarité. J'y vois l'ultime affront fait au roi des bois, et à tout prendre je le préfère en bûche de Noël.
A ce propos, j'observe depuis quelque temps la disparition de grandes allées de chênes d'alignements et de haies, de sujets isolés en milieu de pré... On justifie ces coupes en arguant de prétextes fonciers ou sécuritaires (comme on l'a fait pour les platanes en bordure de nationales aujourd'hui déclassées), ou de prétextes phytosanitaires, ou plus simplement encore on ne les justifie pas. On dispose de « son bien » comme on l'entend, sans plus se préoccuper de paysage, de faune, de flore, de milieu ou de quoi que ce soit susceptible de porter atteinte au droit de propriété.
Je pense pour ma part que ce bois finira tôt ou tard par alimenter les chaudières parce que confort oblige, et crise pétrolière de surcroît ! C'est donc, à terme, « la grande pitié » des chênes de France et par extension des bois de feuillus que je vois poindre à l'horizon. Que les arbres donnent leur chaleur quoi de plus naturel ? D'autant, qu' à la différence du pétrole, c'est une matière renouvelable, à condition toutefois d'en replanter ! Dites-moi combien de chênes, de hêtres, de charmes et de frênes remplacent ceux que l'on coupe ?
Il fut un temps pas si lointain où l'on « jardinait » la forêt, où on ne prélevait des arbres que le nécessaire, un peu comme on le faisait de la toison de l'agneau. On émondait les chênes qui devenaient alors les « têtards » caractéristiques des pays de bocage. Naturellement quand il fallait du bois d'œuvre on abattait les fûts, mais toujours on replantait, et presque toujours, dans la même essence. J'ai connu un vieux paysan qui avait pour habitude, quand il partait « faire sa tournée » de fouir la terre de son bâton, pas n'importe où ! là seulement où il jugeait utile de le faire ! ensuite de quoi, tirant du profond de sa poche un gland, il le laissait tomber dans ce trou qu'il refermait avec précaution. Cet homme, comme beaucoup de ses semblables, avait « le sens de la terre » et donc celui du ciel, puisque l'un ne va pas sans l'autre, ainsi que le montrent les arbres qui relient les deux...
Ces gestes sont perdus, et les opérations exemplaires sponsorisées et médiatisées du type « Je plante un arbre » ne les remplaceront pas, même si elles partent d'une bonne intention.
Combien de temps nous reste-t-il encore, pour rêver sous la houppe des chênes ? Combien de temps pour guetter, les soirs de pleine lune, sur les lisières ou au mitant des clairières isolées, les oiseaux de nuit perchés sur les têtards ? Nous qui ne savons rien de ce que pouvaient êtres les grands bois de la forêt des Gaules, au moins pouvons-nous l'imaginer au travers de ce que rapporte Pline de celle de Germanie :
« L'énormité des chênes de la forêt hercynienne, respectés par le temps et contemporains de l'origine du monde, dépasse toute merveille par leur condition presque immortelle. Sans parler d'autres incroyables particularités, c'est un fait que les racines, se rencontrant et se repoussant, soulèvent de véritables collines, ou bien, si la terre ne les suit pas, s'arc-boutent comme des lutteurs pour former des arcs jusqu'à la hauteur des branches mêmes, ainsi que des portes béantes où peuvent passer des escadrons de cavalerie. »
On aurait bien du mal à trouver de pareils sujets ! L'air et les sols sont tellement pollués qu'ils ne vieilliraient plus guère au-delà de cent ans.
Et ceux qui résistent encore en dépit des conditions difficile, gardent fière allure même malades, même morts, comme le prouve certain châtaigner de mes amis, qui fait figure de patriarche fossilisé dans le nord de la Haute-Vienne.
Ce n'était donc pas un hasard, on le comprend si les vieux arbres étaient respectés et assimilés à des divinités par les peuples barbares... Barbares ? à les comparer aux très civilisés contemporains, je les verrais plutôt raffinés les hommes de ces temps obscurs, je veux dire « reliés » à une dimension perdue, qui avaient bien compris qu'ils n'étaient eux-mêmes, au même titre que l'arbre ou l'animal, qu'une émanation du vivant sous une forme différente. C'est ce que nous dit, d'une certaine façon l'Art pariétal des Magdaléniens : mesurons la distance qui le sépare de « Lard contemporain » et tirons-en les conclusions qui s'imposent...
Ah progrès, vous avez dit progrès !
Orientation bibliographique: Jacques BROSSE, Mythologie des arbres, Petite Bibliothèque Payot n° 161, 1994
20:07 Publié dans Chroniques du temps présent | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : chêne, hercynienne, bois, forêt