16/02/2010
16 FEVRIER 1848
Naissance à Trévières, Calvados, d'Octave MIRBEAU le 16 février 1848, et, la chose vaut d'être signalée puisqu'elle est peu commune, mort à Paris, le même jour de l'année 1917. Octave Mirbeau, dont Tolstoï disait qu'il était le plus grand représentant du génie français qu'il connaissait, a laissé une œuvre dérangeante autant par le tableau qu'elle dresse des penchants de la nature humaine que par le constat qu'elle fait de la société de son temps. On connaît le « Journal d'une femme de chambre » ou le « Jardin des supplices », qui lui ont fait une réputation qui sent le soufre ; on connaît moins les « Contes cruels », réédités récemment aux Belles Lettres à l'initiative de Pierre Michel et Jean-François Nivert.
Cet opulent volume de plus de 1200 pages renferme 150 contes regroupés en 6 chapitres : « L' universelle souffrance », « La férocité est le fond de la nature humaine », « La femme domine et torture l'homme », « L'écrasement de l'individu », « Des existences larvaires » et « Les mémoires de mon ami ».
On le voit, les thèmes de prédilection sont ceux d'un écorché vif, d'un « transis » qui ne se fait aucune illusion sur la nature humaine. Schopenhauer et Cioran, n'ont rien dit d'autre, sous d'autres formes ; et Céline, donc ? « Y a pas de bonheur dans ce monde... y a que des malheurs plus ou moins grands... ». Faut-il en déduire que Mirbeau fut un contempteur de la vie ? Assurément pas, lui dont l'anarchisme était sans doute plus proche de la définition qu'en donna Antonin Artaud : « L'anarchiste est l'amoureux fou de l'ordre, qui n'en supporte pas la parodie », que de celle d'un poseur de bombes...
Mirbeau est venu à la création littéraire par le journalisme. Une grande partie de ses contes et de ses articles furent publiés dans Le Gaulois, dans Gil Blas, l'Echo de Paris, Le Journal, L'Aurore, Le Figaro. D'aucuns, à l'instar de Sartre, virent en lui un pamphlétaire subversif irrécupérable. Et c'est peut être aussi par là qu'il plaît, précisément, par le fait qu'il ne fut pas « politiquement correct »...
Dans le sillage de Maupassant, natif comme lui de la terre normande, il conte la terre et les paysans, l'hiver et les saisons, les aspects familiers de la vie ponctuée des drames et des souffrances de la condition humaine, dans une fresque macabre où la mort rôde et se promène sur son petit monde qu'elle fait danser sans complaisance, à sa manière. Il ne faut pas s'étonner dès lors que sa lucidité l'ait conduit, sinon à un pessimisme morbide, du moins à une forme de désespoir qu'exprime la tristesse d'un « romantisme » tardif, en porte-à-faux sur l'existence vécue comme le drame quotidiennement renouvelé de la souffrance présente en tout et partout. C'était un homme tout empreint du « sentiment tragique de la vie », et d'une grande sensibilité.
Deux extraits, tirés du « Dernier voyage » et des « Mémoires pour un avocat », nous le montrent, sous sa plume tel qu'il dû être :
« J'ai la tristesse invincible, l'incurable angoisse des départs. Même lorsque je vais vers des pays connus que j'aime, conduit par la promesse d'un repos ou par la joie d'une rencontre souhaitée, j'éprouve toujours au cœur comme un froid. Rien ne me donne l'idée de la mort, comme de partir... Les malles ouvertes comme des cercueils, la hâte que je vois dans les yeux des gens qui m'aident, le mystère que prend la sonnerie de la pendule, la majesté extraordinaire que revêtent les choses que je quitte, et tout ce par quoi je suis si violemment hors de moi, m'impressionne et me prédispose aux sensations les plus lugubres. »
« Je me sentais infiniment triste, plus triste encore que ce ciel, que cette terre, dont je résumais, dont je décuplais en moi, à cette heure angoissante de la fin du jour, l'immense tristesse et l'immense découragement. Et je songeais que pas une fleur, non plus, n'était demeurée dans les jardins de mon âme, et que, tous les jours, à toutes les minutes, à chaque pulsation de mes veines, à chaque battement de mon cœur, il se détachait, il tombait quelque chose de moi, de mes pensées, de mes amours, de mes espoirs, quelque chose de mort à jamais et qui jamais plus ne renaîtrait... »
Pour en savoir plus sur la vie de cet auteur, on consultera avec profit le lien suivant :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Octave_Mirbeau
21:41 Publié dans Portraits | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : octave mirbeau, contes cruels, condition humaine
14/02/2010
AU FIL DE L'EAU
Réfléchis fréquemment à la rapidité avec laquelle passent les êtres et les événements ; la substance est, comme un fleuve, en écoulement permanent, les forces en perpétuel changement et les causes en mutations multiples ; presque rien n'est stable ; l'abîme infini du présent et du futur dans lequel tout s'évanouit est tout proche. Comment ne serait-il pas fou dans une telle situation de s'enorgueillir, de se tourmenter ou de se lamenter comme si quelque chose pouvait nous gêner pendant un certain temps et pour longtemps ?
MARC AURELE 23/V Pensées pour moi-même (traduction Frédérique Vervliet; éditions Arléa 2005)
16:50 Publié dans Bons Mots | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marc aurèle, pensées, écoulement, instabilité, temps
13/02/2010
BULLETIN CELINIEN
Bulletin célinien n° 316
Au travers d'une interview de Jacques TARDI par David ALLIOT, ce 316ème numéro rend hommage à l'unique et talentueux illustrateur de la trilogie Casse Pipe, Mort à Crédit et Voyage au Bout de la Nuit. L'entretien rapporté sur six pages du bulletin, nous apprend comment Tardi en est arrivé à concevoir son « œuvre célinienne ». Et parce qu'il s'agit d'une œuvre de haute volée, quel autre illustrateur, fors celui de Brindavoine, d'Adèle Blanc-Sec et de Nestor Burma, eut été capable de rendre avec ce trait incisif qui tient de la fresque et de la gravure pariétale, l'atmosphère si particulière de l'épopée célinienne ? Il suffit d'ouvrir les éditions Futuropolis-Gallimard pour en juger : Tardi, Céline, c'est le talent au service du talent, tant le texte colle à l'image, et l'image au texte. S'il fallait ne retenir que trois vignettes du Voyage au Bout de la Nuit, je m'arrêterais à certain cheval et à son cavalier sortis de l'ombre, annonciateurs de l'apocalyptique guerre de 14, à la « chasse volante » des squelettes dans le ciel qu'on voit en milieu d'ouvrage, et à la vieille Henrouille, dans le visage de laquelle on retrouve certains caractères du portrait de Céline par Tardi, en couverture du présent numéro.
J'ai pour ma part le regret -que beaucoup partageront sans doute avec moi- que l'auteur du Voyage, disparu trop tôt, n'ait eu le temps de découvrir les dessins de Tardi, certain qu'il ne les aurait pas désavoués, au même titre qu'il aurait sans doute apprécié les pages inoubliables de « Putain de Guerre », bien placé qu'il aurait été pour en juger...
A la question posée par David Alliot de savoir si Tardi songeait à illustrer d'autres auteurs, voici sa réponse : « Après avoir travaillé de façon intensive sur les romans de Céline, tous les autres auteurs deviennent d'une fadeur épouvantable. C'est pourquoi je ne souhaite pas illustrer d'autres auteurs. » Comme quoi, lorsqu'on a atteint certains sommets, il est bien difficile d'en redescendre !
Dans ce même numéro de février, hommage est rendu par Marc LAUDELOUT à Jacques DEVAL, ami de Céline, dont Philippe ALMERAS nous dit dans son « Dictionnaire » que l'un et l'autre firent connaissance après la sortie du Voyage et notamment à Los Angeles en 1934. Cette amitié, qu'un abondant courrier dont nous n'aurons sans doute jamais connaissance laisse penser qu'elle devait être sans failles, valut à Céline ces propos dans une lettre d'exil adressée à Milton HINDUS : « C'est un admirable cœur et un des plus subtils esprits que je connaisse (...) C'est l'esprit français en personne -hallucinant presque- il est inquiétant, monstrueux de vivacité spirituelle ».
Jacques Deval, homme de théâtre avait aussi des talents de cinéaste, et les lecteurs du bulletin seront surpris de voir Céline figurer dans la représentation de Tovaritch, comédie satirique filmée en 1935. A qui doit-on cette découverte ? à Alain VATESSE, enseignant et auteur dramatique ; c'est ce que nous explique Marc Laudelout dans son éditorial : il s'agit d'un « scoop » que vous découvrirez en cinq photos sur lesquelles vous reconnaîtrez facilement Céline.
A l'occasion de la sortie d'une biographie consacrée à Jean-Louis BORY, l'éditorialiste nous dit en quelques mots, quel grand admirateur il fut de Céline et rappelle l'éloge qu'il fit de Nord, paru le 13 mai 1960, dans l'Express du 26 du même mois : « ... Ecriture en transes, ouragan des couleurs, Nord progresse encore, semble-t-il, sur la voie de la libération stylistique, vers l'expression immédiate du rendu émotif, l'exacte répercussion des vertiges. »
Enfin, on doit à Frédéric SAENEN, l'annonce d'une biographie « toute tact en ondes », parue en Italie aux éditions Mursia, forte de 1160 pages, fruit du travail de bénédictin de Marina ALBERGHINI dont le talent se décline, nous dit l'auteur, « dans le sillage d'un animal fétiche auquel elle voue un véritable culte : le chat. »
Il nous reste à souhaiter qu'elle soit prochainement traduite en français...
18:07 Publié dans notes de lecture | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : bulletin célinien, tardi, jacques deval, marina alberghini, chat