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22/09/2023

IN MEMORIAM ALAIN FOURNIER

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Le 22 septembre 1914 tombaient mortellement blessés, à quelques centaines de mètres de la Tranchée de Calonne, le lieutenant Henri Fournier et vingt autres de ses compagnons de la 23ème compagnie du 288ème Régiment d’Infanterie de réserve engagé sur le front des Hauts de Meuse.

La Tranchée de Calonne n’est pas un ouvrage militaire, c’est une route forestière de 25 kilomètres de long qui rattache Verdun à Hattonchâtel en suivant la ligne de crête. Elle a été tracée par l’Intendant du Roi Louis XVI en 1786.

C’est à la hauteur du croisement de cette route (aujourd’hui RD 331) avec celle de Saint-Rémy la Calonne à Lacroix sur Meuse qu’une stèle a été érigée à l’initiative du maire de Saint Rémy le 11 octobre 1964 à l’occasion du 50ème anniversaire de la disparition d’Alain Fournier. On peut y lire :

 

«  A la mémoire de Henri Alain Fournier auteur du Grand Meaulnes lieutenant au 288 RI et de ses hommes disparus dans le secteur le 22-9-1914 ».

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La fosse commune contenants les corps des 21 soldats tués le 22 septembre 1914 n’ayant été découverte que 77 ans plus tard le 2 mai 1991 à un kilomètre environ de cette plaque commémorative, on ne pouvait jusque alors parler que de « disparition »…

 

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Extrait carte IGN St Rémy la Calonne

Mobilisé le 2 août 1914, Alain Fournier se trouvant alors en villégiature à Cambo rejoint à Mirande dans le Gers le 288 RI auquel il est affecté. Il y commande la 23ème compagnie comme lieutenant en second sous les ordres du capitaine de Gramont. Le 16 août le régiment part pour Suippes d’où il prend à pied, le 17, la direction de Sainte Menehould. Le 23 août il est en cantonnement à Belleray près de Verdun et participe aux combats meurtriers livrés dans ce secteur du 24 août au 20 septembre 1914. Le 22 septembre, un détachement des 22ème et 23ème Compagnies commandées respectivement par les lieutenants Marien et Fournier partent en reconnaissance sur les Hauts de Meuse…

 

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Nous connaissons la suite malheureuse de cette mission…

Nous savons aussi la controverse à laquelle elle a donnée lieu et pour ceux qui l’ignoreraient encore, nous conseillons de lire l’excellent livre de Michel Baranger paru aux Editions Bernard Giovanangeli en 2013. L’auteur s’y emploie dans une étude fouillée à démêler le faux du vraisemblable pour ne pas dire du vrai tant les témoignages qui nous restent des deux côtés des belligérants prêtent à confusion.

Ce qui est sûr, c’est que l’auteur du Grand Meaulnes et ses compagnons ont bien trouvé la mort cet après midi du 22 septembre dans des circonstances confuses que nous ne pouvons qu’imaginer. Ce que l’on sait, c’est qu’un poste de secours et une ambulance allemande se trouvaient en position dans le seul bois de sapins du secteur (dit bois Gofrin) la forêt étant pour l’essentiel constituée de hêtres.

Il semble que la compagnie du lieutenant Marien ait subi des tirs d’observateurs ennemis auquels ils auraient répliqué tout en décrochant, ils se seraient regroupés alors à la 23ème compagnie rejointe par le capitaine de Gramont, jusqu’au-boutiste obstiné ramenant ses hommes au contact des troupes ennemies, c'est à dire à une mort assurée, la compagnie du lieutenant Egon Nicolay les prenant à revers.

Ainsi les vingt et une victimes de cet accrochage n’auraient pas été faites prisonnières et fusillées à la suite d’exactions commises contre le service sanitaire allemand en place mais bien tuées au combat comme le prouvent l’autopsie des corps retrouvés dans leur fosse commune.

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On doit cette découverte à Jean Louis, habitant de Lacroix sur Meuse, jeune accompagnateur de Maurice Genevoix revenu souvent sur les lieux où il connu l’enfer des Eparges et où il participa aux combats du 22 septembre. C’est à la suite des longues et patiente recherches de Michel Algrain que Jean Louis finit par déduction à retrouver sur le terrain le lieu du massacre et les corps des disparus dont les restes furent exhumés de la fosse (5mx3, 30cm de profondeur) du 4 au 25 novembre 1991 par trois archéologues de la DRAC de Lorraine.

Le corps d’Alain Fournier porte le numéro 16 sur la photo.

On se reportera pour plus de détail au lien suivant:https://www.etudes-touloises.fr/blogcelt/ArcheoThema%2035...

 

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Michel Baranger dans son livre rapporte ce que dit le rapport officiel de l’étude anthropologique : « Le sujet N°16, bien que dépourvu de plaque d’identité, avait pu être identifié avec certitude comme étant Alain Fournier, grâce à ses galons de lieutenant cousus sur du tissu gris-bleu, retrouvé sur les os de l’avant bras, ainsi qu’à ses galons d’épaulette et au numéro de son régiment :288, en laiton doré, agrafé sur une patte de collet rouge ; par ailleurs on rapprocha le calcul de la stature du squelette -1,70m- faite d’après la méthode de Fully et Pineau, de la taille mentionnée -1,69m- sur le livret militaire du lieutenant Henri Alban Fournier. L’analyse des impacts de balles sur son squelette a montré que « son sternum et sa deuxième côte droite avaient été touchés par une même balle » tirée juste face à lui, blessure grave à la poitrine, sans doute qui ne devait lui laisser que très peu d’heures à vivre. On put enfin rapprocher l’odontogramme du maxillaire supérieur -dix dents soignées et obturées- d’une carte postale représentant la grotte de Lourdes, envoyée à sa famille par Henri Fournier, le 17 mai 1909, au dos de laquelle il a écrit :  « De Tarbes où je viens de faire plomber ma 10ème dent. » »

Alain Fournier et ses 20 compagnons ont été inhumés dans la petite nécropole de Saint Rémy la Calonne, sur la pente qui regarde le sud, derrière le chevet de l’église.

 

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L’entend-il "la voix sourde et merveilleuse qui appelle"...

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14/06/2021

MONSIEUR CARRE-BENOIT A LA CAMPAGNE

 

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On ne lit plus beaucoup Henri Bosco. On a tort. L’un de ses ouvrages, sans doute moins connu que « Le Mas Théotime », « L’Ane Culotte » ou « Malicroix » n’est toujours pas disponible faute d’avoir été republié. Il est difficile de se le procurer sur le marché de l’occasion où on arrive à le trouver mais à prix élevé, il s’agit de « Monsieur Carre-Benoît à la campagne », livre étrange tenant du conte. Publié par Gallimard en 1947 le récit met en scène des personnages burlesques animés par les ombres de la nuit sous la gouverne de Maître Ratou, mystérieux notaire celé dans l’obscurité de sa sombre demeure de Place Haute d’où, tel un maître de ballet, il distribue les rôles aux protagonistes de l’histoire. Le bourg qui en est le théâtre, les Aversols, pourrait être une transposition de Lourmarin, où vécut et repose Henri Bosco ( 1888- 1976).

 

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Un « personnage » et non des moindre occupe peu de lignes dans le récit mais beaucoup de place dans l’histoire, c’est le vénérable peuplier Timoléon que met en scène l’auteur dès la première page :

« Timoléon chantait. Il chantait doucement dans la brise, à la pointe du village, au bout d’un pré. A son pied coulait une source. Elle s’élevait de la terre toute fraîche, entre deux racines. Et son eau limpide luisait dans un abreuvoir de pierre polie.

Le vent frais qui venait de la combe prenait en passant le feuillage et dix mille feuilles légères frémissaient le long du peuplier géant, au moindre souffle. »

Cet arbre pour ainsi dire sacré, âme tutélaire du village aurait sans doute encore vécu des lustres et assuré sa protection aux Aversolois si d’aventure, l’âme damnée du sous-chef aux écritures Carre-Benoît n’avait croisé sa route ! Carre-Benoît, personnage sec autant que rigide dépourvu de toute empathie, n’attend rien de la campagne et n’entend rien à la nature ; il n’existe qu’entre les pages des registres de l’Administration dans lesquels il aligne chiffres en colonnes et statistiques tatillonnes. On comprend qu’il ne serait jamais venu aux Aversols si le notaire ne l’y avait appelé. Maître Ratou, étrange et dissimulé notaire qui joue de la flûte au clair de lune à la fenêtre de son refuge sous les combles de sa grande maison de Place Haute pendant qu’il délègue son inconditionnel Piqueborne à d’étranges explorations au cœur de la nuit.

Si donc, Maître Ratou appelle aux Aversols le ménage Carre-Benoît, c’est pour une affaire de succession puisque la douce autant qu’effacée Hermeline, épouse de son pointilleux sous-chef de mari, se trouve être l’héritière de dame Hortense, veuve Chobinet. Par transposition sentimentale, le notaire entend redonner un second souffle à Hortense, sa chère disparue au travers d’ Hermeline qui la lui évoque étrangement.

Le couple s’installe dans sa nouvelle demeure avec ordre – c’est du moins ce que stipule le testament – de ne rien ajouter ni ôter à ce qui se trouve intra-muros et surtout, de ne jamais entrer dans certaine petite pièce du grenier, placée sous scellées… Carre-Benoît, s’y conforme et relègue à contre-cœur l’ensemble de son mobilier personnel dans une remise à l’exclusion de son indispensable meuble classeur, sa raison d’être, qu’il parvient à dissimuler au regard scrutateur de Zéphirine, servante et gardienne des lieux restés en l’état depuis la mort d’Hortense. Zéphirine, toute dévouée à Maître Ratou et à Hermeline, ne met guère de temps à installer cette dernière à la place et sur la chaise qu’occupait Hortense de son vivant, derrière sa fenêtre où elle s’employait à des travaux de broderie sous l’œil langoureux de Maître Ratou qui l’observait de loin, depuis sa tour d’ivoire…

Ne pouvant vivre hors d’un bureau, Fulgence Carre-Benoit délaisse dès qu’il le peut la maison Chobinet pour en ouvrir un dans la grand’ rue. C’est un bureau on ne peut plus bureau que Monsieur Léon, aubergiste et homme providentiel met à disposition du Sous-chef aux écritures. Bien vite, il y transporte le nécessaire, à savoir :

« le petit mobilier personnel de son locataire : le fichier, le fauteuil d’osier, le paillasson, la table en bois blanc, les registres, l’Annuaire départemental des retraités… »

On fit repeindre, on mit une enseigne. Alors, en son sanctuaire, M. Carre-Benoît « commença ses heures de bureau. Il les commença, sans objet, gratuitement, car il n’avait ni dessin, ni travail à accomplir. Mais il les commença. Il faisait acte de présence. Aussitôt, sans savoir pourquoi, il se sentit utile, et même indispensable… /… Il pensa et se dit :  « Il faut que je rédige un Règlement. » Il prit une feuille de papier ministre, la posa devant lui, souleva son porte-plume et conçut aussitôt un juste orgueil de ses responsabilités.

Il écrivit : Article 1er ».

Aux Aversols, les Chicouras tiennent la poste. Rien ne se passe au village qu’ils ne le sachent. Par l’entremise de Séraphin, leur fils, garçon faible et effacé, et sous la pression de Léontine, sa tyrannique sœur demeurée célibataire, Carre-Benoît est introduit chez les Chicouras. Très vite, il devient un familier de leur salon où en présence de madame Ancelin l’épicière, on l’écoute et le vénère tel le saint Père.

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Léontine souffre du célibat ; toute de sensualité innassouvie, le feu de la passion la ronge : « Déjà la quarantaine était passée, et nul prétendant jusqu’àlors n’avait prétendu à sa main. Cette main nerveuse brûlait de passion. Personne n’osait y toucher, fût-ce d’un contact amical, car aussitôt elle frémissait électriquement. »

Cette fille maigre et de caractère, chez laquelle « les aptitudes à l’amour n’avaient pas déchu » tisse sa toile telle l’araignée et veut y prendre Carre-Benoît auquel elle entend commander.

Elle s’y cassera les dents, Carre-Benoît demeurant insensible à tout commandement n’émanant pas expressément de l’Administration. Il est tout entier contenu dans la formule qu’il enseigne à Séraphin en guise de conclusion à ses recommandations : «  Enfin, concluait gravement M. Carre-Benoît en soulevant l’index vers le plafond, oubliez que vous êtes un homme. Soyez une fonction. Et vous monterez dans la hiérarchie. »

Tel homme ne s’était point vu aux Aversols sans soulever la suspicion du maire Troupignan dont les Aversolois, Léontine soufflant sur les braises, voudraient bien se débarrasser. La Providence leur vient en aide rappelant Troupignan à l’Eternel. L’élection de Carre-Benoît au premier fauteuil, c’est la mort assurée de Timoléon, symbole de liberté et mémoire des Aversols. Bien vite, il le fait couper, cachant la crainte qu’il en avait, au prétexte fallacieux de fournir du bois à l’école.

Alors, comme par enchantement tout change, Timoléon abattu, voilà qu’apparaît dans la foulée, tel le Diable en son carrosse, Bourmadier, homme d’affaires directeur de « La Récupératrice », inventeur et fabricant du « CUQ », boisson universelle. « La Chine même en veut, disait l’affiche. »

Comme on l’imagine, ingénieurs et entrepreneurs sont dépêchés sur place et une usine ne tarde pas à voir le jour aux Aversols. Carre-Benoît, homme de progrès, que Bourmadier parvient à manœuvrer par flâterie en est illico bombardé directeur. Léontine, qui n’est pas pour rien dans cette promotion jubile en secret.

Et puis… et puis au fil des jours tout va se dégrader, se déliter, s’embraser pendant qu’ un camp des sages veille dans l’ombre aux Aversols. C’est Maître Ratou, bien sûr et son dévoué Piqueborne, c’est Tavelot, l’instituteur déchu, c’est la clan des Jabard exécuteurs testamentaires du notaire auquel tout appartient pour les raisons qu’on découvrira en fin d’ouvrage. L’usine a brûlé, les Aversolois sont ruinés, Carre-Benoît s’en est retourné d’où il n’aurait jamais dû sortir de sorte « qu’il n’y eut plus aux Aversols que trois habitants : le notaire, Zéphirine et Piqueborne. L’Administration ferma la mairie. Il ne restait plus d'électeurs. »

Timoléon, comme les Aversols, renaîtront de leurs cendres et c’est ainsi, sur la dernière page du testament de Maître Ratou que s’achève l’histoire si bien racontée par son talentueux auteur Henri Bosco, d’un village provençal qui aurait pu tout aussi bien être breton que picard, limousin, lorrain ou bourguignon, car partout, les hommes se ressemblent et des Fulgence Carre-Benoît, il y en a partout...

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« Et ainsi, de génération en génération, sans partage, mettant leurs profits en commun, je veux que les Jabard, mes héritiers, rendent au maïs et au blé, à l’olivier et à la vigne, cette terre que je leur lègue et où, à mon corps défendant, j’ai dû exercer ma dure justice. C’est eux qui referont Les Aversols. En reconnaissance des dons que je leur fais, les plus beaux qui soient en ce monde, le sol et le libre travail, je leur demande de planter, au-dessus de ma tombe, un peuplier. »

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15/03/2021

A-T-ON LU MILADY ?

« Sept heures du matin, c’est tôt pour un rendez-vous d’amour. Mais quoi d’autre aurait pu arrêter si souvent devant sa glace le commandant Gardefort ? Lui faire ouvrir sa porte, fermer ses tiroirs, brosser son melon, griller cigarette sur cigarette ? Se pencher à la fenêtre remplie de long en large par la Loire, de haut en bas par les derniers nuages de la nuit ; et entre les deux la ligne mince des quais d’où l’élan d’une colline projetait brusquement le château de Saumur en plein ciel ? »

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Ainsi commence Milady qui est une histoire d’amour c’est à dire un drame qui se joue en 132 pages d’une écriture sans failles entre un homme et son cheval, en l’occurence une jument, Milady.

On doit ce diamant taillé de main de maître à la plume de Paul Morand qui l’écrivit à l’âge de quarante sept ans entre Saumur et Villefranche sur Mer, de juillet à septembre 1935. Le texte fut publié l’année d’après sous le titre « Les Extravagants » dans la collection « Renaissance de la Nouvelle », dirigée par l’auteur chez Gallimard. De quoi s’agit-il ? De la relation fusionnelle d’un moine-soldat (le commandant Gardefort) et d’une princesse (la jument Milady).

 

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L’histoire fut portée à l’écran par François Leterrier en 1976. Jacques Dufilho y incarne le commandant Gardefort. Qui d’autre mieux que lui, tant il est parfait dans son rôle, aurait pu l’incarner sinon peut-être Paul Meurisse ou Jean Rochefort auxquels Paul Morand avait pensé ?

« Gardefort » n’est assurément pas un patronyme choisi au hasard, non plus d’ailleurs que le nom de son épouse née « Chaînedecoeur ». Quant au cadre, il ne pouvait s’agir que de celui de Saumur « Comme c’était loin, ce Saumur d’avant la guerre où les civils comptaient pour rien ! pensait Gardefort. » et dans les dernières pages, de celui des Ardennes, là-bas, loin à l’est, où le soleil se lève, pour en finir…

Gardefort, c’est un bloc d’ébène taillé au carré et poli par la recherche de la perfection dans son art qui est celui de la Haute Ecole. On le sent dès les premières pages, rien, ni les honneurs du rang, ni les attraits de la fortune, les liens amicaux ou les charmes féminins ne saurait le détourner de sa voie. Cette voie est un sacerdoce qui n’admet pas l’écart et Gardefort, tel un samouraï s’y donne tout entier et jusqu’au bout, c’est à dire jusqu’à la mort où il emporte celle qui fut sa seule aimée, Milady. Il est de ces hauteurs que nulle compromission ne saurait atteindre, ce pourquoi il a tout sacrifié à son art « Cela lui a coûté sa carrière. Nommé chef d’escadron dans l’Est, ayant compris qu’il n’avancerait plus sur place, qu’il ne passerait jamais écuyer en chef du Cadre noir, il finit par demander sa mise à la retraite, décidé, comme beaucoup de fanatiques du cheval, à finir sa vie à Saumur. »

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(Crédit photo: Film Leterrier)

Tout cavalier devrait connaître, lire et relire ces pages merveilleusement dédiées à ce qu’il y a de plus élevé entre un homme et un cheval, noble conquête en réciprocité. N’est pas Centaure qui veut ! On ne s’acharne pas, quand on vise à vouloir faire corps avec sa monture à l’obliger à coups de cravache ou d’éperons « L’éperon est un rasoir entre les mains d’un singe. »

Ainsi Gardefort est ferme mais doux avec Milady, comme il ne le fut jamais avec aucune femme. Qui d’autre que Milady aurait pu susciter en son cœur de tels élancements ? « A peine a-t-il parlé que la sonnette retentit ; c’est moins une sonnerie qu’un heurt, maladroit d’abord, puis assuré. (…) La porte, il l’ouvre brusquement. Dans le grand cadre clair de la Loire, libéré par les deux battants ouverts, une fine et haute silhouette se découpe sur le ciel maintenant sans nuages.

  • Milady !

Comme chaque matin, elle est là. Mais chaque matin il l’attend comme si elle ne devait jamais revenir ; elle est toujours à l’heure et il la croit toujours en retard ; elle est toujours la même et il la voit plus belle… »

Le commandant qui ne fréquente personne n’a que deux amis, le jeune Léal, un sous-lieutenant de cuirassiers et le retraité Béguier de la Digue.

Il a sentit d’instinct chez le premier - c’est pourquoi il l’enseigne - l’intelligence du cheval « - Léal, mon ami, enfoncez-vous bien ceci dans la cervelle : on va toujours trop lentement au pas ; on va toujours trop vite au trot et au galop. Souvenez-vous du tour de force du marquis de la Bigue qui mit une heure pour traverser la Place d’Armes de Versailles sans avoir une seule fois abandonné le galop. Et ce n’est pas qu’il s’accrochait à la bouche, puisqu’il n’avait pour rênes que deux fils de soie ! » 

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Saumur, c’est la ville de la jeunesse, Morand le dit qui ajoute « Qu’il est beau de vivre là ses vingt ans, mais qu’il est amer d’y finir ses jours ! »

Gardefort y vit en reclus en face de la Loire, dans sa villa et sa carrière,  «  Il nommait ainsi un jardinet, derrière sa maison, un enclos d’une cinquantaine de mètres carrés qu’il avait pris soin d’aménager en manège privé… »

Quand il lui arrivait de sortir en ville il ne le faisait qu’à bicyclette « Jamais le commandant Gardefort ne se promenait à cheval ; n’eût-il pu aménager sa « carrière », il aurait monté Milady dans son salon, tant l’idée de laisser à sa monture les rênes sur le cou lui paraissait insupportable. »

Retenons la leçon, le cheval n’est pas fait  pour la promenade et autres ballades équestres qui ne sont que du divertissement. Ce n’est pas un outil de distraction ou un instrument de loisir à l’instar du vélo ou de l’automobile. Pour le commandant, Milady était l’alter ego qu’il n’avait jamais trouvé chez aucune femme et surtout pas chez son épouse dont il s’était séparé sans tenir compte, n’étant pas un homme de calcul, des conséquences financières entraînées par son divorce… Cinquante mille francs. Ces cinquante mille francs réclamés, il ne les avait pas. Il lui faudrait les emprunter mais alors à 40% par mois… « Gardefort ne dormit pas. Il errait la nuit et le jour, il s’alitait, repris par les fièvres (…) De tout, il pouvait se passer, à peu près de tout, sauf… »

Sauf de ce que lui coûtait la nourriture et l’entretien de Milady. Il vendit ses précieux grands traités d’équitation. On lui en donna sept mille francs à quoi il ajouta les quatre mille autres francs de tout ce qu’il avait gagné aux concours.

« Avoine… cent francs… Paille… soixante… »…  « Avoine… cent francs… Luzerne… soixante… », ces chiffres lui bourdonnaient dans la tête et il se sentait devenir fou, en pensant à Milady. (…)  Il n’y tenait plus. Il lui fallait l’argent tout de suite. Ne plus pouvoir acheter l’avoine de Milady ! Plutôt tuer sa femme… » Il s’en fut jusqu’à Montsoreau trouver son vieux camarade Béguier de la Digue… Il y passa la journée, repoussant heure après heure l’ultime requête : « - Mon ami, j’ai un service à vous demander… » Quand enfin il parvint à l’énoncer, elle tomba dans le vide, Béguier, distrait, n’y prêtant pas attention. Alors, Gardefort comprenant que c’était fini, emporté par le désespoir, devint caustique et divagua devant la collection d’éperons de son hôte et sa dernière acquisition : des pointes de dix centimètres ! « - Il faut bien faire saigner le cheval, répondit en rageant le commandant qui n’en pensait pas un mot. »

Au moment de prendre congé « Une phrase lui traversa le cerveau avec l’impétuosité d’un cri : « L’éperon est un rasoir entre les mains d’un singe. » Comme il aimait cette maxime qu’il citait souvent ! Et c’était lui qui… La honte l’envahit. Ses cinquante mille francs, sa femme, sa gueuserie, la misère du monde, tout fut oublié. »

 

 

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(Crédit photo: Cadre noir)

Le carroussel de Saumur commençait; il passa en revue les chevaux qu’il visita dans leurs box… Dans la tiédeur de cette nuit de juillet, en son errance, Gardefort pensait à Milady, à tout ce qui la liait à lui, leur complicité, leur intimité « … quand il s’absentait, il lui laissait toujours dans sa mangeoire un vieux pyjama de pilou dans lequel il transpirait les jours d’attaque paludéenne, pour qu’elle ne se déshabituât pas de lui. »

Ils avaient leur language à eux « … un étrange idiome de jeunes mariés (…) un tendre baragoin hippo-humain… ». Il l’imaginait dans l’écurie, reposant comme à l’habitude, ou quand elle le sentait proche, donnant du front, lui prodiguant des gamineries, des caresses bien à elle. Et comme il se sentait trop triste pour monter se coucher sans l’avoir revue, il fit le détour. Quelqu’un d’autre était là dans l’écurie venu détailler Milady, un amateur, un banquier…

Vendre son âme au Diable n’eût pas était pire pour Gardefort que de vendre Milady, amour de sa pauvre vie « Toutes mes maîtresses m’ont trompé. (…) Enfin un jour où j’ai trouvé une jument qui avait les plus belles qualités d’un cheval et qui était en même temps une vraie femme, un jour j’ai rencontré Milady. Je l’ai formée, et ce n’est qu’après que je l’ai séduite. Pour la première fois, je suis aimé, aimé pour moi-même, sans traîtrise, justement aimé, parce que je suis le meilleur et le plus fort. »

A Léal, qui pousse le commandant à vendre sa jument pour payer ses dettes, il rétorque « …j’aime Milady. Je l’aime d’amour et elle est devenue mon épouse. Ce n’est pas une liaison, ce n’est pas un amusement, c’est ma raison de vivre. »

Dès lors, s’en séparer c’est mourir, et puisqu’il le faut, que l’implacable enchaînement des causes et des effets l’y pousse, le commandant Gardefort cède. La suite, on l’imagine, Grumbach le banquier emportera Milady dans l’ Est, loin de ses aires familières.

Alors il faut en finir « On eût dit qu’un même malheur les touchait, tant l’âme du cavalier semblait avoir passé dans le corps de l’animal.

Le commandant Gardefort montait Milady pour la dernière fois.

Il l’avait vendue.

Il avait vendu la compagne de sa vie.

Milady avait compris. Pour la première fois, elle se laissait monter sans entrer en défense, sans garder pour elle aucune de ses forces. Elle s’abandonnait. (…) Milady s’éteignait. »

Devant la porte, le van l’attendait pour l’emporter.

« Il se retourna vers Milady. Elle vint se frotter contre sa joue. Il flatta une dernière fois ces flancs, ce cœur qui avait battu si souvent entre ses jambes, il l’embrassa sur les naseaux et lui caressa les yeux.

Milady gravit le plan incliné garni de tapis-brosse et s’engagea avec hésitation dans le van. »

  • Où est-elle à présent, oui, où est-elle ?

Gardefort reçu des nouvelles élogieuses de Milady. Grumbach l’invita à la Renardière, son domaine des Ardennes. Il s'y rendit...

...

«  - Comment n’a-t-il pas été tué net ? demanda le chef de la gendarmerie.

  • Sa jument a amorti le choc : elle est d’ailleurs morte sur le coup. »

 

La dernière leçon de Gardefort « Marcher droit ! » vient d’unir pour l’éternité l’homme à sa jument. L’un et l’autre en chutant des trente mètres de l’acqueduc ont rejoint l'outre là dans une ultime résistance de l’animal et une impérieuse contrainte du cavalier, la dernière. Comme il est dit dans la Ballade de la Gêole de Reading : « Chacun de nous tue ce qu’il aime… » Est-ce là le prix de l’amour-fou ?

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Paul Morand, né le 13 mars1888, meurt le 23 juillet 1976 à 88 ans. Celui qui fut reçu à l’Académie française sur le tard en 1969, fut l’un des rares écrivains du XXème siècle ayant su trouver grâce aux yeux de son contemporain Céline, ce qui n’est pas rien !