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10/04/2010

L'IVRE D'IMAGES (2)

 

LIVRES D'ECOLE

 

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Celles et ceux qui ont appris les grands faits de l'Histoire de France dans le « Mallet-Isaac », et découvert les grands textes de la littérature dans le « Lagarde et Michard », ont sans doute gardé, comme moi, le souvenir de la Bataille de Bouvines, celui du Serment du Jeu de Paume et de l'Abolition des Privilèges, des Trois Glorieuses et des Cent Jours... Ils ont goûté en feuilletant ces pages, ainsi que je le fis avec plus ou moins de bonheur, les tragédies de Corneille, les extraits des Mémoires d'Outre Tombe, ceux de l'Education Sentimentale ou... la madeleine de Proust. Mais peut être n'ont-ils pas eu, comme moi, la chance de tomber un jour sur un véritable trésor : celui qu'un instituteur du temps d'Ernest Pérochon et d'Emile Moselly, devenu par la suite directeur d'école, avait précieusement conservé dans des caisses en bois, étiquetées et empilées les unes sur les autres...

 

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Pourquoi, ce jour d'automne pluvieux, passai-je dans cette rue excentrée où s'acharnait, sur les dépendances de la vieille maison de ce maître d'école mort depuis longtemps, une grosse pelle mécanique qui avait déjà emporté la moitié du jardin et de ses fruitiers en attendant de le faire de l'habitation ?

Du bâtiment éventré, s'échappaient dans les tourbillons du vent des feuilles éparses qui, bientôt, retombaient dans la boue, fouettées par la pluie. J'en ramassai quelques-unes, et vis qu' il s'agissait de copies d'écoliers sur lesquelles l'encre violette coulait en méandres ravageurs. J'obtins du conducteur de l'engin de jeter un coup d'œil dans la grange...

Des caisses, entreposées sur la barge, alignaient leurs matricules comme autant de réserves de munitions. Certaines ayant été ouvertes, laissaient voir en partie leur contenu: il ne s'agissait pas d'obus mais de livres, des dizaines et des dizaines de livres qu'avaient délaissés mes prédécesseurs, comme me l'apprit le chauffeur du camion.  Ainsi d'autres étaient passés par là, en effet, qui avaient emporté des cartes murales de géographie ou de sciences naturelles, des cailloux et des instruments de chimie ainsi que de la vaisselle... Autant dire qu'ils avaient vidé la maison de ce qu'ils avaient jugé utile d'emporter, en négligeant les livres ; c'était pour moi une aubaine, et j'en remplis ce jour-là le coffre de la voiture, heureux d'avoir sauvé les vestiges du savoir de la « Communale »...

 

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Il s'agit d'ouvrages remis par les maisons d'édition aux directeurs des écoles de la République. Ils s'échelonnent de 1880 aux années cinquante et sont pour la plupart en très bon état. Les exemplaires « à l'usage du maître » ont conservé leurs questionnaires sur feuilles libres et leurs courriers d'envoi ;  beaucoup sont marqués au tampon rouge : « spécimen » ou « hommage de l'éditeur ».

On y trouve « La vie aux Champs », l'incontournable « Tour de France par deux enfants », « Tu seras agriculteur »,  « Le journal d'une petite écolière » et "Histoire d'une bouteille", abondamment illustrée pour dénoncer les drames de l'alcoolisme...

 

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Et parmi de nombreux autres thèmes déclinant l'amour de la patrie, la morale en action ou les arcanes de l'art culinaire, on y trouve « Le livre de la Nature », recueil de poèmes de Maurice Rollinat, destiné à l'enfance, et préfacé en 1872, de Nohant, par sa compatriote berrichonne George Sand. Elle y affirme sa conviction d'inculquer le plus tôt aux jeunes âmes le respect de la Nature et l'apprentissage du civisme :

 

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« L'enfant aime le grand et le beau, pourvu qu'on les lui donne sous la forme nette et sans ficelle aucune. Il s'intéresse à tout, et ne demande qu'à voir sous la forme poétique les objets de son incessant amusement.

Le poète n'a qu'à montrer. Il est l'Orphée qui remue les pierres ; il lui suffit de chanter, et tout chante dans l'âme de l'enfant. Tu n'es pas si loin de l'enfance. Souviens-toi ce que tu remarquais, ce que tu devinais, ce que ton père te faisait voir, et comme une expression bien choisie par lui te faisait entrer dans un monde nouveau... »

J'ai, pour ma part, plus appris dans les « Mironneau », qu'avaient conservés mes parents en souvenir de leur scolarité, que dans mes propres livres d'école. Peut-être parce que les textes, sans doute mieux choisis, répondaient à mon attente de justice et de merveilleux. Il y était en effet beaucoup question d'histoires de bêtes martyres vengées, d'aventures chevaleresques, de justiciers et de vie aux champs... Et, suprême bonheur, les textes étaient illustrés - en noir et blanc, certes, à l'inverse des pages des livres d'histoire et de géographie- mais leur puissance évocatrice suffisait à elle seule à me transporter dans le rêve.

 

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A. Mironneau, Directeur de l'Ecole normale d'Instituteurs de Lyon, nourrit les générations d'écoliers de ses « Choix de lectures » pendant les trente premières années du XXème siècle. Ses ouvrages, édités par la Librairie Armand Colin, connurent le succès qu'ils méritaient. Ouvrons un exemplaire du cours moyen de l'année 1908 ; il commence par un extrait des « Souvenirs d'enfance » d'Anatole France : La Rentrée... « Je vais vous dire ce que me rappellent, tous les ans, le ciel agité de l'automne et les feuilles qui jaunissent dans les arbres qui frissonnent... ».

Voici, plus loin un passage de Diderot, propre à émouvoir comme il se doit plus d'un cœur sensible :

« ... Un des moments les plus doux de ma vie, ce fut, il y a plus de trente ans et je m'en souviens comme d'hier, lorsque mon père me vit arriver du collège, les bras chargés des prix que j'avais remportés, et les épaules chargées des couronnes qu'on m'avait données et qui, trop larges pour mon front, avaient laissé passer ma tête.

Du plus loin qu'il m'aperçut, mon père laissa son ouvrage, il s'avança sur la porte et se mit à pleurer.

C'est une belle chose, un homme qui pleure de joie !

... Maintenant, je suis seul, je me rappelle mes bons parents, et mon cœur se serre. Je ne sais ce que j'ai, je ne sais ce que j'éprouve. Je voudrais pleurer. O mes parents ! O ma mère, toi qui réchauffais mes pieds froids dans tes mains !... »

Qui connaît Pierre-Jules Stahl (1814-1886), auteur de contes pour la jeunesse ? Mironneau l'a choisi pour « Les quatre cri-cris de la boulangère », chapeautant le texte d'une phrase qui le résume : « Le bon cœur des enfants fait la joie des mères ».

Et c'est avec Charles Nodier, beaucoup plus connu, qu'il propose l'histoire du chien de Brisquet, terrible histoire dont le tragique vaut bien celui de la Chèvre de Monsieur Seguin, qu'on trouve à la page 312 du même recueil... Je ne les ai pas oubliés, non plus d'ailleurs que « Les chats de mon grand père » de Paul Arène ; « Une vieille servante » de Gustave Flaubert ; « Noiraud » de Ludovic Halévy ; « Les pauvres gens » de Victor Hugo ; « L'école buissonnière » de Frédéric Mistral ; ou « Guillaume Tell », tiré du recueil « De l'Allemagne » de Madame de Staël.

 

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Les livres d'Histoire, et ceux de Géographie édités dans les années 1930-1950 comptent parmi les mieux illustrés. L'image vaut à elle seule un discours : on cultive la betterave en Picardie, on élève des bovins en Normandie et des chevaux dans le Perche. On trouve des filatures à Elbeuf et une partie des terres du Pays de Caux et livrée aux céréales.

 

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Le Jura, couvert en partie de forêt, alimente les nombreuses scieries de ses vallées.

A Roncevaux, le preux Roland connut une mort glorieuse ; le bon La Fontaine trouva son inspiration au sein de la nature et l'on se battit vaillamment derrière les barricades de 1830...

 

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J'ai toujours pensé qu'on devait bien apprendre, dans ces livres, et que ceux qui les ont connus, finalement, avaient de la chance ; aujourd'hui, on s'en moque, mais à l'époque, on n'y voyait rien de ringard, et les clichés et la morale allaient d'eux-mêmes, à leur façon bonhomme. Quant à se prendre au jeu, c'était après tout une affaire personnelle et il appartenait à chacun de n'en retenir que ce qu'il jugeait à propos de lui être utile, sans aller, comme on dit « chercher midi à quatorze heure »... A trop vouloir se moquer des images d'Epinal on finira par oublier la part du rêve, alors, risqueront de surgir des fantômes bien autrement redoutables !

J'entends, pour ma part, tinter le cliquetis de leurs chaînes...

 

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29/03/2010

29 MARS 1902

 

 

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29 mars 1902, naissance, à Joigny, de MARCEL AYME

 

Voici un extrait de la longue lettre de Marcel Aymé en réponse à celle d'un jeune français censé lui avoir écrit. Nous sommes en 1957, la revue « Arts », publie ce courrier le 6 mars, « tout en procédant à des coupures de dernière heure... ». Le 13 mars, elle s'en excuse auprès de l'auteur et livre à ses lecteurs les passages censurés.

Voici donc un extrait de cette « lettre », dans son intégrité.

« ...Il existe en Amérique une puissante association d'épiciers, de pétrolants, de trousse-canons qui tiennent dans l'abrutissement et le respect de leurs énormes fortunes cent soixante millions d'Américains.

Pour donner à ces pauvres gens l'illusion de la liberté politique, ils ont imaginé de créer deux partis : le républicain et le démocrate, ayant tous deux même programme. Lorsqu'il s'agit d'élire un maire, un sénateur ou un président de la République, le candidat républicain et le démocrate s'en vont aux quatre coins de l'aire électorale, braillant les mêmes promesses, les mêmes professions de foi et ne se distinguant vraiment que par les défilés de chars fleuris, chargés de filles à demi nues, que chacun d'eux organise au cours de sa tournée. Les électeurs sont excités et émus, car la presse leur dit qu'ils sont en train de faire quelque chose de grand. Finalement est élu le candidat qui a su exhiber les filles ayant le plus joli sourire et le cul le mieux tourné.

En France, comme vous savez, nous avons trois partis. Le plus honnête des trois est le parti communiste qui dit crûment à ses électeurs : « Pour vous, camarades français, mon royaume n'est pas de ce monde, mais pour nos camarades russes, il se situe sur la terre, dans un avenir, il est vrai, lointain. Ayez donc sans cesse à l'esprit que vous devez sacrifier tout ce qui vous est cher pour le bien-être du travailleur russe. »

Les deux autres partis sont la droite et la gauche, qui correspondent respectivement aux partis républicain et démocrate d'Amérique. Pas tout à fait cependant. La droite représente les intérêts de l'industrie lourde et des gros propriétaires fonciers. La gauche sert la haute banque, le grand commerce, la spéculation. Mais cette nuance même tend à disparaître, car, de plus en plus, ces activités se trouvent étroitement mêlées, imbriquées, en sorte que tel banquier se trouve être maintenant l'un des plus gros agriculteurs de France, tel autre l'un des plus grands industriels.

(...) Vous pensez bien, Monsieur, que je ne vous écris pas pour vous amuser d'une comparaison entre les partis en Amérique et les partis en France. Je ne veux qu'attirer votre attention sur ce qu'on pourrait appeler un phénomène de mimétisme politique et qui est un témoignage accablant de notre abaissement - à tous égards. Autrefois, en France, les partis avaient de fortes arêtes. Comment en sont-ils venus à n'être plus, au service d'une poignée de ruffians milliardaires, que des faux-semblants ? Mais surtout, comment se peut-il que des citoyens français se laissent prendre à ces camouflages comme le font les citoyens du Michigan ou du Texas ? Ont-ils perdu le goût de la liberté et sont-ils aveugles ? Oui, assurément, puisque la France est tombée au rang de colonie américaine. Les milliardaires de là-bas, en payant aux nôtres le prix de la trahison, leur ont appris à abêtir le peuple et la leçon n'a pas été perdue... »

Ah ! que voilà des propos tout pleins de fraîcheur ! Ils n'ont pas pris une ride !

A l'heure où, dans l'hexagone, d'aucuns singent comme on ne l'a jamais fait, le comportement et la « just-attitude » des élus du peuple de la thalassocratie, en réclamant à grands cris l'application du bipartisme dans notre système électoral, à l'instar du gauleiter de la Septimanie, ce texte de l'auteur du « Confort Intellectuel » me paraît de nature a rappeler des vérités qui sonnent clair...

Orientations:

- "Marcel Aymé, Ecrits sur la Politique (1933-1967); édition Les Belles Lettres-Archimbaud (2003)

- Note de Wikipédia: http://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Aymé

 

 

 

27/03/2010

27 MARS 1797

 

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Le 27 mars 1797, naissance à Loches du poète et dramaturge Alfred de VIGNY, dont l'essentiel de l'oeuvre poétique fut réunie en un recueil: "Les Destinées", publié en 1864 après sa mort.

A l'origine, les Destinées parurent en 1843 et 1854 dans la Revue des Deux Mondes.

Qui ne se souvient des poèmes les plus célèbres: La Maison du Berger (1844), La Bouteille à la Mer (1853) et La Mort du Loup (1843), dont nous donnons ici la fin, leçon de conduite toute empreinte de dignité:

 

 

« ...

Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes,


Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes !
.

Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,


C'est vous qui le savez, sublimes animaux !


A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse


Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.

- Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,


Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au coeur !

Il disait : " Si tu peux, fais que ton âme arrive,


A force de rester studieuse et pensive,


Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté


Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.


Gémir, pleurer, prier est également lâche.


Fais énergiquement ta longue et lourde tâche


Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler,


Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. »

 

Alfred de Vigny meurt le 17 septembre 1863, emporté par un cancer de l'estomac. De Saint Philibert du Roule où ont lieu ses obsèques le 19, on le conduit au cimetière Montmartre ; Aurélien Scholl dira de lui dans le Nain Jaune :

« ... De tous les oiseaux libres qui prirent leur vol en 1830, c'est le cygne qui partit le premier.

... C'était un esprit délicieux auquel l'Académie, qui n'aime que les pédants, les turbulents, les gesticulants, ne comprenait absolument rien. »

Orientation de lecture : Paul BRACH « La destinée du comte Alfred de Vigny », Plon 1927