09/12/2009
BON SENS
Le bon sens c'est le discernement, la faculté de bien juger, de juger juste, de connaître et d'apprécier d'emblée la réalité pour ce qu'elle vaut et non pour ce qu'elle paraît être.
Il y a de l'intuition, dans le bons sens, mais sans la part d'erreur qui quelquefois peut entacher cette dernière. Le bon sens, par quelques côtés, confine à la sagesse des nations ; à ce propos goûtons ce qu'en dit Rivarol :
« Les proverbes sont le fruit de l'expérience de tous les peuples, et comme le bon sens de tous les siècles réduits en formules. »
Joseph Delteil donne sa définition du bon sens :
« Le bon sens, c'est l'isolement de la vérité première, de la cellule élémentaire... Le bon sens est le fondement de l'esprit, le fondement du monde. »
et Gustave Le Bon nous prévient:
« Beaucoup d'hommes sont doués de raison, très peu de bon sens. »
Quant à Vauvenargues, je vous livre ce qu'il en dit au chapitre VII de son « Introduction à la Connaissance de l'Esprit humain » :
« Le bon sens n'exige pas un jugement bien profond ; il semble consister plutôt à n'apercevoir les objets que dans la proportion exacte qu'ils ont avec notre nature ou avec notre condition. Le bon sens n'est donc pas à penser sur les choses avec trop de sagacité, mais à les concevoir d'une manière utile, à les prendre de leur vrai côté.
Celui qui voit avec un microscope aperçoit sans doute dans les choses plus de qualités, mais il ne les aperçoit point dans leur proportion naturelle avec la nature de l'homme, comme celui qui ne se sert que de ses yeux. Image des esprits subtils, il pénètre souvent trop loin ; celui qui regarde naturellement les choses a le bon sens.
Le bon sens se forme d'un goût naturel pour la justesse et la médiocrité ; c'est une qualité du caractère plutôt encore que de l'esprit. Pour avoir beaucoup de bon sens, il faut être fait de manière que la raison domine sur le sentiment, l'expérience sur le raisonnement.
Le jugement va plus loin que le bon sens, mais ses principes sont plus variables. »
En méditant ces vérités qui sonnent justes, on verra combien le prétentieux bipède du siècle, coupeur de cheveux en quatre et grand donneur de leçons, s'est éloigné de « l'homme » et de la nature ; c'est donc bien naturel que le bon sens lui fasse défaut.
15:21 Publié dans Bons Mots | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bon sens, delteil, vauvenargues
06/12/2009
TELETHON
Chaque année, quand arrive le « Téléthon », j'ai toujours le même sentiment : celui de la mendicité publique institutionnalisée par le chantage à la douleur; douleur d'autant plus odieuse qu'elle touche l'enfance. Ainsi fait-on d'une pierre deux coups en culpabilisant Jacques Bonhomme sur les deux tableaux, en sorte que ce serait vraiment un salaud et un fieffé, s'il ne mettait la main à la bourse ! Je ne peux m'empêcher de penser, en notant ce trait, à un autre Jacques, Crozemarie celui-là ! Ca vous dit quelque chose ? Je le verrais assez bien sur fond d'écran Téléthon, aligner sa grosse gueule de tartuffe pour soutenir le grand matraquage médiatique sponsorisé par ceux qui veulent se donner bonne conscience. Qu'il faille combattre les maladies, toutes les maladies et il s'en trouve de très pernicieuses, personne ne le contredira. Pour ma part, je pense que c'est à l'état de le faire, ou a des mécènes qui pourraient se recruter, par exemple, dans le cartel de la pétrochimie ou celui de l'industrie pharmaceutique... Force est de constater qu'ils préfèrent s'en mettre plein les fouilles, c'est comme ça qu'on les aime !... et on en redemande ! Songeons à ce propos à ce qu'a coûté au contribuable taillable et corvéable à merci, le stock des quatre-vingt-quatorze millions de doses destinées soi-disant à combattre la dernière-née de maman grippe. On a tout lieu de craindre qu'elles ne serviront sans doute pas à grand-chose, ces doses, sinon à rendre malades, et fort durablement peut-être, des gens qui ne l'étaient pas forcément avant que de les recevoir.
La mendicité du Téléthon m'est d'autant plus odieuse qu'elle est cautionnée par les maîtres à penser du moment, tous cénacles confondus, et les figures de proue du Show-biz. A tout prendre, je préférerais, et je le dis tout net, qu'on ponctionne directement par le biais des impôts, disons une quote-part, destinée à financer la recherche. Ce serait moins vulgaire ! Quand on songe à ce que récupère l'état grâce aux contraventions et autres amendes issues d'un usage détourné du code de la route ; quand on sait ce qu'il engrange résultant de taxes de toutes catégories (le dernier amuse-gueule étant la taxe carbone) ; quand on imagine ce qu'il récolte au travers de la Française des jeux, la Loterie Nationale et autres pièges à gogo, ça laisse rêveur ! Quant à savoir à quoi sert tout ce fric, il n'est que de se promener sur la toile pour trouver des gens tout à fait renseignés qui vous en donneront un aperçu.
A force d'entendre pleurer sur les ondes et de se dire qu'on est de ces salauds qui ne participent pas à la grande fête des cœurs on en arrive au constat suivant : le pays se divise en deux ; d'un côté les ordures, de l'autre les bonnes gens...
Eh bien ! je pense moi, que les braves gens n'ont pas attendu qu'on le leur dise pour aider leur prochain; et j'en sais un certain nombre qui dans l'ombre, visitent les pauvres comme on le faisait au Moyen-Age, les approvisionnent directement ou y pourvoient par le moyen des associations de quartier qui collectent des vivres et des vêtements. Ces anonymes ne demandent à personne un certificat de bonne conduite et ne se font, pour beaucoup d'entre eux, aucune illusions sur la charité publique et la générosité affichée par le biais du chéquier.
Quand l'état en est rendu à utiliser ses médias pour mendier de la main droite l'argent qu'il vole de la main gauche, c'est qu'il est descendu bien bas... à de ces profondeurs espérons-le d'où il ne remontera pas.
Méditez en conclusion cette petite iconographie qui illustre mon propos, elle vous en dira long !
La télé, c'est eux,
Et le thon, c'est vous !
16:38 Publié dans Chroniques du temps présent | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : telethon, show-biz, grippe, loterie
05/12/2009
PARTAGE DE LA PITIE
J'ai vu hier au soir en rentrant, comme dans un tableau, un tableau de la cruauté, une vache et un pommier dans un mauvais cadre, celui de la fin d'une zone industrielle sous une pluie battante. Je venais de me faire doubler par un gros 4x4 rempli d'une famille de polygéniteurs. Le pommier était aux trois quarts arraché, penché à l'extrême sur un bourbier où achevaient de pourrir ses pommes ; la vache, une limousine efflanquée, était plantée en vis-à-vis, emplâtrée de fange au bord du bourbier, elle attendait. On avait coupé ses cornes, mal, à mi-longueur comme on le fait ordinairement, dans un siècle où l'on ne veut plus de cornes aux vaches, plus de bogues aux châtaigniers, plus d'épines aux rosiers. Derrière la scène, un mauvais pré remontait en pente raide en direction d'un lotissement... Cette bête me fixa quand, arrivé à sa hauteur je ralentis, et bizarrement, outre le fait que je pensais en la regardant aux abattoirs alimentés quotidiennement par ses congénères pour nourrir les carnassiers et les polygéniteurs, par association d'idées me vint à l'esprit l'étrange tableau d'Evariste-Vital Luminais : « Les Enervés de Jumièges »...
Cette toile emblématique est à Rouen, au Musée des Beaux-Arts ; elle résume pour moi la condition humaine et par extension celle du vivant tout entier. On y voit deux hommes allongés dans un bac à la dérive sur la seine ; ils sont adossés à des coussins et recouverts d'un tapis qui tombe dans l'eau... L'un d'eux laisse pendre un bras comme s'il allait plonger ou venait de retirer sa main du fleuve, on ne sait pas ; l'autre a les mains ramenées sur son ventre, au-dessus du drap qu'on dirait qu'il retient. Les pieds et une partie des jambes du premier sortent de dessous le tapis ; ils sont enveloppés de bandelettes comme ceux d'une momie. Ces deux suppliciés ont été « énervés » : on leur a, selon la coutume du temps appliquée à la trahison, scié les jarrets pour en arracher les nerfs... La scène paraît figée et l'eau morte, les regards, fixes, paraissent figés eux aussi, pour l'éternité. Devant une telle toile, « même l'horreur tourne aux enchantements », sans doute parce que l'horreur est suggérée plus qu'elle n'est montrée. Le tableau, présenté au salon de 1880, est mal reçu et tourné en dérision par la critique du temps, néanmoins il trouve des défenseurs qui n'ont pas été sans saisir en le détaillant toute la force émotionnelle et l'inquiétude contenue qui s'en dégage. Et c'est vrai qu'on se sent suspendu en permanence entre deux choix en sa présence : celui de la vie et de la mort, de la révolte et de l'abandon, de la colère et de la paix. Et d'ailleurs, le bac s'approche-t-il ou s'éloigne-t-il ? Torture ou béatitude ?
Il existe deux versions du tableau ; il est probable que celle de Rouen soit l'œuvre d'atelier et la toile exposée à Sydney la version du salon. Quoi qu'il en soit, elles ne diffèrent que dans les couleurs, les visages des personnages et le luminaire-reliquaire placé au pied de l'esquif. C'est suffisant toutefois pour leur donner deux dimensions équivoques : celle de Sydney est demeurée du côté des ténèbres, celle de Rouen aborde la lumière. C'est qu'il revêt plus d'importance qu'il n'y paraît, ce « pompier » luminaire entouré de roses, et à bien observer la flamme de la bougie, on voit que le vent (le souffle) vient de la terre plutôt que du fleuve : sont-il arrivés à bon port ?
On sent combien cette œuvre, qui tire son origine d'une légende des temps mérovingiens, celle des fils de Clovis II châtiés pour trahison, est emblématique en ce qu'elle résume la puissance du destin et devant elle, comment ne pas songer à ses vers de Lamartine :
« Ainsi tout change, ainsi tout passe ;
Ainsi nous-mêmes nous passons,
Hélas ! sans laisser plus de traces
Que cette barque où nous glissons
Sur cette mer où tout s'efface. »
Revenons à cette vache puisque c'est parti d'elle. Il m'a semblé qu'elle attendait là, devant ce trou rempli d'eau, depuis des mondes d'années, patiente. Et à la considérer, cette patience, j'ai mesuré combien elle semblait proche de celle des suppliciés de Luminais, des malades et des pauvres gens, de ceux qui n'ont rien d'autre à attendre de la vie que le secours de la grâce ; qu'elle confinait à la résignation en attente de la délivrance. Et je me suis dit que c'était peut-être ça après tout la condition humaine : l'apprentissage d'une longue patience avant la chute ou le lever du rideau, comme on voudra.
On consultera avec profit le petit livre de Dominique Bussillet : « Les Enervés de Jumièges », éditions 2007, Cahiers du Temps, Cabourg.
16:34 Publié dans Chroniques du temps présent | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : luminais, énervés, lamartine, jumièges