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16/10/2021

16 0CT0BRE 1793

Exécution place de la Révolution à Paris (actuelle place de la Concorde) le 16 octobre 1793 à 12H 15, de la Reine Marie-Antoinette.

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La Reine fut conduite à l’échafaud à l’issue d’un procès convenu qui dura deux jours et auquel ses deux défenseurs, Chauveau-Lagarde et Tronçon- Ducoudray, furent commis d’office.

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A 4H du matin, le 16 octobre, la sentence tombe : l’infortunée reine de France sera exécutée le jour-même.

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La Reine se prépare et vers onze heures, quitte la Conciergerie pour monter dans la charrette qui mettra une heure pour gagner le lieu du supplice. Les mains liées, la condamnée est placée face au peuple et non dans le sens de la marche, comme elle le souhaitait. L’abbé Girard, prêtre constitutionnel dont elle refusera les secours de la religion, est à ses côtés.

Arrivée devant l’échafaud, la Reine s’y précipite et parvenue au fait de l’échelle de meunier, tombe sur les peids du bourreau Sanson… C’est alors qu’elle a ses mots dont l’histoire s’est fait l’écho : « Monsieur, je vous demande pardon, je ne l’ai pas fait exprès. »

A 12H 15 précises sa tête tombe et selon la coutume, le bourreau ou l’un de ses aides s’en empare pour la montrer au peuple…

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Georges Lenôtre a bâti son ouvrage intitulé « La captivité et la mort de Marie-Antoinette » à partir des relations de témoins oculaires et de documents inédits. La lecture en est des plus intéressante. On y apprend, entre autre, comment fut découvert chez Robespierre après sa mort, dans une cache ménagée sous le lit, le testament de la Reine, ainsi que divers documents relatifs à sa captivité. On y apprend surtout quel fut le cheminement de cette précieuse relique échappée par miracle aux désastres du temps.

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En voici le texte, écrit le 16 octobre 1793 à 4H et demie du matin, et qui ne sera jamais parvenu à sa destinataire, Madame Elisabeth, puisqu’il sera subtilisé le jour-même.

 

 

ce 16 8bre à 4 h ½ du matin

C’est à vous, ma Sœur, que j’écris pour la dernière fois. Je viens d’être condamnée non pas à une mort honteuse, elle ne l’est que pour les criminels, mais à aller rejoindre votre frère ; comme lui innocente, j’espère montrer la même fermeté que lui dans ces derniers moments. Je suis calme comme on l’est quand la consience[sic] ne reproche rien, j’ai un profond regret d’abandonner mes pauvres enfants ; vous savez que je n’existois que pour eux, et vous, ma bonne et tendre Sœur : vous qui avez par votre amitié tout sacrifié pour être avec nous ; dans quelle position je vous laisse ! J’ai appris par le plaidoyer même du procès que ma fille étoit séparée de vous. Hélas ! la pauvre enfant, je n’ose pas lui écrire, elle ne recevroit pas ma lettre je ne sais même pas si celle-ci vous parviendra, recevez pour eux deux ici, ma bénédiction. J’espère qu’un jour, lorsqu’ils seront plus grands, ils pourront se réunir avec vous, et jouir en entier de vos tendres soins. Qu’ils pensent tous deux à ce que je n’ai cessé de leur inspirer, que les principes, et l’exécution exacte de ses devoirs sont la première base de la vie ; que leur amitié et leur confiance mutuelle, en feront le bonheur ; que ma fille sente qu’à l’âge qu’elle a, elle doit toujours aider son frère pour les conseils que [rature] l’expérience qu’elle aura de plus que lui et son amitié pourront lui inspirer ; que mon fils à son tour, rende à sa sœur, tous les soins, les services que l’amitié peut inspirer ; qu’ils sentent enfin tous deux que, dans quelque position où ils pourront se trouver, ils ne seront vraiment heureux que par leur union. Qu’ils prennent exemple de nous, combien dans nos malheurs, notre amitié nous a donné de consolations, et dans le bonheur on jouit doublement quand on peut le partager avec un ami ; et où en trouver de plus tendre, de plus cher que dans sa propre famille ? Que mon fils n’oublie jamais les derniers mots de son père, que je lui répète expressément : qu’il ne cherche jamais à venger notre mort. J’ai à vous parler d’une chose bien pénible à mon cœur. Je sais combien cet enfant, doit vous avoir fait de la peine ; pardonnez-lui, ma chère Sœur ; pensez à l’âge qu’il a, et combien il est facile de faire dire a[sic] un enfant ce qu’on veut, et même ce qu’il ne comprend pas, un jour viendra, j’espère, où il ne sentira que mieux tout le prix de vos bontés et de votre tendresse pour tous deux il me reste à vous confier encore mes dernières pensées. J’aurois voulu les écrire dès le commencement du procès ; mais, outre qu’on ne me laissoit pas écrire, la marche en a été si rapide, que je n’en aurois réellement pas eu le tem.

Je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine, dans celle de mes pères, dans celle où j’ai été élevée, et que j’ai toujours professée, n’ayant aucune consolation spirituelle à attendre, ne sachant pas s’il existe encore ici des prêtres de cette religion, et même le lieu où je suis les exposeroit trop, si ils[sic] y entroient une fois. Je demande sincèrement pardon à Dieu de toutes les fautes que j’ai pu commettre depuis que j’existe. J’espère que dans sa bonté il voudra bien recevoir mes derniers vœux, ainsi que ceux que je fais depuis longtems pour qu’il veuille bien recevoir mon âme dans sa miséricorde et sa bonté. Je demande pardon à tout ceux que je connois, et à vous, ma Sœur, en particulier, de toutes les peines que, sans le vouloir, j’aurois pu vous causer. Je pardonne à tous mes ennemis le mal qu’ils m’ont fait. Je dis ici adieu à mes tantes [rature] et à tous mes frères et sœurs. J’avois des amis, l’idée d’en être séparée pour jamais et leurs peines sont un des plus grands regrets que j’emporte en mourant, qu’ils sachent, du moins, que jusqu’à mon dernier moment, j’ai pensé à eux. Adieu, ma bonne et tendre Sœur ; puisse cette lettre vous arriver ! pensez toujours à moi ; je vous embrasse de tout mon cœur, ainsi que ces pauvres et chers enfants ; mon Dieu ! qu’il est déchirant de les quitter pour toujours. Adieu, adieu ! je ne vais plus m’occuper que de mes devoirs spirituels. Comme je ne suis pas libre dans mes actions, on m’amènera peut-être, un prêtre, mais je proteste ici que je ne lui dirai pas un mot, et que je le traiterai comme un être absolument étranger.

Cette lettre, remise par la reine au concierge Bault, fut transmise à Fouquier-Tinville qui la parapha et la conserva quelque temps. C’est Courtois député de l’Aube et rapporteur de la Commission chargée d’examiner les papiers de Robespierre qui la récupéra et la tint secrète jusqu’au moment où il décida de s’en dessaisir en 1816.

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La Reine, quinze jours après sa décapitation fut inhumée par le fossoyeur Joly, dans un coin du cimetière de la Madeleine, non loin de son époux. Lenôtre, dans son ouvrage, donne le plan du quartier permettant de localiser l’emplacement des sépultures.

L’exhumation des corps aura lieu en Janvier 1815.

Le 21 du même mois, les restes de Louis XVI et de Marie-Antoinette furent solennellement portés dans le caveau des Bourbons en l’église de Saint-Denis.

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La chapelle expiatoire du square Louis XVI, rue d’Anjou, inaugurée en 1826, fut élevée sur ordre du roi Louis XVIII à l’endroit même où avaient été inhumés les corps…

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Qui se souvient aujourd'hui de la Reine, sinon ceux demeurés fidèles au Coeur du Roi ?

NON SOLUM IN MEMORIAM SED IN INTENTIONEM

09/02/2012

REVERIES D'UN PAIEN MYSTIQUE

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Gustave Doré 1875: Highlands, Ecosse

Louis MENARD publie ses « Rêveries d’un Païen Mystique » chez Lemerre en 1876, il a alors 54 ans ; de nouvelles éditions augmentées suivront en 1886, 1890, 1895, 1909 et 1911. L’édition actuelle, publiée en 1990 par Guy Trédaniel reprend le texte de 1909. Elle est présentée par Gilbert ROMEYER DHERBEY, Professeur à l’Université de Paris-Sorbonne.

Louis Ménard, né à Paris rue Gît-le-Cœur (un nom prédestiné !) le 19 octobre 1882, meurt dans sa ville natale à l’âge de 79 ans le 9 février 1901. Condisciple de Baudelaire au lycée Louis-le-Grand, il intègre l’Ecole Normale Supérieure en 1843. Il n’y restera pas longtemps, son tempérament farouchement indépendant le portant à s’affranchir très vite de la tutelle de ses maîtres. Après des études de Lettres il s’exerce à la chimie ( dont il avait quelque peu tâté en compagnie de Baudelaire en préparant la confiture verte du club des « Haschischins ») et découvre en 1846 le collodion, mélange de nitrocellulose, d’éther et d’alcool. Ses recherches dans ce domaine contribueront à mettre au point la nitro-glycérine.

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Poète romantique dans l’âme, Ménard prend fait et cause pour la Révolution de 1848 aux côtés de Proudhon. Séduit par le blanquisme, ses publications lui valant condamnation il s’exile en Angleterre puis en Belgique où il fera la connaissance de Marx.

Bénéficiant de l’amnistie impériale, Louis Ménard, ayant réintégré Paris se consacre à l’étude des sociétés et des religions antiques et plus particulièrement à la Grèce ancienne. Cet engouement le conduira à soutenir et publier deux thèses : « De la morale avant les philosophes » (1860) et « Du polythéisme hellénique » (1863). En 1893 paraîtra chez Delagrave en deux volumes sa monumentale « Histoire des Grecs » (1032 pages). Pour Louis Ménard, les religions sont les fondations des sociétés humaines, et tout en découle. Dans sa première thèse, il note que  « Les religions sont la vie des peuples (…) l’art, la science, la morale et la politique s’en déduisent comme une conséquence de son principe. ». Et voici ce qu’il écrit dans sa seconde thèse et que cite Gilbert Romeyer Dherbey :  « Cette fusion intime entre le religieux et le quotidien, ce que l’on pourrait appeler un sens religieux de l’immanence, se résume dans l’expérience de ce que le Grec appelle le divin, et qui sans cesse éclate à ses yeux émerveillés. Rien ne lui est plus étranger que l’idée d’un Dieu lointain, et plus encore d’un Dieu caché ; sans cette proximité du divin, la prière serait inutile et le culte absurde. »

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Ce « Païen mystique », ami de Leconte de Lisle,  qui rejoindra un temps l’école des peintres de Barbizon et soutiendra la Commune de 1871, est surtout connu pour ses « Rêveries » qui sont une suite de 30 tableaux dont un peu moins de la moitié sont suivis de poèmes. Dans le premier tableau où s’affrontent les contraires qui ne sont que la vieille histoire du combat de la Lumière et des Ténèbres ou si l’on préfère d’Ormuz et d’Ahriman, il fait parler le Diable :  « … La vie ne s’entretient que par une série de meurtres, et l’hymne universel est un long cri de douleur de toutes les espèces vivantes qui s’entredévorent. L’homme, leur roi, les détruit toutes ; il faut des millions d’existences pour entretenir la vôtre. Quand vous ne tuez pas pour manger, vous tuez par passe-temps ou par habitude, et votre empire n’est qu’un immense charnier. »

Rappelons-nous CELINE, dans une vision très ahrimanienne, lui aussi notait qu’il n’y avait pas de bonheur dans ce monde, qu’il n’y avait que des malheurs plus ou moins grands ; à quoi il ajoutait que ça n’était pas le bon Dieu qui gouvernait, mais le Diable.

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Il est probable, sinon certain que Céline ait lu Louis Ménard, puisque les « Rêveries » comptaient au nombre des ouvrages consultés par l’exilé danois dans sa prison, à la Vestre Faengsel, entre décembre 1945 et février 1947 (page 198 in « Images d’exil », par Eric Mazet et Pierre Pécastaing, du Lérot éditeur 2004).

Louis Ménard, pour lequel au commencement était la religion (dans l’acception étymologique qui ne trompe pas), Louis Ferdinand Céline pour lequel au commencement était l’émotion, se rejoignent en cela que tous deux, mystiques à leur manière, avaient senti les liens secrets qui les attachaient aux âmes des souffrants « étincelles du feu céleste tombées des calmes régions de l’éther dans la sphère agitée de la vie. » (11e texte des Rêveries : « Lettre d’un mythologue »).

Nul doute qu’il y ait antériorité du phénomène religieux sur les autres faits sociaux ; ce qu’à bien montré Henry CORBIN dans son gros ouvrage « En Islam iranien », volume 1 collection TEL:  « Le phénomène religieux, la perception de l’objet religieux, est un phénomène premier (un Urphaenomen), comme la perception d’un son ou d’une couleur. Un phénomène premier n’est pas ce que l’on explique par autre chose, quelque chose que l’on fait dériver d’autre chose. Il est donné initiale, le principe d’explication, ce qui explique beaucoup d’autres choses. » Ce que nos sociétés décadentes ont perdu de vue, qui ont dans le même temps, perdu le sens des valeurs et de la première d’entre elles : le sacré.

Voici, dans son intégralité, le 28e texte des Rêveries d’un Païen Mystique :

 

LETTRE D’UN MANDARIN

 Au directeur de la Critique philosophique.

 

 

Monsieur,

L’Europe est très fière de sa civilisation. Les peuples de l’Extrême-Orient, frappés des avantages matériels que vous donnent les applications de vos sciences, envoient, depuis quelques années, leurs enfants étudier dans les écoles de l’Occident. Ces jeunes gens ont pu comparer votre état moral à celui de leurs compatriotes, et permettez-moi de vous dire que cette comparaison n’est pas toujours à votre avantage. Voulez-vous permettre à un étudiant bouddhiste de répondre quelques mots à un article publié dans votre dernier numéro sur les bienfaits de la vivisection ?

L’auteur de cet article parle avec un suprême dédain de la Ligue antivivisectionniste, dont les adhérents ne sont, suivant lui, que « des natures toutes de sentiment et de passion, chez lesquelles le raisonnement n’a point de part au conseil ». M. le docteur P. se trompe : la Ligue antivivisectionniste, dont je m’honore de faire partie, ne repose pas, comme il le croit, sur une nervosité maladive, mais sur un principe de raison, ou ce qui vaut mieux encore, sur un principe de conscience. Lors même que les expériences de M. Pasteur seraient utiles, ce qui est contesté, cela ne prouverait pas qu’elles soient justes.

Où ai-je donc lu cette phrase : « Il est avantageux qu’un seul homme périsse pour la nation ? » Je crois que c’est dans l’Evangile, qui condamne évidemment la politique utilitaire, car il met ce mot dans la bouche de Caïphe, un des meurtriers de votre Dieu. Il est vrai que le texte parle d’un homme, et non d’un autre mammifère ; mais la morale n’est-elle impérative qu’entre les êtres de même espèce ? Si, comme l’espère M. Renan, le Darwinisme produisait, par sélection, une race d’animaux supérieure à l’espèce humaine, cette race aurait-elle le droit de nous soumettre, dans son intérêt, à des expériences de vivisection ? Je suis étonné de trouver dans la Critique philosophique le point de vue de la justice absolue subordonné à celui d’une utilité supérieure : cela conduit aux arguments tirés de la raison d’Etat. La veuve de Claude Bernard, pour réparer les crimes de la physiologie expérimentale, a ouvert un asile de chiens. Au jugement dernier, cette offrande expiatoire d’une humble conscience de femme pèsera plus, dans l’infaillible balance, que toutes les découvertes de son mari.

Il n’y a pas de conquête scientifique qui vaille le sacrifice d’un sentiment moral. Or le premier de tous, celui qui nous révèle la loi de Justice, c’est le sentiment de la pitié. On voit un être qui souffre, on se dit : »comme je souffrirais si j’étais à sa place ! » et on souffre avec lui, comme l’indique l’étymologie même du mot sympathie, en grec, compatir ; ce sentiment est plus vif à l’égard des êtres qui se rapprochent de nous par leur organisme : on s’apitoie sur un vertébré plus que sur un insecte, parce que l’insecte nous paraît moins susceptible de douleur. La compassion est fondée sur l’analogie des systèmes nerveux, et non sur la hiérarchie intellectuelle, et personne n’admet que, pour épargner une souffrance à un homme d’esprit, on puisse l’imposer à un imbécile. S’il s’agit d’une hiérarchie morale, c’est bien autre chose encore : prétendra-t-on qu’aux yeux de l’éternelle Justice, Néron est plus élevé dans l’échelle des êtres que mon bon chien qui me défend et donnerait sa vie pour moi ? Dans le ciel bleu de l’Idéal, la bonté est bien au-dessus de l’intelligence. Le Diable est très intelligent : voudriez-vous lui ressembler ?

En infligeant aux animaux des tortures imméritées, vos savants, qui ne croient pas à la métempsychose, n’ont pas l’excuse de dire qu’elles sont l’expiation de fautes commises dans une existence antérieure. Toute souffrance injuste est un crime de Dieu : par la vivisection, l’homme s’associe à ce crime. Ce n’est pas le péché qui accuse la Providence, puisqu’il est notre œuvre ; ce n’est même pas la douleur de l’homme, qui n’est qu’une épreuve pour son courage, comme l’ont si bien dit les Stoïciens : c’est la douleur des êtres inconscients et impeccables, des animaux et des enfants. Avant qu’il y eût des hommes sur la terre, la vie s’entretenait comme aujourd’hui par une série de meurtres. Il y avait des dents aiguës et des griffes acérées qui s’enfonçaient dans les chairs saignantes. Qui osera dire que cela est un bien ? Si le Créateur n’a pas voulu ou pas pu épargner à ses créatures, je ne dis pas la mort, mais la douleur, son œuvre est mauvaise, et il aurait mieux fait de rester dans son repos. Voilà pourquoi nous refusons de l’adorer ; les images qu’on voit dans nos pagodes ne sont pas celles du Dieu qui a fabriqué, avec une férocité ingénieuse, les griffes rétractiles du tigre, les crochets venimeux de la vipère et les âmes sans pitié des savants vivisecteurs, ce sont les images d’un homme qui n’a jamais fait souffrir volontairement aucune des créatures vivantes, et qui les embrassait toutes, sans distinction, dans son inépuisable et universelle charité.

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Cette charité bouddhique, qui s’étend aux animaux, vous paraît très ridicule, car vous n’admettez pas que l’homme ait des devoirs envers ses frères inférieurs.Peut-être la conscience n’est-elle pas la même en Orient et en Occident. Bien des choses me le font craindre. Vous êtes implacables pour les vaincus dans les luttes civiles, mais vous êtes pleins de tendresse pour les criminels de droit commun ; la peine de mort vous répugne, excepté en matière politique, et alors l’adoucissement des mœurs vous suggère des euphémismes : les assassinats de prisonniers ne sont plus que des exécutions sommaires, et le progrès des sciences vous permet de remplacer la guillotine par une mitrailleuse. Votre jury trouve toujours des circonstances atténuantes pour les parricides. Vous avez des trésors d’indulgence pour les parents qui torturent leurs enfants : ils en sont quittes pour quelques mois de prison. Il ne se passe guère de semaine sans que les journaux racontent quelque horrible histoire d’enfants martyrs et ils ne manquent pas d’ajouter que la police a eu toutes les peines du mode à empêcher le peuple de lyncher ces scélérats, coupables du plus lâche de tous les crimes. On ne prendrait pas tant de précautions pour protéger un insurgé contre les fureurs bourgeoises, les coups d’ombrelle des belles dames, les coups de canne des jolis messieurs. Il est vrai que si l’insurrection réussit, les rebelles deviennent des héros de juillet, et vous gravez leurs noms sur une colonne de bronze. Car vos jugements se modifient dans un sens ou dans l’autre, quand vos intérêts sont en jeu : vous vous indignez contre Orsini, mais vous glorifiez Charlotte Corday, et un de vos poètes l’appelle l’Ange de l’assassinat.

Toutes ces choses, et bien d’autres encore, me font croire que les occidentaux, plus civilisés que nous sous le rapport matériel, n’ont pas des idées très nettes sur la morale. Et pourtant si on n’avait pas cette pauvre petite lumière tremblotante de l’impératif catégorique, il ne resterait plus qu’à dire avec Çakya-Mouni et M. de Hartmann :  « Que le monde finisse, puisque rien ne peut le corriger ! ».

 

                                                                                                      Lou-Yi.

Mandarin à bouton de cristal. 

21/01/2010

21 JANVIER 1793

 

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« Mon père resta avec son confesseur, se coucha à minuit et dormit jusqu'à 5 heures qu'il fut réveillé par le tambour. A 6 heures, l'abbé Edgeworth de Firmont dit la messe. Il partit à 9 heures... Il reçut le coup de la mort le 21 janvier 1793 à 10 heurs 10 minutes du matin (1). Ainsi périt Louis XVI, roi des Français, âgé de trente-neuf ans, cinq mois, et trois jours, après avoir régné 18 ans. Il avait été en prison 5 mois et 8 jours... »

C'est ce qu'écrit Madame Royale, fille de l'infortuné Louis XVI...

 

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Qu'on imagine ce roi, qui n'en est pas moins homme, isolé des siens, ne recevant pour tout soutien dans sa geôle que les attentions dévouées de son valet Cléry et celles de son confesseur lui prodiguant les secours de la religion ; qu'on l'imagine le 20 janvier, à « deux heures après midi », à l'écoute de l'arrêt de mort dont on lui donne lecture... Qu'on l'imagine encore, au matin de son dernier jour, guettant les bruits de pas et le mouvement des troupes sur les pavés du Temple, attendant qu'on cogne à la porte...

 

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Edmond Biré, auquel on doit le « Journal d'un bourgeois de Paris pendant la Terreur », retrace fidèlement, puisant aux meilleures sources, ce que furent les dernières heures du Roi.

« Six heures du matin. Il pleut toujours. On continue à battre la générale la nuit du 20 au 21 avait été pluvieuse et froide. Le matin la pluie continua. Cette pluie persistante avait fait disparaître en partie la neige qui, la veille, couvrait Paris comme un vaste linceul. Des patrouilles circulaient lentement dans les rues. Dans tous les quartiers on battait la générale... »

Il fait froid ce matin du 21 janvier, et aux dires de témoins oculaires, la pluie ayant cessé, un brouillard assez dense et glacé couvre la ville. Place de la Révolution, ex-place Louis XV actuellement place de la Concorde, le bourreau avait pris la précaution de dépêcher suffisamment tôt les charpentiers pour dresser les bois de justice.

 

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Une foule importante, contenue en partie par les troupes s'avance jusqu'au pied de la guillotine en attente du lever de rideau...

C'est l'heure... Santerre, suivi de 10 gendarmes vient chercher « L'individu déclaré roi des Français » (Danton) à 9 heures. Le Roi n'a que le temps de remettre à Godeau, membre de la Commune, un papier pour la Reine ; c'est le testament qui nous est parvenu, précieux document, rédigé le 25 décembre, jour de Noël.

La berline, dans laquelle a pris place le condamné à mort, roule au pas de l'infanterie, entre une triple allée d'hommes armés. Il lui faut plus d'une grande heure pour parvenir au terme du voyage. Le Roi, au côté de son confesseur, indifférent à ce qui se passe au-dehors, lit des psaumes en vis-à-vis des deux gardes qui le surveillent...

Rendu au pied de l'échafaud, il quitte lui-même l'habit dont il n'a plus besoin, et retrousse le col de sa chemise. Il refuse qu'on lui lie les mains mais devant l'insistance des aides du bourreau, il cède, encouragé par son confesseur en s'exclamant : « Faites ce que vous voudrez, je boirai le calice jusqu'à la lie. » Madame Royale rapporte qu'on lui lia les mains avec son mouchoir et non avec une corde. Aidé par son confesseur, il monte les degrés abrupts de l'échelle de meunier jusqu'à la plateforme qu'il traverse d'un pas assuré.

 

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Le roulement des tambours ne s'est jamais interrompu ; néanmoins le Roi parvient, par un signe, à les faire taire le temps de dire d'une voix portant jusqu'au Pont Tournant :  « Je meurs innocent des crimes qu'on m'impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort et je prie Dieu que mon sang ne retombe jamais sur la France... ». Il veut poursuivre, mais sur l'ordre de Santerre, les tambours reprennent leur roulement et couvrent sa voix... Puis tout va très vite, les aides se saisissent du condamné, le couchent sur la planche à bascule, ferment la lunette... Sanson libère le couperet qui s'abat dans un bruit sourd : « le cou du Roi était très fort... la tête ne se détacha pas entièrement sous le tranchant. On du appuyer sur le triangle pour achever de la séparer du corps... le couteau ne retomba pas sur le cou, mais sur l'occiput, c'est-à-dire trop haut, de sorte que la mâchoire fut horriblement coupée. » C'est ce que rapporte Maurice de la Fuye dans son étude, puis il poursuit : « C'est, autour de la guillotine, une saturnale dégoûtante, une danse macabre, au-dessus de laquelle retentit la Marseillaise. »

L'un des aides du bourreau, s'emparant de la tête  par les cheveux, la promène en dansant autour de la plateforme ; un homme plonge ses mains dans le sang figé et, asperge la foule de caillots en s'écriant : « Les rois ont dit : Si vous faites mourir votre souverain, son sang retombera sur vos têtes... Eh bien ! la prédiction est accomplie ! »

 

 

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Des sectionnaires rougissent leurs sabres et leurs piques en les plongeant dans la cuve ; la plateforme est envahie et les bourreaux ont du mal à contenir les plus enragés. Certains se barbouillent le visage de sang et, rapportent les témoins : « d'autres le goûtent et semblent le savourer, cependant que l'un d'eux s'écrie en grimaçant qu'il est bougrement salé ! »

Puis, on se partage les dépouilles, un étranger paie 15 livres une touffe des cheveux, d'autres trempent leur mouchoir dans le sang royal ou, comme le fit Monsieur de la Roserie, une enveloppe, pour l'envoyer à sa mère... Les effets du mort sont déchiquetés et partagés entre les assistants ; le cadavre ne gardera que sa chemise, sa culotte et ses bas gris (Procès-verbal d'inhumation).

On se posera la question de savoir s'il s'agit là de profanation sacrilège ou de culte pieux des reliques. Ce qui fera dire à Joseph de Maistre : « Il semble qu'au pied de l'échafaud de Louis XVI, amis et ennemis du prince immolé se soient rencontrés pour apporter un témoignage involontaire en faveur du « Salut par le sang ».

A la liesse collective succèdera bientôt un morne silence. Dans ses Mémoires, le Chancelier Pasquier rapporte que « Le reste du jour se passa dans une profonde stupeur ; elle s'était étendue à la ville entière... ».

Le corps et la tête de l'infortuné monarque seront transportés jusqu'au cimetière de la rue d'Anjou Saint Honoré ; ils y resteront jusqu'en 1814, date à laquelle, grâce à Descloseaux ils rejoindront la basilique de Saint Denis.

 

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Les journaux du temps ont rapporté l'événement dans sa vérité et sa cruauté ; le Républicain le 22 janvier 1793, le Journal de Perlet, et le Nouveau Paris de Mercier, à la même date. Cléry a retracé les derniers moments du Roi dans son « Journal de ce qui s'est passé à la cour du Temple ». Et Rivarol pouvait écrire dans le sien :

« L' Assemblée Constituante tua la royauté, et par conséquent le roi ; la Convention ne tua que l'homme. La première fut régicide, et l'autre parricide. La victime était parée, les jacobins n'eurent qu'à appliquer la hache. Comme roi, Louis XVI mérita ses malheurs parce qu'il ne sut pas faire son métier ; comme homme, il ne les méritait pas. Ses vertus le rendirent étranger à son peuple. »

Rappelons que l'Assemblée, n'a voté « la mort sans condition », que par une majorité de 3 voix et qu' au nombre des régicides il faut compter Philippe d'Orléans, dit « Philippe Egalité ». On rivalisait de zèle homicide et de cruauté sous la Terreur ; rien d'étonnant dès lors à ce qu'il se soit trouvé parmi les furieux des hommes de la trempe du  député Legendre, qui demanda « qu'on déchire le corps de Capet en quatre-vingt-sept morceaux pour les distribuer aux départements. » et, ajoute l'historien Jules Mazé : « On peut penser qu'en sa qualité de boucher, il se fut volontiers chargé de l'opération... »

C'était il y a 217 ans ; c'était hier...

 

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Lire le TESTAMENT de LOUIS XVI:

http://fr.wikisource.org/wiki/Testament_de_Louis_XVI

 

(1) Le Républicain du 22 janvier 1793 rapporte : 10H 24 minutes.

Lectures :

-  Jules Mazé : La famille royale et la révolution ; Hachette 1943.

-  Le Notre : La guillotine.

-  Rivarol : Journal ; Editions du Rocher.

-  Edmond Biré : Journal d'un bourgeois de Paris pendant la Terreur ; Librairie Académique Perrin (5 volumes), 1907.

-  Maurice de la Fuye : Louis XVI, Denoël, 1943.

-  de Beauchesne : Vie de Louis XVII

-  Hippolyte Taine : Considérations sur les origines de la France Contemporaine, collection Bouquins, Laffont.