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18/12/2010

BULLETIN CELINIEN

Bulletin célinien n° 325

 

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« La T.V. est un prodigieux moyen de propagande. C’est aussi, hélas ! un élément d’abêtissement en ce sens que les gens se fient à ce qu’on leur montre… »

On ne saurait mieux dire ! J’ai laissé moi-même à la décharge, depuis 96, ce vicieux instrument de décervelage. Je ne m’en plains pas, trouvant largement de quoi satisfaire ma curiosité sur le Net.  Mais, je me suis souvent demandé ce que Céline aurait pensé des ordinateurs…

Tous les visiteurs de l’ermite de Meudon ont été surpris –du moins ceux qui le voyaient pour la première fois- de son accoutrement. On sait qu’il affectionnait de vieux gilets qu’il portait empilés les uns sur les autres, couvrant ce mille-feuilles d’une cape lorsqu’il sortait faire les courses. De chaussures point, mais la plupart du temps de grosses charentaises aux semelles épaisses, tant il est vrai que c’est par les pieds qu’on s’enrhume, c’est connu…

L’éditorialiste, rappelle l’étonnement de quelques-uns devant ce personnage d’hospice ou ce clochard céleste. Je suis, pour ma part, assez enclin à croire, comme Marc Laudelout, qu’au lieu de chercher à témoigner de quoi que ce soit, Céline en était arrivé au stade où le port de la cravate et du veston ne signifie plus grand-chose. Quand on sent la mort rôder à son entour et qu’on l’attend, qu’importent les vêtements splendides ? Et puis d’ailleurs, dans l’état où se trouvait l’écrivain, a-t-on le goût de se soucier de sa mise ? Assurément non ; on pare au plus pressé, on se garde du froid qui si bien transit les membres jusqu’à l’os ! On cherche le maximum de confort dans le minimum d’efforts, un point c’est tout.

Vincent MORCH, livre les propos de Marc-Henri Lamande et de Ludovic Longelin, respectivement interprète et auteur metteur en scène de la pièce de théâtre : « Dieu qu’ils étaient lourds ! » On se souvient de l’allusion célinienne à la lourdeur des hommes qui sont « devenus des marteaux-pilons… ». Cette pièce qui dure un peu plus d’une heure a été composée à partir d’un assemblage d’extraits choisis des différentes interviews de Céline. C’est donc à un travail sur la voix, l’expression et les silences que ce sont livrés l’auteur et l’interprète.

Pierre ASSOULINE qui a assisté à l’une des représentations au petit théâtre du Lucenaire à Paris nous dit de cette pièce qu’on est saisi, dès les premiers mots qui fusent dans une semi obscurité d’une étrange impression : celle d’avoir Louis-Ferdinand Céline devant soi. Il ne tarit pas d’éloge sur son interprétation « stupéfiante de vérité » non plus d’ailleurs que sur la sobriété de sa mise en scène. Ceux qui, comme moi ne l’ont pas vue retiendront la conclusion de Pierre Assouline : « Il serait impardonnable de manquer ça. Les céliniens y penseront longtemps après encore ; les non-céliniens devraient se laisser guider par la curiosité ; les anti-céliniens viscéraux auront raison de s’abstenir car c’est tellement bien que cela leur fera du mal. »

Sans doute ; mais pour moi, et quel que soit le talent de l’interprète, l’original vaut toujours mieux que la copie et je ne me régale vraiment que des seuls enregistrements de Céline. Merci encore à Emile Brami de les avoir réunis en deux magnifiques CD.

Ce numéro de décembre publie la première partie de l’étude de Laurie VIALA consacrée à l’illustration du texte célinien. Bâti essentiellement sur l’émotion, elle observe que « le texte de Céline est en soi un appel à l’illustration. » Serrer au plus près l’univers célinien en traduisant graphiquement l’émotion qui le porte nous paraît être en l’occurrence la bonne démarche. De mon point de vue, Tardi (que l’auteur de l’article évoquera dans les prochains numéros) s’y est admirablement employé ; comment oublier par exemple son personnage de la vieille Henrouille ? Et combien d’autres ! Sans parler des dessins qu’il nous laisse de la banlieue à laquelle son trait est familier. Mais il est certain qu’il y a des impressions qui se passent d’images, vouloir leur en donner serait leur ôter leur puissance de suggestion ; et Dieu sait si l’œuvre célinienne en renferme.

Très intéressante critique de l’Eglise parue dans Marianne du 11 octobre 1933 sous la plume de Ramon FERNANDEZ. Sans doute l’un des textes les moins connu de l’auteur du Voyage, l’Eglise n’en renferme pas moins quelques moments forts qui n’ont pas échappés à Ramon Fernandez, et notamment dans le troisième acte. Voici ce qu’il en dit : « Ce troisième acte, de beaucoup le meilleur, n’est pas loin d’être un chef-d’œuvre. M. Céline a placé franchement son évocation de la S.D.N. sur le plan de la farce féerique, à la manière d’Aristophane. L’effet est saisissant. »

Ceux qui voudront en savoir d’avantage sur les rencontres de Ramon Fernandez avec Céline pourront le faire en consultant le numéro 307 du Bulletin (avril 2009).

Quant au présent numéro, il s’achève par la narration que nous offre Willy de SPENS, d’une visite qu’il fit à l’ermite du Bas-Meudon en 1957, au printemps. Elle vaut d’être lue, car on y découvre un Céline qu’on n’attendrait pas.

En fin d’article, l’éditorialiste dresse un portrait de Willy de Spens (1911-1989) familier du monde des Lettres, auteur d’un premier roman en 1943, ami de Marcel Aymé, Jacques Chardonne, Antoine Blondin, Roger Nimier. Willy de Spens. Il devait, à la fin de sa vie, rassembler ses souvenirs dans plusieurs tomes qui connurent, en leur temps, assurément plus de lecteurs qu’aujourd’hui…

 

04/12/2010

LA BETE QUI MANGEAIT LE MONDE

 

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La Bête du Gévaudan, à l’évoquer par ce temps de neige, on s’attendrait à la voir débouler d’un bois bourru ou d’une ravine, cavaler dans une combe semée de gros rochers, sauter  l’enclos d’une métairie perdue dans les brandes, engouler, au seuil de la porte l’ imprudente jouvencelle et l’emporter sans autre forme de procès sous le couvert. On l’imagine, à l’abri de quelque fourré, n’en dévorer à son aise  que les morceaux de choix…

On devait raconter ces choses terribles en tremblant, à la faveur des longues veillées d’hiver au cœur de l’Auvergne, du Berry, du Languedoc ou du Poitou, terres à loups. Et on devait le faire avec d’autant plus de conviction qu’on avait en tête la grande calamité qui ravagea le Gévaudan, le Velay, partie du Vivarais, de la Haute Auvergne et même du Rouergue, entre 1764 et 1767. On n’en savait guère plus alors que ce qu’on avait appris des vieux sur ce mystère car ç’en était un ; Henri Pourrat qui, au talent du conteur ajoutait celui de sa plume le rapporte mieux que quiconque, qui commence ainsi son livre :

« La Bête du Gévaudan, c’est un secret ; et un secret qu’il serait inutile de dire à ceux qui ne sont pas de la montagne ; ils ne mordraient pas à de telles histoires, ils ne les accueilleraient même pas… »

Cependant il faut bien y mordre, n’est-ce pas, qu’on soit de la montagne ou pas, puisque ces horreurs ont eu lieu au cœur même du pays, sur les hautes terres de la Margeride qui font aujourd’hui le nord du département de la Lozère, un pays fort, qui ne peut laisser indifférent le voyageur qui le traverse ou s’y attarde.

 

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Gorges entre DESGES et VENTEUGES

Alors, pour ceux qui ne la sauraient pas, voici résumée la terrible histoire, et dans son contexte bien particulier, car elles furent difficiles ces années qui suivirent l’éprouvante Guerre de sept ans et l’errance de sa soldatesque démobilisée…

Nous sommes en 1764, le Gévaudan est une rude et misérable province ! Une pauvre terre déshéritée portant d’interminables forêts coupées de mouillères où l’on s’enfonce jusqu’à disparaître tout entier… des sagnes traîtresses autant que gloutonnes qui guettent leur proie. Peu de terres cultivables, des pacages encombrés de chaos rocheux polis par les ans derrières lesquels le pire peut se cacher; et avec cela un temps souvent exécrable: « Neufs mois d’hiver, et trois d’enfer », c’est dire !

Faut-il ajouter à ces misères de la nature les ravages qu’y fit la Bête ?

La terrible Bête, la « Dévorante », se manifeste pour la première fois dans le courant du mois de juin, au voisinage de Langogne en se jetant sur une femme qui garde son bétail… La malheureuse s’en sort déchirée mais vivante, parce que ses vaches, cornes basses, ont chargé la bête. C’est le premier témoignage qu’on aura d’elle : aspect d’un gros loup, mais aspect seulement, tête plus grosse, plus allongée… Poil roux avec une longue raie noire sur le dos…

 

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Sculpture à Marvejols

Et la voilà qui continue ses chasses dans la mouvance de la forêt de Mercoire où elle avait peut-être établi ses quartiers. Sa deuxième victime, Jeanne Boulet âgée de quatorze ans, de la paroisse de Saint Etienne de Lugdarès, n’aura pas la chance de la première ! On retrouve son cadavre en partie dévoré le 30 juin. Le 8 août c’est une autre fille, du Masméjean celle-là, commune de Puy-Laurent qui est retrouvée horriblement mutilée et partie dévorée. A compter de ce jour, le carnage persistera quasi sans jamais s’interrompre, jusqu’à son terme, le 17 juin 1767 à Desges où elle égorge Jeanne Bastide âgée de 19 ans au village de Lesbinière (rapporté par François Fabre, dans le tableau qu’il dresse à la fin de son ouvrage). De son côté Jean-Marc Moriceau note dans le sien pour cette victime la date du 18 juin. Les registres paroissiaux, les lettres et les courriers du temps dépouillés par les historiens sont éloquents. Jean-Marc Moriceau, pour les trois années de ravages, décompte 83 tués avérés; avec des pics en janvier 1765 : 10 victimes ; mars 65 : 8; avril 67 : 6. Il s’agit essentiellement de sujets de sexe féminin (54) avec une majorité d’adolescentes (15). On dénombre néanmoins 24 garçons tous âgés de moins de 16 ans. Et encore ne s’agit-il là que des victimes déclarées !

 

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Gravure extraite de l'ouvrage d'E. Mazel et P-Y Garcin

On s’émut vite, on s’en doute, dans le pays, et sitôt les premiers meurtres, on entreprit des battues encore que l’on disposât de peu de fusils, interdiction étant faite aux paysans d’en détenir. On débusqua et l’on tua des loups, des louves et des louvards mais nullement la Bête en dépit des efforts réitérés. On fit appel aux dragons de Monsieur Duhamel cantonnés dans les lieux depuis la répression des Camisards ; eux aussi levèrent quelques loups, sans plus… La Bête continuait ses ravages sans se soucier aucunement de ses poursuivants, prenant même un malin plaisir, aux relations qu’en firent quelques-uns  à les narguer ! Monseigneur de Choiseul, évêque de Mende fit paraître un mandement d’où il ressortait que la Bête n’était rien moins qu’un fléau de Dieu chargé de châtier le dérèglement des mœurs et conséquemment celui des âmes… On dit des prières, on fit des dévotions, on organisa des pèlerinages et tant et tant et plus de battues ; rien n’y fit. D’autant qu’elle en abattait des lieues ! Oh-là-là ! Et avec ça fuyante comme une anguille, se dérobant à la moindre alerte pour la voir paraître à l’opposée des traques ! A tel point qu’on s’est demandé s’il n’y avait pas une mais plusieurs Bêtes…

Sous peine de se voir déconsidérés à cause de la mise en garde de l’évêque, certains cachèrent leurs morts, en foi de quoi on ne saura probablement jamais le nombre des victimes. Devant l’échec des dragons on fait appel à des louvetiers expérimentés venus tout exprès de Normandie, les Denneval, qui s’installent à Saint-Flour le 19 février 1765 ; ils repartiront cinq mois plus tard, le 18 juillet, sans plus avoir obtenu de succès que Duhamel. D’ailleurs, les Denneval ne croient pas aux battues, pas d’avantage que n’y croit Antoine de Beauterne porte arquebuse du Roi missionné par sa Majesté qui commence à s’impatienter. Il prend en mains les opérations le 22 juin au Malzieu. Monsieur Antoine arrive avec ses équipages et les plus fins limiers du royaume ; c’est qu’il faut mettre un terme aux exactions de la Bête, et vite, il y va de la respectabilité sinon de l’honneur du pays tout entier. C’est qu’on commence à moquer le Roi par delà les frontières comme à l’intérieur… Quoi, une simple bête aussi farouche soit-elle tiendrait en échec à elle seule l’une des premières puissances de la Terre ? L’Angleterre se gausse du piètre résultat de la traque, l’occasion est trop belle de se moquer de l’ennemi héréditaire ! Il convenait par conséquent que Beauterne tuât la Bête et il la tua.

Bizarement, il la tua où on ne l’attendait guère, au bois des Chazes dans le Velay, de l’autre côté de l’Allier. Le procès verbal qu’il en dresse donne tous les détails de son exploit. Un chirurgien s’employa bien vite à naturaliser l’animal -de fait un gros loup- qu’on s’empressa de faire reconnaître par quelques rescapés de ses agressions. Et ils le reconnurent ! Enfin c’est ce qui s’est dit. Dans la foulée on tua sa louve et l’on tua sa suite également… Cela sentait le coup fourré et des langues se délièrent… Elles se délièrent d’autant plus vite que, sitôt Monsieur Antoine parti aux fins de recevoir les honneurs du Roi, une pension de mille livres et l’autorisation de porter la bête dans ses armes, le carnage reprit de plus belle !

 

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C’est Jean Couret (14 ans) et Vidal Tourneix (7ans) qui l’affrontent le 2 décembre près de la Beysseire Saint Mary, sur la pente sud du Mont Mouchet. En dépit des coups qu’ils lui portent de leurs piques la bête ne désarme pas. Ils ne doivent leur salut qu’à des hommes accourus à leurs cris ; le jeune Tourneix, quoi que grièvement blessé sans tirera. Egorgé, le petit Jean Bergougnoux, agressé le 4 mars 1766, et transporté à la maison mourra comme aussi la petite Marie Bompart, éventrée le 14 mars… Combien subirent le même sort ! Ils sont évoqués dans les ouvrages consacrés à ce mystère et notamment dans celui de l’Abbé Pourcher avec force détails…

C’est Jean Chastel, homme taciturne et craint, dit « le Masque », le sorcier, qui finalement l’abattit de ses balles bénites sur la Sagne d’Auvert , et de fait elle ne se releva pas, et sa mort, enfin mit un terme au carnage. C’était donc la Bête, bête dont il ne reste plus trace puisque rien ne fut conservée d’elle sinon le souvenir d’une créature atypique, bâtard de chienne et de loup, peut-être, ou peut-être autre chose, allez savoir ? Chastel la tua le 19 juin 1767, là où elle s’était cantonnée depuis quelques mois dans le secteur du mont Mouchet et des bois de la Ténazeyre, entre Saugues et Ruynes en Margeride. C’est d’ailleurs là qu’eurent lieu le plus grand nombre de meurtres, précisément dans le pays de Chastel, ou plutôt des Chastel, car ils étaient trois, le père et ses deux fils, Antoine et Pierre. D’Antoine le bourru, on a dit des choses et notamment qu’il vivait dans les bois en compagnie de chiens et peut-être de loup… Entre lui et le hobereau de Morangiès, le fils, on a tissé des liens, établi des rapprochements notamment sur leur violence réciproque, leur goût de la chasse et du dressage des animaux. De là à en conclure qu’il n’étaient pas étrangers à la Bête, qu’ils en étaient même, qui sait, les « inventeurs », il n’y avait qu’un pas, un pas que n’ont pas hésité à franchir Abel Chevalley et Henri Pourrat et d’autres encore, qui continuent d’abonder dans ce sens. Mais sans preuves, peut-on dire ?LBSM.jpg

La Besseyre Saint-Mary

Ce qu’on peut, sans doutes, tenir pour certain c’est que la Bête n’était pas un loup, que du loup elle n’avait que l’apparence, et encore, de loin. Tous ceux qui l’ont vue de près sont unanimes là-dessus. Tous l’ont décrite avec un poil roux, voire tacheté, hirsute, portant une raie noire sur l’échine ainsi qu’en portent les sangliers, avec la tête beaucoup plus grosse et le museau beaucoup plus allongé que celui du loup, longue queue grosse et très fournie, pattes griffues, plus courtes sur le devant, mais l’ensemble « bien levretté ». De son comportement, on a dit qu’il était plus proche de celui du chien que du loup fort craintif de nature, ce qui n’était aucunement le cas de ce monstre qui pouvait se montrer familier avec d’autres animaux et même avec des adversaires avec lesquels il lui arriva de lutter sans leur faire de mal. Elle était capable de bondir à des hauteurs remarquables et de franchir ainsi des obstacles bien supérieurs à ceux restant à la porté des loups…

Plusieurs témoignages rapportent qu’avant de se jeter sur une proie, elle rampait au sol, s’aplatissait, fouaillait de  la queue. On l’a vu se tenir debout sur ses pattes arrières et faire des simagrées, des mignardises ; on l’a même entendu rire et crier à la façon d’une hyène… Certains crurent voir sous son ventre des attaches, des liens qui pendaient, comme si « la chose » avait une seconde peau… Et pourquoi pas ?

Sait-on qu’au temps de la Guerre de sept ans, on utilisa, comme dans d’autres conflits, des chiens de guerre, dressés pour tuer et protégés d’une cuirasse faite de plusieurs épaisseurs de cuir, fermée par des attaches sous le ventre ? Se rappelle-t-on que des soldats errants traversèrent ces terres du Languedoc, du Gévaudan et de l’Auvergne, traînant derrière eux de ces animaux farouches aussi redoutables que certains hybrides d’aujourd’hui aux crocs de boucher ? Antoine le bourru adopta-t-il un ou plusieurs  de ces molosses ou l’idée lui vint-elle d’en fabriquer de semblables ? Lui ou… un autre pour ses chasses ?

Le curieux dans tout cela, et qui porte aux rapprochements, c’est que tirée à plusieurs reprises et presque à bout portant, il arriva à la Bête de s’effondrer pour aussitôt se relever comme si de rien n’était. Combien d’entre ceux et celles qu’elle attaqua lui portèrent-ils des coups de piques ? Et chaque fois, tous témoignèrent qu’en dépit de la force de leurs coups, jamais ils ne purent réussir à la percer, sauf le petit Portefaix et aussi Marie-Jeanne Vallet que Beauterne baptisa « la Pucelle du Gévaudan », c’est qu’ils l’avaient touchée tous deux au défaut de l’épaule ou près de la gorge, et par chance, car la bête se montrait habile à esquiver les coups !

 

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Auvers, sculpture de Kaeppelin

Outre ces particularités, autre chose, sa façon de tuer et ses mises en scène. Et par là on voit combien on s’éloigne du loup, car les loups, tous les spécialistes vous le diront sont craintifs de nature, un simple mouvement du bras ou des sabots qu’on fait claquer entre eux ainsi qu’en témoigne Eugène le Roy dans Jacquou le Croquant suffit à les éloigner. Les loups ne tuent que par stricte nécessité et ne s’attaquent à l’homme que s’ils sont « enragés » ou torturés par la faim. Ce qui n’était aucunement le cas de la Bête qui disposait à suffisance de moutons et autres agnelles sur son parcours de chasse, à portée de patte !

La singularité de ses carnages ? Les décapitations, suffisamment nombreuses pour en conclure qu’elle y prenait goût ! Nombre de têtes en effet furent retrouvées éloignées de leur corps d’attache, quelquefois posées sur des rochers, comme portées là à dessein. Et tranchées net, comme d’un coup de cisailles ! Dites qu’elle gueule peut faire ce genre de travail ? Il y aurait forcément des déchirures, des lambeaux de peau, des arrachements… Rien de semblable, tranchées sans bavures ! ceux qui les ont trouvées s’accordent à le dire. Et puis aussi les vêtements, quelquefois pliés ou jetés comme en tas à côté des corps. Qu’en conclure ?

 

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En 1911, le Docteur Puech pencha pour un sadique et l’explique dans sa thèse. On évoqua les lycanthropes et les particularités du nagualisme. D’aucun penchèrent pour des meneurs de loups, en l’occurrence de bâtard de loups et de chiens, d’autres pour l’introduction fortuite d’un animal exotique, en l’occurrence une hyène ou un lycaon, à cause de la robe et puis aussi des griffes… Mais ces animaux exogènes habitués aux fortes chaleurs, auraient-ils supporté longtemps la rigueur de ces hauts plateaux et leurs redoutables hivers ?

Et la culpabilité présumée des Chastel, qu’en penser ?

Ce que fut la Bête du Gévaudan, on ne le saura probablement jamais. Ce qu’on sait, c’est qu’elle continue à faire parler d’elle et qu’on en parlera longtemps, bien après que ce soient éteints les derniers feux de cheminées qui animent encore chez quelques-uns, les longues soirées d’hiver.

«  Il ne faudrait pas trop parler de tout cela. L’histoire de la Bête, faite par les paysans, doit rester une histoire à eux. Et ils la laisseront à peine deviner à ceux qui ne sont pas de la montagne. C’est un récit du pays obscur, là-haut, sous son peuple de sapins, à peine éclairé à l’entrée d’un chemin de mousse par quelque grande fleur rouge ; c’est une rhapsodie d’un temps plus nocturne encore, avec ses cavernes, ses garous, son sang, ses carnages ; c’est, venu sur un souffle d’air, le souvenir d’un ancien monde ; c’est un secret. » (Henri Pourrat).

 

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Gravure de Kaeppelin extraite du livre d'Henri Pourrat

 

 

 

Orientations bibliographiques :

Pour ceux que passionnerait le sujet, il faut consulter d’abord la somme de l’Abbé POURCHER, épuisée depuis sa dernière réédition mais qu’on peut se procurer (à des prix variant de 30 à 150 euros sur le net). Puis les ouvrages de Michel LOUIS, François FABRE et Roger OULION. Enfin et peut-être, faut-il commencer par « dévorer » l’incontournable « Histoire fidèle de la Bête » au style inégalé d’Henri POURRAT, qui vous tient en haleine jusqu’à la fin.

Tous les ouvrages suivant peuvent être trouvés assez facilement :

 

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Pascal CAZOTTES : La Bête du Gévaudan (Les 3 spirales, 2004)

Abel CHEVALLEY : La Bête du Gévaudan (Gallimard, 1936)

Guy CROUZET : Bêtes en Gévaudan (Guy Crouzet, 2010)

 

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François FABRE : La Bête du Gévaudan (De Borée 2005)

Michel LOUIS : La bête du Gévaudan (Perrin, Tempus/41, 2003)

Eric MAZEL, Pierre-Yves GARCIN : La Bête du Gévaudan à travers 250 ans d’images (Gaussen 2009)

 

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Jean-Marc MORICEAU : La Bête du Gévaudan (Larousse, 2009)

Roger OULION : La bête du Gévaudan (Editions du Roure, 2009)

Xavier PIC : La Bête qui mangeait le monde (Albin-Michel, 1976)

Henri POURRAT : Histoire fidèle de la Bête en Gévaudan (Jeanne Lafitte, 2003)

Liste non exhaustive tant les ouvrages sont nombreux sur le sujet.

 

 

 

 

23/11/2010

BULLETIN CELINIEN

Bulletin Célinien N° 324

 

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L’infatigable Marc LAUDELOUT, auquel rien de ce qui touche à Céline de près ou de loin ne semble échapper, rappelle dans ce numéro de novembre quelques vérités. Il apporte notamment -en réponse aux critiques de certain lecteur de la revue « Commentaire »- des précisions toujours utiles à ceux qui, comme ce lecteur et le directeur de cette revue, seraient susceptibles de se laisser abuser par des jugements hâtifs autant que partiaux témoignant, sinon d’une mauvaise connaissance de l’œuvre et de son auteur, du moins d’opinions partisanes asservies à la politique contemporaine de la pensée  « correcte ». Assurément, nous ne partageons pas l’opinion de ceux qui lisent Céline avec des gants et double dose d’antidote à seules fins d’obtenir leur certificat de civisme ou d’être considérés par le gratin aux ordres, qui continue hélas à faire la pluie et le beau temps dans le monde des Lettres…

Céline l’avait prédit et l’on n’en finirait pas de répertorier les travaux universitaires qui lui sont régulièrement consacrés. Il s’en trouve de particulièrement intéressants et parmi ceux-ci, celui qu’ Yves PAGES a présenté pour l’obtention de sa thèse de doctorat en 1991. Frédéric SAENEN l’évoque sous son titre « Céline, fiction du politique », dans une note qu’il lui consacre.  Cette thèse, initialement publiée par les éditions du Seuil en 1994 est aujourd’hui reprise par Gallimard dans la collection « TEL ». De l’aveu de Frédéric Saenen ces 474 pages donnent, dès la dernière tournée, « la furieuse envie de replonger dans le Voyage, Guignol’s band ou la trilogie allemande. Avec un regard vraiment neuf. »

Faisant suite à une note relatant les demandes réitérées de Céline à son éditeur pour se voir, de son vivant, publié dans la Pléïade, ce numéro publie deux lettres inédites de Céline à Claude Gallimard, datées respectivement de 1960 et 60 ou 61. On y lira entre autre, sur le ton qui nous est familier : « …je vois venir la Pentecôte c’est-à-dire la Toussaint, mais pas du tout ma Pléïade, dont on a tant parlé… » De fait jamais Céline ne se verra « pléiadé » de son vivant puisque, décédé comme on sait le premier juillet 61, ce Panthéon des lettres ne lui ouvrira ses portes qu’en février 1962. Il aura fallu tout de même attendre 48 ans avant que ne soit publiée la correspondance et encore, non intégralement ; quant au demeurant, sentant par trop le soufre, il est douteux qu’il puisse rejoindre un jour le gros de l’œuvre…

Marc Laudelout nous livre un intéressant dossier sur Roland CAILLEUX. Médecin comme Céline et attaché comme lui aux médecines naturelles et à l’hygiénisme. Cailleux, comme son confrère, fut aussi écrivain, beaucoup moins connu cependant, et de petit tirage. Il a néanmoins laissé avec « Saint Genès ou la vie brève », publié en 1943, un exercice de style qui prouve son talent et ses exigences en littérature.

 

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Admirateur de Céline, il le fut, mais avec réserves, son tempérament critique le portant à se méfier des exagérations et des plaintes céliniennes. On verra d’ailleurs, en se reportant à des notes datées du 19 juin 1957 ce que pensait vraiment Cailleux de Céline ; il n’est pas tendre ! Les céliniens avertis n’y apprendront rien car Cailleux enfonce des portes ouvertes mais tout de même, en 1957, combien savaient cela ? Ces observations acerbes sinon réelles n’enlèvent rien à celui qui fut d’une certaine façon, avec ses qualités et ses défauts, « humain trop humain » en même temps que le plus grand auteur de son temps.

La rencontre de Roland Cailleux avec Marcel Aymé, en janvier 1943 a donné lieu à une narration inédite dictée à sa femme. On lira avec intérêt ces quelques lignes publiées dans ce dossier et on retiendra entre autres le portrait qu’il donne de l’auteur de Travelingue : « Les deux traits caractéristiques qui frappent d’abord chez Marcel Aymé, ce sont ses grandes oreilles et ses silences. S’il a de grandes oreilles, c’est pour mieux écouter sans doute. Il est très difficile de ne jamais dire un mot et Marcel Aymé y réussit en prenant un air particulier où l’on croit déceler l’ennui, la timidité, le « Qu’est-ce que je fous ici ?... » et le « Qu’est-ce que je pourrais foutre de mieux ailleurs ?... »

On trouvera enfin le brouillon de la lettre adressée le 12 septembre 1943 par Cailleux à Céline pour lui demander son avis au sujet de son Saint Genès. On y lira ces lignes qui contredisent par quelque côté ce que pensait Cailleux de Céline en 1957… « J’ai eu une presse excellente par ici et je pourrais croire que c’est arrivé si je ne me disais que, par ces temps de crise de papier, on peut pondre n’importe quelle ordure, elle aura toujours du succès. Mais vous, vous ne mentez pas. » dixit. Alors pourquoi s’offusquer sur le tard d’un  travers des plus répandus, de celui qui pourtant avait prévenu, dans le Voyage: «  Il faut choisir, mourir ou mentir. Je n’ai jamais pu me tuer, moi… ».

Enfin, David LABREURE signe un article sur Céline et la médecine du travail, dans lequel, s’appuyant sur les observations du Docteur Destouches sur le taylorisme et le fordisme, il montre tout l’intérêt que  ce dernier portait à l’observation de l’état de santé des travailleurs au sein même de l’entreprise ainsi qu’à leur affectation à des taches adaptées à leurs déficiences ou à leurs handicaps. Extraite du Cahier Céline n°3 (Gallimard 1977), cette sujétion montre aussi qu’en ce domaine, Céline était en avance sur son temps :« Il serait sans doute possible d’étudier sérieusement, dès à présent, les modalités éventuelles d’emploi de ces malades chroniques dans l’industrie. »