11/11/2011
11 NOVEMBRE 1918
Le 11 novembre à 11 heures, le feu était arrêté sur tout le front des armées alliées. Un silence impressionnant succédait à cinquante-trois semaines de bataille. Les peuples pouvaient entrevoir le rétablissement de la paix dans le monde. Le lendemain, j’adressais un ordre du jour de félicitations aux armées alliées :
« Officiers, sous-officiers, soldats des armées alliées.
« Après avoir résolument arrêté l’ennemi, vous l’avez pendant des mois, avec une foi et une énergie inlassables, attaqué sans répit.
« Vous avez gagné la plus grande bataille de l’Histoire et sauvé la cause la plus sacrée : la liberté du monde.
« Soyez fiers !
« D’une gloire immortelle vous avez paré vos drapeaux.
« La postérité vous garde sa reconnaissance.
« Le maréchal de France,
Commandant en chef des armées alliées :
F. Foch. »
Maréchal FOCH : Mémoires pour servir à l’histoire de la guerre de 1914-1918 (2 volumes, Plon 1931)
« Et ma guerre est finie. Je les ai tous quittés, ceux qui sont morts près de moi, ceux que j’ai laissés dans le layon de la forêt, aventurés au péril de mort. Je ne veux plus me rappeler mes premières nuits d’hôpital agitées de cauchemars délirants, ni la table blanche et nue et les gants rouges du chirurgien, ni ce goût d’éther dans ma gorge, ni l’âcre petite pipe de l’infirmier Bastien, ni les trous que creusaient ses doigts dans mon bras bronzé de gangrène.
(… ) On vous a tués, et c’est le plus grand des crimes. Vous avez donné votre vie, et vous êtes les plus malheureux. Je ne sais que cela, les gestes que nous avons faits, notre souffrance et notre gaieté, les mots que nous disions, les visages que nous avions parmi les autres visages, et votre mort.
Vous n’êtes guère plus d’une centaine, et votre foule m’apparaît effrayante, trop lourde, trop serrée pour moi seul. Combien de vos gestes passés aurai-je perdus, chaque demain, et de vos paroles vivantes, et de tout ce qui était vous ? Il, ne me reste plus que moi, et l’image de vous que vous m’avez donnée.
Presque rien : trois sourires sur une toute petite photo, un vivant entre deux morts, la main posée sur leur épaule. Ils clignent des yeux, tous les trois à cause du soleil printanier. Mais du soleil, sur la petite photo grise, que reste-t-il ? »
Maurice GENEVOIX : Ceux de 14 (Flammarion, collection Points P231, 2007)
« Le maréchal Foch, le vainqueur, repousse tout additif, toute déclaration et toute négociationultérieure.
Son épée est sur la table.
Vae victis !
Alors on signe. A six heures du matin, le 11 novembre, dans la forêt de Compiègne, dans le wagon-salon du maréchal Foch.
11 novembre.
Dans la matinée, l’ordre arrive aux troupes de suspendre les hostilités sur tout le front à partir de midi.
Les mitrailleuses crépitent encore ça et là. Des obus passent en sifflant, dans les deux sens et éclatent en dégageant de petits nuages ronds de fumée grise. Des maisons brûlent.
(…) Vers midi le combat diminue visiblement d’intensité.
Il faiblit lentement et avec hésitation. Par moments il s’arrête déjà entièrement pour quelques secondes. La guerre râle et respire difficilement.
(…) Tout à coup c’est un silence de mort.
Lentement les fantassins sortent de leurs trous.
En face d’eux, à cent mètres, les sentinelles ennemies sont debout, baïonnette au canon. Les casques plats des Anglais et les casques ronds des Français sont nettement reconnaissables. On se voit pour la première fois depuis quatre ans sans se tirer les uns sur les autres.
Le silence persiste.
Cinq minutes, dix minutes, une demi-heure.
Les compagnies, poignées d’hommes, se rassemblent et se dirigent vers les cantonnements qui leur ont été assignés.
Des sentinelles restent en arrière. C’est vrai —ce n’est pas un rêve— ce n’est pas un cauchemar— tout est passé. La guerre est finie. On ne tire plus. Il n’y a plus de balle, ni d’éclat d’obus. Les listes des pertes sont closes.
On reverra ses foyers.
Au plus profond des cœurs jaillit une émotion sourde, une hésitation violente entre l’allégresse et la douleur atroce.
Ô terre natale ! Ô patrie ! »
Werner BEUMELBURG : La Guerre de 14-18 racontée par un allemand (Bartillat 2001)
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09/11/2011
DIJON AU FIL DES RUES
La victoire ailée de la place de la République veille sur la ville aux cent clochers qui fut, jusqu’au XVe siècle, capitale de l’ancien duché de Bourgogne.
Aujourd’hui capitale régionale, Dijon, dont la renommée dans le domaine de la gastronomie comme dans celui des arts n’est plus à faire, a conservé suffisamment de témoins architecturaux des siècles passés pour qu’on ne doute pas qu’elle fut –et qu’elle demeure- l’une des cités la plus prestigieuse de France.
Pour découvrir une ville, rien ne vaut que de la traverser à pied, faute de quoi le regard, à trop embrasser et trop vite, se perd en conjectures sur ce qu’il faut en retenir. C’est qu’il balaye confusément sans voir, comme le font ces touristes promenés dans de petits trains. Les découvertes se méritent, et il convient de s’y préparer, comme un traqueur à l’affût. Et il ne faut pas craindre de revenir sur ses pas au risque de passer à côté de ce qui nous attendait : tel petit « détail » qui mérite qu’on s’y attarde et que peut-être, les plus proches des riverains n’ont jamais vu…
Dijon, comme toutes les villes qui ont une histoire, fourmille de ces trésors sur la piste desquels il faut savoir se placer.
Les monuments en font partie, mais eux sont tellement « évidents » qu’ils s’imposent d’eux-mêmes. Et pour peu qu’on passe à côté, ou qu’on n’ait pas le temps de les visiter, on se consolera en les retrouvant dans les pages des ouvrages d’art et d’histoire qui leur sont consacrés…
L’église Notre-Dame marque le cœur de la vieille ville ; sa flèche élancée et ses quatre clochetons gouvernent les toits pentus revêtus de tuiles plates.
A son pied, la rue de la chouette, plutôt ruelle que rue d’ailleurs, tire son nom du petit animal sculpté dans le congé d’un contrefort de l’une des chapelles de l’église.
Affectionnée des dijonnais qui ne manquent pas de la gratifier d’une caresse au passage, l’icône, à ce qu’on rapporte, aurait le pouvoir d’exhausser les vœux. L’état d’usure de son plumage témoigne assez du nombre de mains qui se sont posées sur son aile !
Ce jacquemart qui sonne les heures, rappelle qu’il y en eu ici comme ailleurs, d’heureuses et de terribles ; les voussures des portails de l’église Notre Dame orphelines de leurs statues matraquées par le vandalisme révolutionnaire de 1794 en savent quelque chose !
Pour peu qu’on lève les yeux, on voit, aux linteaux des portes et des fenêtres, sur la rue ou dans des cours d’hôtels particuliers, des têtes sculptées qui n’ont rien à envier aux mascarons de Bordeaux.
Les engoulants et autres figurines ouvragées dans les sablières des maisons à pans de bois disent assez bien l’art des charpentiers du moyen âge et de la renaissance.
Les sculpteurs classiques et les tailleurs de pierres ont laissé dans les palais et les hôtels particuliers des chefs d’œuvres de finesse et de précision, telle cette frise en encorbellement sur arcade, ce monogramme ou cette console de balcon.
La couleur est omni présente à Dijon qui a conservé de la tradition bourguignonne l’art de pavoiser ses rues. Elle a su se limiter à la rue et aux boutiques en n’affectant pas l’ordonnance architecturale des façades, comme on le voit bien souvent à l’heure actuelle dans les « rénovations » à la mode de trop de cœurs de ville. On ne dira jamais assez que c’est la matière même de la pierre de taille, la terre cuite de la tuile, l’oxydation du cuivre, la patine du zinc, les gris colorés des menuiseries qui assurent la beauté des monuments qu’ils habillent. C’est tellement vrai pour les menuiseries qu’elles doivent le plus souvent rester monochrome pour les fenêtres en accordant une autre valeur à la porte d’entrée.
Remarquons combien le « gris zinc », partout présent en France, ou l’ « ocre jaune », était par excellence la couleur privilégiée des palais comme des maisons les plus humbles.
On comparera la tonalité de ces contrevents ajourés à la française avec celle du zinc patiné de cet ouvrage et on verra que c’est la même.
De même s’inspirera-t-on avec bonheur du vert de gris de ce clocher ou de ce dôme pour l’appliquer sur des ferronneries ou des menuiseries.
Franchissons le seuil d’une église ou d’un palais et laissons nos yeux émerveillés se poser sur la beauté des œuvres sorties des mains d’artisans passés maîtres dans leur art. Voici la tour lanterne de Notre Dame et ses verrières au travers desquelles brillent les premiers éclats de l’étoile du matin.
Voici le grand escalier du palais des états et ses degrés de pierre que foulèrent les princes.
Voici, pratique assez peu courante pour qu’elle vaille d’être montrée, de faux vitraux dus au pinceau d’un artiste oublié…
Traversons le marché couvert qui a su conserver son architecture de briques et de métal ainsi que l’a voulu l'entreprise Eiffel en 1868.
On n’en finira pas d’arpenter les rues de Dijon sans se lasser. Du pavé aux faîtages, partout, on sera surpris par quelque chose de remarquable, voire d’insolite.
Remarquable comme cette grille à piques de hallebarde, ou ce fleuron habilement forgé ; ce coq en mosaïque ou cette enseigne en drapeau, meublée d’apothicaires.
Insolite comme cette souche de cheminée en voie de dégradation qu’on a « chaussée » d’un filet bleu de cobalt au dessus duquel trône le rouge brique des mitres de poterie.
Insolite et surprenant comme ce nid béni des dieux, symbole de la vie qui sans cesse se renouvelle…
...et s’en va, ainsi que le dit au passant ce crâne en médaillon maçonné dans le mur de l’église, gravé par une main anonyme depuis longtemps sous les terreaux.
Il demeure, en quoi réside sa secrète beauté et nous passons, en quoi, sans doute, réside la nôtre…
14:13 Publié dans carnet de route | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dijon, victoire, chouette, notre dame, vitrail, vandalisme, clocher, bourgogne, traqueur, lion, engoulant, jacquemart, mascarons, bordeaux, renaissance, frise, monogramme, zinc, ferronnerie, vert de gris, dôme, lanterne, coq, nid, cobalt
26/10/2011
BULLETIN CELINIEN
Bulletin célinien n° 334
Que sait-on des « croyances » de Céline ? Peu de chose. S’il ne s’est pas beaucoup confié sur le chapitre, c’est sans doute par pudeur. Le certain, c’est qu’il croyait assurément à la beauté et aussi à la bonté, gratuite, qui ne se monnaye pas. En dépit de ce qu’il pensait des hommes « en général », soyons sûrs qu’il n’aurait pas laissé sans assistance le malheureux ou l’animal abandonné, sans autre intention que de soulager l’un et l’autre de leur commune misère. Se méfiant des institutions humaines et des associations de tous ordres, rien d’étonnant à ce qu’il n’ait vu, à travers la religion, que la manifestation d’une contamination supplémentaire. C’est ce que rappelle Marc LAUDELOUT dans son Bloc-notes en rapportant cet extrait des Beaux Draps : « La religion catholique fut à travers toute notre histoire, la grande proxénète, la grande métisseuse des races nobles, la grande procureuse aux pourris (avec tous les saints sacrements), l’enragée contaminatrice ».
Ce numéro d’octobre signale la mort de Paul YONNET, sociologue qui publia en 1993 « Voyage au centre du malaise français ». Très tôt fasciné par le Voyage au bout de la nuit qu’il découvrit dans son adolescence, il fit paraître en 2009 « Le Testament de Céline ». « Céline fut le premier, écrit-il, à rompre l’isolement, à me dire si fortement que je n’étais pas seul. Et qu’à défaut de changer l’homme, on pouvait tenter de faire quelque chose de sa vie. » Le Testament de Céline est sorti aux Editions de Fallois en 2009.
Marc Laudelout présente Henri GUILLEMIN, qui fut admirateur de Céline et de son œuvre. Guillemin, connu pour son éclectisme, laisse derrière lui une œuvre abondante, souvent méconnue. (Je me souviens pour ma part d’un de ses livres : « Jeanne, dite Jeanne d’Arc », qui ne m’avait pas laissé indifférent. Sans doute parce que Guillemin y défend la thèse de la bâtardise, sans tomber pour autant dans la fable de la survivance. L’ouvrage, disponible en Folio, fut attaqué en son temps par Régine Pernoud tenante de l’orthodoxie en matière johannique.)
A propos de Céline, on retiendra ces paroles de Guillemin que rapporte Marc Laudelout : « Je l’aimais bien, Céline, je l’aimais beaucoup, et j’aurais bien voulu le rencontrer. ». Pourrait-on imaginer à l’heure actuelle, un prosélyte de la famille de pensée à laquelle appartint Henri Guillemin, parler de Céline et de son œuvre dans les termes où il le fit en son temps, sans être autrement offusqué par les pamphlets et leur contenu ? Lui qui, souligne Marc Laudelout, « était partisan résolu d’une réédition (non caviardée) de ses écrits de combat. »
On trouvera en page 8 du présent bulletin, la reprise de « Drôle de Céline ! », article d’Henri Guillemin paru dans « La Bourse Egyptienne » du 27 février 1938. Il y évoque Céline devant la « critique » et donne son sentiment sur l’homme et son style, sur sa force qui tient de celle du « bonimenteur » ou « bateleur de foire ». Il ne faut pas trop le prendre au sérieux ! Il faut goûter ce forgeur de verbe pour le seul plaisir que procure l’outrance quand elle se fait charmeuse. A propos de Bagatelles, voici ce qu’il dit : « En fait de grosse caisse, d’aboiements, de fausses notes arrachantes, de vociférations, de jongleries inconcevables, de frénésies, de contorsions et de bondissements, Bagatelles comblera tous les amateurs de parades de foires et sans doute jusqu’aux plus blasés. »
On se souvient de la parution de « La Brinquebale avec Céline », d’Henri MAHE, aux éditions de la Table Ronde en 1969 dans la collection « Les vies perpendiculaires ».
En première page, Mahé rapportait ces vers de Baudelaire sur Daumier, qui s’appliquent bien à Céline : « C’est un ironique, un moqueur, / Mais l’énergie avec laquelle / Il peint le mal et sa séquelle / Prouve la beauté de son cœur. » Cette édition de cent lettres inédites vient d’être reprise, complétée de « La Genèse avec Céline », par les éditions Ecriture. Suivie d’un index, cette publication est forte de 434 pages. Robert LE BLANC évoque Céline et Mahé, dans une note précédemment parue dans « Présent » du 13 août 2011. Il y rappelle l’amitié et les connivences qui lièrent l’un et l’autre jusqu’à ce que l’exil danois les sépare. Mahé s’en fut voir Céline au Danemark. Puis ils se perdirent quelque peu de vue… En 1954, Céline, frileusement, tenta de renouer. Alors Mahé, en famille, lui fit une dernière visite… Pour Céline, le cœur n’y était plus, qui savait que la Mort l’attendait à sa porte : « Publie mes lettres si tu veux, mais après ma mort, qui ne saurait tarder. »
Troisième et avant-dernière partie de l’étude de Pierre de BONNEVILLE sur Villon et Céline. Cette fois, l’auteur s’attache à montrer la force qui anime l’œuvre de Villon comme celle de Céline et qui réside tout entière dans « l’invention ». Aussi, y a-t-il « un avant et un après Villon comme il y a un avant et un après Céline. »
Rien ne résume aussi bien, semble-t-il, la démarche des auteurs respectifs de la Ballade des Pendus et de Mort à crédit, que cette confession de Céline à Louis Pauwels en 1959, et que rapporte ici Pierre de Bonneville : « … parce que n’oubliez pas une chose, parce que la grande inspiratrice c’est la mort… si vous ne mettez pas votre peau sur la table, vous n’avez rien… il faut payer. Ce qui est fait gratuitement, sent le gratuit, il pue le gratuit. »
Comme l’écrit l’auteur de cette étude : « Le JE de Villon et le JE de Céline ne sont pas le simple JE du témoin mais sont le credo stylistique et poétique de l’émotion. » L’un et l’autre ont payé ; et tous deux, remarquons le, par la prison.
Dans « Céline sans contredit », Frédéric SAENEN, se penche sur des rééditions revues et corrigées et se livre à une critique de l’ouvrage (qui sent tout de même un peu le réchauffé), de Madame Bellosta. Nous retiendrons cette observation très juste de l’auteur de cette note : « Cet ouvrage est en définitive révélateur d’une tendance typique à l’appréhension universitaire d’un romancier tel que Céline : celle qui consiste à se bâtir un cursus académique valorisant à partir d’un auteur que l’on doit en permanence rappeler que l’on réprouve — quand on a même la mansuétude de lui accorder une once de talent. »
Dernière note de ce numéro 334, celle de François MARCHETTI. Elle à trait au décès du danois Johannes C. Johansen, frère de Bent Johansen. A lui fut confié le soins de transporter et d’enterrer « l’or » de Céline, en 1943, dans un jardin, à Stroby Egede. Comme le rapporte François Marchetti, et pour des raisons qu’il explique, il ne semble pas que Johansen ait conservé de Céline un souvenir très agréable…
14:16 Publié dans notes de lecture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : céline, laudelout, beaux draps, religion, yonnet, guillemin, jeanne d'arc, pernoud, bagatelles, brinquebale, henri mahé, daumier, danemark, villon, pauwels, critique, johansen er