01/12/2011
L'EMPRISE
Tout pouvoir est despotique. Le plus obscur d’entre eux, la démocratie, à l’observer de près, constitue peut-être le fleuron des totalitarismes. Et cela, seuls les anarchistes semblent l’avoir compris. Ils ont bien vu que la caractéristique des gouvernements des démocraties parlementaires résidait dans leur esprit de système et la dérive de leurs institutions. Leur « meilleur des mondes » ne sera jamais qu’un enfer pavé de bonnes intentions et assurément l’un des plus répressifs.
Souvenons-nous des démocrates de 89 ! Et des démocraties dites populaires de la fin du XXe siècle, donc ! Comment qu’elles prirent racines les mignonnes! Comment qu’elles furent arrosées de sang frais jusqu’à saturation ! Ah ! les salopes ! Ces pourvoyeuses de profiteurs et tyranniques assassins qui sablaient le champagne en toge prétexte sur les cadavres de la plèbe !
Grands démocrates...
A considérer le siècle commençant, monstre ruminant la fin des nations qu’il n’en finit pas d’avaler, à considérer plus particulièrement l’Europe occidentale et les USA ce « modèle » de société avancée et de civilisation, leurs politiciens véreux et leurs épigones tous plus malfaisants et corrompus les uns que les autre, on est en droit de se demander si le suffrage dit « universel » dont ils tirent légitimité est encore le meilleur système pour parer au pire ! Rien n’est moins sûr… En laissant croire au peuple (quel peuple ?) qu’on lui donne le choix, qu’en lui permettant de s’exprimer par les urnes il reste en définitive le seul décideur, on le berne, on bafoue le contrat social et il se retrouve en définitive gros-Jean comme devant. Le curieux dans cette affaire c’est qu’il en redemande, le peuple ! Ah ! il n’est pas mûr, certainement, pour taper un bon coup du poing sur la table ! pour dire « Ça suffit ! tirons la chasse ! ».
Pour s’arroger le droit de balayer, et définitivement devant sa porte les scories de la sociale démocratie (ou de la démocratie sociale comme on voudra) et du libéralisme débridé, il faut en vouloir, se dire qu’on est encore un homme, qu’on n’attend pas l’aumône pour s’offrir une paire de couilles. Mais voilà, il est retourné, le peuple, à une forme de servitude pire qu’en les temps anciens —je veux dire de féodalité— où il restait aux croquants assez de ressort, c’est-à-dire de courage, pour emmancher les faux et les couteaux de pressoir histoire d’en découdre avec l’affameur...
L’asservissement contemporain est autrement pernicieux, bien plus insidieux que l’ancien, en cela qu’il est « volontaire ». Par conséquent, force est d’admettre aujourd’hui que le peuple s’est aliéné dans une servitude volontaire. Alors évidemment, dans ces cas-là, c’est miracle s’il se décide à secouer ses puces ! et s’il se trouve encore quelqu’un d’assez libre et courageux pour l’inciter à le faire !
L'Opérateur céphalique
Mais de quel peuple s’agit-il au fait ? Peut-on légitimement, aujourd’hui parler de « peuple » ? Non. Et pourquoi ? Parce que les émules du Père Lustucru, comme autant d’habiles opérateurs céphaliques, en lui martelant la tête sur l’enclume de la société marchande l’ont décervelé. Ils ont transformé à coup de matraquage réitéré ce peuple, ce tiers-état naguère respectable, en masses non plus laborieuses mais « consuméristes ». Il ne faut donc, en toute objectivité, plus parler de peuple, mais de masses consuméristes. Tout comme à l’évidence il ne faut plus parler de « salaire » mais de « pouvoir d’achat ». C’est le système du gavage de l’oie.
Ça marche tant qu’il y a de la graine, autrement dit tant que le troupeau peut remplir les cadies et les réservoirs. Ça peut très vite s’enrayer à supposer qu’il y ait une paille dans l’engrenage, disons, de la chaîne alimentaire…
A ce propos, et puisque tout tourne autour des « biens » de consommation (lesquels soit dit en passant sont le plus souvent des maux), observons comment le « système » (peut-on le nommer autrement ?) a su verrouiller l’aliénation en inversant le signifiant chez le lampiste taillable et corvéable qu’il gouverne et conduit à l’abattoir.
Métropolis, Fritz Lang
Personne mieux que Georges Orwell n’a su exprimer la situation qui est à présent la nôtre, aussi bien qu’il ne l’a fait dans son chef d’œuvre « 1984 », en s’appuyant sur la « novlangue ». C’est une arme redoutable la novlangue ! Qui réussit sans peine à nous faire prendre St Ouen pour Cythère ou les vessies pour les lanternes pour peu qu’on s’y laisse prendre. En ces temps de grande obscurité, elle fonctionne à merveille la novlangue. On notera à ce propos qu’entre elle et le langage châtré de la « political correctness » c’est pacte de larrons en foire. Servi par la mentalité « bisounours » qui le brosse dans le sens du poil, il semble que le système ait encore de beaux jours devant lui !
La mentalité bisournours en effet, d’une façon générale, et a priori, dans le coupable veut voir la victime. On connaît la musique ! Et en allant jusqu’au bout, c’est la victime qui devient coupable, tout comme le laid devient beau chez le Bobo. La victime, n’était-elle pas, par sa seule présence sur les lieux du drame une provocation ? un « appel au viol » ? N’a-t-elle point incité inconsciemment, certes, au passage à l’acte d’un « agresseur » victime d’un monde déboussolé ? D’un innocent égaré par l’exigence d’une jouissance immédiate, que la faiblesse seule et le conditionnement social poussèrent dans le moment à la satisfaction de sens sans cesse harcelés ?
Cette bisounourserie bling-bling, chez laquelle l’inversion des valeurs est de règle, n’est qu’une des variantes du snobisme intellectuel cher aux Bobos. Elle se montre aux vernissages de la jet society comme sur les plateaux de télévision, dans les festivals et les réceptions plus ou moins mondaines à seules fins de lécher les pompes du système. Elle y parvient. Et au point où nous en sommes rendus, il n’est pas sûr qu’elle ne finisse par reléguer dans les soupentes du Louvre, toutes les œuvres majeures pour les remplacer par les divagations et les impostures de lard contemporain qui, comme chacun sait, rapporte gros à ses maquignons. C’est la même chose en politique, avec toutefois un temps d’avance pour les marchands du temple. Cet état d’esprit néo-conservateur prépare le melting-pot universel où tout le monde sera beau métissé et gentil. Il entend régir —et régira si rien ne l’arrête— le « village mondial », en travelling, sur fond branché de parc d’attraction.
L'Amérique d'aujourd'hui: NEOCON...
... et celle d'hier: VIEUX SAGE (Chief White Man, Kiowa Apache)
Au fond de mon âme, comme dans la chanson de Serge Lama, j’entends monter le son du tam-tam…
Et puisqu’il est question de chanson, il me souvient d’une, pas si lointaine, de François Béranger : « Tranche de vie ». Ça commençait comme ça, prometteur :
« Je suis né dans un p’tit village
Qu’a un nom pas du tout commun,
Bien sûr entouré de bocage
C’est le village de Saint Martin… »
Chanson populaire comme on n’en entend plus guère par chanteur populaire parce que « du peuple », comme on n’en voit plus guère. Mais hélas, en dépit de ses talents, François Béranger comme beaucoup de gens de talents d’ailleurs, croyait aux « Droits de l’homme » et à « l’Internationale »… encore des histoires ! Et dans un sens, ces purs là aussi ont leur part de responsabilité dans la débâcle, car ç’en est une et sérieuse qui s’annonce sur fond de guerre de religion.
Le village mondial ne s’appellera jamais Saint-Martin… dommage.
On en recausera, si on a l’occasion…
Lu sur le Web :
Inversion des valeurs : lettre d'une mère à une autre mère, après le journal télévisé de RTP1 (Portugal). (Info ou intox ? Se non è vero è ben trovato ! )
Chère madame,
J'ai vu votre protestation énergique devant les caméras de télévision contre le transfert de votre fils de la prison de Porto à la prison de Lisbonne. Je vous ai entendue vous plaindre de la distance qui vous sépare désormais de votre fils et des difficultés que vous avez à vous déplacer pour lui rendre visite. J'ai aussi vu toute la couverture médiatique faite par les journalistes et reporters sur les autres mères dans le même cas que vous et qui sont défendues par divers organismes pour la défense des droits de l'homme, etc.
Moi aussi je suis une mère et je peux comprendre vos protestations et votre mécontentement. Je veux me joindre à votre combat car, comme vous le verrez, il y a aussi une grande distance qui me sépare de mon fils. Je travaille mais gagne peu et j'ai les même difficultés financières pour le visiter. Avec beaucoup de sacrifices, je ne peux lui rendre visite que le dimanche car je travaille tous les jours de la semaine et aussi le samedi et j'ai également d'autres obligations familiales avec mes autres enfants.
Au cas où vous n'auriez pas encore compris, je suis la mère du jeune que votre fils a assassiné cruellement dans la station service où il travaillait de nuit pour pouvoir payer ses études et aider sa famille. J'irai lui rendre visite dimanche prochain. Pendant que vous prendrez votre fils dans vos bras et que vous l'embrasserez, moi je déposerai quelques fleurs sur sa modeste tombe dans le cimetière de la ville. Ah, j'oubliais. vous pouvez être rassurée, l'état se charge de me retirer une partie de mon maigre salaire pour payer le nouveau matelas de votre fils puisqu'il a brûlé les 2 précédents dans la prison où il purge sa peine pour le crime odieux qu'il a commis. Pour terminer, toujours comme mère, je demande à tout le monde de faire circuler mon courrier, si intime qu'il soit. nous parviendrons ainsi peut-être à arrêter cette inversion des valeurs humaines.
22:23 Publié dans Chroniques du temps présent | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pouvoir, démocratie, système, populaire, plèbe, usa, peuple, féodalité, jacquerie, opérateur céphalique, lustucru, consumériste, oie, engrenage, abattoir, signifiant, lampiste, bisounours, bobos, novlangue, néocons, imposture, attraction, lama, béranger, lisbonne, cimetière
08/05/2011
AU TAUREAU DANS L'ARENE
Photographie Lucien Clergue
« A l’âge de huit ans, j’ai vu un type taquiner un tigre avec une barre de fer ; le tigre râlait terriblement. En m’éloignant, étourdi d’impuissance et fou de rage, j’ai murmuré : “ attends seulement, mon petit ange, tu verras, le jour viendra où je te jetterai ce salaud en pâture !“ Et je n’ai jamais douté que ce jour ne doive effectivement arriver – et je n’en doute point.» (Ladislav Klima : Ma confession philosophique.)
« La vraie compassion pour les animaux se reconnaît au fait qu’elle passe aux yeux de l’humanité en totalité pour le comble de l’exagération, du ridicule, de la folie, de la perversité (…) L’amour pour les animaux est chose bien plus tardive, plus subtile, plus sublime que celui que l’on voue aux humains ; celui-ci tire son origine du minable sentiment égoïste de solidarité ; celui-là est objectif, supra-égoïste, purement « éthique ». Evidemment, rien ne l’empêche de s’apparenter à un amour semblablement supra-égoïste et purement éthique pour les humains. Mais les deux ne pourraient se présenter simultanément et dans toute leur plénitude que dans l’âme d’êtres supra-animaux ; cette symbiose n’a été que partiellement réalisée par les héros de l’amour – Bouddha, Franciscus Seraphicus, Brezina… » (Ladislav Klima : Traités et Diktats.)
Il me faut à présent parler des taureaux.
Pourquoi ? Parce qu’à l’heure où un président aficionado et son ministre de la culture s’arrogent le droit de classer « patrimoine culturel immatériel national » la tauromachie, il me vient aux naseaux du taureau astral que je suis des envies de bouter dans l’arène ces tristes sires, à grands coups de cornes dans le train, histoire de leur faire goûter aux supplices raffinés infligés au roi des prairies. Parce qu’il faut le dire et le répéter, la tauromachie est odieuse tout autant que le sont les abattoirs. Elle l’est même davantage, puisqu’elle se réclame d’une « tradition culturelle » et d’un « art » qui, à le regarder de près, s’apparente assez bien à celui qu’un charcutier hystérique se prenant pour un maître de ballets déploierait à seule fin d’arranger ses viandes. Je crois, il me semble, que c’est à Giscard –grand carnassier devant l’Eternel- qu’on doit l’introduction des corridas avec mise à mort en France. La corrida n’a rien de national (du moins pas celle-là ! la pagaille politique oui !) ; la classer comme telle n’a par conséquent aucun sens. Le spectacle qu’elle offre est d’autant plus affligeant et révoltant, qu’elle accommode cette boucherie à la sauce festive.
Sous les flons-flons, au son des trompettes et des cris déchaînés d’une foule hystérique, torse bombé constellé de passementeries, et cul serré dans le satin, le bourreau, fier comme Artaban, entre en scène « en su traje de luz »…
Qu’on imagine deux secondes cet orgueilleux pantin dans un monde inversé où le taureau tiendrait le rôle du matador, comment qu’ il se mettrait à genoux, le charognard bipède, pour demander grâce ! Il n’est pas sûr d’ailleurs que le taureau daignerait seulement le considérer.
Pour se livrer à l’abattage rituel d’une victime innocente qu’on aura au préalable préparée de manière cruelle de façon à ne lui laisser guère de chance, il n’est point nécessaire d’avoir acquis ses lettres de noblesse sous la mitraille d’un champ de bataille !
Quelle gloire y a-t-il de s’attaquer à un taureau innocent sinon celle de prouver « qu’on a des couilles » et de faire se pâmer les belles ? Et l’animal, quelle chance a-t-il d’encorner le moustique agressif ?
Le taureau ne vient pas se balader comme ça, frai et dispo pour un petit tour de piste dans l’arène, à seule fin de recevoir tout au plus quelques égratignures avant que d’être expédié, ainsi dire en douceur, au paradis de ses congénères ! On l’y pousse et on l’y jette ainsi que Daniel dans la fosse aux lions, arrangé salement aux petits oignons par des sadiques qu’on aurait plaisir à jeter en pâture aux requins. Songer qu’en coulisse, entre autres raffinements, après l’avoir tenu quelque temps dans le noir absolu, on le « travaille » en lui bourrant les naseaux de coton hydrophile qu’on pousse aussi loin qu’on peut ; on lui met de la vaseline ou des liquides vésicants dans les yeux ; on le tabasse à coup de sac de sable ou de planche sur l’échine ; on lui entaille les cornes ; on lui enfonce des aiguilles dans les testicules…
Toutes les associations qui ont enquêté sur ce sujet, dont la Ligue antivivisectionniste de France qui s’occupe de la défense des animaux martyrs, expliquent que c’est à l’assassinat d’une bête moribonde qu’on se livre dans l’arène, une bête épuisée par les hémorragies internes et externes provoquées par la pique du picador et les banderilles.
Ce genre de divertissement qui le dispute aux abattages rituels des chaînes casher ou hallal donne une idée où nous en sommes rendus après des siècles de « civilisation » ! On voit par là combien l’homme est devenu sage ! On pourrait croire, si on était naïf, qu’il a changé depuis les cavernes ! Ah ! mais pas du tout ; il a gardé le goût du sang cet histrion et l’a poussé si fort, en raffinements qu’on n’imagine pas, qu’il en redemande à volonté. Qu’on réveille les combats de gladiateurs comme disait Céline, y aura du monde ! Et quelle différence y a-t-il, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, entre la corrida et un « snuff-movie » ? Les salopards, dans les deux cas, font le même boulot. Je vois pas de différence entre ces voraces et ceux qui les encouragent.
Et pourtant, il existe des repentis. Je me souviens de la confession d’un matador, entendue un jour à la radio. Cet homme après avoir expédié son comptant de taureau, soudainement et, en quelque sorte touché par la Grâce, s’était jeté -comme Nietzsche au cou du cheval- aux pieds du taureau agonisant, son dernier taureau, en lui demandant pardon et en l’embrassant. Parce qu’il avait lu dans le regard suppliant de cet animal qui mourrait à douleur la question qu’il lui posait : « Que t’ai-je fait ? ». Ainsi avait-il mesuré par-là sa propre condition et sa détresse. Jamais plus cet homme n’était redescendu dans l’arène…
Je suis pas le seul à me révolter sur le sujet, que non ! Parcourez le net, signez les pétitions, osez regarder en face les terribles photos que montrent les sites spécialisés… Et songez deux secondes qu’il se trouve à l’heure où je vous cause, en France, des petits trous de culs qui s’amusent au « torero » en esquintant des veaux, dans des écoles spécialisées, sous le regard complaisant de leurs salauds de géniteurs… Il se trouve aussi quelques femmes, hélas…
Languedoc, terre des troubadours et de la Chevalerie Amoureuse, quel besoin as-tu d’arroser ta terre du sang des taureaux ? Celui des Cathares, encore frais, te suffit-il pas ?
Je n’écrirai pas au ministre ni au président pour demander la grâce des taureaux, assuré qu’ils n’en on rien à foutre ; je leur souhaite simplement au jour du jugement, comme je le souhaite à tous les tortionnaires et autres aficionados, de s’éveiller dans le noir d’un toril devant que de se voir jeter sans ménagement au mitant d’une arène sanglante, sous les applaudissements de la gent bovine… Juste retour des choses…
« Il y a toujours pour moi cet aspect bouleversant de l’animal qui ne possède rien, sauf la vie, que si souvent nous lui prenons. » (Marguerite Yourcenar : Souvenirs pieux.)
« Le véritable test moral de l’humanité (le plus radical, qui se situe à un niveau si profond qu’il échappe à notre regard) ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux. Et c’est ici que s’est produite la faillite fondamentale de l’homme, si fondamentale que toutes les autres en découlent. » (Milan Kundera : L’Insoutenable légèreté de l’être.)
Pour faire part de votre désapprobation au gouvernement, je vous invite à signer la pétition ICI.
Les sites à consulter: CRAC Europe, Blog de Boules de poils, Blog de SOS animaux, Blog de souffrance. Video anti-corridas.
On lira, sur certains de ces liens, l'indignation de quelques jeunes internautes révoltés par la façon dont sont traités les animaux sur cette terre; ils le disent avec leur coeur. C'est une note d'espoir dans ce monde de brutes...
13:25 Publié dans Chroniques du temps présent | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : taureau, arènes, klima, yourcenar, kundera, compassion, bouddha, ethique, ministre, giscard, artaban, matador, daniel, toril, sang, cathares
06/02/2011
LE TRIOMPHE DES VANDALES
« Ils entrèrent sous une des rues couvertes, entre le pavillon de la marée et le pavillon de la volaille. Florent levait les yeux, regardait la haute voûte, dont les boiseries intérieures luisaient, entre les dentelles noires des charpentes de fonte. Quand il déboucha dans la grande rue du milieu, il songea à quelque ville étrange, avec ses quartiers distincts, ses faubourgs, ses villages, ses promenades et ses routes, ses places et ses carrefours, mise tout entière sous un hangar, un jour de pluie, par quelque caprice gigantesque. L’ombre, sommeillant dans les creux des toitures, multipliait la forêt des piliers, élargissait à l’infini les nervures délicates, les galeries découpées, les persiennes transparentes ; et c’était, au-dessus de la ville, jusqu’au fond des ténèbres, toute une végétation, toute une floraison, monstrueux épanouissement de métal, dont les tiges qui montaient en fusée, les branches qui se tordaient et se nouaient, couvraient un monde avec les légèretés de feuillage d’une futaie séculaire. »
C’est comme ça que j’ai découvert les halles dans les premières pages du « Ventre de Paris », ensuite, je suis allé les voir pour en saisir l’esprit, sur le fil, juste avant qu’elles ne soient démolies.
Emile Zola fit paraître son livre en 1873, trois ans après l’achèvement des pavillons Baltard (édifiés entre 1854 et 1870), et curieusement, cent ans avant la démolition de leurs derniers témoins, en 1973… Ces chefs d’œuvre du Second Empire, esquissés par la main même de Napoléon III, auront traversé leur siècle et trois ans ; et sur ce point, il y a fort à parier que c’est un record auquel ne saurait prétendre l’ignoble « forum » qui a pris leur place. Néanmoins, cette faute architecturale et urbaine qualifiée de « forum » (c’est un comble !) qui le dispute à la tour Montparnasse, à la Défense et à nombre d’autres réalisations ponctuelles intra-muros, confirme et précise s’il est besoin le triomphe des vandales et signe en même temps la faillite d’un siècle qui ne sait plus rien élever de durable et de grand en dehors des grands ouvrages de travaux publics. Nous sommes sur ce point, un certain nombre à partager cet avis, et c’est d’ailleurs pourquoi j’emprunte le titre de cette note à Anne PONS qui publia dans l’Express du 17 novembre 1994 un article sur le vandalisme architectural à la faveur de la reprise de l’ouvrage incontournable de Louis Réau : « Histoire du vandalisme » (Collection « Bouquins », éditions Robert Laffont).
Cette somme difficile à trouver est épuisée. Elle était d’autant plus intéressante qu’elle avait été augmentée par Michel FLEURY d’une mise à jour couvrant le trentenaire 1960-1990, autrement dit, celui des grandes catastrophes ; entendez par là des grandes commandes de l’Etat, lesquelles ne sont en réalité rien d’autre que le « fait du prince ». Enfin « prince » est un bien grand mot pour ces présidents que nous supportâmes et dont on connaît la sensibilité, la culture et le goût sous la Ve République ! Il suffit de fouiller un peu : Pompidou, Mitterrand, Chirac ? Une trilogie de béotiens en matière architecturale, et leurs conseillers itou. Pernicieux trio qui aura sacrifié Paris au snobisme de la jet society et de ses épigones…
Les deux premiers, par ailleurs excellents érudits littéraires, auraient été mieux inspirés s’ils avaient écouté sur le chapitre de l’architecture les hommes de l’art ; c’est-à-dire des Beaux Arts, des palais et des monuments nationaux, les architectes du patrimoine et les historiens, plutôt que de s’en remettre à leur jugement personnel et à leur inspiration du moment. Ligotés par l’exigence de modernité à laquelle ils avaient souscrit tête baissée, il fallait qu’ils laissassent à n’importe quel prix derrière eux n’importe quoi.
Autant ne rien dire du troisième qui, trouvant le forum à son goût (rien d’étonnant) exigea qu’on y ajoutât de surcroît les hideuses « girolles » qu’on sait. Rappelons, pour ceux qui l’auraient oublié qu’il fut maire de Paris et que, comme tel, à la fin de son mandat, il fut accouché d’un successeur qui trace aujourd’hui dans son sillage et aurait mieux fait d’aller chercher ses lettres de noblesse dans un salon de coiffure, plutôt que de les attendre sur le premier fauteuil de la mairie de Paris ! Ce sont ces gens-là et leur prétentieuse clique qui effacent d’un caprice et sans états d’âme un ou plusieurs siècles d’histoire et de mémoire patrimoniale nationale. Ne l’oublions pas. Paradoxalement et dans le même temps, ce sont les mêmes qui s’attachent à l’anecdotique, au rafistolage, au « pittoresque » dont sont friands les bobos. Sous le prétexte de rendre la ville au piéton, ils la truffent d’artifices et de gadgets aussi coûteux qu’inutiles qui en complexifient à outrance le fonctionnement. Dérogeant aux règles de base de la composition urbaine et des proportions, ils introduisent des « objets phares » là où ils n’ont pas leur place et où il eut été préférable de composer dans la continuité. Ce que n’ignoraient pas les urbanistes, les architectes et les ingénieurs de la vieille école.
Quand on leur avance qu’il faut conserver l’âme et le caractère de la ville, ils nous rétorquent qu’on ne va pas se mettre à la transformer en musée ; mais ce sont eux précisément, qui s’y livrent à leur manière en nous le reprochant ! Ils en font un mauvais musée qu’il traitent à la façon de la conception qu’ils se font de la chose (et sur ce point, je ne puis que déplorer la « grande pitié » des musées de France et la transformation malheureuse de la plupart d’entre eux ; j’aurai, je pense l’occasion de l’évoquer dans une prochaine note).
Qu’une ville évolue, quoi de plus naturel ? Après tout, la « cité » se comporte comme un organisme vivant, comme un arbre qui perd ses branches ou un oiseau qui perd ses plumes pour en voir pousser de nouvelles. Mais la charpente demeure, c’est l’habit qui se renouvelle, et lui seul. Ce que, pour ma part, je reproche aux « vandales » qui sévissent depuis plus de quarante ans dans le domaine de la construction en général, c’est de bafouer les règles classiques de la composition. C’est de vouloir s’imposer par le gigantisme, le tape à l’œil, les prouesses que permet la technique, l’extraordinaire par ailleurs qualifié de « génial » ; c’est de surfer uniquement dans le sillage de « lard » contemporain en « métissant » la ville à leur façon, qui s’inscrit dans la logique du village people et du mélange des genres.
Autant qu’on puisse en juger à ne considérer que la seule capitale, les transformations qu’elle a connues au cours des siècles et les grands travaux qui souvent l’ont embellie, loin de l’affecter, en ont plutôt rehaussé le caractère.
C’est si vrai que ce qu’on retient de Paris c’est avant tout ses monuments classiques, ses grands boulevards, ses places et ses perspectives. Cela s’est fait au fil des ans au détriment de l’habitat civil médiéval et autres sacrifices de constructions sans doute de caractère. Il est certain que le baron Haussmann, en taillant dans la densité du tissu urbain, a dû abattre plus d’un édifice de qualité… Mais à la différence de ce qu’on peut reprocher aujourd’hui à la Défense et à bien d’autres secteurs de « rénovation » où sévissent les promoteurs, c’est qu’Haussmann, lui, a conçu son projet dans la cohérence, dans l’harmonie et la continuité. Ce qu’a fait Auguste Perret de son côté en reconstruisant le Havre détruite par les bombardements. On ne peut pas dire la même chose du quartier Montparnasse, sacrifié au gigantisme d’une tour qui n’a rien à y faire, ou de la Défense, qu’il ne me viendrait même pas à l’idée de traverser à pied ! ou des nombreux îlots défigurés du XIVe arrondissement.
Ce qui m’étonne dans tout ça, c’est qu’il ne se soit pas trouvé davantage d’opposants à ces projets barbares destinés d’ailleurs aux nouveaux barbares que sont les grands racketteurs du siècle toutes espèces confondues.
Dans son article, Anne Pons, qui a dû lire attentivement Michel Fleury retient que la Ve République prend le relais du vandalisme antérieur : « Les principales villes françaises sont dépouillées de leur manteau de pierre au profit des HLM et des grandes surfaces. Le forum des halles confond par sa laideur les démolisseurs de l’œuvre de Baltard. »
Il était évident qu’il fallait libérer le cœur de Paris d’un marché qui n’y avait plus sa place ; cette décision, ne serait-ce qu’ en raison de la salubrité publique, s’imposait et il ne serait venu à personne l’idée de la contester. Fallait il pour autant s’acharner à démolir l’œuvre de Baltard ? Assurément pas ; d’abord parce qu’elle pouvait prétendre à juste titre à l’inscription ou au classement au titre des monuments historiques, ensuite parce qu’elle était l’un des plus prestigieux témoin de l’architecture de métal du Second Empire, enfin parce qu’elle avait le mérite d’exister toute traversée qu’elle était de courants d’air, et par conséquent, de pouvoir faire l’objet d’une réhabilitation.
Faire ce choix qui malheureusement n’a pas été fait, aurait permis de garder au quartier son caractère et sa population. Qu’est-ce qui empêchait en effet de regrouper sous une partie des pavillons Baltard le marché aux fleurs ? Qu’est-ce qui empêchait de trouver sous les autres des espaces culturels ? ou d’en faire la vitrine permanente de la gastronomie française où brasseries et restaurants eussent proposés les produits des terroirs ? Non seulement on n’aurait pas défiguré comme on l’a fait le quartier Saint-Eustache, mais on eut à coup sûr fait l’économie des dispendieux aménagements que l’on sait, qui ne sont jamais qu’un fiasco que l’on envisage aujourd’hui de revisiter dans le même esprit ! Autrement dit : on persiste et signe…
Il n’est d’ailleurs pas innocent (c’est le cas de le dire, pauvre fontaine !) que l’on ait édifié autour d’un trou, des structures incohérentes drainant chaque seconde dans l’antre de la Gorgone leur noria de con-sommateurs. Non, il n’est pas innocent que ce quartier historique soit devenu le dépotoir d’une société moribonde rendue à son terme, où des cars de police surveillent les derniers vestiges de ce qui reste des vieilles halles : ses colonies de rats qui tous, n’ont pas gagné Rungis…
Il s’est trouvé une ville toutefois, Nogent-sur-Marne, et c’est à son honneur, pour avoir sauvé en 1972 le pavillon numéro 8 sous lequel se tenait le marché aux œufs et à la volaille, et l’avoir reconstruit et adapté en 1976 à sa nouvelle destination d’espace culturel polyvalent.
Dans l’esprit des pavillons Baltard, il reste encore dans quelques capitales régionales de magnifiques halles à structure métallique, édifiées à la même époque. On remarquera particulièrement celles de Limoges, restaurées dans les règles de l’art et sous lesquelles le marché quotidien continue tous les matins son activité.
Bien entendu ce qui est vrai pour la transformation malheureuse de Paris, en dépit de quelques projets réussis, l’est aussi pour les autres villes tant le processus de dégradation s’est propagé à la vitesse d’une traînée de poudre. Nous en connaissons les causes qui toutes, expriment la métamorphose d’une société dépourvue de sens. S’il n’y a plus de grands projets dignes de ce nom c’est parce qu’il n’y a plus d’esprit pour les concevoir ni de volonté pour les porter ; n’élève pas qui veut l’Arc de Triomphe, les Invalides ou le Trocadéro.
Dans le jardin des Tuileries, où veillent les statues félines d'Auguste Caïn, je me surprends encore, toutes les fois que je leur rends visite à leur murmurer à l’oreille : « Réveillez- vous, mignonnes et chassez l’intrus… »
A consulter: Baltard, les halles de Paris, 1853-1973, textes de Patrice de Moncan et Maxime Du Camp, les Editions du Mécène, 2010
18:18 Publié dans Chroniques du temps présent | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : vandales, halles, pavillons, baltard, second empire, beaux arts, réau, fleury, ventre, paris, zola, montparnasse, la défense, trocadero, forum, musées, haussmann, perret, le havre, saint eustache