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03/08/2016

IN MEMORIAM CHARLES ANTONI

 

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 Charles mon ami, où-es-tu ?

Tu as quitté ce monde le vendredi 29 juillet à Volgheraccio, dans ta montagne corse.

Progresses-tu en défricheur dans le « non frayé » ou attends-tu en vigile la « Princesse Absente » sur le bord du chemin ?

Es-tu suivi par la vieille qui tend la pomme, histoire de t’inviter à recommencer la farce, ou la chasses-tu de tes yeux mi-clos, comme un mauvais rêve ? toi, homme de théâtre qui savait déciller les regards.


A Neige, qui t’a précédée de trois mois et cinq jours pour ce pays d’au-delà des monts, d’au-delà des morts que nous sommes, si d’aventure tu la croises, tu peux dire : « à présent je sais ». Et que tu l’exprimes à ta manière : « … bon Dieu, p... ! ça dépasse tout ce que je pouvais imaginer ! », ne m’étonnerait pas !

A l’Age, où nous devions vous recevoir Paule et toi en Septembre, tu ne viendras pas… Je le regrette, ami, parce que je sais que tu aurais aimé t’asseoir au soleil sur le perron dominant le parc, en compagnie de nos chats et je te vois, ton stylo à la main… et ce registre sur lequel, chaque jour, de ton écriture fine, tu notais tes impressions afin de n’en laisser perdre aucune.

Ce cahier qui ne te quittait pas, côtoyant ta tasse au café sans cesse renouvelé et le cendrier rempli jusqu’à la gueule de tes cigarettes inachevées, je le revois, palimpseste sans arrêt recomposé, annoté, rectifié… cahier « akashique » où des vies et des vies – les tiennes - empilées les unes sur les autres, cherchaient par là à se manifester.

 

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Ainsi va la vie, ainsi vont nos jours. Pilotés à vue sur un frêle esquif, nous pensons le diriger en godillant approximativement. C’est notre lot commun, combien de fois l’avons-nous évoqué ensemble, vieux frère ?

 

Je ne retracerai pas ici ton parcours, tes amis le connaissent ; il me suffit de dire que tu fus assurément ce « coureur d’aventures », cavalier bleu quêteur de Vérité qui, d’ ouest en est et du nord au sud se déplaça pour la traquer en veneur, cette Vérité, même et surtout, en ce petit « vaissel très secret » où elle sommeille en chacun de nous.

 

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Ce qui reste de toi repose à présent dans la tombe des tiens, au petit cimetière corse de Felce, sous les châtaigniers trois fois centenaires de la montagne. Mais sous ta verrière du neuvième arrondissement, au milieu des milliers de livres empilés et tapissant les murs, les tiens sont là, les tiens, ton « testament philosophique », rédigés les uns après les autres comme autant d’hommages à Gurdjieff, Ramana Maharshi, Shri Nisargadatta Maharaj, UG, Cattiaux, Klima et tant d’autres que tu admirais…

 

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Mes pensées vont aussi à Paule, la compagne fidèle de tes derniers jours, et à toute l’équipe de l’Originel, ta « maison », assuré qu’à ta façon tu veilles sur eux, comme un soleil qui continue à briller, attentif à chasser l’intrus car, comme l’écrivit Louis Cattiaux « …ce monde est cruel, et la douleur l’habite. »

« A nous revoir, ami ! »

 

18/11/2014

LADISLAV KLIMA ou le solipsisme appliqué

(Reprise augmentée d’un texte que j’ai eu l’occasion de publier une première fois dans la revue l’Originel, numéro 6 de juillet 1996, éditions Charles Antoni)

 

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En 1904 paraît à Prague un ouvrage intitulé « Le Monde comme Conscience et comme Rien. ».C’est un texte décapant qui ne recevra pas l’accueil attendu par son auteur, le jeune philosophe Ladislav KLIMA. Ce dernier n’a sans doute pas choisi son titre à consonance schopenhauerienne au hasard ; il présente son livre comme un « précis d’indifférence nihilisto-illusionniste » s’inscrivant pour partie dans le sillage de l’œuvre de Nietzsche (« le nihilisme est notre délassement à nous. ») .

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(Prague vers 1900)

Le texte annonce d’emblée la couleur du chaos, c’est un précis de décomposition des idées reçues, début prometteur pour celui qui fera des principes d’alogicité et de contradiction le moteur de son œuvre. Ce livre, qui aurait dû faire l’effet d’un pavé dans la mare, passa inaperçu ou presque ; quelle conclusion en tirer ? Klima y répond lui-même dans une lettre adressée le 16 juillet 1905 à Emanuel Chalupny. Il estime « que le public pachydermique, face à une œuvre de l’esprit, perçoit aussi peu ce qu’elle a de provoquant que ce qu’elle a de valorifique, autrement dit qu’il est totalement sans tête, qu’il n’y a que son dos où le frappant puisse, sous forme de bâton frapper. ».

Ce ton, dont Klima ne se départira plus, positionne très tôt ce rebelle en l’apparentant aux grands moralistes, esprits libres affranchis des passions, souvent plus en accord avec le comportement des animaux qu’avec celui des hommes.

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Certaines de ses observations nous vaudront des maximes de cette veine : « Si les braves gens appliquaient au perfectionnement de leur caractère autant de soin qu’au polissage de leurs chaussures, l’humaine espèce aurait meilleure mine »(1) et sa méfiance à l’égard des hommes s’exprime au travers du constat qu’il fait de leur lâcheté : « la volonté d’esclavage est le fondement de l’univers. Elle est l’essence de l’homme, la clef de son être, le secret de sa « culture ». (2)   Il observe que c’est la même servilité qui anime la plupart des œuvres de ses contemporains et les rend dépendantes d’autrui, comme si, de toute évidence, il ne devait rien y avoir de nouveau sous le soleil alors que le soleil, comme l’observe Héraclite, « est non seulement chaque jours nouveau, mais sans cesse toujours nouveau ». Par conséquent « une seule question décide de la valeur de toute œuvre : à quel point est-elle souveraine ? à quel point soumise ? »(3)

On peut dire de celle de Klima qu’elle est originale en ce sens qu’elle n’a guère eu d’antécédent et que personne avant lui n’avait osé s’aventurer en direction du solipsisme radical, chemin qui ne mène nulle part pour la philosophie classique, position intenable pour un esprit libre… Avec le brio qui le caractérise et sa maîtrise du verbe, Klima étaye pourtant et développe un discours rien moins que « philosophique », même si l’auteur, sur ce chapitre émettait les réserves que l’on sait. Celui qui, sa vie durant, se sera évertué à sauter dans l’abîme —« ce n’est qu’en sautant qu’on peut arriver à quelque chose »(4)— aura réussi son suicide intellectuel en coupant à sa manière la tête au corbeau pour ne plus voir le monde avec les yeux de l’habitus, nevermore .

 

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Il n’y a pas, derrière cet acte, la recherche d’un quelconque bonheur, ni la recherche d’une quelconque vérité raisonnée ou raisonnable —« la vérité n’est pas à chercher dans la philosophie, mais dans la praxis, dans la vie »(5) mais bien plutôt l’affirmation d’une volonté « auto-commandante ». Que cette dernière prenne le sentier de la guerre et se batte en priorité contre le moi social est dans l’ordre des choses ; elle démolit, dans le même temps, tout ce que l’humaine raison a empilé de concepts idéaux : c’est la « métaphilosophie » qui commence « là où on repousse à coups de pied la « métaphysique », le monde, la réalité, l’existence-vérité, la science, l’homme… »(6)

C’est par là aussi que commence la gestation de celui qui se qualifiait lui-même de « noir monstre métaphysique » à l’instar du protagoniste d’un de ses romans auquel il fait dire : « Moi seul, noir monstre métaphysique, rêvant éternellement, Moi seul, je peux être Dieu ! »(7)

Vouant sa vie à la quête de l’Etre-Dieu, il fallait à Klima une trempe peu commune, une détermination sans failles, l’enjeu n’étant pas sans risques ! « On ne plaisante pas avec ces petites choses-là ; la folie subite est bien l’accident le plus inoffensif qui puisse arriver au petit animal que l’on est. »(8)

Cinquante années de vie pas commune s’achèveront dans un hôpital pour tuberculeux, mais, rideau !... l’apothéose avait eu lieu des années avant, et le philosophe avait payé durement son écot : « J’ai payé ma victoire d’un immense chaos provisoire… »(9). Parce qu’il y a peu d’appelés et peu d’élus dans ce voyage en solitaire (« La plupart des gens ne meurent qu’au dernier moment, d’autres commencent et s’y prennent vingt ans à l’avance et parfois davantage. Ce sont les malheureux de la terre. ») (10) Klima, en bon guerrier, n’aura pas baissé la tête devant Némésis la Glorieuse.

 

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 (Dessin Agaric)

Aujourd’hui le public francophone peut accéder à l’œuvre grâce aux efforts non comptés de sa traductrice Erika Abrams ; elle seule a su tirer de l’ombre où il dormait ce philosophe trop longtemps oublié à l’Est. On ne réveille pas innocemment ce genre de tigre… Les chasseurs de grands fauves auront bien du mal à l’abattre, et c’est tant mieux puisque —pour parodier Dominique de Roux— « ce sont les temps du grand changement qui maintenant, viennent. »(11).

En parcourant la biographie de l’auteur, parue dans le premier volume imprimé en France (« Je suis la Volonté Absolue »), on comprend mieux le monde de celui qui, l’ayant réduit à son schéma mental, pouvait écrire : « L’univers est l’ouvrage de mes arides conjectures et de mes routines psychiques, un schéma, rien de plus, et son énormité est réductible à l’énormité d’une mystification. »(12).

 

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Né le 22 août 1878 en Bohème (Domazlice), très tôt orphelin de mère, le jeune Ladislav entre au lycée de Zagreb en 1895 ; il y découvre les œuvres de Schopenhauer et de Nietzsche et s’insurge contre le système éducatif : « quiconque n’était pas idiot-né devait forcément s’idiotifier sur les bancs de l’école. »(13) ; voilà qui le positionne et le détermine « à ne fréquenter aucune école, à n’embrasser aucun état »(14), prémisses d’un dilettantisme propice à l’émergence du « ludibrionisme » —jeu permanent avec l’univers— qui le caractérisera plus tard. On sent, dès cette époque, la rupture du lien social et le rejet de toute autorité extérieure. Cinq années suivront de « simples tâtonnements dans le noir »(15) au cours desquelles le jeune philosophe cherchera à aiguiser ces facultés supérieures qu’il reconnaît aux seuls félidés —« la plus splendide efflorescence de la vie »(16)— et qui sont incontestablement celles du guerrier (il les évoque observant le comportement d’un chaton en présence du danger, bel exemple d’art martial !...). « Le spectacle qu’offre un tigre du Bengale est non seulement beau mais sublime ! »(17). Cette admiration sans limites n’aura d’égale que la compassion qu’il éprouvera sa vie durant pour les animaux : « La façon dont les humains se comportent envers les animaux est terrible ; plus terrible encore, superlativement terrible, est la façon dont ils les regardent. »(18).

 

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De 1900 à 1903, expériences variées touchant à la déoessence. L’auteur expose ses sensations dans son autobiographie : « Durant les années où d’autres s’échinent à passer des examens et à se lancer dans une carrière, je n’eus d’autres occupations que de me promener sans fin dans les futaies à la recherche de nymphes et de châteaux hallucinatoires, me roulant tout nu dans la mousse et dans la neige, menant des combats terribles avec un Dieu qui s’était mis en tête de vivre à l’état de veille, en tant qu’homme. »(19).

En 1904 publication du « Monde ». Suivront trois années d’intense activité littéraire dont peu de choses, malheureusement, auront été conservées, Klima brûlant souvent le soir même ce qu’il écrit le jour…

1908 : abandon de la littérature au profit de la seule « philosophie pratique systématique », « mon but étant de tuer toute souffrance, d’atteindre le calme immuable, bienheureux, au moyen d’une manière de tout voir philosophique et aeterniste, ordonnée et régie par des commandements souverains. »(20).

Le 13 août 1909, dans des circonstances particulières, il semble que les efforts soient couronnés de succès puisque Klima se trouve en face de « la pensée la plus téméraire, la plus terrible, la plus sublime qu’homme ait jamais eue : être dès cette vie ici-présente, essentiellement et réellement, pleinement et intégralement, DEUS CREATOR OMNIUM ! »(21).

En 1910, à 32 ans, il prend une résolution décisive : « au moyen d’une maîtrise absolue de l’intellect, atteindre pleinement au Plus Haut… Deux ans de violences inouïes faites au processus de la pensée… »(22). Il s’adonne sans différer à ces travaux d’Hercule en bonne connaissance de l’Ennemi (« Notre intellect est un professionnel non pareil du mensonge ») (23) avec les déroutes inhérentes à ce genre de quête, lucidement surmontées : « ce qui vient d’arriver, succès ou échec, peu importe, est bon, ne serait-ce, par exemple, que pour la simple raison que c’est arrivé. »(24). Qu’on se rappelle sur le chapitre le propos de Nietzsche (ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort).

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(Pieter BRUEGHEL)

Le 1er octobre de la même année, connu sous l’appellation de « journée cholupicienne », constitue l’acmé d’ une praxis philosophique que Klima narre par le menu à Antonin Pavel dans une lettre écrite d’Horousanky le 20 mai 1914 ; Erika Abrams y voit à juste titre « l’un des textes clef » de son œuvre. A partir de ce moment, et sans doute pour compenser le porte à faux où l’ont conduit ses exercices quotidiens  souvent brutaux de philosophie pratique et d’érémitisme pour l’aider à supporter ou à oublier le monde extérieur « automystification géniale »(25), « processus de contradiction »(26), Klima s’adonne à l’alcool et s’en explique : « c’est l’alcool qui me sauva, le rhum et l’alcool absolu… je ne dessoûlais pas de toute la seconde moitié de l’an 12 ni de l’an 13. »(27). Il est , en parallèle, attiré par le suicide dont l’idée obsessionnelle représente à ses yeux « l’expression la plus élevée et la plus pure du vouloir-vivre » . La mort volontaire est un privilège qui permet de quitter élégamment le théâtre d’ombres de la comédie humaine avant son dernier acte, « l’homme qui se respecte quitte la vie quand il veut, les braves gens attendent tous, comme au bistrot, qu’on les mettent à la porte. »(28).

En 1915, poussé par le dénuement, Klima se résout à accepter quelque emploi, ressentant néanmoins « la moindre somme gagnée comme le summum de l’infection, le moindre travail social comme le comble de l’infamie… »(29). On le retrouvera chauffeur d’une locomobile à pomper l’eau d’une rivière, puis gardien d’une usine désaffectée, enfin, en 1917, associé et contremaître d’un atelier de fabrication d’un ersatz de tabac… tâches inutiles, sans doute, mais évocatrices de l’univers burlesque où l’asocial n’a plus sa place.

1918 : publication d’articles philosophiques et polémiques.

1919 : début du « règne de Dyonisos » puis hibernation en 1920.

En 1922 commence sa « lutte héroïque contre tout. ».

Atteint de tuberculose pulmonaire, la mort emporte à Prague le 19 avril 1928, celui qui était parvenu à en tuer l’idée même : « Pour autant qu’il soit certain que je suis, je suis certainement immortel. L’un et l’autre —idem— « je suis » et « je serai »—tautologie—. Car le présent est dans son fond éternité, car l’éternité n’est rien d’autre qu’un présent sans bornes : existence et immortalité sont synonymes. »(30).

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Il nous reste maintenant à voir quels sont les thèmes de l’œuvre klimaienne tout entièrement tournée vers l’éveil de la Conscience  et la conquête de la Liberté par la réalisation du Grand-Œuvre qu’est l’Etre-Dieu : « l’humanité a crée l’idée de Dieu. Moi, je créerai sa personne. »(31).

Une telle entreprise reflète un cheminement intellectuel hors du commun.

Que Klima ait trouvé dans les écrits de Nietzsche, Schopenhauer et Berkeley de quoi étayer sa vision du monde, et que le Nihilisme, raz de marée du début de siècle ait pu séduire un tel esprit n’a rien d’étonnant. Cependant le philosophe a su gérer ses sources et s’en détacher suffisamment pour élaborer sa propre pensée dans un style qui n’appartient qu’à lui ; il s’en explique : « Longtemps j’ai vogué lâchement dans les eaux du stoïcisme, du spinozisme, du dyonisisme à la Nietzsche, de l’upanishadisme, —mais tout cela était loin d’être moi, cette manière d’agir ne pouvait évidemment pas me convenir à moi, —à mon instinct absolutiste fondamental… »(32).

On l’imagine mal, en effet, aux ordres d’un quelconque maître à penser en dépit de la « contamination » qu’évoque Jan Patocka. En radicalisant le solipsisme, Klima n’a pas enfermé sa pensée (contrairement à la remarque de Brezina), il lui a plutôt donné des ailes et permis d’accéder à ce que Mandiargues appelle, dans son introduction au « Musée Noir », « l’innocence farouche d’un univers enfin déchaîné ». Cette pensée a su se frayer des passages dans cette jungle et arpenter des territoires incontournables ; elle ne s’est pas érigée en système mais a constitué une ontologie libérée des entraves du Temps, centrée sur le primat de la Volonté qui s’exprime par le vouloir-vouloir, dans l’éternel présent.

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(Adolf CHWALA)

Comment s’étonner dès lors du regard sans complaisance qu’il porte sur la philosophie et les professeurs de philosophie plutôt malmenés dans ses romans ? « La philosophie est le foyer de la servilité humaine. Tout ce qu’on peut trouver d’autre en fait de chienneries et d’ignominies se dissout dans la puanteur philosophique. Elle a été non pas « amour de la Sagesse » mais amour de la larbinerie ; ce qu’on a nommé sagesse n’a été qu’une contrition dévote et vile à l’extrême. »(33). La dévotion en général —et rien de ce qui s’abaisse— ne trouve grâce à ses yeux, mais le lien de dépendance est une inclination naturelle de la mentalité humaine, traduction des peurs ancestrales nichées au plus profond de l’être, besoin de protection maternelle trouvant son refuge dans le Dieu des religions révélées : « Cette humaine canaille, ces bêtes à bon dieu… lèvent les yeux vers leur petit bon dieu, comme un ratier pouilleux lève les yeux vers l’homme… Si elles ont besoin d’invoquer quelque chose, c’est parce qu’elles-mêmes ne valent pas un clou. »(34).

On trouvera plus loin des lignes qui ne sont pas tirées de l’Antéchrist mais expriment avec autant de violence la révolte de celui qui, voulant se « créer lui-même », avait commencé par mettre le dieu des autres aux fers : « l’essence du christianisme est à mes yeux une servilité magnifiquement développée et une chiennerie sur toute la ligne, masquée bien sûr par l’amour. »(35)

Cette peur qui caractérise la nature humaine, Klima la voit justement dans l’interdit d’assumer la divinité en l’homme, entretenu par la notion de péché et le sentiment de la faute : « Le sens principal de l’espèce humaine a été la peur de réveiller le dragon terrible sur lequel elle dort et qui est dans la seule et unique réalité, son Archange Sauveur. »(36). Paroles d’hérétique assurément, qui refuse la soumission imposée par le dogme d’une église ou d’un temple extérieur ; rébellion luciférienne que n’aurait pas désavouée Giordano Bruno, Dieu le feu qui brûle, qui suscite et consume les univers (Louis Cattiaux) est dans tout et partout ; c’est Un le Tout des présocratiques. Klima s’en explique dans une lettre écrite durant son séjour à Horousanky : « Tout est Un ». Dans « Instant et Eternité » il expose que « Dieu dort dans la moindre chenille ; là où il joue avec l’univers, il n’est rien de plus qu’un animal à l’état de veille absolue. ». Cette conviction panthéiste le conduit à un immense respect de la nature ; même si, en fin de compte, elle n’est que du bluff, elle n’en possède pas moins les attributs de la Beauté, dont l’essence est la Divinité, immanente à la manifestation phénoménale du monde.

 

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(Carl Caspar FRIEDRICH)

La prise de conscience d’une automystification permanente qui se nourrit des peurs humaines et d’une impossibilité de saisie de l’instant, constitue la base de la pyramide hermétique du solipsisme. Klima ne croit pas plus en l’humanité —« Il est du reste très instructif d’observer les promeneurs nocturnes dans les champs, à plus forte raison dans les bois ; presque tous se comportent comme des lièvres, fait qui permet de constater que l’humanité dans sa totalité se compose de lâches achevés… »(37)— qu’il ne croit en la vérité : « Comme le commencement du cercle, la vérité elle aussi est partout et nulle part. »(38).

Ce nominaliste en revient toujours à la seule question qui, finalement, en vaille la peine —thème fondamental et substance de « la » philosophie— « Le problème mondial, en son seul sens admissible est le suivant : pourquoi suis-je là ? A quoi bon mon existence fantomatique ? Le rien ne serait-il pas plus naturel ? »(39). La réponse à cette question, c’est l’effort de volonté qui la donnera, lui seul susceptible de réaliser l’Etre-Dieu. Il faudra pour cela dégager le moi primitif de sa chrysalide (« Le Moi primitif est tout entier dans la Volonté ou la puissance qui crée l’effort. »)(40). C’est le Caput-Mortum philosophique, floraison d’un scepticisme radicalisé : « Le scepticisme commande que tout, non seulement peut mais doit être détruit ; le tout étant synonyme de la servitude. »(41) ; « Je n’ai presque plus de vœux, de souhaits, de désirs, tout au plus des envies momentanées qui meurent à peine nées ; ceci s’applique aussi aux soucis. »(42).

 

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(Julius MARAK)

On en arrive aux thèses clefs qui sont celles de l’absurdisme, de l’illusionnisme et des principes de contradiction et d’alogicité, tous enfants du scepticisme que klima développe dans sa lettre sur l’Illusionnisme de 1916 et le texte intitulé « Je suis la Volonté Absolue ». Il y définit clairement sa conception du scepticisme : « L’humanité n’a jamis su ce que c’était que le scepticisme conséquent, —moi je l’appelle hardiment absurdisme ; puisque tout est perdu !— et puisque c’est seulement en perdant tout que nous pourrons tout gagner— conquérir l’univers, mettre Dieu aux fers… »(43). Le scepticisme radicalisé conduit fatalement à la liberté absolue : « Le scepticisme est la chose du monde la plus éthique, partant la plus élevée, partant la plus libre. »(44)et donne la réponse à la question essentielle « Qu’est-ce que tout ça ? » —la seule réponse honnête, en fin de compte : incertitude absolue. Mais cela signifie Liberté absolue, divine, et cela veut dire : le monde est ce que (à n’importe quel moment) je veux en faire : mon jouet absolu. »(45). Klima n’aura de cesse de revenir au principe du ludibrionisme, dernière réponse, en fin de compte au problème mondial résumé dans l’antienne « Tout ça c’est mon jouet. ».

Apanage du Bateleur, le Grand Manipulateur dispose donc à chaque instant de la faculté de redistribuer les rôles en remodelant la materia prima illusoire du Chaos. (« Tout est manipulable, il n’y a absolument personne qui puisse échapper aux rapports intersubjectifs »)(46)—ainsi pourra-t-il écarter les mailles du filet pour tenter la grande sortie…

Reflet de nos identifications momentanées et passagères, de nos peurs et de nos illusions, le monde contingent n’est jamais tout à fait le même et demeure la farce de la « Fête des Fous » . («… tout le problème pour moi n’est pas ailleurs . »)(47).

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(Pieter BRUEGHEL)

Force est d’admettre alors que le combat de Carnaval et de Carême ne s’achèvera que dans un fantastique éclat de rire ! ( « La vie est une plaisanterie et tout concourt à le montrer / Cette idée m’est venue un jour, à présent, je le sais. »)(48).

« Ludibrium, mot excellent, signifie en même temps « jouet » et « bouffonnerie » : c’est pourquoi j’ai choisi ce terme pour désigner ma conception du monde. Le monde est le jouet absolu de sa (c.à d. Ma) volonté absolue. »(49). Et la volonté absolue est exclusive du sujet in illo tempore ; elle ne concerne que le seul présent et que l’individu dans son unicité. « L’on en arrive à une valorisation nouvelle : l’absoluité de l’instant. Ayant atteint telle ou telle chose l’espace seulement d’un instant, je l’ai atteinte absolument—définitivement—durablement—éternellement. »(50) 

Le monde de Klima relève d’une structure en abîme, c’est une galerie de glaces où le « Je » qui s’exprime et se regarde dans une autorégulation permanente et éternelle de métronome est toujours le même  sous des facettes différentes et rejette toute altérité. Comment pourrait-il en être autrement ? C’est la condition nécessaire et suffisante du solipsisme et sa raison d’être qui font que « L’existence de deux moi est un non-sens horrifique. »(51).

 

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 Schopenhauer avait pressenti l’ouverture ( « L’individu seul… et non l’espèce humaine possède l’unité réelle et immédiate de conscience… Dans l’espèce humaine la réalité appartient aux individus seuls et à leur vie, les peuples et leur existence sont de simples abstractions. »)(52), sans pour autant passer le seuil, tout comme Stirner, dont le Moi n’excluait pas celui des autres. Cette séparation hermétique, Klima la suggère par la métaphore du saut du haut de la falaise de nos certitudes contradictoires : « Ne crains pas l’abîme. Si tu le vois, saute dedans hardiment, les yeux fermés, en te disant qu’il n’existe pas et tu te retrouveras debout un mètre plus loin ! car il n’y a pas d’abîme, les illusions seules existent. »(53).

Le saut dans l’abîme, Invitation au Voyage du poète maudit, est un gouffre béant aux confins de l’Idéalisme absolu, que Berkeley a traversé… sur une planche !  « La monstruosité la plus atroce ?... Le berkeleyisme sans l’égosolisme. »(54). On sait sur le sujet ce que l’auteur doit à l’évêque irlandais et en quels termes élogieux il en a parlé : « Hormis le berkeleyisme il n’y a rien eu de radicalement nouveau… Le berkeleyisme pratique, cette révolution sans comparaison de l’esprit humain. »(55). Seulement Berkeley ne débouche pas, lui, sur l’égodéisme puisqu’il reconnaît une Volonté Supérieure extérieure à l’être (« Quelque pouvoir que j’exerce sur mes propres pensées, je reconnais que les idées perçues actuellement par mes sens ne sont pas ainsi dépendantes de ma volonté. Quand j’ouvre les yeux en plein jour, il n’est pas en mon pouvoir de voir ou de ne pas voir, non plus que de déterminer les différents objets qui se présentent à ma vue ; et il en est de même de l’ouïe et des autres sens : les idées dont ils reçoivent l’impression ne sont pas des créatures de ma volonté. Il y a donc quelque autre Volonté ou Esprit qui les produit. »)(56).

La métaphilosophie réfute l’argumentation d’une transcendance divine échappant au Moi et ramène la question de Dieu à la seule autorité de l’être dont l’immanence au monde formel permettra de reconstituer le miroir éclaté, ainsi s’effondrera le « problème mondial ». « On devra se faire de Dieu une idée plus folle que toutes celles jamais proposées par la religion et la philosophie  « je suis » — : je le suis, d’ores et déjà, autant que l’est, selon les idées dont j’ai hérité grosso-modo, la création omnium dans sa gloire guerrière : je ne vis que de sa vie, je trône au dessus de toutes les étoiles… Je dispose du pouvoir d’éteindre d’un seul coup et n’importe quand tous les soleils, je veille sur la chute du moindre petit poil du moindre petit lapin… Comment un ver peut-il être cela ? Rien de plus facile, trois conditions : adopter un point de vue égosoliste, s’élever jusqu’à une manière de voir illusionniste, tout voir dans un mépris triomphal au-dessous de soi : l’Etre-Dieu  s’ensuit tout seul. »(57).

La Volonté Absolue réalise ainsi par une maïeutique appropriée l’émergence de l’Etre-Dieu, ce que la pensée logique conceptuelle est incapable de faire, prisonnière du monde illusoire où elle se perd en conjectures multiples.

En ramenant le monde formel et son étendue à la seule réalité de l’être-pour-soi, Klima accomplit l’agape saturnienne d’assimilation sacrificielle. Ainsi tombe le voile que nos pensées trompeuses, messagères envoyées par l’adversaire fort de ses œuvres (influence des habitudes qui toutes mènent à la mort —dixit Cattiaux—, pathologie des humeurs et des états d’âme) ont élevé autour de nous. « Les pensées surgissent en nous de leur propre mouvement, mais force nous est de croire que c’est nous qui les tirons du néant. »(58). On devine comment la pensée non maîtrisée peut nous abuser sur ses origines : « La pensée, chez la vile et labile créature qui a nom homme, n’est qu’un pauvre jeu de petites vagues poussées par le jeu invisible des vents du dedans… »(59). On rapprochera cette observation de celle de Voltaire : « Nous croyons faire des idées, c’est comme si en ouvrant le robinet d’une fontaine nous pensions former l’eau qui en coule. ».

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(Prague vers 1900)

« Je suis la Volonté Absolue », texte de 1917, constitue la somme klimaienne d’un enseignement non ordinaire tout entier centré sur le thème récurrent : pas de Liberté sans Divinité (« Une chose doit être comprise : parvenir à la Liberté, c’est devenir Dieu. »)(60). Le moyen pour y arriver ? la pratique assidue de l’égosolisme absolu, seul capable d’amener l’Etre-Dieu. Klima donne des « recettes » abruptes où l’obsession dirigée est transmutée en feu nourricier, attribut primordial de la divinité : « Répéter la devise (Je suis la Volonté Absolue) en toutes circonstances !... Il faut voir la devise comme votre loi, votre sens, votre fatum, votre tout. »(61).

L’expression de la Volonté Absolue fondée sur le postulat, puis le constat « Hors moi il ne peut exister absolument rien »(62), ne prend donc appui sur aucune autre « réalité objective » : « la vieille croyance dans la réalité objective (…) met dans le même sac des choses aussi effroyablement disparates que le moi propre —incontestablement réel— et celui d’autrui, entièrement hypothétique. »(63). En se créant lui-même, le philosophe laboure des terres vierges où personne n’a jamais semé ; il échappe à sa manière à l’attraction universelle et à toute contingence ; il devient ce que de toute éternité il était (On ne devient que ce que l’on est)(64) (je suis moi-même la matière, le feu, le vase et le fourneau)(65) ; il peut difficilement rebrousser chemin et s’il se retourne, n’est plus la dupe de son reflet dans l’eau. « J’ai décidé d’en revenir à l’état d’humanité : cela s’est avéré difficile, cela s’est avéré impossible : j’ai vu que je ne pourrais me passer entièrement du Divin, que je n’avais jamais vécu sans Dieu… Il y a quelque chose d’indiciblement magnifique dans le seul fait de pouvoir se dire propriétaire de l’existence. »(66).

Le Monde, « fantôme intérieur », que les pensées, « spermatozoïdes de l’univers »(67), ensemencent au bénéfice de la Volonté quand c’est Elle qui leur commande, reste un jouet fragile et dangereux entre les mains de la multitude inexpérimentée. Cette multitude assimilable à la légion des « moi » non maîtrisés, s’est dispersée comme une goutte de mercure qu’on laisse tomber, une meute de chiens courants dans les bois, ou les passants anonymes des capitales. On aura du mal à les rassembler pour les mettre au pas si l’on perd de vue l’objectif assigné : régler une fois pour toutes le problème mondial (Pourquoi donc y a-t-il l’Etant et non pas plutôt Rien ?).

 

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(James ENSOR)

Par jeu et habileté suprême, Klima provoque le retour à soi par la simple lecture de son texte : « Ce que vous lisez maintenant a été amené causalement, a été créé uniquement par vos états mentaux des instants précédents —car moi, je n’existe pas. »(68). C’est une façon —et sans doute la seule— d’affirmer le solipsisme sans ambiguité aucune, et c’est aussi pourquoi le philosophe éclaire d’un jour nouveau le questionnement ultime au terme duquel il faudra sans trembler affronter la rigueur de l’océan glacial du doute. « En réalité, les choses se présentent ainsi : ne croyez pas que je veuille que vous agissiez conformément à la pratique par moi conseillée ; je vous donne mes conseils pour que vous ne les écoutiez pas. Où serait le sens si vous, qui voulez être libre, vous teniez compte des directives d’autrui ?... Pourtant —existe-t-il une autre voie que celle que j’indique ?...

Pourtant —peut-être que je ne vous offre tout cela que pour que vous vous coupiez vous-même dans cette étoffe un habit qui vous aille ? »(69).

Mais la nature humaine est ainsi faite qu’elle ira toujours du côté des modes habiller son âme pour paraître aux cortèges des maîtres tailleurs. C’est tellement vrai que 99,9% des individus vivent aujourd’hui par procuration cherchant au travers des fictions cinématographiques et dans la vie des « autres » des modèles pour conduire la leur… Et cependant, qui briguera la dalmatique, la cape ou l’hermine, finira tôt ou tard par danser dans ses hardes au drôle de petit air que la Reine du Monde flûtera tout exprès à ses oreilles… Avons-nous oublié nous-même quel vêtement de peau nous troquâmes certain jour, à l’aube de notre endormissement ?

 

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Rêve que tout cela ? Peut-être et qu’importe, le solipsiste a répondu sans alternative à qui peut l’entendre : « Le seul moyen de nettoyer les écuries d’Augias, c’est de les démolir. »(70).

Qui s’en approchera se tiendra sur ses gardes en se méfiant d’abord de lui-même.

On trouvera dans l’œuvre romanesque matière à compléter cette approche ; comme dans les écrits philosophiques de Ladislav Klima, la totalité se trouve dans le fragment, en enroulement de lemniscate ou d’Ouroboros selon le plan (« I love me dit le serpent »)(71). On pourra s’étonner du style plus d’une fois outrancier, de la violence des situations burlesques et fantasmatiques aux couleurs des toiles d’Ensor, du viol du langage et de la provocation quasi permanente ; on cherchera vainement une imitation ou du déjà vu, c’est en cela aussi que Klima est unique.

C’est une claque qui peut-être un réveil. « Il y a tant d’aurores qui n’ont pas encore lui. »(72).

 

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 (Gustave DORE)

Tous les écrits de Ladislav KLIMA actuellement disponibles en France sont publiés par les Editions de la Différence, traduits, présentés et annotés par Erika ABRAMS :

—   Les souffrances du Prince Sternenhoch (1987)

—   Némésis la Glorieuse (1988)

—   Ce qu’il y aura après la mort (1988)

—   La marche du serpent aveugle vers la Vérité (1990)

—   Traités et Diktats (1990)

—   Instant et Eternité (1990)

—   Le Grand Roman (1991)

—   Le Monde comme Conscience et comme Rien (1995)

 

« Je suis la Volonté Absolue », traduit et présenté par Erika Abrams, a été édité en 1984 par « Café Climat » à Langres.

 

Une édition des Œuvres Complètes, à La Différence est en cours ; 4 volumes sont déjà parus :

—   Tome 1 « Tout », écrits intimes, 1909-1927

—   Tome 2 « Dieu le ver », correspondance, 1905-1928

—   Tome 3 « Le Monde etc… », philosophica journalistica, 1904-1928

—   Tome 4 « Le Grand Roman »

 

Notes :

(1), (5), (16), (17), (23), (38), (58) : « Le Monde comme conscience et comme Rien »

(2), (3), (6), (33), (39), (41), (44), (54), (70) : « Métaphilosophiques »

(4), (12), (31), (32), (35), (45), (49) : Lettre écrite d’Horousanky

(7), (53) : « Ce qu’il y aura après la mort »

(8), (34), (50), (57), (59), (60), (61), (63), (66), (68), (69) : « Je suis la Volonté Absolue »

(9), (24), (25), (26), (51), (67) Lettres philosophiques

(10) : Louis Ferdinand CELINE, « Voyage au bout de la nuit », éd. Pléiade

(11) : Dominique de ROUX, « La mort de Céline », éd. 10X18

(13), (14), (15), (19), 22), (27), (29), 37), (42) : Autobiographie

(18), (30) : « Instant et Eternité »

(20) : Ma confession philosophique

(21), (62) : Lettre à Antonin Pavel

(28) : « Traités et Diktats »

(36) : « Némésis la Glorieuse »

(40) : MAINE de BIRAN, « Mémoire sur la décomposition de la pensée » éd. Vrin

(43) : Lettre sur l’Illusionisme

(46) : Giordano BRUNO, « De Vinculis III » éd. Belles Lettres

(47) : CELINE, lettre à Léon Daudet, Cahiers Céline éd. Gallimard

(48) : Epitaphe de John GAY (+ 1732)

(52) : Arthur SCHOPENHAUER, « Le Monde comme Volonté et comme Représentation », éd. PUF

(55) : « Le Grand Roman »

(56) : George BERKELEY, « Dialogues de Philonous et de Hylas », éd. PUF

(63) : PINDARE, cité par NIETZSCHE

(64) : « La Clavicule de la Science Hermétique » écrite par un habitant du Nord dans ses heures de loisirs, éd. JC Bailly, 1985

(71) : Georges PERROS, « Papiers collés II » éd. Gallimard

(72) : NIETZSCHE, « Aurore », Œuvres complètes, éd. Gallimard

 

 

Il existe une vidéo tchèque où l’on peut voir quelques photos de Klima.

A signaler, l’émission d’Anne-Lise DAVID  « Une vie, une Œuvre » du 14 juillet 2002, consacrée à Ladislav KLIMA sur France-Culture.

 

08/05/2011

AU TAUREAU DANS L'ARENE

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 Photographie Lucien Clergue

 

« A l’âge de huit ans, j’ai vu un type taquiner un tigre avec une barre de fer ; le tigre râlait terriblement. En m’éloignant, étourdi d’impuissance et fou de rage, j’ai murmuré : “ attends seulement, mon petit ange, tu verras, le jour viendra où je te jetterai ce salaud en pâture !“ Et je n’ai jamais douté que ce jour ne doive effectivement arriver – et je n’en doute point.» (Ladislav Klima : Ma confession philosophique.)

« La vraie compassion pour les animaux se reconnaît au fait qu’elle passe aux yeux de l’humanité en totalité pour le comble de l’exagération, du ridicule, de la folie, de la perversité (…) L’amour pour les animaux est chose bien plus tardive, plus subtile, plus sublime que celui que l’on voue aux humains ; celui-ci tire son origine du minable sentiment égoïste de solidarité ; celui-là est objectif, supra-égoïste, purement « éthique ». Evidemment, rien ne l’empêche de s’apparenter à un amour semblablement supra-égoïste et purement éthique pour les humains. Mais les deux ne pourraient se présenter simultanément et dans toute leur plénitude que dans l’âme d’êtres supra-animaux ; cette symbiose n’a été que partiellement réalisée par les héros de l’amour – Bouddha, Franciscus Seraphicus, Brezina… » (Ladislav Klima : Traités et Diktats.)

Il  me faut à présent parler des taureaux.

Pourquoi ? Parce qu’à l’heure où un président aficionado et son ministre de la culture s’arrogent le droit de classer « patrimoine culturel immatériel  national » la tauromachie, il me vient aux naseaux du taureau astral que je suis des envies de bouter dans l’arène ces tristes sires, à grands coups de cornes dans le train, histoire de leur faire goûter aux supplices raffinés infligés au roi des prairies. Parce qu’il faut le dire et le répéter, la tauromachie est odieuse tout autant que le sont les abattoirs. Elle l’est même davantage, puisqu’elle se réclame d’une « tradition culturelle » et d’un « art » qui, à le regarder de près, s’apparente assez bien à celui qu’un charcutier hystérique se prenant pour un maître de ballets déploierait à seule fin d’arranger ses viandes. Je crois, il me semble, que c’est à Giscard –grand carnassier devant l’Eternel- qu’on doit l’introduction des corridas avec mise à mort en France. La corrida n’a rien de national (du moins pas celle-là ! la pagaille politique oui !) ; la classer comme telle n’a par conséquent aucun sens. Le spectacle qu’elle offre est d’autant plus affligeant et révoltant, qu’elle accommode cette boucherie à la sauce festive.

Sous les flons-flons, au son des trompettes et des cris déchaînés d’une foule hystérique, torse bombé constellé de passementeries, et cul serré dans le satin, le bourreau, fier comme Artaban, entre en scène « en su traje de luz »…

Qu’on imagine deux secondes cet orgueilleux pantin dans un monde inversé où le taureau tiendrait le rôle du matador, comment qu’ il se mettrait à genoux, le charognard bipède, pour demander grâce ! Il n’est pas sûr d’ailleurs que le taureau daignerait seulement le considérer.

Pour se livrer à l’abattage rituel d’une victime innocente qu’on aura au préalable préparée de manière cruelle de façon à ne lui laisser guère de chance, il n’est point nécessaire d’avoir acquis ses lettres de noblesse sous la mitraille d’un champ de bataille !

Quelle gloire y a-t-il de s’attaquer à un taureau innocent sinon celle de prouver « qu’on a des couilles » et de faire se pâmer les belles ? Et l’animal, quelle chance a-t-il d’encorner le moustique agressif ?

Le taureau ne vient pas se balader comme ça, frai et dispo pour un petit tour de piste dans l’arène, à seule fin de recevoir tout au plus quelques égratignures avant que d’être expédié, ainsi dire en douceur, au paradis de ses congénères !  On l’y pousse et on l’y jette ainsi que Daniel dans la fosse aux lions, arrangé salement aux petits oignons par des sadiques qu’on aurait plaisir à jeter en pâture aux requins. Songer qu’en coulisse, entre autres raffinements, après l’avoir tenu quelque temps dans le noir absolu, on le « travaille » en lui bourrant les naseaux de coton hydrophile qu’on pousse aussi loin qu’on peut ; on lui met de la vaseline ou des liquides vésicants dans les yeux ; on le tabasse à coup de sac de sable ou de planche sur l’échine ; on lui entaille les cornes ; on lui enfonce des aiguilles dans les testicules…

Toutes les associations qui ont enquêté sur ce sujet, dont la Ligue antivivisectionniste de France qui s’occupe de la défense des animaux martyrs, expliquent que c’est à l’assassinat d’une bête moribonde qu’on se livre dans l’arène, une bête épuisée par les hémorragies internes et externes provoquées par la pique du picador et les banderilles.

Ce genre de divertissement qui le dispute aux abattages rituels des chaînes casher ou hallal donne une idée où nous en sommes rendus après des siècles de « civilisation » ! On voit par là combien l’homme est devenu sage ! On pourrait croire, si on était naïf, qu’il a changé depuis les cavernes ! Ah ! mais pas du tout ; il a gardé le goût du sang cet histrion et l’a poussé si fort, en raffinements qu’on n’imagine pas, qu’il en redemande à volonté. Qu’on réveille les combats de gladiateurs comme disait Céline, y aura du monde ! Et quelle différence y a-t-il, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, entre la corrida et un « snuff-movie » ? Les salopards, dans les deux cas, font le même boulot. Je vois pas  de différence entre ces voraces et ceux qui les encouragent.

Et pourtant, il existe des repentis. Je me souviens de la confession d’un matador, entendue un jour à la radio. Cet homme après avoir expédié son comptant de taureau, soudainement et, en quelque sorte touché par la Grâce, s’était jeté -comme Nietzsche au cou du cheval- aux pieds du taureau agonisant, son dernier taureau, en lui demandant pardon et en l’embrassant. Parce qu’il avait lu dans le regard suppliant de cet animal qui mourrait à douleur la question qu’il lui posait : « Que t’ai-je fait ? ». Ainsi avait-il mesuré par-là sa propre condition et sa détresse. Jamais plus cet homme n’était redescendu dans l’arène…

Je suis pas le seul à me révolter sur le sujet, que non ! Parcourez le net, signez les pétitions, osez regarder en face les terribles photos que montrent les sites spécialisés…  Et songez deux secondes qu’il se trouve à l’heure où je vous cause, en France, des petits trous de culs qui s’amusent au « torero » en esquintant des veaux, dans des écoles spécialisées, sous le regard complaisant de leurs salauds de géniteurs… Il se trouve aussi quelques femmes, hélas…

Languedoc, terre des troubadours et de la Chevalerie Amoureuse, quel besoin as-tu d’arroser ta terre du sang des taureaux ? Celui des Cathares, encore frais, te suffit-il pas ?

Je n’écrirai pas au ministre ni au président pour demander la grâce des taureaux, assuré qu’ils n’en on rien à foutre ; je leur souhaite simplement au jour du jugement, comme je le souhaite à tous les tortionnaires et autres aficionados, de s’éveiller dans le noir d’un toril devant que de se voir jeter sans ménagement au mitant d’une arène sanglante, sous les applaudissements de la gent bovine… Juste retour des choses…

«  Il y a toujours pour moi cet aspect bouleversant de l’animal qui ne possède rien, sauf la vie, que si souvent nous lui prenons. » (Marguerite Yourcenar : Souvenirs pieux.)

« Le véritable test moral de l’humanité (le plus radical, qui se situe à un niveau si profond qu’il échappe à notre regard) ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux. Et c’est ici que s’est produite la faillite fondamentale de l’homme, si fondamentale que toutes les autres en découlent. » (Milan Kundera : L’Insoutenable légèreté de l’être.)

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Pour faire part de votre désapprobation au gouvernement, je vous invite à signer la pétition ICI.

Les sites à consulter: CRAC Europe, Blog de Boules de poils, Blog de SOS animaux, Blog de souffrance. Video anti-corridas

On lira, sur certains de ces liens, l'indignation de quelques jeunes internautes révoltés par la façon dont sont traités les animaux sur cette terre; ils le disent avec leur coeur. C'est une note d'espoir dans ce monde de brutes...