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06/02/2011

LE TRIOMPHE DES VANDALES

 

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« Ils entrèrent sous une des rues couvertes, entre le pavillon de la marée et le pavillon de la volaille. Florent levait les yeux, regardait la haute voûte, dont les boiseries intérieures luisaient, entre les dentelles noires des charpentes de fonte. Quand il déboucha dans la grande rue du milieu, il songea à quelque ville étrange, avec ses quartiers distincts, ses faubourgs, ses villages, ses promenades et ses routes, ses places et ses carrefours, mise tout entière sous un hangar, un jour de pluie, par quelque caprice gigantesque. L’ombre, sommeillant dans les creux des toitures, multipliait la forêt des piliers, élargissait à l’infini les nervures délicates, les galeries découpées, les persiennes transparentes ; et c’était, au-dessus de la ville, jusqu’au fond des ténèbres, toute une végétation, toute une floraison, monstrueux épanouissement de métal, dont les tiges qui montaient en fusée, les branches qui se tordaient et se nouaient, couvraient un monde avec les légèretés de feuillage d’une futaie séculaire. »


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C’est comme ça que j’ai découvert les halles dans les premières pages du « Ventre de Paris », ensuite, je suis allé les voir pour en saisir l’esprit, sur le fil, juste avant qu’elles ne soient démolies.

Emile Zola fit paraître son livre en 1873, trois ans après l’achèvement des pavillons Baltard (édifiés entre 1854 et 1870), et curieusement, cent ans avant la démolition de leurs derniers témoins, en 1973… Ces chefs d’œuvre du Second Empire, esquissés par la main même de Napoléon III, auront traversé leur siècle et trois ans ; et sur ce point, il y a fort à parier que c’est un record auquel ne saurait prétendre l’ignoble « forum » qui a pris leur place. Néanmoins, cette faute architecturale et urbaine qualifiée de « forum » (c’est un comble !) qui le dispute à la tour Montparnasse, à la Défense et à nombre d’autres réalisations ponctuelles intra-muros, confirme et précise s’il est besoin le triomphe des vandales et signe en même temps la faillite d’un siècle qui ne sait plus rien élever de durable et de grand en dehors des grands ouvrages de travaux publics. Nous sommes sur ce point, un certain nombre à partager cet avis, et c’est d’ailleurs pourquoi j’emprunte le titre de cette note à Anne PONS qui publia dans l’Express du 17 novembre 1994 un article sur le vandalisme architectural à la faveur de la reprise de l’ouvrage incontournable de Louis Réau : « Histoire du vandalisme » (Collection « Bouquins », éditions Robert Laffont).

 

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Cette somme difficile à trouver est épuisée. Elle était d’autant plus intéressante qu’elle avait été augmentée par Michel FLEURY d’une mise à jour couvrant le trentenaire 1960-1990, autrement dit, celui des grandes catastrophes ; entendez par là des grandes commandes de l’Etat, lesquelles ne sont en réalité rien d’autre que le « fait du prince ». Enfin « prince » est un bien grand mot pour ces présidents que nous supportâmes et dont on connaît la sensibilité, la culture et le goût sous la Ve République ! Il suffit de fouiller un peu : Pompidou, Mitterrand, Chirac ? Une trilogie de béotiens en matière architecturale, et leurs conseillers itou. Pernicieux trio qui aura sacrifié Paris au snobisme de la jet society et de ses épigones…

Les deux premiers, par ailleurs excellents érudits littéraires, auraient été mieux inspirés s’ils avaient écouté sur le chapitre de l’architecture les hommes de l’art ; c’est-à-dire des Beaux Arts, des palais et des monuments nationaux, les architectes du patrimoine et les historiens, plutôt que de s’en remettre à leur jugement personnel et à leur inspiration du moment. Ligotés par l’exigence de modernité à laquelle ils avaient souscrit tête baissée, il fallait qu’ils laissassent à n’importe quel prix derrière eux n’importe quoi.

 

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Autant ne rien dire du troisième qui, trouvant le forum à son goût (rien d’étonnant) exigea qu’on y ajoutât de surcroît les hideuses  « girolles » qu’on sait. Rappelons, pour ceux qui l’auraient oublié qu’il fut maire de Paris et que, comme tel, à la fin de son mandat, il fut accouché d’un successeur qui trace aujourd’hui dans son sillage et aurait mieux fait d’aller chercher ses lettres de noblesse dans un salon de coiffure, plutôt que de les attendre sur le premier fauteuil de la mairie de Paris ! Ce sont ces gens-là et leur prétentieuse clique qui effacent d’un caprice et sans états d’âme un ou plusieurs siècles d’histoire et de mémoire patrimoniale nationale. Ne l’oublions pas. Paradoxalement et dans le même temps, ce sont les mêmes qui s’attachent à l’anecdotique, au rafistolage, au « pittoresque » dont sont friands les bobos. Sous le prétexte de rendre la ville au piéton, ils la truffent d’artifices et de gadgets aussi coûteux qu’inutiles qui en complexifient à outrance le fonctionnement. Dérogeant aux règles de base de la composition urbaine et des proportions, ils introduisent des « objets phares » là où ils n’ont pas leur place et où il eut été préférable de composer dans la continuité. Ce que n’ignoraient pas les urbanistes, les architectes et les ingénieurs de la vieille école.

Quand on leur avance qu’il faut conserver l’âme et le caractère de la ville, ils nous rétorquent qu’on ne va pas se mettre à la transformer en musée ; mais ce sont eux précisément, qui s’y livrent à leur manière en nous le reprochant ! Ils en font un mauvais musée qu’il traitent à la façon de la conception qu’ils se font de la chose (et sur ce point, je ne puis que déplorer la « grande pitié » des musées de France et la transformation malheureuse de la plupart d’entre eux ; j’aurai, je pense l’occasion de l’évoquer dans une prochaine note).

Qu’une ville évolue, quoi de plus naturel ? Après tout, la « cité » se comporte comme un organisme vivant, comme un arbre qui perd ses branches ou un oiseau qui perd ses plumes pour en voir pousser de nouvelles. Mais la charpente demeure, c’est l’habit qui se renouvelle, et lui seul. Ce que, pour ma part, je reproche aux « vandales » qui sévissent depuis plus de quarante ans dans le domaine de la construction en général, c’est de bafouer les règles classiques de la composition. C’est de vouloir s’imposer par le gigantisme, le tape à l’œil, les prouesses que permet la technique, l’extraordinaire par ailleurs qualifié de « génial » ; c’est de surfer uniquement dans le sillage de « lard » contemporain en « métissant » la ville à leur façon, qui s’inscrit dans la logique du village people et du mélange des genres.

Autant qu’on puisse en juger à ne considérer que la seule capitale, les transformations qu’elle a connues au cours des siècles et les grands travaux qui souvent l’ont embellie, loin de l’affecter, en ont plutôt rehaussé le caractère.

 

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C’est si vrai que ce qu’on retient de Paris c’est avant tout ses monuments classiques, ses grands boulevards, ses places et ses perspectives. Cela s’est fait au fil des ans au détriment de l’habitat civil médiéval et autres sacrifices de constructions sans doute de caractère. Il est certain que le baron Haussmann, en taillant dans la densité du tissu urbain, a dû abattre plus d’un édifice de qualité… Mais à la différence de ce qu’on peut reprocher aujourd’hui à la Défense et à bien d’autres secteurs de « rénovation » où sévissent les promoteurs, c’est qu’Haussmann, lui, a conçu son projet dans la cohérence, dans l’harmonie et la continuité. Ce qu’a fait Auguste Perret de son côté en reconstruisant le Havre détruite par les bombardements. On ne peut pas dire la même chose du quartier Montparnasse, sacrifié au gigantisme d’une tour qui n’a rien à y faire, ou de la Défense, qu’il ne me viendrait même pas à l’idée de traverser à pied ! ou des nombreux îlots défigurés du XIVe arrondissement.

Ce qui m’étonne dans tout ça, c’est qu’il ne se soit pas trouvé davantage d’opposants à ces projets barbares destinés d’ailleurs aux nouveaux barbares que sont les grands racketteurs du siècle toutes espèces confondues.

Dans son article, Anne Pons, qui a dû lire attentivement Michel Fleury retient que la Ve République prend le relais du vandalisme antérieur : « Les principales villes françaises sont dépouillées de leur manteau de pierre au profit des HLM et des grandes surfaces. Le forum des halles confond par sa laideur les démolisseurs de l’œuvre de Baltard. »

Il était évident qu’il fallait libérer le cœur de Paris d’un marché qui n’y avait plus sa place ; cette décision, ne serait-ce qu’ en raison de la salubrité publique, s’imposait et il ne serait venu à personne l’idée de la contester. Fallait il pour autant s’acharner à démolir l’œuvre de Baltard ? Assurément pas ; d’abord parce qu’elle pouvait prétendre à juste titre à l’inscription ou au classement au titre des monuments historiques, ensuite parce qu’elle était l’un des plus prestigieux témoin de l’architecture de métal du Second Empire, enfin parce qu’elle avait le mérite d’exister toute traversée qu’elle était de courants d’air, et par conséquent, de pouvoir faire l’objet d’une réhabilitation.

 

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Faire ce choix qui malheureusement n’a pas été fait, aurait permis de garder au quartier son caractère et sa population. Qu’est-ce qui empêchait en effet de regrouper sous une partie des pavillons Baltard le marché aux fleurs ? Qu’est-ce qui empêchait de trouver sous les autres des espaces culturels ? ou d’en faire la vitrine permanente de la gastronomie française où brasseries et restaurants eussent proposés les produits des terroirs ? Non seulement on n’aurait pas défiguré comme on l’a fait le quartier Saint-Eustache, mais on eut à coup sûr fait l’économie des dispendieux aménagements que l’on sait, qui ne sont jamais qu’un fiasco que l’on envisage aujourd’hui de revisiter dans le même esprit ! Autrement dit : on persiste et signe…

 

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Il n’est d’ailleurs pas innocent (c’est le cas de le dire, pauvre fontaine !) que l’on ait édifié autour d’un trou, des structures incohérentes drainant chaque seconde dans l’antre de la Gorgone leur noria de con-sommateurs. Non, il n’est pas innocent que ce quartier historique soit devenu le dépotoir d’une société moribonde rendue à son terme, où des cars de police surveillent les derniers vestiges de ce qui reste des vieilles halles : ses colonies de rats qui tous, n’ont pas gagné Rungis…

Il s’est trouvé une ville toutefois, Nogent-sur-Marne, et c’est à son honneur, pour avoir sauvé en 1972 le pavillon numéro 8 sous lequel se tenait le marché aux œufs et à la volaille, et l’avoir reconstruit et adapté en 1976 à sa nouvelle destination d’espace culturel polyvalent.

 

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Dans l’esprit des pavillons Baltard, il reste encore dans quelques capitales régionales de magnifiques halles à structure métallique, édifiées à la même époque. On remarquera particulièrement celles de Limoges, restaurées dans les règles de l’art et sous lesquelles le marché quotidien continue tous les matins son activité.

 

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Bien entendu ce qui est vrai pour la transformation malheureuse de Paris, en dépit de quelques projets réussis, l’est aussi pour les autres villes tant le processus de dégradation s’est propagé à la vitesse d’une traînée de poudre. Nous en connaissons les causes qui toutes, expriment la métamorphose d’une société dépourvue de sens. S’il n’y a plus de grands projets dignes de ce nom c’est parce qu’il n’y a plus d’esprit pour les concevoir ni de volonté pour les porter ; n’élève pas qui veut l’Arc de Triomphe, les Invalides ou le Trocadéro.

Dans le jardin des Tuileries, où veillent les statues félines d'Auguste Caïn, je me surprends encore, toutes les fois que je leur rends visite à leur murmurer à l’oreille : « Réveillez- vous, mignonnes et chassez l’intrus… »

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A consulter: Baltard, les halles de Paris, 1853-1973, textes de Patrice de Moncan et Maxime Du Camp, les Editions du Mécène, 2010

 

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27/01/2011

BULLETIN CELINIEN

Bulletin célinien N° 326

 

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C’est la photographie de Céline donnant lecture de son discours en hommage à Zola qui illustre la couverture du premier bulletin de l’ année 2011. Elle m’incite à vous livrer quelques extraits « prophétiques » de ce texte lu par son auteur le 1e octobre 1933 à Médan. Comme le rappellent les Cahiers de l’Herne, ces pages furent publiées en 1936 par Robert Denoël dans sa plaquette « Apologie de Mort à Crédit » :

« Quand nous serons devenus moraux tout à fait au sens où nos civilisations l’entendent et le désirent et bientôt l’exigeront, je crois que nous finirons par éclater tout à fait aussi de méchanceté. On ne nous aura laissé pour nous distraire que l’instinct de destruction. C’est lui qu’on cultive dès l’école et qu’on entretient tout au long de ce qu’on intitule encore : la vie. Neuf lignes de crimes, une d’ennui. Nous périrons tous en chœur, avec plaisir en somme, dans un monde que nous aurons mis cinquante siècles à barbeler de contraintes et d’angoisses.

… La rue des Hommes est à sens unique, la mort tient tous les cafés, c’est la belote « au sang » qui nous attire et nous garde. »

Ce 326e numéro du bulletin est aussi celui de son trentième anniversaire ; Marc LAUDELOUT s’en félicite d’autant mieux que cette année 2011 (cinquantenaire de la mort de Céline), verra paraître le « D’un Céline l’autre », de David ALLIOT, attendu dans la collection « Bouquins », chez Robert Laffont. Jean-Paul LOUIS, Eric MAZET et Gaël RICHARD livreront de leur côté un « Dictionnaire de la correspondance de Céline » qui sortira des presses du Lérot. Enfin Alain de BENOIST, Arina ISTRATOVA et Marc LAUDELOUT signeront « Tout Céline », recueil regroupant « Bibliographie-Filmographie-Phonographie-Internet ». Tous les amateurs de Céline se réjouiront de ces publications annoncées qui certainement feront date.

Sans préjuger de son contenu, il y a des chances pour que le prochain bulletin se penche sur la récente « Célébration » dont les médias, récemment, se firent l’écho.  Henri GODARD, dans sa note : « Doit-on célébrer Céline » en évoquant la calamité du siècle que furent ces deux guerres épouvantables (1914-1918 et 1939-1945) pose la question de savoir « Quelle autre œuvre, dans la littérature mondiale, est autant que celle-ci à la hauteur de ce moment de l’histoire ? Sous ce double aspect, de styliste et de romancier capable de donner un visage à son époque, Céline, cinquante ans après sa mort, émerge comme un des grands créateurs de son temps. » Cela n’aura pas suffi toutefois pour « l’honorer », on connaît la suite… (cf billet précédent sur ce blog).

Les Editions du Lérot nous livrent dans une facture irréprochable (comme chaque fois),  le remarquable ouvrage de Gaël RICHARD : « Le procès de Céline ». Ce travail, dont l’auteur lui-même précise le contenu dans ce n° 326, force l’admiration par la façon dont il traite le sujet : tout a été fouillé, passé au peigne fin avec la rigueur de l’historien et l’intérêt du célinien averti. Pouvait-on faire mieux ? J’en doute. Certes, ce n’est pas une lecture de tout repos et cela fait tout de même 334 pages ! mais il faut s’y aventurer et aller jusqu’au bout pour comprendre quel rôle, chacun des protagonistes à joué dans cette malheureuse « affaire ».

A l’éloge qu’il fait de Gaël Richard (également auteur du « Dictionnaire des personnages dans l’œuvre romanesque de Céline »), l’éditorialiste associe à juste titre « Jean-Paul Louis, lui-même éditeur (toujours au sens editor) de nombreuses correspondances de Céline (dont celles à Albert Paraz et à Marie Canavaggia, et la moitié de « Lettres » ; le dernier volume de la Pléiade). Quel autre imprimeur-éditeur eût été partant pour se lancer dans l’édition de travaux scientifiques de cette ampleur ? »

On lira dans cette livraison du BC une note de Benoît LE ROUX sur les derniers mots de Brasillach sur Céline ainsi que la suite de l’étude de Laurie VIALA intitulée « Illustrer le texte célinien ». Cette fois-ci il s’agit pour l’auteur, non pas de juger, mais de savoir ce que le trait de Tardi apporte ou enlève aux trois romans qu’il a illustrés (le premier, le Voyage, parus chez Futuropolis/Gallimard en 1988). Et d’abord, Laurie Viala, arguant du procédé « publicitaire » craint qu’en illustrant un texte, en le privant en partie de son contenu, du moins en « nettoyant » les visualisations mentales, on nous empêche de rêver: « L’illustration serait donc véritablement une prise en otage. Le lecteur est privé de sa liberté de rêver, de figurer, bref de créer. »

Sans pour autant dédouaner le texte, elle note plus loin que ce dernier, de son côté, exerce sur le lecteur un pouvoir tout aussi tyrannique que l’image. Voire… Pour ma part je ne me suis jamais senti véritablement colonisé par l’un ou l’autre aussi loin que remonte le souvenir de mes premières lectures tant je trouvais que les illustrations des Fables de la Fontaine par Granville ou celles des œuvres de la Comtesse de Ségur collaient avec leur support. Mieux, elles ne m’ont jamais empêché de rêver, au contraire ! Ainsi des dessins de Tardi que je trouve somme toute bien « céliniens ». Le rêve, c’est en chacun de nous notre « part d’ombre » (je reviendrai sur le sujet dans un prochain billet) et s’il est des ombres suggestives, c’est bien celles des dessins de Tardi qui a volontairement employé le noir et blanc. Imagine-t-on les mêmes illustrations en couleur ? Il y est souvent question de la mort, mais elle est plutôt « guillerette » à la façon des squelettes des danses macabres du Moyen Age : ainsi des petits macchabées qui planent dans leurs barques au-dessus de la Seine. Et la vieille Henrouille n’en est pas loin de cet état, et si je l’avais dessinée je ne l’aurais pas vue autrement que ne l’a vue Tardi. Quand elle se déchaîne, c’est un régal : « Il est là-haut, il est sur son lit l’assassin ! Il l’a même bien sali son lit, hein garce ? Bien sali ton sale matelas et avec son sang de cochon ! Et pas avec le mien ! »

 

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Mais peut-être après tout Tardi n’a-t-il vu dans l’œuvre célinienne que du noir ?

Où je rejoins Laurie Viala c’est lorsqu’elle écrit : « …l’œuvre entière de Céline est fondée sur le refus du temps qui passe, sur le reniement de la mort, sur la résistance à la méchanceté, à la bêtise des hommes et à la sienne propre ». C’est par là en effet qu’il est « raffiné », comme il se plaisait à le dire ; un saint-bernard, plutôt qu’un pékinois hargneux ( et je songe à la métaphore de Nimier) qui vous mord en traître le mollet…

Quant à savoir si Tardi plagie ou non Céline, quelle importance ? Après tout, qui ne plagie par « l’autre », dès l’instant ou il prend la plume pour écrire ou dessiner ? On s’inspire toujours de quelqu’un, forcément. Tout n’a-t-il pas déjà été dit ? (Et Céline ajouterait : « une fois pour toutes ! »). Ça n’a pas beaucoup d’importance, non ; ce qui compte, c’est la façon dont on le dit. Et ça, c’est une autre affaire ! Nous savons ce que Céline pensait des « à la manière de »…

A ce propos, je ne voudrais pas oublier la citation du mois en deuxième de couverture. Elle est de Philippe VILAIN et me paraît opportune : « Pourquoi , en littérature, parle-t-on toujours « d’invention », de « modernité » pour caractériser une langue qui s’éloigne le plus de la maîtrise, de la clarté, du sensé ? Pourquoi tant d’indulgence envers l’oralitécrite, ce prêt-à-écrire réclamant si peu d’exigence ? »

Et oui, on oublie un peu trop souvent que Céline, nourri des classiques, travaillait son style, revenait sans cesse sur l’ouvrage, polissait et polissait son marbre, posé sur un piédestal et des fondations telles qu’il n’est pas prêt de s’écrouler ! C’était du temps où la littérature était encore un art. On ne demande plus aux architectes d’aujourd’hui d’être des prix de Rome, n’est-ce-pas ? Voyez le résultat…

Pour terminer cette présentation Matthias GADRET et l’éditorialiste font le bilan de l’année passée riche en événements et publications que nous espérons tout aussi fructueux en 2011.