28/12/2011
IN MEMORIAM ALEXANDRE VIALATTE
Saluons avec Alexandre VIALATTE les derniers jours de l’année.
Lui, tellement attentif au calendrier, aurait, n’en doutons pas, s’il l’avait pu, soufflé en 2011 les quarante bougies de l’ anniversaire de sa propre mort survenue le 3 mai 1971. Ç’aurait été assez dans sa manière ! Il nous eut mijoté à cette occasion quelque petit fricot bien assaisonné dont il avait le secret. C’est par sa façon de trousser le verbe, d’orchestrer le vocabulaire et de l’arranger à sa sauce que Vialatte est unique. Et c’est parce qu’il n’a jamais écrit que du Vialatte —comme le note si bien Denis Wetterwald— qu’il ne faut pas oublier celui qui n’a eu de cesse de passer l’homme au crible, de le chercher comme Diogène au faisceau de sa lanterne, de l’observer, comme Henri Fabre, en entomologiste averti. Car l’Homme est surprenant —l’Homme de Vialatte du moins— qui ressemble comme un frère à celui de Chaval. Surprenant et imprévisible. Toujours le même et sans cesse renouvelé, ce bipède, plus ou moins conscient, est enflé de lui-même à peu près autant que le crapaud-buffle ou le poisson-lune. Voilà pourquoi Vialatte n’a eu de cesse de s’intéresser à lui, couronnement de son bestiaire.
C’est par les dernières nouvelles qu’il nous donne de l’Homme, que Julliard a entrepris l’édition de ses « Chroniques » en 1978. Ce premier volume (Alexandre Vialatte : Dernières nouvelles de l’Homme. Préface de Jacques Laurent), devait être suivi de treize autres dont le dernier « Pas de H pour Natalie », fut édité en 1995.
Aujourd’hui, l’intégralité des Chroniques, est disponible en deux tomes, dans la collection « Bouquins », aux éditions Robert Laffont.
Les ouvrages des éditions Julliard ont tous été préfacés par des admirateurs de Vialatte dont chacun, à sa manière, a dit le bien qu’il en pensait :
Jacques LAURENT : « Le drôle est, pour Vialatte, une matière et un moyen grâce auxquels il parvient à tout, au néant comme au rire. Ce n’est pas dans les situations qu’il le trouve, ce drôle, c’est dans les mots. »
Jacques PERRET : « Dire que Vialatte a plus d’un tour dans son sac et en rester là est d’un esprit bien léger. Ne parlons même pas de procédé, on le prendrait en mauvaise part, mais plutôt de ressources. Il va de ressource en ressource, l’une sortant de l’autre comme un effet de pyrotechnie, et ses jeux de mots ne sont jamais gratuits. »
Pierre DANINOS : « Avec Vialatte, c’est du gâteau. On peut le prendre en long, en large et en travers, goulûment ou par petites gorgées, il a si souvent raison que c’est accablant. »
Jean DUTOURD : « L’éminente fonction de l’artiste (ou de Dieu) est de mettre de l’ordre. C’est ce qu’a fait Vialatte toute sa vie. Il a ordonné le chaos. Du marché aux puces, il a fait le British Museum. Je ne sais pourquoi, je me l’imagine toujours vêtu d’une blouse grise, comme un épicier, et monté sur un escabeau, rangeant soigneusement son butin sur des rayonnages dans une boutique enchantée à l’enseigne des « Fruits du Congo, épicerie métaphysique ».
Gabrielle ROLIN : « Si Marcel (Aymé) est plus sobre et plus aigu, Alexandre plus tendre et plus candide, ils appartiennent tous deux à la même famille, celle des humanistes aigres-doux qui posent sur le genre humain un regard sans illusion. Ils ne lui accordent qu’une circonstance atténuante : il n’a pas atteint, il n’atteindra jamais l’âge de raison. »
René de OBALDIA : « Est-il besoin de souligner que, sous la légèreté, voire l’incongruité du propos, l’auteur délivre de graves et cruelles vérités ? C’est qu’il est aussi un moraliste. Pointes sèches, acérées ; regard fraternel, mais aussi lucide et inquiet sur l’homme et les mœurs de son temps. »
Ferny BESSON : « L’émerveillement est la clef de tout ce qui intéresse ou émeut Alexandre Vialatte. L’émerveillement est la clef de tout ce qu’il écrit.
S’il nous étonne toujours, c’est qu’il est sans cesse étonné. Il ne s’est jamais croisé que pour l’enthousiasme. Le mal le bouleverse. L’énigme l’inquiète. La beauté le fascine. »
François TAILLANDIER : « Cette œuvre —c’est de plus en plus évident à mesure que paraissent de nouveaux recueils— constitue en définitive une description complète du monde, ni plus ni moins. »
Denis WETTERWALD : « Vialatte ne ressemble qu’à lui-même. Vialatte écrit comme Vialatte. Vialatte fait du Vialatte. Il le fait si bien qu’il en arrive à ne plus se ressembler. Il surprend son lecteur en se surprenant lui-même. Son écriture est d’une superbe simplicité. De celle qu’on atteint après un long travail. »
Claude DUNETON : « Vialatte écrit avec un violon sous les doigts. Il a la nostalgie énormément musicale ; son écriture est mue par un balancement qui ressemble au hochement de l’esprit qui se souvient — et toujours il glisse le détail qui vous prend le cœur. »
Tous ceux qui fréquentent et on fréquenté Vialatte, ce grand amateur de loups, s’accordent à reconnaître qu’on ne s’ennuie pas à lire ses chroniques ; on y vient et on y revient sans se lasser tant nous grise et nous charme la façon dont il les tourne. On en sort comme d’un rêve, où les homards seraient des insectes bizarres…
Ses Chroniques, j’aime à croire que les fidèles lecteurs de la Montagne les attendaient impatiemment au coin du feu où sous le tilleul en vertu des saisons qu’il savait si bien surprendre, lui, l’Auvergnat du XIIIe arrondissement.
Livradois, quelque part, entre les Bois Noirs et Le Monestier...
Voici celle du Capricorne, tirée du recueil : « Les champignons du détroit de Behring »
« L’année tire sur sa fin, pourquoi ne pas le reconnaître ? Il serait injuste de ne pas le dire, elle a été mauvaise, mais elle tire sur sa fin. Les joyeux hommes de la fin de l’année s’apprêtent à l’enterrer la nuit de la Saint-Sylvestre en chantant mille chansons bachiques et en mangeant dans d’immenses restaurants toutes sortes de viandes en sauce, de fruits de la mer, de jambon blanc, de jambon de Bayonne, de Parme et même des Pyrénées. De grandes roues de Coulommiers. Des camemberts épais. Des hures de sangliers hirsutes ; des têtes de veaux qui baissent les yeux modestement. A l’aube ils voient l’année nouvelle s’élever à travers une vapeur. A l’aurore ils jonchent les trottoirs. Beaucoup plus tard, comme M. Pickwick, ils se réveillent au bord d’un fleuve, dans une brouette ; ou dans leur lit ; en disant « Vin blanc » ; au milieu d’une famille inquiète armée de tisanes et de cuvettes émaillées, de brocs d’eau chaude et de récipients en plastique bleu. Au Texas on reçoit M. Erhard. On a fait cuire des bœufs dans des fosses de deux mètres ; avec les cornes et les sabots enveloppés dans des toiles humides ; c’est la nourriture du cow-boy ; on les mange tout entiers en commençant par l’œil ; on a doré les cornes ; on distille les sabots ; on en tire une liqueur puissante qui coupe le souffle aux natures chétives, console le veuf et fortifie les orphelins. Des rouliers aux épaules énormes apportent dans de grandes voitures des gâteaux bavarois arrosés de chocolat ; grands comme un homme ; pour quatre cents invités. Car il y a quatre cents invités. Eclairés d’une lueur tremblante par des lanternes à la flamme jaune.
En même temps il se passe dans le ciel et sur la terre des choses immenses et solennelles. Le grain se prépare à germer dans les ténèbres de la glèbe. Le soleil, passant au solstice (minuit de l’année), entre dans le signe du Capricorne. Le Capricorne est un monstre éminent, moitié chèvre et moitié poisson, alors qu’on ne voit dans la nature que peu de poissons qui aient des cornes de chèvres, et peu de chèvres à queue de poisson. La chose n’arriva qu’au dieu Pan qui, pour échapper à Typhon, dut se réfugier dans une rivière, émergeant sous l’aspect d’une chèvre et s’immergeant sous l’aspect d’un poisson. Aussi les gens qui naissent sous ce signe nagent-ils comme des poissons et grimpent-ils comme des chèvres, à moins qu’ils ne nagent comme des chèvres et qu’ils ne grimpent comme des poissons. Ils ont de plus, assurent les astrologues, les traits tirés, le visage caverneux, le teint livide, le caractère amère et glacé. Ainsi les poètes saturniens : anguleux comme la chèvre et froids comme le poisson. Le froid les habite, les conditionne. Leurs problèmes sont ceux de « l’amour froid ». Ils préfèrent les boissons glacées, et ressemblent en gros au musicien Gossec, à Charles Quint et au maréchal Joffre. A table, ils redemandent du veau froid. Telles sont les choses épouvantables qui se passent à la fin de l’année. Car tout finit, même les calamités. Elles sont remplacées par des pires.
On s’est demandé, non sans raison, d’où pouvait venir le Capricorne. Il descend de la chèvre Amalthée, qui fut nourrice de Jupiter, par Egipan, qui fut le fils de Jupiter et de sa nourrice. De tels désordres font frémir. Mais on sait que Jupiter était le fils de Chronos qui dévorait ses enfants en bas âge de peur d’être remplacé par eux. Sa femme, Rhéa, pour sauver Jupiter, le remplaça par une pierre enveloppée dans des langes que Chronos avala dans sa gloutonnerie sans se douter de la moindre des choses. Jupiter fut élevé en secret, nourri par la chèvre Amalthée, battit son père et le détrôna. Chronos, complètement écoeuré, se retira en Italie où il administra le pays avec Janus et fit régner la plus grande abondance. Ce fut l’Age d’Or, qui dora pour jamais la mémoire de l’humanité. La récession ne vint que par la suite.
Cette histoire prouve que, quand les choses vont mal, il faut aller en Italie et y faire régner l’abondance.
Telle est la leçon du Capricorne.
Et c’est ainsi qu’Allah est grand. »
Alexandre Vialatte ou la gravité de Battling le Ténébreux...
On consultera ICI le site de l'Association des Amis d'Alexandre Vialatte.
16:20 Publié dans notes de lecture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vialatte, chronique, capricorne, livradois, homard, amalthée, jupiter, chronos, saint sylvestre, behring, natalie, le monestier, montagne, auvergnat, duneton, wetterwald, taillandier, besson, obaldia, rolin, daninos, perret, laurent
06/02/2011
LE TRIOMPHE DES VANDALES
« Ils entrèrent sous une des rues couvertes, entre le pavillon de la marée et le pavillon de la volaille. Florent levait les yeux, regardait la haute voûte, dont les boiseries intérieures luisaient, entre les dentelles noires des charpentes de fonte. Quand il déboucha dans la grande rue du milieu, il songea à quelque ville étrange, avec ses quartiers distincts, ses faubourgs, ses villages, ses promenades et ses routes, ses places et ses carrefours, mise tout entière sous un hangar, un jour de pluie, par quelque caprice gigantesque. L’ombre, sommeillant dans les creux des toitures, multipliait la forêt des piliers, élargissait à l’infini les nervures délicates, les galeries découpées, les persiennes transparentes ; et c’était, au-dessus de la ville, jusqu’au fond des ténèbres, toute une végétation, toute une floraison, monstrueux épanouissement de métal, dont les tiges qui montaient en fusée, les branches qui se tordaient et se nouaient, couvraient un monde avec les légèretés de feuillage d’une futaie séculaire. »
C’est comme ça que j’ai découvert les halles dans les premières pages du « Ventre de Paris », ensuite, je suis allé les voir pour en saisir l’esprit, sur le fil, juste avant qu’elles ne soient démolies.
Emile Zola fit paraître son livre en 1873, trois ans après l’achèvement des pavillons Baltard (édifiés entre 1854 et 1870), et curieusement, cent ans avant la démolition de leurs derniers témoins, en 1973… Ces chefs d’œuvre du Second Empire, esquissés par la main même de Napoléon III, auront traversé leur siècle et trois ans ; et sur ce point, il y a fort à parier que c’est un record auquel ne saurait prétendre l’ignoble « forum » qui a pris leur place. Néanmoins, cette faute architecturale et urbaine qualifiée de « forum » (c’est un comble !) qui le dispute à la tour Montparnasse, à la Défense et à nombre d’autres réalisations ponctuelles intra-muros, confirme et précise s’il est besoin le triomphe des vandales et signe en même temps la faillite d’un siècle qui ne sait plus rien élever de durable et de grand en dehors des grands ouvrages de travaux publics. Nous sommes sur ce point, un certain nombre à partager cet avis, et c’est d’ailleurs pourquoi j’emprunte le titre de cette note à Anne PONS qui publia dans l’Express du 17 novembre 1994 un article sur le vandalisme architectural à la faveur de la reprise de l’ouvrage incontournable de Louis Réau : « Histoire du vandalisme » (Collection « Bouquins », éditions Robert Laffont).
Cette somme difficile à trouver est épuisée. Elle était d’autant plus intéressante qu’elle avait été augmentée par Michel FLEURY d’une mise à jour couvrant le trentenaire 1960-1990, autrement dit, celui des grandes catastrophes ; entendez par là des grandes commandes de l’Etat, lesquelles ne sont en réalité rien d’autre que le « fait du prince ». Enfin « prince » est un bien grand mot pour ces présidents que nous supportâmes et dont on connaît la sensibilité, la culture et le goût sous la Ve République ! Il suffit de fouiller un peu : Pompidou, Mitterrand, Chirac ? Une trilogie de béotiens en matière architecturale, et leurs conseillers itou. Pernicieux trio qui aura sacrifié Paris au snobisme de la jet society et de ses épigones…
Les deux premiers, par ailleurs excellents érudits littéraires, auraient été mieux inspirés s’ils avaient écouté sur le chapitre de l’architecture les hommes de l’art ; c’est-à-dire des Beaux Arts, des palais et des monuments nationaux, les architectes du patrimoine et les historiens, plutôt que de s’en remettre à leur jugement personnel et à leur inspiration du moment. Ligotés par l’exigence de modernité à laquelle ils avaient souscrit tête baissée, il fallait qu’ils laissassent à n’importe quel prix derrière eux n’importe quoi.
Autant ne rien dire du troisième qui, trouvant le forum à son goût (rien d’étonnant) exigea qu’on y ajoutât de surcroît les hideuses « girolles » qu’on sait. Rappelons, pour ceux qui l’auraient oublié qu’il fut maire de Paris et que, comme tel, à la fin de son mandat, il fut accouché d’un successeur qui trace aujourd’hui dans son sillage et aurait mieux fait d’aller chercher ses lettres de noblesse dans un salon de coiffure, plutôt que de les attendre sur le premier fauteuil de la mairie de Paris ! Ce sont ces gens-là et leur prétentieuse clique qui effacent d’un caprice et sans états d’âme un ou plusieurs siècles d’histoire et de mémoire patrimoniale nationale. Ne l’oublions pas. Paradoxalement et dans le même temps, ce sont les mêmes qui s’attachent à l’anecdotique, au rafistolage, au « pittoresque » dont sont friands les bobos. Sous le prétexte de rendre la ville au piéton, ils la truffent d’artifices et de gadgets aussi coûteux qu’inutiles qui en complexifient à outrance le fonctionnement. Dérogeant aux règles de base de la composition urbaine et des proportions, ils introduisent des « objets phares » là où ils n’ont pas leur place et où il eut été préférable de composer dans la continuité. Ce que n’ignoraient pas les urbanistes, les architectes et les ingénieurs de la vieille école.
Quand on leur avance qu’il faut conserver l’âme et le caractère de la ville, ils nous rétorquent qu’on ne va pas se mettre à la transformer en musée ; mais ce sont eux précisément, qui s’y livrent à leur manière en nous le reprochant ! Ils en font un mauvais musée qu’il traitent à la façon de la conception qu’ils se font de la chose (et sur ce point, je ne puis que déplorer la « grande pitié » des musées de France et la transformation malheureuse de la plupart d’entre eux ; j’aurai, je pense l’occasion de l’évoquer dans une prochaine note).
Qu’une ville évolue, quoi de plus naturel ? Après tout, la « cité » se comporte comme un organisme vivant, comme un arbre qui perd ses branches ou un oiseau qui perd ses plumes pour en voir pousser de nouvelles. Mais la charpente demeure, c’est l’habit qui se renouvelle, et lui seul. Ce que, pour ma part, je reproche aux « vandales » qui sévissent depuis plus de quarante ans dans le domaine de la construction en général, c’est de bafouer les règles classiques de la composition. C’est de vouloir s’imposer par le gigantisme, le tape à l’œil, les prouesses que permet la technique, l’extraordinaire par ailleurs qualifié de « génial » ; c’est de surfer uniquement dans le sillage de « lard » contemporain en « métissant » la ville à leur façon, qui s’inscrit dans la logique du village people et du mélange des genres.
Autant qu’on puisse en juger à ne considérer que la seule capitale, les transformations qu’elle a connues au cours des siècles et les grands travaux qui souvent l’ont embellie, loin de l’affecter, en ont plutôt rehaussé le caractère.
C’est si vrai que ce qu’on retient de Paris c’est avant tout ses monuments classiques, ses grands boulevards, ses places et ses perspectives. Cela s’est fait au fil des ans au détriment de l’habitat civil médiéval et autres sacrifices de constructions sans doute de caractère. Il est certain que le baron Haussmann, en taillant dans la densité du tissu urbain, a dû abattre plus d’un édifice de qualité… Mais à la différence de ce qu’on peut reprocher aujourd’hui à la Défense et à bien d’autres secteurs de « rénovation » où sévissent les promoteurs, c’est qu’Haussmann, lui, a conçu son projet dans la cohérence, dans l’harmonie et la continuité. Ce qu’a fait Auguste Perret de son côté en reconstruisant le Havre détruite par les bombardements. On ne peut pas dire la même chose du quartier Montparnasse, sacrifié au gigantisme d’une tour qui n’a rien à y faire, ou de la Défense, qu’il ne me viendrait même pas à l’idée de traverser à pied ! ou des nombreux îlots défigurés du XIVe arrondissement.
Ce qui m’étonne dans tout ça, c’est qu’il ne se soit pas trouvé davantage d’opposants à ces projets barbares destinés d’ailleurs aux nouveaux barbares que sont les grands racketteurs du siècle toutes espèces confondues.
Dans son article, Anne Pons, qui a dû lire attentivement Michel Fleury retient que la Ve République prend le relais du vandalisme antérieur : « Les principales villes françaises sont dépouillées de leur manteau de pierre au profit des HLM et des grandes surfaces. Le forum des halles confond par sa laideur les démolisseurs de l’œuvre de Baltard. »
Il était évident qu’il fallait libérer le cœur de Paris d’un marché qui n’y avait plus sa place ; cette décision, ne serait-ce qu’ en raison de la salubrité publique, s’imposait et il ne serait venu à personne l’idée de la contester. Fallait il pour autant s’acharner à démolir l’œuvre de Baltard ? Assurément pas ; d’abord parce qu’elle pouvait prétendre à juste titre à l’inscription ou au classement au titre des monuments historiques, ensuite parce qu’elle était l’un des plus prestigieux témoin de l’architecture de métal du Second Empire, enfin parce qu’elle avait le mérite d’exister toute traversée qu’elle était de courants d’air, et par conséquent, de pouvoir faire l’objet d’une réhabilitation.
Faire ce choix qui malheureusement n’a pas été fait, aurait permis de garder au quartier son caractère et sa population. Qu’est-ce qui empêchait en effet de regrouper sous une partie des pavillons Baltard le marché aux fleurs ? Qu’est-ce qui empêchait de trouver sous les autres des espaces culturels ? ou d’en faire la vitrine permanente de la gastronomie française où brasseries et restaurants eussent proposés les produits des terroirs ? Non seulement on n’aurait pas défiguré comme on l’a fait le quartier Saint-Eustache, mais on eut à coup sûr fait l’économie des dispendieux aménagements que l’on sait, qui ne sont jamais qu’un fiasco que l’on envisage aujourd’hui de revisiter dans le même esprit ! Autrement dit : on persiste et signe…
Il n’est d’ailleurs pas innocent (c’est le cas de le dire, pauvre fontaine !) que l’on ait édifié autour d’un trou, des structures incohérentes drainant chaque seconde dans l’antre de la Gorgone leur noria de con-sommateurs. Non, il n’est pas innocent que ce quartier historique soit devenu le dépotoir d’une société moribonde rendue à son terme, où des cars de police surveillent les derniers vestiges de ce qui reste des vieilles halles : ses colonies de rats qui tous, n’ont pas gagné Rungis…
Il s’est trouvé une ville toutefois, Nogent-sur-Marne, et c’est à son honneur, pour avoir sauvé en 1972 le pavillon numéro 8 sous lequel se tenait le marché aux œufs et à la volaille, et l’avoir reconstruit et adapté en 1976 à sa nouvelle destination d’espace culturel polyvalent.
Dans l’esprit des pavillons Baltard, il reste encore dans quelques capitales régionales de magnifiques halles à structure métallique, édifiées à la même époque. On remarquera particulièrement celles de Limoges, restaurées dans les règles de l’art et sous lesquelles le marché quotidien continue tous les matins son activité.
Bien entendu ce qui est vrai pour la transformation malheureuse de Paris, en dépit de quelques projets réussis, l’est aussi pour les autres villes tant le processus de dégradation s’est propagé à la vitesse d’une traînée de poudre. Nous en connaissons les causes qui toutes, expriment la métamorphose d’une société dépourvue de sens. S’il n’y a plus de grands projets dignes de ce nom c’est parce qu’il n’y a plus d’esprit pour les concevoir ni de volonté pour les porter ; n’élève pas qui veut l’Arc de Triomphe, les Invalides ou le Trocadéro.
Dans le jardin des Tuileries, où veillent les statues félines d'Auguste Caïn, je me surprends encore, toutes les fois que je leur rends visite à leur murmurer à l’oreille : « Réveillez- vous, mignonnes et chassez l’intrus… »
A consulter: Baltard, les halles de Paris, 1853-1973, textes de Patrice de Moncan et Maxime Du Camp, les Editions du Mécène, 2010
18:18 Publié dans Chroniques du temps présent | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : vandales, halles, pavillons, baltard, second empire, beaux arts, réau, fleury, ventre, paris, zola, montparnasse, la défense, trocadero, forum, musées, haussmann, perret, le havre, saint eustache