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25/05/2010

BULLETIN CELINIEN

Bulletin célinien N° 319

 

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Outre un article de Max-Pol FOUCHET (De Giono à Céline) et la relation d'un « Entretien avec Henri GODARD » par Nicolas LEGER au sujet de l'édition de la « Correspondance » dans la Pléiade ; ce numéro de mai nous livre la recension par Marc LAUDELOUT, des derniers articles parus dans la presse concernant cette même correspondance. L'éditorialiste y donne également un aperçu de l'apparition du personnage de Céline dans des romans, suivi d'un clin d'œil à François SENTEIN (journaliste et écrivain décédé le 2 mars 2010), auteur d'un remarquable journal,  « Minutes d'un libertin », réédité par les éditions Le Promeneur en deux volumes couvrant les années 1938-1941, et  1942-1943. Cette même maison reprend dans la foulée ses « Minutes d'un libéré (1944) et ses « Minutes d'une autre année » (1945).

Mais cette 319ème livraison  est principalement consacrée au regard que porte Georges STEINER sur l'œuvre célinienne et en particulier sur la récente parution de la correspondance.

On trouvera sur Wikipédia un portrait de Georges Steiner.

Ce professeur de littérature comparée connu pour sa culture universelle et auquel les Cahiers de l'Herne ont consacré leur 80ème numéro en 2004 est aussi un essayiste, critique littéraire, poète et philosophe de renommée internationale. Il s'est intéressé - comment aurait-il pu faire l'impasse puisqu'elle est incontournable- à l'œuvre célinienne dont un côté le révolte et l'obsède, pendant que l'autre le laisse admiratif.

Il nous donne ici son point de vue sur les Lettres du volume de la Pléiade après avoir brossé un portrait mettant en relief la nature raciste viscérale et l'outrance antisémite qu'il  trouve chez Céline.

Insistant particulièrement sur la « haine monstrueuse des juifs » de l'auteur des pamphlets et sur le fait qu'il n'y  a rien à retenir de cette littérature de l'ordure, il précise: « Citer une seule phrase de ces harangues, cela soulève le cœur. C'est la pornographie de la haine ».

C'est là jugement sans appel, on en conviendra -mais bien hâtif néanmoins- d'un homme marqué au profond de son être par la Shoa, qui, par reductio ad hitlerum , en arrive à pousser l'ordure à l'ordure sans chercher à voir ce qu'elle peut renfermer de précieux. Il faut être assurément réductionniste et bien partisan pour ne rien vouloir garder des pamphlets qu'un souvenir où l'horreur le disputerait à l'abjection.

Il y a dans ces pages -et tous les céliniens le savent bien- des joyaux qui flottent sur la marée noire déversée par l'homme au milieu des ruines. Il faut prendre le temps, avec le recul, de les considérer pour ce qu'ils valent. C'est cela nous semble-t-il, affaire de temps, et Céline nous prévient: « Cela suffit au fond ces trois mots qu'on répète : le temps passe... cela suffit à tout...

Il n'échappe rien au temps... que quelques petits échos... de plus en plus sourds... de plus en plus rares... Quelle importance ? »

Et j'ai su, pour ma part, dès la lecture de Bagatelles, comment se présentait Saint Pétersbourg sans jamais y avoir été. Qui d'autre, en effet, mieux que ne l'a fait Céline, a su décrire  en quelques mots seulement le visage de Léningrad ou celui de New-York ? C'est qu' il faut savoir prendre ce Janus « en bloc », ne rien rejeter et trouver, au-delà des mots, ce qu'ils « signifient », et pourquoi, et comment ils ont été « dits », car il s'agit d'un dire avant tout, et Céline n'est plus là pour en parler...

Céline est un « parleur », pour ne pas dire un conteur ; et Georges Steiner le sait bien qui note, au sujet des Lettres : « Contrairement à Flaubert ou à Proust, Céline ne visait pas à l'œuvre d'art en écrivant ses lettres. Il les écrit comme il respire. Il y a une constante : c'est sa voix, argotique, rageuse, moqueuse, impérieuse, parfois étonnamment tendre. »

Gustav Meyrink a dit: « pour  voir le monde avec des yeux neufs, il faut avoir perdu ses yeux anciens à force de pleurer » ; saurons-nous jamais ce qu'il a versé de larmes, le « visionnaire » Céline, avant de déchaîner son déluge ?

G. Steiner, à la fin de sa note, rapporte cela : « Je n'oublie pas. Mon délire part de là ». D'où ? mais de la vraie nature de l'homme parbleu ! rappelons-nous Mea Culpa :

« L' Homme il est humain à peu près autant que la poule vole. Quand elle prend un coup dur dans le pot, quand une auto la fait valser, elle s'enlève bien jusqu'au toit, mais elle repique tout de suite dans la bourbe, rebecqueter la fiente . C'est sa nature, son ambition. Pour nous, dans la société, c'est exactement du même. On cesse d'être si profond fumier que sur le coup d'une catastrophe. Quand tout se tasse à peu près, le naturel reprend le galop. »

L' aveuglant délire, celui qui emporte tout, il ne faut pas aller le chercher bien loin en nous, pour peu qu'on soit un « raffiné », un de ceux du côté d'Ariel plutôt que de Caliban, que la ruine d'une seule couvée d'oiseau par l'orage emporte. Combien en a-t-il vu de nids ruinés par l'orage d'acier Ferdinand, le cuirassier du 12ème de cavalerie ?

On peut le mesurer à l'aune de ce qu'il nous laissa dans le Voyage au bout de la nuit et qui lui fit dire : « Quand on sera au bord du trou faudra pas faire les malins nous autres, mais faudra pas oublier non plus, faudra raconter tout sans changer un mot, de ce qu'on a vu de plus vicieux chez les hommes et puis poser sa chique et puis descendre. Ça suffit comme boulot pour une vie toute entière. »

Signalons pour conclure, la parution du numéro 5 des ETUDES céliniennes. Il renferme, entre autres, une étude d'Eric MAZET sur Céline à Sartrouville, ainsi qu'une autre, signée Pierre-Marie MIROUX éclairant la vie du cuirassier Destouches, au cours du mois de novembre 1914, à l'hôpital auxiliaire n°6 d'Hazebrouck.

(Ce numéro des "ETUDES" est à commander au coût de 25 euros + 5 euros de port au BC, BP 70, B 1000 Bruxelles 22 Belgique).

 

 

 

22/05/2010

TOUS LES PETITS ANIMAUX

 

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« ... la vache m'a vraiment fait peur. Elle est arrivée si doucement jusqu'à la maison délabrée que je ne me suis aperçu de sa présence que quand elle a ronflé juste dans mon oreille. J'ai bondi, et, un instant, j'ai cru que j'allais pleurer, mais tout allait bien, la vache s'est enfuie. Je pense qu'elle a dû être plus effrayée que moi. En me rasseyant, je me suis mis à rire, et M. Summers a eu un sourire qui ressemblait à une ride, sans montrer ses dents. M. Summers ne riait jamais.

-      Tu sais ce que c'était, ça, mon garçon ? dit-il.

-   C'était une vache.

-      Il fit non de la tête.

-      Euh... un taureau ?

-      Non, non, mon garçon, pas un taureau.

-      Ça ne peut quand même pas être un veau, j'ai dit, parce que les veaux sont plus petits.

-      C'était la vie, mon garçon. La vie.

Ça s'embrouillait dans ma tête. Il me tardait que nous nous levions et que nous partions, comme ça je pourrais utiliser ma truelle toute neuve et me mettre au boulot, mais il fallait rester poli, alors j'ai demandé :

-      Vous voulez dire qu'elle était vivante ?

-      Je voulais dire que c'était LA VIE, mon garçon. La vie sous la forme d'une vache. Tu comprends ?

En fait non, je ne comprenais pas, et j'étais prêt à le lui dire, il ne faut pas mentir quand on a une conversation avec quelqu'un. Je devais avoir l'air d'être au bord des larmes parce que M. Summers m'a dit de ne pas m'en faire, qu'il allait m'apprendre et que j'aurais tout mon temps pour apprendre. »

Etrange livre que « Tous les petits animaux », unique ouvrage de Walker HAMILTON, fils de mineur, ancien pilote de la RAF, décédé prématurément à l'âge de 35 ans. Le roman fut porté à l'écran par Jeremy Thomas en 1998 avec John Hurt dans le rôle de M. Summers. L'action se déroule en Cornouailles et les deux protagonistes, Bobby Platt, trente et un an, demeuré simple d'esprit : « J'ai trente et un an. Je devrais être un homme, mais je me sens comme un petit garçon. » et Monsieur Summers, le « petit homme » auquel il est difficile de donner un âge, se rencontrent dans des circonstances propitiatoires qui feront de Bobby l'apprenti de M. Summers, lequel s'est donné pour mission de devoir enterrer tous les petits animaux écrasés sur la route.

Cette mission est une quête, celle de la vie, qu'il faut protéger et respecter même au-delà du trépas en enterrant les êtres. M. Summers s'est instauré fossoyeur des petits cadavres d'animaux victimes des automobilistes ; c'est un solitaire qui travaille à l'abri des regards et l'on sent bien vite que cet homme cache un secret qu'il ne livrera qu'au seul Bobby avant de mourir dans des circonstances tout aussi curieuses que celles qui lui firent rencontrer le garçon...

Bobby, persécuté par son odieux beau-père (le  « Gros « ), qui le séquestre afin de régner seul sur la succession de sa mère, réussi à s'enfuir et, à bord d'un camion qui le prend en stop, à gagner les Cornouailles. Le chauffeur -autre manière de « Gros »- écrase volontairement un lapin et trouve la mort dans l'accident... Pas tout de suite ! le temps que Bobby se remette du choc et que le « petit homme » paraisse... Bobby veut porter secours au routier quand il entend derrière lui une petite voix : « Laissez-le... Cet homme est mauvais. Il a tué le lapin ».

Tout est dit et partant, le récit se déroule dans la bonne action d'enterrer les créatures et celle de devoir punir les méchants. Cette simplicité de vue n'en est pas moins déroutante. Rappelons nous la remarque de Ferdinand dans le Voyage au bout de la nuit : «Ça serait pourtant pas si bête s'il y avait quelque chose pour distinguer les bons des méchants. »

Monsieur Summers, qui fait partie des bons en dépit de son « crime », ne savait assurément pas que sa mort lui arriverait par Bobby, peut être néanmoins le pressentait-il lorsqu'il le mit en demeure de ne jamais parler de lui : « ... ne dis jamais mon nom à personne. Une autre chose dont tu dois te souvenir. » Mais la vie est ainsi faite que la mort nous trouve là où elle doit nous cueillir sans que n'y puissions grand chose.

Bobby a du mal à suivre le petit homme qui souvent, s'esquive comme une ombre ; cependant il le retrouve toujours puisqu'il fait partie de son monde du dedans. Dans ses tribulations avec le monde du dehors, où qu'il aille, Bobby ne rencontre que l'hostilité des êtres ; ils relèvent tous de l'approximatif et représentent un danger réel. Le danger qui guette les simples, les innocents et les naïfs, qui se font facilement abuser.

Mais depuis la rencontre du petit homme, il semble que Bobby ait trouvé son chemin et que son « initiation » (enterrez les petits animaux) l'ait aidé à grandir et à trouver le sens de sa vie. Aussi, après la mort de Monsieur Summers, poursuivra-t-il le « travail » du vieil homme, parce qu'il faut bien que quelqu'un le fasse pour chasser les ombres de la nuit et faire en sorte que demain, de nouveau, se lève le soleil.

Ce récit est court, à peine cent trente pages, mais vaut d'être lu, parce qu'il est le reflet d'un monde ignoré du plus grand nombre, habité par ceux là seuls qui ont le cœur assez pur pour voir les choses apparemment futiles, avec gravité...

 

 

 

10/05/2010

SOUS LA VIEILLE VILLE

« ...nous descendîmes ;nous fîmes quelques pas, et descendant encore, nous arrivâmes à une crypte profonde, où l'impureté de l'air faisait rougir plutôt que briller nos flambeaux. »

(Edgar POE,  La Barrique d'amontillado.)

 

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Donc il faut descendre...

Après avoir ouvert la trappe ou poussé la lourde porte sous la voûte basse, on s'avance sur les marches humides d'un escalier pentu taillé dans la pierre ou celles, aux planches glissantes, d'une échelle de meunier. L'odeur lourde, qu'un souffle obscur roule dans les galeries et pousse au visage, annonce qu'on pénètre dans un autre monde où la terre avale l'intrus dans des relents de champignons, de vieilles futailles et d'eaux croupissantes...

 

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S'avancer dans les réseaux uniquement à la lueur parcimonieuse d'une bougie ou de la lampe à carbure, c'est goûter en connaisseur le noir des profondeurs. On ne déchire pas ce monde en sommeil de l'éclat impérieux d'une lampe électrique si l'on souhaite en percer le secret ; rien ne le dérange, sinon la course apeurée d'un rat ou la chute métallique d'une goutte d'eau qui égraine le temps.

S'attendre à voir surgir à la faveur du coude d'un boyau un voyageur d'apocalypse est moins certain que d'y rencontrer des chauves-souris. Il peut en venir de partout, parce que tous les réseaux ou presque se rejoignent à la manière du grand sympathique dans le corps de l'homme.

 

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C'est donc d'une approche subtile et vigilante qu'il s'agit !

Dire quels laborieux termites forèrent ces trous et ces resserres dans la masse compacte de la terre sous la ville et à quelles fins, serait préjuger de nos capacités d'investigation limitées aux seuls témoins qu'on y ait trouvés : tessons de poteries dont les plus anciens remontent à la période romaine, charbons, débris de verre irisés par le temps, éléments de sculptures et graffitis, déchets organiques, ustensiles variés autant qu'hétéroclites.

 

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Passé les caves du premier niveau, où veillent en vigiles les vestiges des fûts et des bouteilles, les cercles rouillés des barriques ou la tour menaçante d'un hérisson, on s'enfonce plus profondément et plus loin encore dans des salles voûtées comme des cachots, muettes comme des oubliettes, humides comme des culs de basses-fosses... On s'approche du cœur de la ville qu'on sent battre sourdement comme une bête qui ronflerait et qu'on craindrait de réveiller.

 

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Au fond de ces réduits, soutes du temps des guerres et des grandes calamités, refuges, places imprenables à moins que d'y être enfumé comme des blaireaux, ou ennoyé comme des rats, on voit des niches creusées dans les parois pour y placer des lumignons . On voit des goulets raccordés par des lunettes comme celles des guillotines pour passer la tête et surveiller le vis-à-vis ; des trous, qui remontent de la voûte vers la surface comme le tuyau d'un scaphandrier pour y chercher l'air ; des puits d'accès et d'extraction des terres ; des feuillures creusées à même le tuf, faites tout exprès pour recevoir des portes ou des grilles depuis longtemps disparues. On voit des traces de coffrages et des bacs, comme des sarcophages ; on voit des  placards ménagés dans les parois, pourvus de saignées pour y glisser des étagères ; de petites cavités demi sphériques; des arrachements de gonds ; des logements de loquets, de chevillettes et autres coulisseaux...

 

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J'ai rencontré dans le quartier des vieilles boucheries ces crocs menaçants qu'on appelle « dents de loups » destinées à suspendre les viandes et fichées dans la pierre par de solides pitons. J'ai trouvé des pics et des tenailles rouillés, des lames de scies... tout l'attirail de l'inquisiteur bien disposé à vous écorcher quoique rongé par la causticité des saloirs.

Par-delà ces témoins profanes et aux niveaux les plus profondément enfouis, il arrive qu'on découvre, si l'on est bon observateur, des traces qui peuvent mettre sur des pistes où cheminer. On y puisera matière à s'interroger. J'en ai, pour ma part, trouvé quelques-unes. Et parce que le souterrain, dans le subconscient, occupe la place de la poterne au pied du château, par lui on s'échappe, quand la place est prise.

 

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Dire où conduit la galerie que l'on a choisi serait présomptueux et trahir le rêve ; on peut aussi penser qu'elle ne conduit nulle part, comme ces chemins qui s'enfoncent au milieu des bois dans le « non frayé »... C'est un secret jalousement gardé et l'on pourra toujours, sur le chapitre, questionner le corbeau protégé de Mercure, oiseau fort bavard comme on sait, ou la taupe, beaucoup moins loquace, mais plus versée dans la science chthonienne, ou même encore l'ornithorynque difficile à dérider, à moins d'avoir la chance de rencontrer sur le chemin Jean Amadieu Phébus d'Auberhodes, le cavalier bleu.

J'ai passé pour ma part des heures dans l'antre de Pluton à me blanchir au nitre de ses voûtes, à respirer l'odeur de la terre, à projeter, au faisceau de ma lampe, l'ombre des piliers et des colonnes sur les parois griffées de coups de pics...

J'ai cheminé dans des couloirs étroits, rampé dans des boyaux tortueux, passé des goulets, escaladé des montagnes d'éboulis, sondé des puits, suivi des aqueducs où l'eau claire et glacée coule dans les radiers sur un sable aussi fin que de la farine.

 

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J'ai frappé à la porte d'Hadès, questionné Eaque, Minos et Rhadamanthe...

J'ai dessiné ces caves en voie de comblement, ces cryptes oubliées et ces repères d'outre temps dans l'esprit des gravures sur bois pour en garder l'âme forte.

J'ai remonté à la surface, en souvenir des Sages, une petite fiole de VITRIOL, pour vous tenter...

 

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« Il faut que  tu entendes  que je suis  descendu  des  régions céles-

tes et suis tombé ici-bas, en ces cavernes de la Terre, où je me suis

nourri  un espace de temps ; mais je  ne  désire rien de plus que d'y

retourner ; et  le moyen  de ce  faire c'est  que tu  me tues  et  puis

que  tu me ressuscites, et  de  l'instrument que tu me tueras, tu me

ressusciteras ».

(Le Lyon Vert ou l'œuvre des Sages de Jacques TESSON.)