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10/05/2010

SOUS LA VIEILLE VILLE

« ...nous descendîmes ;nous fîmes quelques pas, et descendant encore, nous arrivâmes à une crypte profonde, où l'impureté de l'air faisait rougir plutôt que briller nos flambeaux. »

(Edgar POE,  La Barrique d'amontillado.)

 

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Donc il faut descendre...

Après avoir ouvert la trappe ou poussé la lourde porte sous la voûte basse, on s'avance sur les marches humides d'un escalier pentu taillé dans la pierre ou celles, aux planches glissantes, d'une échelle de meunier. L'odeur lourde, qu'un souffle obscur roule dans les galeries et pousse au visage, annonce qu'on pénètre dans un autre monde où la terre avale l'intrus dans des relents de champignons, de vieilles futailles et d'eaux croupissantes...

 

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S'avancer dans les réseaux uniquement à la lueur parcimonieuse d'une bougie ou de la lampe à carbure, c'est goûter en connaisseur le noir des profondeurs. On ne déchire pas ce monde en sommeil de l'éclat impérieux d'une lampe électrique si l'on souhaite en percer le secret ; rien ne le dérange, sinon la course apeurée d'un rat ou la chute métallique d'une goutte d'eau qui égraine le temps.

S'attendre à voir surgir à la faveur du coude d'un boyau un voyageur d'apocalypse est moins certain que d'y rencontrer des chauves-souris. Il peut en venir de partout, parce que tous les réseaux ou presque se rejoignent à la manière du grand sympathique dans le corps de l'homme.

 

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C'est donc d'une approche subtile et vigilante qu'il s'agit !

Dire quels laborieux termites forèrent ces trous et ces resserres dans la masse compacte de la terre sous la ville et à quelles fins, serait préjuger de nos capacités d'investigation limitées aux seuls témoins qu'on y ait trouvés : tessons de poteries dont les plus anciens remontent à la période romaine, charbons, débris de verre irisés par le temps, éléments de sculptures et graffitis, déchets organiques, ustensiles variés autant qu'hétéroclites.

 

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Passé les caves du premier niveau, où veillent en vigiles les vestiges des fûts et des bouteilles, les cercles rouillés des barriques ou la tour menaçante d'un hérisson, on s'enfonce plus profondément et plus loin encore dans des salles voûtées comme des cachots, muettes comme des oubliettes, humides comme des culs de basses-fosses... On s'approche du cœur de la ville qu'on sent battre sourdement comme une bête qui ronflerait et qu'on craindrait de réveiller.

 

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Au fond de ces réduits, soutes du temps des guerres et des grandes calamités, refuges, places imprenables à moins que d'y être enfumé comme des blaireaux, ou ennoyé comme des rats, on voit des niches creusées dans les parois pour y placer des lumignons . On voit des goulets raccordés par des lunettes comme celles des guillotines pour passer la tête et surveiller le vis-à-vis ; des trous, qui remontent de la voûte vers la surface comme le tuyau d'un scaphandrier pour y chercher l'air ; des puits d'accès et d'extraction des terres ; des feuillures creusées à même le tuf, faites tout exprès pour recevoir des portes ou des grilles depuis longtemps disparues. On voit des traces de coffrages et des bacs, comme des sarcophages ; on voit des  placards ménagés dans les parois, pourvus de saignées pour y glisser des étagères ; de petites cavités demi sphériques; des arrachements de gonds ; des logements de loquets, de chevillettes et autres coulisseaux...

 

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J'ai rencontré dans le quartier des vieilles boucheries ces crocs menaçants qu'on appelle « dents de loups » destinées à suspendre les viandes et fichées dans la pierre par de solides pitons. J'ai trouvé des pics et des tenailles rouillés, des lames de scies... tout l'attirail de l'inquisiteur bien disposé à vous écorcher quoique rongé par la causticité des saloirs.

Par-delà ces témoins profanes et aux niveaux les plus profondément enfouis, il arrive qu'on découvre, si l'on est bon observateur, des traces qui peuvent mettre sur des pistes où cheminer. On y puisera matière à s'interroger. J'en ai, pour ma part, trouvé quelques-unes. Et parce que le souterrain, dans le subconscient, occupe la place de la poterne au pied du château, par lui on s'échappe, quand la place est prise.

 

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Dire où conduit la galerie que l'on a choisi serait présomptueux et trahir le rêve ; on peut aussi penser qu'elle ne conduit nulle part, comme ces chemins qui s'enfoncent au milieu des bois dans le « non frayé »... C'est un secret jalousement gardé et l'on pourra toujours, sur le chapitre, questionner le corbeau protégé de Mercure, oiseau fort bavard comme on sait, ou la taupe, beaucoup moins loquace, mais plus versée dans la science chthonienne, ou même encore l'ornithorynque difficile à dérider, à moins d'avoir la chance de rencontrer sur le chemin Jean Amadieu Phébus d'Auberhodes, le cavalier bleu.

J'ai passé pour ma part des heures dans l'antre de Pluton à me blanchir au nitre de ses voûtes, à respirer l'odeur de la terre, à projeter, au faisceau de ma lampe, l'ombre des piliers et des colonnes sur les parois griffées de coups de pics...

J'ai cheminé dans des couloirs étroits, rampé dans des boyaux tortueux, passé des goulets, escaladé des montagnes d'éboulis, sondé des puits, suivi des aqueducs où l'eau claire et glacée coule dans les radiers sur un sable aussi fin que de la farine.

 

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J'ai frappé à la porte d'Hadès, questionné Eaque, Minos et Rhadamanthe...

J'ai dessiné ces caves en voie de comblement, ces cryptes oubliées et ces repères d'outre temps dans l'esprit des gravures sur bois pour en garder l'âme forte.

J'ai remonté à la surface, en souvenir des Sages, une petite fiole de VITRIOL, pour vous tenter...

 

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« Il faut que  tu entendes  que je suis  descendu  des  régions céles-

tes et suis tombé ici-bas, en ces cavernes de la Terre, où je me suis

nourri  un espace de temps ; mais je  ne  désire rien de plus que d'y

retourner ; et  le moyen  de ce  faire c'est  que tu  me tues  et  puis

que  tu me ressuscites, et  de  l'instrument que tu me tueras, tu me

ressusciteras ».

(Le Lyon Vert ou l'œuvre des Sages de Jacques TESSON.)