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22/05/2010

TOUS LES PETITS ANIMAUX

 

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« ... la vache m'a vraiment fait peur. Elle est arrivée si doucement jusqu'à la maison délabrée que je ne me suis aperçu de sa présence que quand elle a ronflé juste dans mon oreille. J'ai bondi, et, un instant, j'ai cru que j'allais pleurer, mais tout allait bien, la vache s'est enfuie. Je pense qu'elle a dû être plus effrayée que moi. En me rasseyant, je me suis mis à rire, et M. Summers a eu un sourire qui ressemblait à une ride, sans montrer ses dents. M. Summers ne riait jamais.

-      Tu sais ce que c'était, ça, mon garçon ? dit-il.

-   C'était une vache.

-      Il fit non de la tête.

-      Euh... un taureau ?

-      Non, non, mon garçon, pas un taureau.

-      Ça ne peut quand même pas être un veau, j'ai dit, parce que les veaux sont plus petits.

-      C'était la vie, mon garçon. La vie.

Ça s'embrouillait dans ma tête. Il me tardait que nous nous levions et que nous partions, comme ça je pourrais utiliser ma truelle toute neuve et me mettre au boulot, mais il fallait rester poli, alors j'ai demandé :

-      Vous voulez dire qu'elle était vivante ?

-      Je voulais dire que c'était LA VIE, mon garçon. La vie sous la forme d'une vache. Tu comprends ?

En fait non, je ne comprenais pas, et j'étais prêt à le lui dire, il ne faut pas mentir quand on a une conversation avec quelqu'un. Je devais avoir l'air d'être au bord des larmes parce que M. Summers m'a dit de ne pas m'en faire, qu'il allait m'apprendre et que j'aurais tout mon temps pour apprendre. »

Etrange livre que « Tous les petits animaux », unique ouvrage de Walker HAMILTON, fils de mineur, ancien pilote de la RAF, décédé prématurément à l'âge de 35 ans. Le roman fut porté à l'écran par Jeremy Thomas en 1998 avec John Hurt dans le rôle de M. Summers. L'action se déroule en Cornouailles et les deux protagonistes, Bobby Platt, trente et un an, demeuré simple d'esprit : « J'ai trente et un an. Je devrais être un homme, mais je me sens comme un petit garçon. » et Monsieur Summers, le « petit homme » auquel il est difficile de donner un âge, se rencontrent dans des circonstances propitiatoires qui feront de Bobby l'apprenti de M. Summers, lequel s'est donné pour mission de devoir enterrer tous les petits animaux écrasés sur la route.

Cette mission est une quête, celle de la vie, qu'il faut protéger et respecter même au-delà du trépas en enterrant les êtres. M. Summers s'est instauré fossoyeur des petits cadavres d'animaux victimes des automobilistes ; c'est un solitaire qui travaille à l'abri des regards et l'on sent bien vite que cet homme cache un secret qu'il ne livrera qu'au seul Bobby avant de mourir dans des circonstances tout aussi curieuses que celles qui lui firent rencontrer le garçon...

Bobby, persécuté par son odieux beau-père (le  « Gros « ), qui le séquestre afin de régner seul sur la succession de sa mère, réussi à s'enfuir et, à bord d'un camion qui le prend en stop, à gagner les Cornouailles. Le chauffeur -autre manière de « Gros »- écrase volontairement un lapin et trouve la mort dans l'accident... Pas tout de suite ! le temps que Bobby se remette du choc et que le « petit homme » paraisse... Bobby veut porter secours au routier quand il entend derrière lui une petite voix : « Laissez-le... Cet homme est mauvais. Il a tué le lapin ».

Tout est dit et partant, le récit se déroule dans la bonne action d'enterrer les créatures et celle de devoir punir les méchants. Cette simplicité de vue n'en est pas moins déroutante. Rappelons nous la remarque de Ferdinand dans le Voyage au bout de la nuit : «Ça serait pourtant pas si bête s'il y avait quelque chose pour distinguer les bons des méchants. »

Monsieur Summers, qui fait partie des bons en dépit de son « crime », ne savait assurément pas que sa mort lui arriverait par Bobby, peut être néanmoins le pressentait-il lorsqu'il le mit en demeure de ne jamais parler de lui : « ... ne dis jamais mon nom à personne. Une autre chose dont tu dois te souvenir. » Mais la vie est ainsi faite que la mort nous trouve là où elle doit nous cueillir sans que n'y puissions grand chose.

Bobby a du mal à suivre le petit homme qui souvent, s'esquive comme une ombre ; cependant il le retrouve toujours puisqu'il fait partie de son monde du dedans. Dans ses tribulations avec le monde du dehors, où qu'il aille, Bobby ne rencontre que l'hostilité des êtres ; ils relèvent tous de l'approximatif et représentent un danger réel. Le danger qui guette les simples, les innocents et les naïfs, qui se font facilement abuser.

Mais depuis la rencontre du petit homme, il semble que Bobby ait trouvé son chemin et que son « initiation » (enterrez les petits animaux) l'ait aidé à grandir et à trouver le sens de sa vie. Aussi, après la mort de Monsieur Summers, poursuivra-t-il le « travail » du vieil homme, parce qu'il faut bien que quelqu'un le fasse pour chasser les ombres de la nuit et faire en sorte que demain, de nouveau, se lève le soleil.

Ce récit est court, à peine cent trente pages, mais vaut d'être lu, parce qu'il est le reflet d'un monde ignoré du plus grand nombre, habité par ceux là seuls qui ont le cœur assez pur pour voir les choses apparemment futiles, avec gravité...