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06/07/2014

6 JUILLET 1961

 

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Le 6 juillet 1961, après la mort de Louis-Ferdinand CELINE survenue le 1er du mois au bas Meudon, Antoine BLONDIN, dans sa chronique du Tour de France écrite ce jour-là de l'étape d'Antibes, lui rendait un dernier hommage:

"... Si le Tour n'était que cette compétition ravageuse, en forme de violation de domicile, qui plie la coutume à sa loi, nous remettrions à plus tard, à la nuit tombante, le moment de méditer sur cette évidence, déplacée en ces lieux bruissants de colloques d'oiseaux et de refrains d'adolescents, que Louis-Ferdinand Céline ne nous dira plus rien des choses de la vie.

Mais le Tour est aussi un voyage. Quand l'état de siège s'y relâche, l'état d'âme reprend ses droits. Les tristes nouvelles du siècle nous parviennent. Nos chagrins passent les frontières. Aux douaniers italiens, nous avons dû déclarer, aujourd'hui, qu'il nous manquait quelqu'un. La mort de Céline ne frappe pas ses lointains confrères, elle bouleverse ses lecteurs, son prochain. Par un retour étrange, c'est nous qui avons l'impression de partir avant la fin et qu'on dépouille notre sensibilité. Nous sommes rendus à un mal, qui n'est pas celui du siècle, mais le mal de tous les siècles, et notre écho s'est tu, notre bréviaire s'est fermé. Il va falloir descendre en nous-mêmes pour entendre le chant que nous ne savons pas chanter.

Céline s'est éteint à Meudon, sur la route des Gardes, au milieu de cette côte, qui est à la fois le calvaire et le paradis des cyclistes. Mais je crois qu'ils s'ignoraient mutuellement. Il avait possédé jadis, quand il était le médecin des pauvres, une monstrueuse motocyclette à laquelle il tenait beaucoup. Ses ennemis y avaient mis le feu, comme on brûle une effigie, en l'occurrence celle du dénuement et du dévouement. Car il pratiquait le sport dangereux qui consiste à aimer les hommes sans le leur dire.

Bien plus: il n'était membre d'aucun club. Ce routier du bout de la nuit pratiquait en cavalier seul, drapé dans sa houppelande, appuyé sur son bâton, berger généreux et farouche, provocateur et humilié. Il est très  honorable, pour tous les gens qui prennent une plume, de penser que l'un des deux ou trois plus grands écrivains du siècle vivait sans ressources et sans avidité, loin des récompenses, sinon livré aux outrages.

 

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Nous avons appris sa mort dans les faubourgs de Turin, chantiers rocailleux qui eussent arrêté son regard, bien qu'un peu trop lumineux.

Une clôture plus fragile que les parois d'un coeur - on en percevait le moindre battement - nous séparait d'un hospice semblable à celui où il exerçait autrefois à Courbevoie. Un vol de cornettes d'une blancheur très douce passait et repassait dans la blancheur du matin: les petites soeurs invisibles conduisaient au grillage leurs pensionnaires claudiquants, hommes et femmes aux yeux pailletés de naïveté que notre manège comblait de joie gloutonne et qui s'abandonnaient, loin des nuages, à la faveur tranquille de vieillir sans génie.

Nous attendions de la course qu'elle dissipât notre malaise. (...) L'ennuyeux , disait déjà Céline, à propos de la guerre, c'est que ça se passe le plus souvent à la campagne. Il en va parfois de même du Tour de France. 

Mais, tout à l'heure, nous nous endormirons face à la mer.

6 juillet 1961 "

 

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29/03/2014

IN MEMORIAM DOMINIQUE de ROUX

 

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On ne peut guère évoquer Dominique de Roux sans penser aux Cahiers de l'Herne, à Louis-Ferdinand Céline et à Witold Gombrowicz; non seulement parce qu'il consacra à ces deux auteurs atypiques et majeurs du XXème siècle deux des célèbres cahiers dont il fut le directeur éclairé, mais aussi parce qu'il leur dédia deux essais parus initialement en collection 10X18:  l'un "La mort de Céline"  (1969), l'autre "Sur Gombrowicz" (1971)

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Né le 17 septembre 1935 à Boulogne-Billancourt, Dominique de Roux fut emporté trop jeune par une crise cardiaque en 1977 , "il meurt dans l'ambulance à 19H40, le mardi 29 mars, d'une rupture de la valve coronaire, liée à la maladie de Marfan". C'est ce que précise son biographe, Jean-Luc Barré dans l'ouvrage récemment édité par Perrin dans la collection "Tempus": Dominique de Roux. L'homme des extrêmes". 

Tant il est vrai que c'est dans la "matière" de leur propre vie que les grands auteurs puisent leur inspiration (on se souvient de Céline, évoquant tout jeune la Providence en souhaitant qu'elle ne lui épargne rien: "... mais ce que je veux avant tout, c'est vivre une vie remplie d'incidents, que, j'espère, la Providence voudra placer sur ma route..."), il faut parcourir le livre de Jean-Luc Barré pour voir que la vie de Dominique de Roux n'aura pas, non plus été celle d'un tiède. 

On peut où non partager les convictions et les engagements qui furent les siens, mais ce qui est sûr, c'est qu'on ne peut qu'être d'accord avec l'idée qu'il se faisait de toute littérature: défendre "l'esprit vivant" contre" la lettre morte", rejoignant par là  Nietzsche :" De tout ce que l'on écrit, je n'aime que ce que l'on écrit avec son sang; écris avec ton propre sang et tu sauras que le sang est esprit".

Cependant comme le note J-L Barré: "Dominique de Roux n'accordait pas à l'élaboration de son oeuvre personnelle une priorité absolue, l'écriture fût-elle tout entière au coeur de sa vie. Comme si être écrivain ne lui suffisait pas tout à fait pour se réaliser, il s'emploiera à investir le champ littéraire dans son intégralité. Il se fera non seulement romancier, essayiste, pamphlétaire et grand reporter, mais aussi fondateur de revues, directeur de collection, éditeur, et plus encore à la tête des Cahiers de l'Herne, passeur, instigateur, découvreur, avant de chercher dans l'action et l'aventure politique de nouveaux modes d'expression, d'autres façons de s'accomplir."

Des romans, des essais, des entretiens, 36 cahiers de l'Herne publiés sous sa direction, voilà ce que nous a laissé cet homme qui savait si bien voir chez les autres ce qu'ils ont d'essentiel. En témoigne son "Céline" dont voici un extrait des dernières pages:

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" A l'heure où la grande pitié de la littérature française nous oblige à la longue marche, solitaires à côté d'autres solitaires, jusqu'à la fin, en deçà de la mise en condition générale et bientôt contre elle, n'imitons pas Céline, comme ceux qui se stérilisent dans leur impuissance, à se saisir d'une telle maîtrise.

Ecoutons Céline. Compromettons-nous sans jamais rompre nos attaches avec la VIE. Car voici les temps d'un seul et même combat. Le combat de la parole signifiante contre les mots, de la volonté d'intégration contre les puissances de la désintégration, et c'est là le mystère suprême d'Orphée déchiré par ces femmes thraces que sont les mots laissés à eux-mêmes.

En France, nous sommes en territoire ennemi. Nous serons toujours et partout en territoire ennemi.

Il y a cinq ans, mourait Céline qui semblait, jusque dans son être, destitué, agent et victime de ce temps de toutes les abolitions.

Contre toutes les épreuves, contre tous les systèmes et les monopoles, Céline n'a cessé d'engager son oeuvre. Il a perdu la tête, à tel point que nul ne peut le revendiquer pour sien. A travers ses épreuves, il a créé sa propre lumière, et il SAIT. 

Alors les écrivains qui ne voudront pas se soumettre aux mots d'ordre, aux entreprises de critiques officiels, qui lutteront contre les lois et la vile dictature de la mode, qui prouveront par leur oeuvre vivante, par la provocation de leurs vies -contre les traîtres inconscients et les faux témoins professionnels, contre la race des esprits prostrés- ceux-là, rejoindront les membres épars de Céline que l'on menait en terre le 1er juillet de l'été 1961, dans ce désert des Tartares où il monte sa garde contre ceux qui n'arriveront jamais. Ainsi travailleront-ils pour l'au-delà de la Révolution, organiseront-ils la stratégie de l'Apocalypse en termes de victoire.

Car les temps changent, et ce sont les temps du Grand Changement qui, maintenant, viennent.

Rejoindre la clarté, tout changer.

Rejoindre la clarté.

Céline, il a rejoint."

8 AOUT 1968

"Adieu donc, pauvre souffrant, mon docteur..."

 

 

 

10/02/2014

HISTOIRES D'OS

 

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Saviez-vous que le crâne de Descartes mort à Stockholm le 11 février 1650, après avoir reposé pendant 16 ans en terre suédoise, fut subtilisé par quelque amateur éclairé lors de l’exhumation devant que les restes de ses ossements, remisés dans une boîte en cuivre ne prennent le chemin de sa patrie ?... qu’enfin récupéré par le savant Berzélius il fut expédié à son confrère Cuvier en vue de redonner à l’illustre philosophe son intégrité physique ? Bref, comme nous l’explique excellemment Clémentine Portier-Kaltenbach, « la tête de mort venue de Suède », après avoir transité de mains en mains qui toutes  la paraphèrent de leur patronyme, ne retrouva jamais sa charpente puisqu’elle finit par atterrir  au milieu de la collection anatomique du Jardin des Plantes où elle fut exposée en 1878 aux côtés de celles de Lacenaire et de Cartouche !

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Que devint ensuite ce crâne ? Eh bien, l’enquête menée par l’auteur de ces « Morceaux choisis de l’Histoire de France » qui se lisent comme un roman policier nous assure qu’il se trouve à l’heure qu’il est au Musée de l’Homme où il repose à l’abri des malfrats dans une armoire blindée depuis 1937…

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Richelieu sur son lit de mort. Tableau de Philippe de Champaigne

Saviez-vous que la tête embaumée de Richelieu repose toujours dans son cénotaphe dans le chœur de la chapelle de la Sorbonne ?

Que le crâne de Charlotte Corday, après avoir appartenu un temps au prince Radzivill décédé en 1976, se trouverait à l’heure actuelle entre les mains de l’un de ses descendants ?

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Que celui de Georges Cadoudal, la « forte tête » ne fut jamais retrouvé et fut remplacé sur son squelette armaturé de fil de fer par celui d’un anonyme microcéphale ?

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C’est un curieux texte et bien intéressant que celui de Madame Portier-Kaltenbach, écrit avec verve et talent, qui font qu’ en le lisant on ne s’ennuie jamais. On s’y amuse même et l’on sourira à la façon qu’a l’auteur d’accommoder la sauce de ce brouet « d’illustres abattis ». L’ouvrage en effet, découpé en art de boucherie, nous sert en entrée les « pièces nobles », puis il s’attarde sur un « second choix » qu’il fait suivre des « bas morceaux ». C’est, somme toute une table assez bien garnie qui ne laisse pas sur sa faim !

Quelquefois, bien sûr, la légende y côtoie l’ Histoire et bien malin celui qui saurait discerner le vrai du vraisemblable. Cela n’enlève rien au propos, et la part du rêve y trouve son compte. Qui pourra jamais dire si Robespierre et certains de ses collègues ont prélevé ou non quelques brins de moustache et de barbe à la dépouille de Henri IV lors de son exhumation ?

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Et l’aventure, la vraie, du cerveau du prince de Bénévent, la saura-t-on jamais ? Voici ce qu’en rapporte dans « Choses vues » Victor Hugo cité par l’auteur :

« Eh bien, avant-hier 17 mai 1838, cet homme est mort. Des médecins sont venus et ont embaumé le cadavre. Pour cela, à la manière des Egyptiens, ils ont retiré les entrailles du ventre et le cerveau du crâne. La chose faite, après avoir transformé le prince de Talleyrand en momie et cloué cette momie dans une bière tapissée de satin blanc, ils se sont retirés, laissant sur une table la cervelle, cette cervelle qui avait pensé tant de choses, inspiré tant d’hommes, construit tant d’édifices, conduit deux révolutions, trompé vingt rois, contenu le monde. Les médecins partis, un valet est entré, il a vu ce qu’ils avaient laissé : Tiens ! Ils ont oublié cela. Qu’en faire ? Il s’est souvenu qu’il y avait un égout dans la rue, il y est allé, et a jeté le cerveau dans cet égout. Finis Rerum. »

 

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On regrettera sans doute, avec Madame Portier-Kaltenbach de ne plus l’avoir sous la main ce cerveau,  ne serait-ce que pour savoir, dit-elle, « s’il aurait été plus ou moins lourd que celui de Marilyn Monroe ou s’il aurait montré une particularité quelconque, comme celui d’Enstein qui avait pour caractéristique d’être par son volume inférieur de 10% à la moyenne et de ne pas présenter de scissure de Sylvius… »

Voilà pour l’un des plus illustres cerveaux. Les cœurs n'échappent pas plus que le reste à la convoitise;  les plus vernis restent enchâssés dans leurs reliquaires de vermeil pendus aux voûtes des chapelles ou remisés dans le secret de quelques piliers. Il en est de moins gâtés, bien que « vernis » tout de même puisque broyés pour donner cette précieuse « mumie » fort prisée des peintres… Ainsi finirent les cœurs de Louis XIII, du Roi-Soleil et de Madame de Montpensier : sous forme de badigeon « mixés et étalés sur une toile »…

 

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Quant aux pérégrinations et destinées des dents, des peaux et des cheveux,  façonnés par d’habiles artisans, vendus, mis aux enchères et conservés sous la formes de reliques je vous laisse les découvrir dans ces « Histoires d’os » dont je vous recommande la lecture ; il vous en coûtera 8 euros et vous ne vous ennuierez pas !

 

Clémentine PORTIER-KALTENBACH : « Histoires d’os et autres illustres abattis », ouvrage dédié à Françoise Gellain, épouse Legros… Seule défunte des catacombes identifiée par une plaque funéraire.

(Editions Fayard, collection PLURIEL, 2012)

 

A consulter également, dans le même blog : Retour à Rochefort.

A voir au Musée de l’Ecole de Médecine de Paris, la curieuse table en marqueterie d’organes humains offerte à l’empereur Napoléon III.

Consulter le lien suivant au sujet du crâne de Descartes.