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22/11/2011

BULLETIN CELINIEN

Bulletin célinien N°335

 

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On trouvera, en page 7 de ce numéro du BC, un intéressant compte-rendu du Voyage au bout de la nuit, présenté par Benoît LEROUX et dû à la plume de Jeanne Alexandre (1890-1980), militante socialiste, pacifiste et féministe. Ce texte, publié dans Libres Propos en janvier 1933, est enthousiaste et élogieux. Pour elle, la lecture du Voyage s’apparente à un parcours initiatique semé d’épreuves ; à ses propres dires : « On en sort rompu. » Parmi les extraits qu’elle a choisi, il y a celui-ci qui résume assez bien l’univers célinien : « La lumière du ciel, à Rancy, c’est la même qu’à Détroit, du jus de fumée qui trempe la plaine depuis Levallois. Un rebut de bâtisses tenues par des gadoues noires au sol. Les cheminées, des petites et des hautes, ça fait pareil de loin qu’au bord de la mer les gros piquets dans la vase. Là-dedans c’est nous. Faut avoir le courage des crabes aussi… »

Devant cette « Somme de la Misanthropie », Jeanne Alexandre note : « Cette œuvre informe et puissante vibre secrètement d’une sorte d’enthousiasme — enthousiasme de la pitié et de la colère ; il s’y cache, comme malgré l’auteur, une entreprise à la Pascal, une furieuse apologie de la religion de l’Humanité. » Ce qui la portera à conclure en toute lucidité célinienne :  « Regarder le mal en face et à fond, c’est s’armer contre lui. La fureur apocalyptique est optimiste : tout va changer et le jugement approche ! Le seul vrai pessimiste est l’homme qui ne veut rien voir, et qui sourit. »

Rémi ASTRUC signe un article bien à propos sur « Céline et la question du patrimoine » d’où il ressort que si Céline appartient  au patrimoine des Lettres françaises, il n’appartient pas à celui de la Nation. On s’en doutait ! L’intérêt de la note de Rémi Astruc est de montrer en quoi l’affaire du cinquantenaire raté et le refus de patrimonialisation de Céline (au même titre que celui d’Alexis Carrel), traduisent assez bien les états d’âme de la clique politico culturelle au pouvoir. Ah ! « la grande peur des Bien Pensants », pour parodier Bernanos. Car ne l’oublions pas, dans « bien-pensant » et « puritaine », comme l’avait lumineusement vu Louis Cattiaux, se cachent « panse bénite » et « putainerie »… c’est dire ! Il n’y aura donc pas de rue Louis-Ferdinand Céline et encore moins d’avenue.

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Comme l’écrit très justement Rémi  Astruc : « (les) figures de la singularité absolue, (sont) irrécupérables collectivement, en raison principalement du fait que leur œuvre s’oppose frontalement au projet d’intégration communautaire républicain. »

Dans « Le Soir » du 20 janvier 1938, Jean Renoir signa un billet qui n’encense pas Céline ! Le fait que l’auteur de Bagatelles ait traité la « Grande Illusion » de propagande juive, n’est sans doute pas étranger au coup de gueule du cinéaste qui renvoie la balle au « baratineur » Céline : « M. Céline n’aime pas Racine. Voilà qui est vraiment dommage pour Racine. Moi, je n’aime pas les imbéciles, et je ne crois pas que ce soit dommage pour M. Céline, car une seule opinion doit importer à ce Gaudissart de l’antisémitisme, c’est la sienne propre. »

Marc LAUDELOUT qui reprend ce texte paru dans le numéro 63, printemps 2011, de la revue 1895, apporte quelques précisions utiles quant à l’opinion que se faisait Renoir de Céline. Elle se résume en deux mots : il l’admirait. On y apprend aussi combien le parcours de ce cinéaste de talent fut sinueux. Ceci, sans doute, explique cela.

Pierre de BONNEVILLE livre dans ce numéro de novembre la dernière partie de son étude « Villon et Céline » dans laquelle il met l’accent sur la porté tragi-comique des œuvres respectives et leur  « musique » particulière. « La musique seule est un message direct au système nerveux. Le reste est blabla. » dixit Céline. C’est sur elle qu’est construit tout entier l’édifice littéraire célinien, et c’est par elle qu’il se place au premier rang. Cioran, que cite Pierre de Bonneville, avait compris le rôle fondamental de la musique dans l’émotion : « J’aime en musique, comme en philosophie et en tout, ce qui fait mal par l’insistance, par la récurrence, par cet interminable retour qui touche aux dernières profondeurs de l’être et y provoque une délectation à peine soutenable. »

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Pierre de Bonneville montre comment le parallèle entre Céline et Villon est articulé autour de la farce.  Céline s’est mis à sa fenêtre pour regarder Carnaval qui passe : « Croyez-moi le monde est drôle, la mort est drôle ; et c’est pour ça que mes livres sont drôles, et qu’au fond je suis gai. » (entretien avec Robert Poulet).

Pierre de Bonneville a raison de rapprocher l’œuvre célinienne de celle, picturale, de James Ensor, elles sont analogues sur plus d’un point.

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Rappelons-nous de même l’intérêt de  Céline pour l’œuvre de Pierre Breughel et particulièrement pour la « Fête des fous » ou « Combat de Carnaval et de Carême » ; on y trouve tous les paramètres de la condition humaine que résume à lui seul le tableau de la « Parabole des Aveugles ». C’est toujours, en fin de compte, le même petit air de cornemuse qu’on finit par entendre…

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11/11/2011

11 NOVEMBRE 1918

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Le 11 novembre à 11 heures, le feu était arrêté sur tout le front des armées alliées. Un silence impressionnant succédait à cinquante-trois semaines de bataille. Les peuples pouvaient entrevoir le rétablissement de la paix dans le monde. Le lendemain, j’adressais un ordre du jour de félicitations aux armées alliées :

« Officiers, sous-officiers, soldats des armées alliées.

« Après avoir résolument arrêté l’ennemi, vous l’avez pendant des mois, avec une foi et une énergie inlassables, attaqué sans répit.

« Vous avez gagné la plus grande bataille de l’Histoire et sauvé la cause la plus sacrée : la liberté du monde.

« Soyez fiers !

« D’une gloire immortelle vous avez paré vos drapeaux.

« La postérité vous garde sa reconnaissance.

« Le maréchal de France,

Commandant en chef des armées alliées :

F. Foch. »

 

Maréchal FOCH : Mémoires pour servir à l’histoire de la guerre de 1914-1918 (2 volumes, Plon 1931)


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« Et ma guerre est finie. Je les ai tous quittés, ceux qui sont morts près de moi, ceux que j’ai laissés dans le layon de la forêt, aventurés au péril de  mort. Je ne veux plus me rappeler mes premières nuits d’hôpital agitées de cauchemars délirants, ni la table blanche et nue et les gants rouges du chirurgien, ni ce goût d’éther dans ma gorge, ni l’âcre petite pipe de l’infirmier Bastien, ni les trous que creusaient ses doigts dans mon bras bronzé de gangrène.

(… ) On vous a tués, et c’est le plus grand des crimes. Vous avez donné votre vie, et vous êtes les plus malheureux. Je ne sais que cela, les gestes que nous avons faits, notre souffrance et notre gaieté, les mots que nous disions, les visages que nous avions parmi les autres visages, et votre mort.

Vous n’êtes guère plus d’une centaine, et votre foule m’apparaît effrayante, trop lourde, trop serrée pour moi seul. Combien de vos gestes passés aurai-je perdus, chaque demain, et de vos paroles vivantes, et de tout ce qui était vous ? Il, ne me reste plus que moi, et l’image de vous que vous m’avez donnée.

Presque rien : trois sourires sur une toute petite photo, un vivant entre deux morts, la main posée sur leur épaule. Ils clignent des yeux, tous les trois à cause du soleil printanier. Mais du soleil, sur la petite photo grise, que reste-t-il ? »

 

Maurice GENEVOIX : Ceux de 14 (Flammarion, collection Points P231, 2007)


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« Le maréchal Foch, le vainqueur, repousse tout additif, toute déclaration et toute négociationultérieure.
Son épée est sur la table.

Vae victis !

Alors on signe. A six heures du matin, le 11 novembre, dans la forêt de Compiègne, dans le wagon-salon du maréchal Foch.

11 novembre.

Dans la matinée, l’ordre arrive aux troupes de suspendre les hostilités sur tout le front à partir de midi.

Les mitrailleuses crépitent encore ça et là. Des obus passent en sifflant, dans les deux sens et éclatent en dégageant de petits nuages ronds de fumée grise. Des maisons brûlent.

(…) Vers midi le combat diminue visiblement d’intensité.

Il faiblit lentement et avec hésitation. Par moments il s’arrête déjà entièrement pour quelques secondes. La guerre râle et respire difficilement.

(…) Tout à coup c’est un silence de mort.

Lentement les fantassins sortent de leurs trous.

En face d’eux, à cent mètres, les sentinelles ennemies sont debout, baïonnette au canon. Les casques plats des Anglais et les casques ronds des Français sont nettement reconnaissables. On se voit pour la première fois depuis quatre ans sans se tirer les uns sur les autres.

Le silence persiste.

Cinq minutes, dix minutes, une demi-heure.

Les compagnies, poignées d’hommes, se rassemblent et se dirigent vers les cantonnements qui leur ont été assignés.

Des sentinelles restent en arrière. C’est vrai —ce n’est pas un rêve— ce n’est pas un cauchemar— tout est passé. La guerre est finie. On ne tire plus. Il n’y a plus de balle, ni d’éclat d’obus. Les listes des pertes sont closes.

On reverra ses foyers.

Au plus profond des cœurs jaillit une émotion sourde, une hésitation violente entre l’allégresse et la douleur atroce.

Ô terre natale ! Ô patrie ! »

 

Werner BEUMELBURG : La Guerre de 14-18 racontée par un allemand (Bartillat 2001)

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09/11/2011

DIJON AU FIL DES RUES

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La victoire ailée de la place de la République veille sur la ville aux cent clochers qui fut, jusqu’au XVe siècle, capitale de l’ancien duché de Bourgogne.

Aujourd’hui capitale régionale, Dijon, dont la renommée dans le domaine de la gastronomie comme dans celui des arts n’est plus à faire, a conservé suffisamment de témoins architecturaux des siècles passés pour qu’on ne doute pas qu’elle fut –et qu’elle demeure- l’une des cités la plus prestigieuse de France.

Pour découvrir une ville, rien ne vaut que de la traverser à pied, faute de quoi le regard, à trop embrasser et trop vite, se perd en conjectures sur ce qu’il faut en retenir. C’est qu’il balaye confusément sans voir, comme le font ces touristes promenés dans de petits trains. Les découvertes se méritent, et il convient de s’y préparer, comme un  traqueur  à l’affût. Et il ne faut pas craindre de revenir sur ses pas au risque de passer à côté de ce qui nous attendait : tel petit « détail » qui mérite qu’on s’y attarde et que peut-être, les plus proches des riverains n’ont jamais vu…

Dijon, comme toutes les villes qui ont une histoire, fourmille de ces trésors sur la piste desquels il faut savoir se placer.

Les monuments en font partie, mais eux sont tellement « évidents » qu’ils s’imposent d’eux-mêmes. Et pour peu qu’on passe à côté, ou qu’on n’ait pas le temps de les visiter, on se consolera en les retrouvant dans les pages des ouvrages d’art et d’histoire qui leur sont consacrés…

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L’église Notre-Dame marque le cœur de la vieille ville ; sa flèche élancée et ses quatre clochetons gouvernent les toits pentus revêtus de tuiles plates.

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A son pied, la rue de la chouette, plutôt ruelle que rue d’ailleurs, tire son nom du petit animal sculpté dans le congé d’un contrefort de l’une des chapelles de l’église.

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Affectionnée des dijonnais qui ne manquent pas de la gratifier d’une caresse au passage, l’icône, à ce qu’on rapporte, aurait le pouvoir d’exhausser les vœux. L’état d’usure de son plumage témoigne assez du nombre de mains qui se sont posées sur son aile !

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Ce jacquemart qui sonne les heures, rappelle qu’il y en eu ici comme ailleurs, d’heureuses et de terribles ; les voussures des portails de l’église Notre Dame orphelines de leurs statues matraquées par le vandalisme révolutionnaire de 1794 en savent quelque chose !

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Pour peu qu’on lève les yeux, on voit, aux linteaux des portes et des fenêtres, sur la rue ou dans des cours d’hôtels particuliers, des têtes sculptées qui n’ont rien à envier aux mascarons de Bordeaux.

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Les engoulants et autres figurines ouvragées dans les sablières des maisons à pans de bois disent assez bien l’art des charpentiers du moyen âge et de la renaissance.

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Les sculpteurs classiques et les tailleurs de pierres ont laissé dans les palais et les hôtels particuliers des chefs d’œuvres de finesse et de précision, telle cette frise en encorbellement sur arcade, ce monogramme ou cette console de balcon.

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La couleur est omni présente à Dijon qui a conservé de la tradition bourguignonne l’art de pavoiser ses rues. Elle a su se limiter à la rue et aux boutiques en n’affectant pas l’ordonnance architecturale des façades, comme on le voit bien souvent à l’heure actuelle dans les « rénovations » à la mode de trop de cœurs de ville. On ne dira jamais assez que c’est la matière même de la pierre de taille, la terre cuite de la tuile, l’oxydation du cuivre, la patine du zinc, les gris colorés des menuiseries qui assurent la beauté des monuments qu’ils habillent. C’est tellement vrai pour les menuiseries qu’elles doivent le plus souvent rester monochrome pour les fenêtres en accordant une autre valeur à la porte d’entrée.

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Remarquons combien le « gris zinc », partout présent en France, ou l’ « ocre jaune », était par excellence la couleur privilégiée  des palais comme des maisons les plus humbles.

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On comparera la tonalité de ces contrevents ajourés à la française avec celle du zinc patiné de cet ouvrage et on verra que c’est la même.

De même s’inspirera-t-on avec bonheur du vert de gris de ce clocher ou de ce dôme pour l’appliquer sur des ferronneries ou des menuiseries.

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Franchissons le seuil d’une église ou d’un palais et laissons nos yeux émerveillés se poser sur la beauté des œuvres sorties des mains d’artisans passés maîtres dans leur art. Voici la tour lanterne de Notre Dame et ses verrières au travers desquelles brillent les premiers éclats de l’étoile du matin.

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Voici le grand escalier du palais des états et ses degrés de pierre que foulèrent les princes.

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Voici, pratique assez peu courante pour qu’elle vaille d’être montrée, de faux vitraux dus au pinceau d’un artiste oublié…

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Traversons le marché couvert qui a su conserver son architecture de briques et de métal ainsi que l’a voulu l'entreprise Eiffel en 1868.

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On n’en finira pas d’arpenter les rues de Dijon sans se lasser. Du pavé aux faîtages, partout, on sera surpris par quelque chose de remarquable, voire d’insolite.

Remarquable comme cette grille à piques de hallebarde, ou ce fleuron habilement forgé ; ce coq en mosaïque ou cette enseigne en drapeau, meublée d’apothicaires.

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Insolite comme cette souche de cheminée en voie de dégradation qu’on a « chaussée » d’un filet bleu de cobalt au dessus duquel  trône le rouge brique des mitres de poterie.

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Insolite et surprenant comme ce nid béni des dieux, symbole de la vie qui sans cesse se renouvelle…

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...et s’en va, ainsi que le dit au passant ce crâne en médaillon maçonné dans le mur de l’église, gravé par une main anonyme depuis longtemps sous les terreaux.

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Il demeure, en quoi réside sa secrète beauté et nous passons, en quoi, sans doute, réside la nôtre…

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