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15/12/2019

IN MEMORIAM ANNA KARINA

Anna Karina (Hanne Karin Bayer) s’en est allée hier 14 décembre à l’âge de 79 ans.

Elle avait quitté, à 17 ans, son Danemark natal pour Paris où elle devint l’égérie puis l’épouse du chef de file de la Nouvelle Vague, Jean-luc Godard, lequel lui confiera un rôle dans la majorité de ses films.

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Actrice, chanteuse, femme de lettres, la carrière d’Anna Karina aura laissé à ceux de sa génération, un souvenir impérissable.

Elle aurait pu interpréter Jeanne d’Arc, et, d’une certaine façon, elle l’a fait quelques secondes dans « Vivre sa vie «  (1962) où elle pleure en regardant Falconetti, l’inoubliable interprète de Jeanne devant la mort, dans le chef d’œuvre de Carl Dreyer, son compatriote.


Ses larmes, qui sont celles de Jeanne coulant sur un visage d’ange, sont le sel de la terre sans lequel le plomb de notre condition de mortel ne saurait se changer en or tant il est vrai qu’il faut «  pour voir le monde avec des yeux neufs, avoir perdu ses yeux anciens à force de pleurer » (Gustav Meyrink).

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Adieu Belle Anna Karina de ma jeunesse, j’aime à croire que maintenant, enfin, tu VOIS.

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05/05/2016

IN MEMORIAM NEIGE

 

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"La leucémie est le jardin où fleurit Dieu." CIORAN (Syllogismes de l'amertume)

Tu es partie dimanche 24 avril à 22 heures…

A pas feutrés, je suis allé te voir à minuit une dernière fois… J’ai poussé la porte 9165 de la chambre où tu reposais tout au bout d’un couloir désert au dernier étage du CHU Dupuytren. Je savais bien que la Mort rodait alentour, qu’elle musardait en quête d’autres proies ; mais je n’avais pas rendez-vous avec elle, non, c’est ta mort à toi que je venais saluer, ton « Petit Voleur » comme disais Thérèse, la petite sœur.

Et ton « petit voleur » est venu te prendre discrètement, peu de temps après mon départ.

Il n’y avait rien à dire, Le Seigneur qui, t’ emporta cette nuit là sous son aile, savait ce qu’il faisait…


 

Tu reposais dans la pénombre sur ton lit de douleur, le drap tiré sous le menton de ton pauvre visage déformé par le mal qui, deux années durant, ne t’avait guère accordé de répit. Toi, naguère si belle, au profil parfait de l’ ange, aux yeux si tendres qui savaient quelquefois se montrer terribles quand se réveillait en ton for la lionne que tu étais, toi à la bouche rieuse et au timbre clair apte à rebondir même dans le malheur, toi… Mais était-ce toi ? Non, ce vêtement de peau parcheminé par la chimiothérapie, cette enveloppe jaunie, cette coquille terne bourrée de morphine et de cortisone, ce n’était plus toi… Tout entièrement, tu t’étais cachée dedans, toujours la même, éternelle beauté sans taches. Ah ! il fallait tirer la lettre de l’enveloppe et casser la coquille pour libérer l’oiseau ! Et l’oiseau allait s’envoler, je le savais.


Je sentais qu’il ne nous laisserait que peut de temps pour t’avoir là, encore mortelle, près de nous… Dans l’attente de quoi ? D’un miracle ? Non, le miracle était que tu partes enfin délivrée de ce corps de misère, que tu prennes la porte pour t’en aller « là où le vent n’a plus de feuilles mortes à râteler… ». Et tu t’en es allée, doucement à l’entrée de la nuit, portée par les ailes du vent pour ce pays de liberté où nous nous rendrons tous un jour, nous qui sommes encore dans ce pays de contrainte où nous subissons la dure loi de la nécessité. Te voilà libre maintenant et tu voles, tu penses « chat » et le chat vient, le chat Théophile, ou peut-être Justin, Adélaïde ou bien Achille… tu penses « arbre » et l’arbre surgit devant toi, le beau, le vieux, ton gros tilleul de Saint Joseph dont l’ombre bienfaisante couvrait, l’été, la moitié de la cour… Tout ce que tu penses t’est accordé et d’avantage encore que nous ignorons, parce qu’à présent tu sais et que nous ne savons pas, nous qui demeurons… à peine pouvons-nous supposer.

Je veux croire que tu te promènes toujours dans ta maison, que tu veilles sur les cinq chats qui l’habitent encore, avant que je ne les emmène dans la mienne, promesse que je t’ai faite et que je tiendrai ; ils compléteront mon troupeau déjà conséquent…

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JUSTIN

Je n’ai pas voulu croire que tu t’en irais au mitan de l’âge ; peut-être parce que tout s’était mis en place pour que tu restes et achèves ce que tu avais entrepris. Signes trompeurs sans doute et pourtant ô combien prometteurs ! A l’orée de la grande forêt des Prieurés Bagnolet, où je t’avais trouvé une location qui convenait à ton travail, la maison de bois sait que tu ne viendras plus… quelques uns de tes chats rôdent alentour… Catherine et Yves les ont adoptés, qui veillaient sur toi au CHU Estaing.

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JOSEPHINE

A Moulins, tes employeurs qui savaient combien tu tenais à ce poste t’ont attendue deux ans durant, ils t’attendraient encore si tu n’étais partie…

Fidèles parmi les fidèles ils t’ont raccompagnée chez toi à la petite église de La Jonchère Saint Maurice où sous la voûte, ce jeudi 28 avril, j’ai souhaité, en nous voyant réunis autour de ta bière, que la neige tombe soudainement sur nous à gros flocons blancs comme le plumail des anges, pour faire germer dans nos cœurs des graines d’immortelles, de pensées et de myosotis pour qu’on ne t’oublie pas.

 



Des myosotis d’ailleurs, il y en a plein la cour de ta maison, là où j’avais, les uns après les autres enterré dix-huit de tes chats qui t’avaient précédé dans la tombe à compter du jour de ta redoutable leucémie. Il est des mystères qui, pour des yeux éclairés, n’en sont pas...

A présent, ta maison, l’ancien pensionnat Saint Joseph où nous connûmes nos joies et nos peines, quand je m’en approche et retrouve tes aires familières, me fend le cœur… C’est un sanctuaire où tout parle de toi. Elle attend que vienne le jour où tout disparaîtra pour renaître à nouveau comme le phénix, purifié, de ses cendres.

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C’est alors, passé au crible de l’épreuve comme il te fut donné à toi, Neige, de le vivre, que nous saurons enfin pourquoi, il fallait en passer par là…

 


« Pour voir le monde avec des yeux neufs, il faut avoir perdu ses yeux anciens à force de pleurer… » (Meyrink, Le Visage vert)

 

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VICTOR

 

 Toi qui es dans la lumière, puisses-tu éclairer notre chemin, à nous qui sommes encore dans les ténèbres.

 

« … Bientôt je l’entendrai cette douce harmonie

Bientôt dans le beau ciel, je vais aller te voir

Toi qui vint me sourire au matin de ma vie

Viens me sourire encore… Mère… voici le soir !...

Je ne crains plus l’éclat de ta gloire suprême

Avec toi j’ai souffert et je veux maintenant

Chanter sur tes genoux, Marie, pourquoi je t’aime

Et redire à jamais que je suis ton enfant !...

(Thérèse de Lisieux : Pourquoi je t’aime, ô Marie)

 

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LUCETTE

 

 

Et qui d’autre, mieux que Louis Cattiaux, le sage, saura réchauffer nos cœurs ?

 

  • « L’épreuve dénude la vérité et la fait resplendir pleinement. » (I/27’)
  • « La nature donne des leçons, elle n’en reçoit pas. »(I/47)
  • « La science des hommes est un fumier recouvert de clinquant. La science de Dieu est un or recouvert de boue. »(II/6)
  • « L’aiguillon de la mort est là pour obliger les hommes à rechercher le pourquoi de toutes choses et d’eux-mêmes. »(II/13)
  • « L’extrême humiliation de la mort est l’entrée obligatoire à la splendeur de la vie céleste, car la séparation terrestre est le commencement du ciel manifesté. »(II/76’)
  • « Quand nous serons préparés à suivre la mort sans nous retourner, nous pourrons jouer avec le monde sans crainte de mourir. »(III/86’)
  • « Quand nous mourrons, nous nous réveillerons en Dieu et nous nous souviendrons de notre vie comme d’un rêve absurde. »(IV/43)
  • « Toutes les habitudes mènent à la mort. Le ronronnement et l’assoupissement des cloîtres sont autant à craindre que les tentations du monde. »(IV/45)
  • « Dieu vit et attend dans chacun de nous. Il suffit de mourir au monde et à soi-même pour l’entendre et pour le voir aussitôt. »(IV/80)
  • « Celui qui voit et aime Dieu à travers toutes les apparences du monde, est seul à ne pas s’étonner et à ne pas souffrir quand tout s’évanouit. »(IV/83)
  • « C’est dans le malheur et au moment de la mort que l’homme révèle ce qu’il porte en lui. »(V/25)
  • « Plus on appartient à l’Etre, plus le monde devient irréel. Plus on se donne au monde, plus Dieu semble inexistant. »(V/45)
  • « User du monde comme d’un prêt consenti par Dieu, et l’en remercier en toute circonstance : voilà l’intelligence. »(V/61)
  • « Ceux qui disputent au sujet de Dieu ne sont pas en lui. »(V/86’)
  • « La mort est un phénomène qu’il faut étudier longtemps avant de pouvoir le dominer réellement par la puissance du Dieu vivant incarné en nous. »(VII/29)
  • « Tes leçons sont dures, Seigneur, et beaucoup ne les comprennent pas, mais pour tes enfants, c’est un enrichissement sans fin. Ô bon Seigneur, enseigne-nous doucement et avec patience, car ce monde est mauvais et la douleur l’habite. »(XXXV/19)

 

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LE CHRIST D'AGONGES

 


 

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23/12/2009

SALUT AUX COUREURS D'AVENTURES

 

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Illustration d'Ivan BILIBINE

A la question reprise par Heidegger dans son « Introduction à la Métaphysique » (1): « Pourquoi donc y a-t-il l'Etant et non pas plutôt Rien ? », substituons un instant celle-ci : « Pourquoi donc manifesté-je à présent ce Monde plutôt qu'un autre ? ». Elle vise, dans la perspective solipsiste, formulée par Ladislav Klima (2) au sujet du « problème mondial », à transgresser l'interdit de la déchirure de l'écran où se joue la farce de nos représentations, en posant la possibilité d'un « contournement » de la manifestation.

La prise de conscience de l'émergence de l'étant (et l'éventualité de sa disparition fantomatique en dépit du paradoxe de sa solidité apparente) peut mettre sur la voie, tout en sachant qu'on ne soulève pas impunément le voile d'Isis.

La sensation qu' on peut avoir, d'être captif de l'immensité tentaculaire d'un monde contingent favorise, sans qu'on l'attende, le « renversement », et fait en sorte que quelque chose, comme un voleur, vienne se glisser dans la faille pour ébranler nos certitudes, en brisant la chaîne qui nous entrave et muselle nos velléités de croqueurs de pommes. On ne saurait trop ouvrir les yeux, ni les oreilles, parce qu'il n'y a rien de plus trouble ni de plus obscur en effet qu'un monde borné à ce qu'il nous est donné de voir et d'entendre le matin, au réveil.

L'assurance qu'on a d'être éveillé, alors qu'on reste, comme le répète Gustav Meyrink (3) « prisonnier du sommeil », nous cache la nature du réel et fixe la limite de notre horizon aux modèles qu'on nous a enseignés. Dès lors, la représentation du monde n'apparaît plus que comme une collection d'objets mémorisés, plus ou moins interchangeables, qui sont autant de pièges, étalés sur les tréteaux d'un démiurge insaisissable. Ce panorama, « dressé par les sens dans la conscience » (4), dont on pourrait croire qu'il change en fonction de nos particularismes sociaux qui en déforment à peine les contours, se renouvelle quotidiennement en imprimant la marque de l'usure dans la chambre noire de notre cerveau ; à peine l'entropie en accélère-t-elle le processus de décomposition. La seule issue que nous pourrions trouver dans le fouillis de nos raisonnements n'est qu'une impasse au fond de laquelle nous aurons tout loisir de pourrir avec les décombres de la pensée, prisonniers du temps et de nos projections.

C'est un autre chemin qu'il convient de prendre, du genre de ceux qui s'enfoncent au milieu des bois « dans le non frayé » (5) qui laissent croire qu'ils ne conduisent nulle part. C'est le sentier du « guerrier » et du « rebelle » qui reste sur ses gardes et se nourrit de révoltes et d'abord contre soi-même, la « personne », c'est-à-dire le « masque », et contre tout ce que ce masque a fabriqué à l'insu du combattant qui se lève, de faux appuis et de faux frères. Ce chemin est étroit et plein d'embûches, jonché de spectres et de cadavres ; à l'évidence ce genre de route n'est pas fait pour la multitude qui chemine au hasard des transhumances, vers la chaleur accueillante de l'étable, prélude des abattoirs. C'est une piste de guerre plutôt que de promenade, où l'on avance en vigilance, à la manière du Cavalier Bleu (6), en louvoyant, guidé par l'appel d'une voix à peine audible et dont on reconnaît le timbre, au fur et à mesure de la progression ; ce n'est pas la voix de la raison des hommes, ce n'est pas non plus celle de leurs folies.

Ceux qui ont foulé ces terres savent que seule « l'âme douée de la constitution la mieux trempée et de l'astuce la plus granitique ose s'aventurer dans ces contrées... » (7). Chercher la cause de cet engagement autre part que dans l'obsession viscérale de la fuite du temps et le refus de la soumission serait manquer de lucidité. Elle procède de notre crainte de voir le monstre l'emporter finalement sur nous et par là, nous donne des ailes, et l'aptitude de vendre chèrement notre peau.

 

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A. DURER

 

Le « guerrier » (8) ne meurt pas de la mort ordinaire ; il s'y prend à l'avance. Voilà pourquoi il s'observe comme son propre ennemi, et commence par déranger les strates discordantes de la conscience, qu'on peut assimiler à l'empilement des couches géologiques où se rassemblent à la faveur des failles, des résidus et des dépôts qui peuvent être de précieux auxiliaires.

Celui qui entreprend le voyage doit aiguiser sa sagacité, affiner ses facultés de discernement, ne pas relâcher l'attention, et nourrir la foi du charbonnier car l'ennemi rusé l'emportera, aussi longtemps que l'ego restera complaisant avec lui-même. Il doit donc entretenir ce « feu » qu'évoque Gurdjieff (9), sans l'aide duquel aucune fusion ne peut être obtenue, susceptible de changer le monde intérieur en un tout ; voilà pourquoi il est dit que l'homme doit être prêt à tout sacrifier et à tout risquer pour sa libération. Klima, à travers le concept de la « Volonté absolument commandante », ne vise rien d'autre. Le feu, c'est la volonté gouvernée à parts égales par l'intuition et la raison du Sage, laquelle peut paraître déraisonnable aux yeux des hommes. Ainsi armé, le « Noble Voyageur » méditera ces deux versets tirés du « Message Retrouvé » (10), qui l'aideront mieux qu'une carte topographique à orienter sa marche :

«  C'est le monde du dedans qui changera premièrement,

ensuite, le monde du dehors sera aussi fait clair et beau. » (XX/48')

«  Tout ce qui est véridique au-dedans est aussi valable

au-dehors, car les deux ne font qu'un en trois. » (III/65')

Fort de ce qu'il en aura tiré, il puisera dans sa propre terre la matière de son Œuvre Royal pour trans-former le monde en vertu des lois de réciprocité qui le régissent et en ouvrent l'accès. Car ce monde fugace, constitué d'agrégats frappés du sceau de l'usure et de la corruption, doit par sa nature même disparaître un jour dans le chaudron du Cosmocrator pour renaître, tel le phénix, épuré de toutes scories.

Ceux qui, venus d'horizons divers, ont traversé ces landes phénoménales à priori inhospitalières, s'accorderont sur la pertinence de l'observation de Klima :

« Voici le chemin de la liberté ! ne se laisser décourager par rien, ni par ses propres doutes ni par les absurdités les plus colossales, moins encore par le ricanement des imbéciles » (11).

Le prix de la liberté implique non seulement qu'on s'affranchisse de l'emprise des passions, mais aussi de celles des croyances et des espérances profanes fabriquées par les fantômes d'un vaisseau qui coule et qui est celui du vieux monde qui nous a vu naître. C'est donc la marque d'un esprit libre que d'échapper à l'influence des opinions humaines ; et c'est bien ici qu'achoppent les raisonneurs, les lourdauds et les rêveurs qui s'obstinent à croire que quelque chose va se mettre à changer sous le soleil uniquement en raison de l'idée qu'ils se font d'eux-mêmes et de leurs mérites personnels. Tout ce qui arrive, dès l'instant qu'on est sur la piste, arrive à dessin ; et l'arpenteur d'âme reconnaîtra les signes de son changement à proportion du soin qu'il aura mis à balayer les écuries d'Augias.

La fable des religions et leur morale d'esclave, celle de tous les cénacles occultistes ou spirites et leurs expériences naïves, les intrigues et les complaisances des loges, les délayages des « spiritualités »assaisonnées à la sauce « New-âge », tous ces périphériques satellisés, ont grandement contribué à transformer en plomb l'or initial du feu qui nous anime. Aussi est-ce une grâce, que d'échapper à la succion de la lune et de ses épiphytes ! N'étant plus soumis aux tentations du monde, ayant fait table rase des interdits et réglé son compte au ressentiment, le Noble Chevalier, seul au monde, pèsera le poids des mots et des sentences humaines et le comparera à celui des cendres de ses souvenirs. Il accomplira son parcours par les chemins de traverse en considérant l'obstacle comme le bienvenu. Il verra, comme il est dit dans la « Marelle » (12), « toute chose futile avec gravité et toute chose grave avec futilité », ainsi les épreuves à affronter seront-elles autant d'occasions de le réconcilier avec lui-même.

Si l'ombre du doute parfois l'étreint, ce sera pour juger de sa fermeté, et si Némésis la Glorieuse (13) lui taille la route, ce sera pour lui montrer, à la manière du chacal, ce noble animal,ce qui reste à digérer de corrompu ; c'est une sage conseillère qui de bonne trempe, forgera son âme et sa volonté !

 

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Musée du CAIRE

Salut et Gloire aux Fils de la Terre et du Ciel qui ont accompli sans faillir l'Arcane et assumé le destin du Mat pour réitérer le parcours afin de cuire et recuire l'Ouvrage. Ceux qui ont remporté la première victoire sur eux-mêmes, savent ce qu'il en coûte d'efforts, et ce qu'il en est des vérités à la lettre qui ne sont pas vécues organiquement. Ils savent aussi ce que « se préparer » veut dire, faute de quoi, ils couraient le risque dans l'entreprise de s'enfoncer dans les sables mouvants des illusions de la pensée qui sommeille. La préparation est à l'esprit ce que l'armure est au corps ; elle nécessite patience, ténacité, courage et intelligence et commence par « l'observation de soi », qui doit s'effectuer sans complaisance, dans tous les actes de la vie.

C'est la lutte contre les habitudes et tout ce qui s'y rattache qui confère la maîtrise des fonctions de la « machine humaine » (14). Tout ce qui identifie l'homme aux circonstances qui l'emprisonnent doit être tranché sans faillir, à l'instar du combat d'Hercule avec l'Hydre.

Voilà ce que nous livre le Message Retrouvé, vers lequel nous nous tournons encore, qui résume bien la tâche :

«  Le seul travail qui compte véritablement est le travail

sur nous-même. Le reste set un pis-aller provisoire

consenti aux nécessités de nos vies prisonnières. » (XVI/20)

«  Toutes les habitudes mènent à la mort. Le ronronnement

et l'assoupissement des cloîtres sont autant à craindre

que les tentations du monde. » (IV/45)

Les Coureurs d'Aventure ont commencé par-là, chacun dans leur coin du monde, comme les pionniers du Grand Nord canadien des romans de James Oliver Curwood (15), ou ceux de l'épopée johannique ; saluons en eux les montreurs du chemin et lançons nous sur leurs traces, il y a des chances, quand ils se retourneront, que nous reconnaissions leur visage...

 

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Départ de Vaucouleurs, (Illustration J.BOUTET de MONVEL)

 

(1)         Martin Heiddeger : Introduction à la Métaphysique, éd. Gallimard.

(2)         Ladislav Klima : Je suis la Volonté Absolue, éd. Café-Climat.

(3)         Gustav Meyrinck : Le Visage Vert, éd. Du Rocher.

(4)         André Pieyre de Mandiargues : introduction au Musé Noir, éd. Gallimard.

(5)         Martin Heidegger : Chemins qui ne mènent nulle part, éd. Gallimard.

(6)         Henri Montaigu : Le Cavalier Bleu, éd. Denoël.

(7)         Ladislav Klima, opuscule cité.

(8)         Carlos Castaneda : Enseignements d'un sorcier yaqui ; Le Voyage à Ixtlan, éd. Gallimard.

(9)          Ouspensky : Fragments d'un Enseignement Inconnu, éd. Stock.

(10)        Louis Cattiaux : Le Message Retrouvé, éd. Amis de Louis Cattiaux.

(11)        Ladislav Klima, opuscule cité.

(12)        Gérard de Sorval : La Marelle ou les Sept Marches du Paradis, éd. Trédaniel.

(13)        Ladislav Klima : Némésis la Glorieuse, éd. La Différence.

(14)        Ouspensky, opuscule cité.

(15)        J.O. Curwood : Série des Romans canadiens, non réédités, éd ; Hachette.

 

 

 

11:39 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : klima, meyrink, conscience, guerrier