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30/05/2020

IN MEMORIAM JOANNA PUELLA DEI

 

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(Monument de Bonsecours, oeuvre d'Ernest BARRIAS)

 

Rouen, 30 mai 1431 place du Vieux Marché, l'abominable s'accomplit...

Il y a de cela 589 ans.

Voici un extrait de l'ouvrage du RP Paul DONCOEUR " Le Mystère de la Passion de Jeanne d'Arc", suivi de la prière dite sur la tombe de Charles Péguy:

 

«  Dans le soufre, le charbon et l’huile, une torche nouvelle ajoute sa flamme, et au loin, par crainte du feu, passent les curieux en se signant.

Enfin l’estache s’effondre. Une nuée d’étincelles rejaillit du brasier. L’œuvre du feu est faite.

Dans les cendres qu’il remue, le bourreau Thirache trouve un cœur, lourd de sang, qu’il montre à Jean Fleury, secrétaire du Bailly.

Et, « nonobstant l’huile, le soufre, et le charbon qu’il avait appliqué contre les entrailles et cœur de ladite Jeanne, toutefois, il n’avait pu aucunement consumer ni rendre en cendres les breuilles ni le cœur ». De quoi à trente ans de là le malheureux se souviendra comme d’un miracle tout évident ».

Dans les rues, c’est une stupeur.

Le bourreau, comme fou, a couru rejoindre frère Ladvenu en son couvent, pleurant, suppliant une absolution :

- Jamais je n’aurai le pardon de Dieu, j’ai brûlé une sainte !

La place est un désert qu’emplit l’effroi.

Vers 4 heures l’aide du bourreau a démoli le socle de plâtre et ramassé dans un tombereau les cendres. Il a, dans une pelle, le cœur.

Qu’en faire ?

Le cardinal d’Angleterre a répondu de jeter tout cela à la Seine.

Vers 5 heure, du pont Mathilde, un sac est lancé et disparaît, roulé dans le courant.

Sonnaient les cloches des vêpres du Saint Sacrement.

Mysterium fidei

 

SUSCIPE SANCTE PATER

HANC IMMACULATAM

HOSTIAM

 

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(Oeuvre d'Ernest BARRIAS, à Bonsecours colline des aigles)

 

Jeanne, sœur tout aimée, pouvons-nous vous parler à genoux ?

Ils ont voulu que la poudre de « votre corps fût jetée par sacs en la rivière, afin que jamais sorcherie ou mauvaiseté on n’en put faire ou proposer ». Ils ont voulu qu’il n’y eût pas un coin de terre française où vos petits frères puissent venir s’agenouiller pour vous demander le courage ;

Sainte Jeanne, sœur tout aimée, cette poussière c’est dans nos cœurs qu’elle est tombée et repose.

Au pont Mathilde, les 30 mai, vos petites sœurs de Rouen jetteront chaque année des roses blanches pour en couvrir la Seine votre tombe.

Mais, tant que France sera, sachez que vos sœurs et vos frères cadets renouvelleront ce jour-là, le serment silencieux par lequel, avec vous, ils donneront leurs rêves de 20 ans, et s’il plaît à Dieu, pour la France, brève ou longue, leur vie.

Villeroy, le 5 septembre 1930

Sur la tombe de Péguy

15/12/2019

IN MEMORIAM ANNA KARINA

Anna Karina (Hanne Karin Bayer) s’en est allée hier 14 décembre à l’âge de 79 ans.

Elle avait quitté, à 17 ans, son Danemark natal pour Paris où elle devint l’égérie puis l’épouse du chef de file de la Nouvelle Vague, Jean-luc Godard, lequel lui confiera un rôle dans la majorité de ses films.

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Actrice, chanteuse, femme de lettres, la carrière d’Anna Karina aura laissé à ceux de sa génération, un souvenir impérissable.

Elle aurait pu interpréter Jeanne d’Arc, et, d’une certaine façon, elle l’a fait quelques secondes dans « Vivre sa vie «  (1962) où elle pleure en regardant Falconetti, l’inoubliable interprète de Jeanne devant la mort, dans le chef d’œuvre de Carl Dreyer, son compatriote.


Ses larmes, qui sont celles de Jeanne coulant sur un visage d’ange, sont le sel de la terre sans lequel le plomb de notre condition de mortel ne saurait se changer en or tant il est vrai qu’il faut «  pour voir le monde avec des yeux neufs, avoir perdu ses yeux anciens à force de pleurer » (Gustav Meyrink).

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Adieu Belle Anna Karina de ma jeunesse, j’aime à croire que maintenant, enfin, tu VOIS.

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18/05/2011

18 MAI 1887

 

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Anniversaire  de la naissance de l’écrivain allemand Ernst WIECHERT, qui vit le jour Le 18 mai 1887 en Prusse orientale dans la région de Sensburg. Ce fils de forestiers élevé au milieu des bois et des marais dans le respect de la religion de ses pères, a puisé la matière de son œuvre au contact des humbles et de la nature qu’il a observé dans le recueillement et la méditation où le portait son tempérament. Ses interrogations sur la vie et sur la mort, sur la force du destin, sur le mal et la rédemption, et la façon dont ils les arrange, font de son œuvre une matière de vitrail où les thèmes sont répétés sans jamais lasser le lecteur. On s’y attarde volontiers, parce qu’on y trouve le calme et la paix semblables à ceux qui vous accueillent quand on pousse la porte d’un sanctuaire ou d’une cathédrale.

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Lire Wiechert –dont les ouvrages malheureusement ne sont plus édités- c’est un peu comme « entrer » dans l’œuvre de Schubert ; on n’est plus tout à fait le même quand on en sort. Voici quelques extraits tirés successivement de la SERVANTE du PASSEUR (1932), des ENFANTS JEROMINE (1945), de LA VIE SIMPLE (1939) et de MISSA SINE NOMINE (1950)…

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« Là, ses pensées furent coupées net. Dans l’entrebâillement de la porte branlante, se tenait la chose grise, impalpable, la chose sans visage, qui n’était qu’une forme fumeuse. Un corps aux épaules d’ombre penché sur l’eau et qui tâtonnait, ramant contre le flot avec des bras invisibles. Une fois sur le seuil, l’un des bras s’éleva et fit un geste vague, mais qui, de quelque manière, demandait – un semblant de signe, mais qui lentement et comme dissous, oublié, se perdit. Un glaçon pénétra par la porte, guère plus large que la main, heurta l’échelle, tourna sur lui-même et glissa dans la chambre. Il glissa au travers de la chose grise, la coupa en deux, juste au-dessus des épaules et l’emporta, de sorte qu’on ne vit plus que l’eau où nageaient de petites bulles blanches.

Jürgen ramena son bras. Il pensait avoir compris que l’ombre réclamait quelque chose, mais Jürgen ne voulait pas. Il ne voulait pas acheter son repos en donnant ce que Martha avait porté dans son sein. Il resta encore un instant assis sur l’échelle. Comme toujours après ces apparitions, il avait les genoux brisés et une main glacée lui pesait sur le cœur. Toutes ses pensées sombrèrent. Un froid humide le transperça jusqu’aux moelles, comme le brouillard d’automne sur le fleuve, la nuit. Un enfant l’aurait poussé à bas de son siège, qu’il ne se serait pas défendu. Seul le glaçon nageait toujours devant ses yeux, et sa tranche bleuâtre qui avait coupé l’Ombre ».

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« Il prit doucement dans sa main le sein de la jeune fille et se pencha encore une fois sur elle. “ La mort n’existe pas, Marguerite ; tu m’entends ? La mort n’existe pas. “

Elle le regarda incertaine, puis elle sourit avec un mélange d’humilité et de sagesse. “ Tu penses donc toujours, Jons ?“ demanda-t-elle. “Il ne faut pas penser quand tu es dans mes bras.“

Quel été ce fut, et comment était-il possible qu’il tuât des milliers et des milliers d’hommes tandis qu’ici les nuages blancs passaient sur le fleuve et que la nuit les orages lointains projetaient leur lumière bleue sur le visage de la jeune fille ? Que les hommes fussent tués parce que quelques-uns d’entre eux le voulaient, ce n’était pas le sens de la vie. Et ce n’était pas non plus le sens de la mort. Son sens était qu’elle apparût quand l’astre était au zénith, et que le mince croissant sombre entamait doucement sa lumière. Elle venait pour accomplir et non pour détruire. Elle n’était qu’un simple moissonneur, avec une simple faucille, et seuls les hommes l’avaient multipliée par dix, par mille. Elle était devenue un valet, et comme tous les valets elle ne connaissait pas de mesure. Ils l’avaient dépouillée de son caractère sacré et il était vain de la louer maintenant et de lui tresser des couronnes. Son pas était devenu aussi familier que celui du facteur dans la rue, et ils plaisantaient à son propos, comme si elle avait été l’un des leurs ».

 

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« Il est des années dont on ne saurait rien mentionner, rien relever. Elles sont comme les barreaux d’une palissade et il faut attendre de nouveau un moment jusqu’à ce que revienne un des piquets de chêne qui tient l’ensemble et lui donne de l’allure. Mais nous ne connaissons pas de palissade qui ne soit constituée que de piquets, pas de vie, dont chaque jour vaille d’être mentionné ou relevé. Ce seraient alors une puissante palissade et une puissante vie.

Le destin est chiche de grandes années. Un gamin tenant une baguette à la main court le long d’une palissade. La baguette passe sur les barreaux et cliquette d’un son monotone jusqu’à ce qu’arrive un des piquets. Alors cela rend un son distinct, sourd. Ainsi en va-t-il de nos années, le long desquelles court le destin. Elles cliquettent un peu jusqu’à ce que revienne une année cruciale. Il ne faut pas les dédaigner, la vie sait bien pourquoi elles sont là ; mais il ne faut pas en parler. Les vies silencieuses sont comme des pierres. Elles croissent dans les profondeurs et personne ne sait rien d’elles. Mais un jour c’est d’elles que sont construites les grandes cathédrales ».

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« Je m’imagine toujours qu’il viendra un moment, où les hommes découvriront tout d’un coup qu’il leur manque quelque chose et que cela se trouve derrière eux et non point en avant. Qu’il pourrait venir un moment, dans leur vie, où ils délaisseraient les short stories ou les bestsellers, pour chercher à se rappeler la strophe d’un cantique appris dans leur enfance. Qu’ils arrêteront un jour leur appareil de T.S.F. et que, dans l’inquiétant silence qui surviendra alors, ils resteront médusés sur leurs sièges, fantômes délaissés, et quand ils promèneront leurs regards autour d’eux ils ne découvriront que des fantômes comme eux, assis, eux aussi, devant leurs machines à bruit silencieuses. Un réfrigérateur ne vaut pas la jupe de soie noire de leur grand-mère, où tout petits ils allaient blottir leur visage, quand ils avaient peur.

“Or, la peur viendra, frère, elle est déjà là, on sent son souffle froid. Une immense peur de la terrible solitude réservée à l’espèce humaine, qui a détrôné la grand-mère et le bon Dieu, pour démolir les atomes et faire partir des fusées dans la lune.

“ Et quand cela se produira, frère, ils regarderont autour d’eux, égarés comme des fantômes, et peut-être iront-ils trouver ceux qui ont ramassé les vieilleries dans la poussière du chemin et les ont conservées “.

(…)  Car il n’y avait plus de vieille femme, assise à la tombée de la nuit au coin du feu, le fil de son rouet entre les doigts, pour leur conter les contes du temps jadis, dans lesquels la bonté et la vaillance étaient récompensées… (…) Car même pour les enfants, “Il était une fois…“ avait pris un autre sens. Il évoquait en somme la perte d’un bien et non celle d’un charme. Et il fallait longtemps pour faire renaître lentement et prudemment ce charme, devant leurs yeux clairs et critiques.

Et le baron estimait qu’il fallait s’y mettre de tout son cœur, pour que la lueur du trésor ne s’abîmât pas définitivement dans les profondeurs, si loin que ni l’œil ni l’oreille ne la reconnaîtraient plus, quand retentirait l’ “appel du temps“. Avec la lueur de ce trésor s’engloutirait aussi la dernière lueur d’un peuple. Le jour viendrait où artistes et enfants parleraient la même langue, cet effroyable langage des scaphandriers, qui ne touchaient plus les trésors engloutis que du bout du pied. Un langage sans vertu magique et sans mystère, la langue des hauts-parleurs et des fusées interplanétaires ».

 

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