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23/03/2022

A L'HEURE OU TOMBENT LES BOMBES

 

 

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Breughel LE TRIOMPHE DE LA MORT

 

A l'heure où tombent les bombes, pas si loin, là-bas, vers l'Est, voici un lien utile et une chanson de circonstance DER TOD IN FLANDERN https://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=4...

 

Et voici cette même chanson dans une autre interprétation tout aussi remarquable:

https://www.youtube.com/watch?v=WoG2zwePN00

 

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Vassili Verechtchaguine

 

Rien de nouveau sous le soleil...

 


 

05/05/2016

IN MEMORIAM NEIGE

 

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"La leucémie est le jardin où fleurit Dieu." CIORAN (Syllogismes de l'amertume)

Tu es partie dimanche 24 avril à 22 heures…

A pas feutrés, je suis allé te voir à minuit une dernière fois… J’ai poussé la porte 9165 de la chambre où tu reposais tout au bout d’un couloir désert au dernier étage du CHU Dupuytren. Je savais bien que la Mort rodait alentour, qu’elle musardait en quête d’autres proies ; mais je n’avais pas rendez-vous avec elle, non, c’est ta mort à toi que je venais saluer, ton « Petit Voleur » comme disais Thérèse, la petite sœur.

Et ton « petit voleur » est venu te prendre discrètement, peu de temps après mon départ.

Il n’y avait rien à dire, Le Seigneur qui, t’ emporta cette nuit là sous son aile, savait ce qu’il faisait…


 

Tu reposais dans la pénombre sur ton lit de douleur, le drap tiré sous le menton de ton pauvre visage déformé par le mal qui, deux années durant, ne t’avait guère accordé de répit. Toi, naguère si belle, au profil parfait de l’ ange, aux yeux si tendres qui savaient quelquefois se montrer terribles quand se réveillait en ton for la lionne que tu étais, toi à la bouche rieuse et au timbre clair apte à rebondir même dans le malheur, toi… Mais était-ce toi ? Non, ce vêtement de peau parcheminé par la chimiothérapie, cette enveloppe jaunie, cette coquille terne bourrée de morphine et de cortisone, ce n’était plus toi… Tout entièrement, tu t’étais cachée dedans, toujours la même, éternelle beauté sans taches. Ah ! il fallait tirer la lettre de l’enveloppe et casser la coquille pour libérer l’oiseau ! Et l’oiseau allait s’envoler, je le savais.


Je sentais qu’il ne nous laisserait que peut de temps pour t’avoir là, encore mortelle, près de nous… Dans l’attente de quoi ? D’un miracle ? Non, le miracle était que tu partes enfin délivrée de ce corps de misère, que tu prennes la porte pour t’en aller « là où le vent n’a plus de feuilles mortes à râteler… ». Et tu t’en es allée, doucement à l’entrée de la nuit, portée par les ailes du vent pour ce pays de liberté où nous nous rendrons tous un jour, nous qui sommes encore dans ce pays de contrainte où nous subissons la dure loi de la nécessité. Te voilà libre maintenant et tu voles, tu penses « chat » et le chat vient, le chat Théophile, ou peut-être Justin, Adélaïde ou bien Achille… tu penses « arbre » et l’arbre surgit devant toi, le beau, le vieux, ton gros tilleul de Saint Joseph dont l’ombre bienfaisante couvrait, l’été, la moitié de la cour… Tout ce que tu penses t’est accordé et d’avantage encore que nous ignorons, parce qu’à présent tu sais et que nous ne savons pas, nous qui demeurons… à peine pouvons-nous supposer.

Je veux croire que tu te promènes toujours dans ta maison, que tu veilles sur les cinq chats qui l’habitent encore, avant que je ne les emmène dans la mienne, promesse que je t’ai faite et que je tiendrai ; ils compléteront mon troupeau déjà conséquent…

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JUSTIN

Je n’ai pas voulu croire que tu t’en irais au mitan de l’âge ; peut-être parce que tout s’était mis en place pour que tu restes et achèves ce que tu avais entrepris. Signes trompeurs sans doute et pourtant ô combien prometteurs ! A l’orée de la grande forêt des Prieurés Bagnolet, où je t’avais trouvé une location qui convenait à ton travail, la maison de bois sait que tu ne viendras plus… quelques uns de tes chats rôdent alentour… Catherine et Yves les ont adoptés, qui veillaient sur toi au CHU Estaing.

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JOSEPHINE

A Moulins, tes employeurs qui savaient combien tu tenais à ce poste t’ont attendue deux ans durant, ils t’attendraient encore si tu n’étais partie…

Fidèles parmi les fidèles ils t’ont raccompagnée chez toi à la petite église de La Jonchère Saint Maurice où sous la voûte, ce jeudi 28 avril, j’ai souhaité, en nous voyant réunis autour de ta bière, que la neige tombe soudainement sur nous à gros flocons blancs comme le plumail des anges, pour faire germer dans nos cœurs des graines d’immortelles, de pensées et de myosotis pour qu’on ne t’oublie pas.

 



Des myosotis d’ailleurs, il y en a plein la cour de ta maison, là où j’avais, les uns après les autres enterré dix-huit de tes chats qui t’avaient précédé dans la tombe à compter du jour de ta redoutable leucémie. Il est des mystères qui, pour des yeux éclairés, n’en sont pas...

A présent, ta maison, l’ancien pensionnat Saint Joseph où nous connûmes nos joies et nos peines, quand je m’en approche et retrouve tes aires familières, me fend le cœur… C’est un sanctuaire où tout parle de toi. Elle attend que vienne le jour où tout disparaîtra pour renaître à nouveau comme le phénix, purifié, de ses cendres.

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C’est alors, passé au crible de l’épreuve comme il te fut donné à toi, Neige, de le vivre, que nous saurons enfin pourquoi, il fallait en passer par là…

 


« Pour voir le monde avec des yeux neufs, il faut avoir perdu ses yeux anciens à force de pleurer… » (Meyrink, Le Visage vert)

 

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VICTOR

 

 Toi qui es dans la lumière, puisses-tu éclairer notre chemin, à nous qui sommes encore dans les ténèbres.

 

« … Bientôt je l’entendrai cette douce harmonie

Bientôt dans le beau ciel, je vais aller te voir

Toi qui vint me sourire au matin de ma vie

Viens me sourire encore… Mère… voici le soir !...

Je ne crains plus l’éclat de ta gloire suprême

Avec toi j’ai souffert et je veux maintenant

Chanter sur tes genoux, Marie, pourquoi je t’aime

Et redire à jamais que je suis ton enfant !...

(Thérèse de Lisieux : Pourquoi je t’aime, ô Marie)

 

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LUCETTE

 

 

Et qui d’autre, mieux que Louis Cattiaux, le sage, saura réchauffer nos cœurs ?

 

  • « L’épreuve dénude la vérité et la fait resplendir pleinement. » (I/27’)
  • « La nature donne des leçons, elle n’en reçoit pas. »(I/47)
  • « La science des hommes est un fumier recouvert de clinquant. La science de Dieu est un or recouvert de boue. »(II/6)
  • « L’aiguillon de la mort est là pour obliger les hommes à rechercher le pourquoi de toutes choses et d’eux-mêmes. »(II/13)
  • « L’extrême humiliation de la mort est l’entrée obligatoire à la splendeur de la vie céleste, car la séparation terrestre est le commencement du ciel manifesté. »(II/76’)
  • « Quand nous serons préparés à suivre la mort sans nous retourner, nous pourrons jouer avec le monde sans crainte de mourir. »(III/86’)
  • « Quand nous mourrons, nous nous réveillerons en Dieu et nous nous souviendrons de notre vie comme d’un rêve absurde. »(IV/43)
  • « Toutes les habitudes mènent à la mort. Le ronronnement et l’assoupissement des cloîtres sont autant à craindre que les tentations du monde. »(IV/45)
  • « Dieu vit et attend dans chacun de nous. Il suffit de mourir au monde et à soi-même pour l’entendre et pour le voir aussitôt. »(IV/80)
  • « Celui qui voit et aime Dieu à travers toutes les apparences du monde, est seul à ne pas s’étonner et à ne pas souffrir quand tout s’évanouit. »(IV/83)
  • « C’est dans le malheur et au moment de la mort que l’homme révèle ce qu’il porte en lui. »(V/25)
  • « Plus on appartient à l’Etre, plus le monde devient irréel. Plus on se donne au monde, plus Dieu semble inexistant. »(V/45)
  • « User du monde comme d’un prêt consenti par Dieu, et l’en remercier en toute circonstance : voilà l’intelligence. »(V/61)
  • « Ceux qui disputent au sujet de Dieu ne sont pas en lui. »(V/86’)
  • « La mort est un phénomène qu’il faut étudier longtemps avant de pouvoir le dominer réellement par la puissance du Dieu vivant incarné en nous. »(VII/29)
  • « Tes leçons sont dures, Seigneur, et beaucoup ne les comprennent pas, mais pour tes enfants, c’est un enrichissement sans fin. Ô bon Seigneur, enseigne-nous doucement et avec patience, car ce monde est mauvais et la douleur l’habite. »(XXXV/19)

 

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LE CHRIST D'AGONGES

 


 

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25/12/2014

ET LA LUMIERE FUT

A l’heure où tout se confond dans un brouet méphitique, où l’inversion des valeurs est monnaie courante, où les yeux ne voient rien d’autre que ce qu’ils « regardent » avec convoitise, il n’est pire cécité que celle des derniers hommes. Je dis derniers, point tant pour présager de leur prochaine disparition que pour signifier leur refus de « voir » le monstre acéphale auquel il abandonnent leur liberté : la société festive et marchande qu’ils ont appelé de leurs vœux. Par là, ils peuvent en effet « disparaître ». Comme autant de pantins désarticulés, ils ont remis entre les mains des marionnettistes qui se disputent les tréteaux leurs cerveaux cambriolés. Ce sont les vrais « aveugles ».

Jacques LUSSEYRAN, lui, fut un vrai « voyant ». L’aurai-je su ? assurément pas s’il n’avait mis sur mon chemin, à la faveur d’une brocante de boulevard, l’ouvrage qu’il acheva en 1952 « ET LA LUMIERE FUT ». Publié par La Table Ronde en 1953, le livre, aujourd’hui quasi introuvable dans son édition d’origine a été réédité (éditions Le Félin, 2008, collection "Résistances") et je ne saurais trop conseiller de le lire.

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Ce livre hors du commun, c'est l’autobiographie d’un homme d'exception, né le 19 septembre 1924, décédé le 27 juillet 1971 à la suite d’un accident de voiture, près d’Ancenis.

Dans son livre, il explique comment il a perdu la vue dans sa huitième année,  le 3 mai 1932, à la suite d’une chute dans sa salle de classe, bousculé par un camarade :

« Je tentai de me retenir pendant un éclair, je jouai la toupie et, trébuchant, vins me fracasser la tête contre l’angle aigu du bureau du maître. Le verre de droite fut enfoncé ; incassable, il ne se cassa pas ; les lunettes glissèrent et l’une des branches se ficha dans l’œil, fit levier, l’arracha. Je m’évanouis quelques secondes puis revins à moi tandis qu’on baignait mes yeux pleins de sang et me les bandait (…). Le lendemain matin, à huit heures, deux chirurgiens pratiquaient sur moi, au domicile même de mes parents, l’énucléation de l’œil droit. L’œil gauche dont la rétine, « par sympathie » à la suite du choc, s’était décollée, déchiquetée, dit-on même, l’œil gauche ne voyait déjà plus. 

J’étais atteint de cécité totale. J’avais été à deux pouces de la mort par méningite. J’étais aveugle : on me le dit aussitôt. Je fus à peine déçu. Je ne le crus pas vraiment.

Je ne le crois pas encore. On me dit que j’étais aveugle : je n’en fis pas l’expérience. J’étais aveugle pour les autres. Moi je l’ignorais, et je l’ai toujours ignoré, sinon par concession envers eux. »

A lire Jacques LUSSEYRAN et l’expérience qu’il fit de sa cécité, on reste confondu d’admiration devant la force de l’enfant, puis de l’homme qu’il fut… Pas de révolte, pas de plaintes, nul apitoiement sur soi-même mais l’acceptation totale d’un événement que seule, une âme d’airain pouvait être à même d’embrasser sans se rebeller. Cet homme remarquable nous fait le cadeau précieux et rare de ce qu’il a trouvé au-delà de la nuit sans qu’il soit question du sens rédempteur de la souffrance sur lequel il ne s’épanche pas. Centré sur sa nouvelle vision du monde, combien de fois ne trouve-t-on pas sous sa plume "je vois", "je voyais", "je vis"... Comme si, à l'évidence et depuis le drame, tout était devenu plus évident, plus lumineux.

Une volonté forte, l’assurance d’approcher l’ineffable, d’être en somme privilégié, en dépit des apparences, par le fait même du handicap, étrange paradoxe, ont fait de cet homme un phare qui éclaire notre nuit. Et quoi de mieux qu’un 25 décembre pour découvrir cet étrange « conte de Noël » et raviver cette lueur que nous connûmes un jour, qui s’est éteinte aux courants d’air de nos certitudes ?

 

« Le monde ne m’avait pas fui tout d’un coup. Je le tenais au contraire plus serré contre moi que jamais je n’avais su le faire. Mes yeux ne s’étaient pas fermés, ils s’étaient renversés. J’observais désormais le monde du dedans, plus amical et plus stable, sans ombre ni nuit, tout imbibé de lumière.

 

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Quelques jours après mon accident, un matin de soleil, je fis ma première promenade. Mon père m’accompagna à travers le Champ-de-Mars. Je voulus encore regarder au-dehors, voir alentour : je ne vis plus rien. Je crus un instant le monde perdu. Je jetai mes yeux en avant comme des mains, dans le vide. Rien ne s’approchait plus, rien ne s’éloignait plus de moi. Les distances, exténuées, se chevauchaient ; elles ne jalonnaient plus l’espace de leurs petits rayons clignotants. Tout semblait épuisé, éteint et je fus pris de peur. Mais presque aussitôt, je fis une autre découverte. Cessant de mendier aux passants le soleil, je me retournai d’un coup et je le vis de nouveau : il éclatait là dans ma tête, dans ma poitrine, paisible, fidèle. Il avait gardé intacte sa flamme joyeuse ; montant de moi, sa chaleur venait battre contre mon front. Je le reconnus, soudain amusé : je le cherchais au-dehors quand il m’attendait chez moi.

Il était là. Mais il n’était pas seul. Les maisons et leurs petits personnages l’avaient suivi. Je vis aussi la tour Eiffel et ses pattes tendues du haut du ciel, l’eau de la Seine et ses traînées d’ombres brillantes, les petits ânes que j’aimais sous leurs housses, mes jouets, les boucles des filles, les chemins de mes souvenirs… Tout était là, venu je ne savais d’où. On ne m’avait rien dit de ce rendez-vous de l’univers chez moi : je tombai, ravi, au milieu d’une conversation surprenante. Je vis la bonté de Dieu et que jamais rien, sur son ordre, ne nous quitte.

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Rien n’avait disparu : je fus émerveillé. Tout était devenu seulement plus vague autour de moi, plus mobile, plus vaste. Les maisons, les autos, les pelouses ne montaient plus la garde avec leur décevante fixité et leur entêtement de mort. Les rues couraient, petites rivières clapotantes de bruits croisés, vers des plages de soleil ouvertes comme des lacs mouvants. Une voiture sifflait contre moi, insecte noir armé de sa cuirasse, puis scintillait dans l’ombre d’un écho fuyant, allait se fondre dans une tache de silence. L’ombre des sons bâtissait pour moi des cubes de feuillages, des flaques de terre blanche, jetait des bras aux angles des rues. Des figures jamais vues, aux formes bizarres, se postaient partout à l’improviste, me coupaient le chemin, m’accompagnaient un moment, se cachaient derrière de nouvelles venues, se distribuaient selon les lois d’une perspective issue du mariage des sons, des odeurs, des mouvements, des vibrations de la lumière. Les objets n’étaient plus pour moi immobiles, terminés. Ils n’en finissaient plus d’exister, de paraître et de disparaître, de se battre ou de se mêler, de s’échanger et de se plaire. Les objets n’en finissaient plus d’être vivants. Nul fouillis pourtant, nulle confusion et nulle tristesse ; mais une agilité soudain, une liberté et comme une enfance des choses. Ainsi s’annonçait mon nouvel univers, étrangement parent de l’univers des poètes, comme une danse aux gestes pleins de sens, aux figures improvisées sans fin et pourtant nécessaire.

Danse rythmée par mon sang et mes rêves, danse vivante ordonnée selon mes désirs… » (page 14)

 

« Au-dehors, c’était désormais le vide ; au-dedans, toute une forêt de lumière.

Je dus regarder longtemps avant de m’accoutumer à cette lumière sans ombre. Puis l’habitude me vint et, avec elle, des rencontres déconcertantes. Je ne savais pas encore (et ce fut une lente découverte jamais achevée) que notre vie intérieure est une « vie », notre monde intérieur un « monde » en effet. Je commençais une expérience que seuls peut-être les sages font — les sages et les poètes. Mais à moi, elle était imposée ; je m’y voyais jeté d’un seul coup, à huit ans, ébloui. Une chance m’était donnée que je n’ai plus cessé de bénir et, en même temps, une responsabilité, un devoir que mon existence entière ne suffira sans doute pas à remplir. Le monde extérieur existe ; le monde intérieur existe. » (Page 23)

 

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« Le soir, tous bruits éteints, tous soucis refermés, ajournés, j’essayais de lire en moi. Je pratiquais toujours mes exercices de mémoire et ceux, plus difficiles encore, d’attention. Je voulais avancer à l’intérieur de moi-même ; mais parfois j’étais déçu. (…)

L’idée me vint, un soir, de m’oublier. Je n’allais plus chercher en moi-même. Je fis un étrange mouvement de tous mes sens et surtout de mon attention : il fallait ne plus regarder. « Ce n’est pas moi qui compte ! Autour de moi, il y a tous les spectacles ! » Je ne vis rien, si l’on veut. Il se produisit un vide très court, très lumineux mais sans images, un bonheur absolument ouvert. Je ne vis rien, et je vis tout. Une paix que je n’avais jamais connue, jamais espérée même m’entoura. Je me couchai quelques instants plus tard : « Que vient-il de se passer ? » Et cette réponse, aussitôt : « Les mondes spirituels existent. L’invisible pourrait être vu. Ce que je vois chaque jour dans le monde n’est qu’une enveloppe morte, et comme un dépôt de poussière. Ce qui a un sens, c’est justement ce que je ne sais pas encore. (…) Je suis tout petit, mais pour cette seule raison que je ne sais m’occuper que de moi. Et cette phrase : « La mort est un commencement ! » (page 254)

 

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