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07/08/2017

RETOUR CHEZ BICHETTE

C’était il y a longtemps, trente ans ? Peut-être plus, quarante à tout le moins…

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Derrière les pompes à essence j’avais poussé la porte qui s’ouvrait sur la salle du bistrot, sombre, pas très grande, éclairée par l’unique fenêtre regardant la place de l’église masquée en partie par les pompes à essence. Le patron essuyait des verres qu’il tirait d’une bassine placée derrière le comptoir à l’extrémité duquel un vieux sirotait son verre de blanc. De lourdes mouches, volant dans la pénombre, venaient régulièrement se cogner aux vitres de la fenêtre ou à celles de la porte…

A l’époque, je sillonnais la Creuse à la faveur du temps libre que m’accordaient les permanences assumées à Felletin comme maître d’internat au collège. J’appris ainsi à aimer ces terres oubliées de l’extrême centre de la France où je découvris des paysages et des personnages hors du commun. Sur les traces des tailleurs de pierre, je m’arrêtai un jour à Sardent où des réfugiés italiens étaient venus exercer leur art de tailler le granite. Dans les bois avoisinant le bourg, je trouvai des témoins de leur labeur, de gros blocs équarris, des linteaux taillés et des pierres d’angle disséminés ça et là, sous l’humus et les feuilles mortes. Travail de titans, travail de bagnards !

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Du granite, à Sardent, il y en a partout, du coriace, de celui qui résiste au ciseau à pas vouloir se laisser dompter facile ! Pas né d’hier dans l’antre de Pluton, pour des enfants de chœur ! En témoignent l’amoncellement de blocs du monument qu’éleva Evariste Jonchère en mémoire du docteur Vincent, bienfaiteur local, ainsi que le nom de la commune écrit en parpaings de granite en façon de balustrade sur la place.

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Des souvenirs, à Sardent, il y en a partout aussi, et pas seulement de ceux laissés par les maçons. C’est ici que l’enfant du pays, le cinéaste Claude Chabrol tourna « Le Beau Serge » avec Bernadette Lafont et Jean-Claude Brialy dans l’hiver 57-58, il y a 60 ans.

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Depuis, rien n’a changé ou si peu, la campagne et le bourg sont restés les mêmes, et il semble qu’ici, à Sardent comme en beaucoup d’endroits de Creuse le temps se soit arrêté, du moins chez Bichette.

J’y suis revenu il n’y a guère plus de quinze jours ; j’ai, pour la seconde fois poussé la porte, la deuxième, vitrée, perpendiculaire à celle de la rue. On la referme à cause des courants d’air attendu que la fenêtre, elle, reste ouverte quasi en permanence l’été durant.

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Monsieur Peyrot, le patron à son comptoir

A l’intérieur, miracle, tout ou presque est demeuré en l’état, jusqu’aux photos et coupures de presse punaisées sur le mur en vis à vis de la grande cheminée. Un seul client accoudé au zinc devise avec le patron. La salle est sombre, il y faut de la lumière et ce qu’elle éclaire, cette lumière, ce sont les derniers vestiges d’une civilisation en voie de disparition, celle qui n’imposait rien ou si peu, en matière de « respects de normes » toutes plus tyranniques les unes que les autres.

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La vieille horloge marque toujours l'heure...

Le patron, Monsieur Peyrot, qui a pris la suite de son frère nous l’explique. Que de chicanes ne lui a-t-on fait ! Que de poux dans la tête ne lui a-t-on cherchés ? L’électricité n’est pas aux normes, et alors, cela empêche-t-il la lumière de briller ? Il n’y a ni l’eau courante ni de frigo derrière le comptoir, et alors ? L’eau coule dans l’arrière cuisine à côté du frigo et il suffit de quelques pas pour l’aller quérir. Le patron lave ses verres dans la cuve du zinc comme il lui plaît, les essuie méticuleusement et je peux en témoigner : ils sont propres !

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Accès à la cour et porte voutée de la cave derrière le comptoir.

Le chauffage est assuré par un gros poêle sous la cheminée, ce qui n’est plus admis à causes des risques d’asphyxie ! Diable, personne n’a eu pour le moment à s’en plaindre s’étant trouvé fort à son aise de bénéficier de sa chaleur en l’hiver venu.

Aux dernières nouvelles, des contrôleurs, dépêchés tout spécialement de Limoges ont fait observer qu’il serait bon de déposer le sol, pas moins ! D’arracher sans différer les lourdes dalles de granite qu’ont foulées des générations de moines et de voyageurs, car comme nous l’explique Monsieur Peyrot, la maison fut prieuré puis relais de poste aux chevaux avant d’être le bistrot que la famille Peyrot s’est transmis de père en fils.

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Devant la cheminée. Au mur, au centre des affiches, derrière le papier vert, petit placard de l'électricité...

Mais au fait, pourquoi déposer ces dalles ? Ah ! Bon Dieu mais à cause du radon bien sûr ! Lequel s’il faut en croire ces zélés inspecteurs, diffusera forcément un jour où l’autre par les jointures à seules fins d’éliminer les consommateurs…

De consommateurs, il faut l’avouer, nous ne fûmes, le temps de deviser, que deux ou trois. Assurément parce qu’il faut être un habitué des lieux pour savoir qu’il existe un bistrot derrière les pompes ! Rien ne l’indique plus aujourd'hui, Monsieur Peyrot se contente de ses pratiques habituelles et cela lui va.

De l’autre côté de la place, en contre bas de la balustrade, la terrasse du café bar regardant le midi fait le plein, en raison d’une course de motos tous terrains. En philosophe averti, le patron de Chez Bichette n’en prend pas ombrage, son petit picotin lui va et il s’en trouve bien.

Jusqu’à quand ? Jusqu’à ce qu’obligation lui soit faite de fermer ses portes à défaut de vouloir respecter les normes imposées par la technocratie post-orwellienne qui, comme le couperet de la guillotine, vous coupent le bec une fois pour toutes.

Alors, si vous passez un jour à Sardent, ne manquez pas d’aller saluer le dernier résistant des troquets d’antan, Monsieur Peyrot, Bernadette vous le suggère, mais un conseil : faites vite !

 

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Bernadette Lafont lors du tournage du Beau Serge.

 

09/11/2011

DIJON AU FIL DES RUES

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La victoire ailée de la place de la République veille sur la ville aux cent clochers qui fut, jusqu’au XVe siècle, capitale de l’ancien duché de Bourgogne.

Aujourd’hui capitale régionale, Dijon, dont la renommée dans le domaine de la gastronomie comme dans celui des arts n’est plus à faire, a conservé suffisamment de témoins architecturaux des siècles passés pour qu’on ne doute pas qu’elle fut –et qu’elle demeure- l’une des cités la plus prestigieuse de France.

Pour découvrir une ville, rien ne vaut que de la traverser à pied, faute de quoi le regard, à trop embrasser et trop vite, se perd en conjectures sur ce qu’il faut en retenir. C’est qu’il balaye confusément sans voir, comme le font ces touristes promenés dans de petits trains. Les découvertes se méritent, et il convient de s’y préparer, comme un  traqueur  à l’affût. Et il ne faut pas craindre de revenir sur ses pas au risque de passer à côté de ce qui nous attendait : tel petit « détail » qui mérite qu’on s’y attarde et que peut-être, les plus proches des riverains n’ont jamais vu…

Dijon, comme toutes les villes qui ont une histoire, fourmille de ces trésors sur la piste desquels il faut savoir se placer.

Les monuments en font partie, mais eux sont tellement « évidents » qu’ils s’imposent d’eux-mêmes. Et pour peu qu’on passe à côté, ou qu’on n’ait pas le temps de les visiter, on se consolera en les retrouvant dans les pages des ouvrages d’art et d’histoire qui leur sont consacrés…

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L’église Notre-Dame marque le cœur de la vieille ville ; sa flèche élancée et ses quatre clochetons gouvernent les toits pentus revêtus de tuiles plates.

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A son pied, la rue de la chouette, plutôt ruelle que rue d’ailleurs, tire son nom du petit animal sculpté dans le congé d’un contrefort de l’une des chapelles de l’église.

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Affectionnée des dijonnais qui ne manquent pas de la gratifier d’une caresse au passage, l’icône, à ce qu’on rapporte, aurait le pouvoir d’exhausser les vœux. L’état d’usure de son plumage témoigne assez du nombre de mains qui se sont posées sur son aile !

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Ce jacquemart qui sonne les heures, rappelle qu’il y en eu ici comme ailleurs, d’heureuses et de terribles ; les voussures des portails de l’église Notre Dame orphelines de leurs statues matraquées par le vandalisme révolutionnaire de 1794 en savent quelque chose !

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Pour peu qu’on lève les yeux, on voit, aux linteaux des portes et des fenêtres, sur la rue ou dans des cours d’hôtels particuliers, des têtes sculptées qui n’ont rien à envier aux mascarons de Bordeaux.

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Les engoulants et autres figurines ouvragées dans les sablières des maisons à pans de bois disent assez bien l’art des charpentiers du moyen âge et de la renaissance.

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Les sculpteurs classiques et les tailleurs de pierres ont laissé dans les palais et les hôtels particuliers des chefs d’œuvres de finesse et de précision, telle cette frise en encorbellement sur arcade, ce monogramme ou cette console de balcon.

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La couleur est omni présente à Dijon qui a conservé de la tradition bourguignonne l’art de pavoiser ses rues. Elle a su se limiter à la rue et aux boutiques en n’affectant pas l’ordonnance architecturale des façades, comme on le voit bien souvent à l’heure actuelle dans les « rénovations » à la mode de trop de cœurs de ville. On ne dira jamais assez que c’est la matière même de la pierre de taille, la terre cuite de la tuile, l’oxydation du cuivre, la patine du zinc, les gris colorés des menuiseries qui assurent la beauté des monuments qu’ils habillent. C’est tellement vrai pour les menuiseries qu’elles doivent le plus souvent rester monochrome pour les fenêtres en accordant une autre valeur à la porte d’entrée.

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Remarquons combien le « gris zinc », partout présent en France, ou l’ « ocre jaune », était par excellence la couleur privilégiée  des palais comme des maisons les plus humbles.

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On comparera la tonalité de ces contrevents ajourés à la française avec celle du zinc patiné de cet ouvrage et on verra que c’est la même.

De même s’inspirera-t-on avec bonheur du vert de gris de ce clocher ou de ce dôme pour l’appliquer sur des ferronneries ou des menuiseries.

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Franchissons le seuil d’une église ou d’un palais et laissons nos yeux émerveillés se poser sur la beauté des œuvres sorties des mains d’artisans passés maîtres dans leur art. Voici la tour lanterne de Notre Dame et ses verrières au travers desquelles brillent les premiers éclats de l’étoile du matin.

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Voici le grand escalier du palais des états et ses degrés de pierre que foulèrent les princes.

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Voici, pratique assez peu courante pour qu’elle vaille d’être montrée, de faux vitraux dus au pinceau d’un artiste oublié…

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Traversons le marché couvert qui a su conserver son architecture de briques et de métal ainsi que l’a voulu l'entreprise Eiffel en 1868.

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On n’en finira pas d’arpenter les rues de Dijon sans se lasser. Du pavé aux faîtages, partout, on sera surpris par quelque chose de remarquable, voire d’insolite.

Remarquable comme cette grille à piques de hallebarde, ou ce fleuron habilement forgé ; ce coq en mosaïque ou cette enseigne en drapeau, meublée d’apothicaires.

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Insolite comme cette souche de cheminée en voie de dégradation qu’on a « chaussée » d’un filet bleu de cobalt au dessus duquel  trône le rouge brique des mitres de poterie.

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Insolite et surprenant comme ce nid béni des dieux, symbole de la vie qui sans cesse se renouvelle…

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...et s’en va, ainsi que le dit au passant ce crâne en médaillon maçonné dans le mur de l’église, gravé par une main anonyme depuis longtemps sous les terreaux.

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Il demeure, en quoi réside sa secrète beauté et nous passons, en quoi, sans doute, réside la nôtre…

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