Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

01/11/2010

ORA PRO NOBIS

 

pierresurhauteÉ.jpg

Pierre-sur-Haute (Forez)

« Ora pro nobis » nous demandent les morts en ce jour qui leur appartient.

« Priez pour nous  et si vous ne savez pas le faire pensez à nous, rien qu’un peu, nous qui avons laissé quelques traces sur terre et des souvenirs dans vos cœurs ».

Alors « on » va les « visiter » les morts, ailleurs que dans la mémoire ou par le moyen de la photo posée dans le cadre doré sur le coin de la commode ou de la cheminée ; on va les voir chez eux, au cimetière,  c’est la coutume.

Là se retrouvent les cohortes des familles les bras chargés de chrysanthèmes, fleur d’origine orientale traditionnellement dévolue aux défunts. On s’est muni quelquefois de la balayette et de la truelle, d’un seau et d’une brosse en chiendent, histoire de nettoyer les salissures que 364 jours ont accumulées sur la chape des morts. Les prévoyants s’y sont pris la veille, enfin, s’ils sont du pays. S’ils ont avalé 250 kilomètres et un bon repas, c’est une autre affaire ! Ils parent au plus urgent, composent avec la patine du temps qu’ils font disparaître sous l’alignement des pots de fleurs artificielles, des céramiques et des plaques souvenir et, bien sûr, déposent l’incontournable chrysanthème . On est venu pour ça.

Devant le portail, on cause comme à la sortie de la messe ou du bistrot. Un an qu’on ne s ‘est pas vu, c’est pas rien ! Les petits ont grandi ; c’est l’occasion de demander des nouvelles de la santé en se félicitant d’être de ce côté plutôt que de l’autre, un malheur est si vite arrivé ! Les enfants trépignent… On se quitte après avoir échangé les banalités réconfortantes d’usage et chacun s’en retourne d’où il est venu ou en profite, au passage, pour visiter le voisinage.

Il y a ceux qui viennent honorer les morts le jour d’avant, histoire d’éviter des rencontres inopportunes ou, pour les plus pressés, de se débarrasser d’une corvée à laquelle ils sacrifient tout de même à cause du « qu’en dira-t-on ». Les discrets, les solitaires et les rêveurs s’y risquent les jours suivants, dans le sillage des visiteurs « près de leurs sous », qui ont acheté leur chrysanthème au rabais ou en solde, comme on voudra, enfin un de ceux dont les autres n’ont pas voulu…

Les romantiques s’y rendent à la tombée de la nuit. Les oublieux volontaires et les affranchis des préjugés moraux attachés au souvenir de ce qui ne les concerne plus, ne se déplacent pas du tout.

Dans l’épouvantable capharnaüm du bazar mortuaire contemporain et l’horreur de ses productions, la seule présence des chrysanthèmes aide à oublier, le temps de leur courte vie ce que sont devenus nos cimetières. L’ayant rappelé dans la note du 6 novembre 2009 ( voir Archives 11/2009), je n’ajouterai dans la présente que quelques photos pour mieux illustrer mon propos.

 

desges2.jpg

Desges (Gévaudan)

 

 aulnay5.jpg

Aulnay (Saintonge)

 

c5é.jpg

Grands Chézeaux (Marche)

On y comparera si l’on a quelque peu le goût sûr, la beauté sobre des tombes anciennes à la vulgarité outrecuidante des productions du siècle. Ayant atteint le degré zéro de la création artistique et artisanale, elles témoignent par leur prétention et leur laideur de la faillite de  « l’art » populaire attaché au royaume des morts ; elles en disent long sur l’irresponsabilité de ceux qui s’arrogent le droit, à seules fins d’en tirer bénéfice en les répandant, de corrompre ce qu’il reste encore d’authentique dans l’âme des humbles. Et ils le font d’autant plus facilement qu’ils exploitent l’émotion au travers de symboles qui parlent d’eux-mêmes le langage  de la douleur inconsolable d’une mère ou d’un époux.

 

aut.jpg

Très répandu partout hélàs !

A tout prendre, les charognards du bord des routes sont plus respectables que ces gens qui font métier d’exploiter la mort sous toutes ses formes et d’en vivre. Les charognards du bord des routes, eux, nettoient le terrain et ne laissent rien derrière; ceux des bazars funéraires, non contents de souiller l’enclos des morts de leurs productions ignobles, polluent les âmes et vident les bourses dans le même temps.

Rendons grâce aux chrysanthèmes qui ont la magie de nous faire oublier le temps éphémère de leur courte vie, que nos cimetières sont devenus des dépotoirs où l’on chasse de leurs tombes ceux qui pourtant les ont payées de leurs deniers, pour les remplacer par celles que nous condamnons. Faites en le constat vous-même et vous verrez combien de sépultures anciennes, frappées du sceau de l’infamie sont vouées à être détruites ! Comme les grands arbres de la forêt, destinés à être abattus, ou le bétail, les communes, plutôt que de les prendre à leur charge et de les entretenir sobrement, les ont marqué au fer rouge : « Sépulture réputée être à l’abandon faisant l’objet d’une procédure de reprise. S’adresser à la mairie ». C’est toute l’élégance de la formulation administrative pouvant se résumer en l’occurrence d’une façon plus triviale : « Ote-toi de là que je m’y mette ».

Aussi est ce à la Toussaint, la nuit tombée, qu’il faut aller surprendre « les grands cimetières sous la lune » ou les petits, qu’on appelait si bien dans le vieux temps « l’enclos des morts » ; ils y retrouvent leur majesté ancienne, celle d’un temps où les concessions étaient dites « perpétuelles » et où on pouvait y dormir en paix dans l’attente du grand réveil…

mons5.jpg

Notre-Dame-de-Mons (Livradois)

 

 

06/11/2009

PENSEE DES MORTS


J’ai toujours vu novembre comme le mois des lamentations : les jours s’étiolent, le brouillard tombe (brumaire), le froid s’installe (frimaire), les chrysanthèmes s’amoncellent dans les cimetières… la Mort cogne à la porte

 

C’est la saison où tout tombe

Aux coups redoublés des vents ;

Un vent qui vient de la tombe

Moissonne aussi les vivants ;

Ils tombent alors par mille,P1030560A.jpg

Comme la plume inutile

Que l’aigle abandonne aux airs,

Lorsque des plumes nouvelles

Viennent réchauffer ses ailes

A l’approche des hivers.

P1020085A.jpg

Ah ! quand les vents de l’automne

Sifflent dans les rameaux morts,

Quand le brin d’herbe frissonne,

Quand le pin rend ses accords,

Quand la cloche des ténèbres,

Balance ses glas funèbres,

La nuit, à travers les bois,

A chaque vent qui s’élève,

A chaque flot sur la grève,

Je dis : «  N’es-tu pas leur voix ? »

Alphonse de Lamartine, "Pensées des Morts", Harmonies Poétiques et Religieuses, 1830

 

La mort inspire, forcément, c’est même ce qui inspire le plus par l’avantage qu’elle a, sur les autres, d’être le plus grand des mystères. C’est pourquoi on ne saurait manquer l’occasion quand on l’a, de traverser l’enclos des morts, ne serait-ce que parce ce que l’œil attentif y trouvera toujours de quoi s’interroger sur sa condition qui n’est pas si éloignée de celle du veau qu’on mène aux abattoirs… A fouiller ce noir mystère on s’aperçoit assez vite que la seule issue possible consiste à tuer en nous l’idée même de la mort. En quoi le principe de Lavoisier peut nous aider :

 

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »


Au Moyen Age existait un Ars Moriendi, diffusé à travers l’Europe à la faveur des grandes épidémies de peste. Partout la Mort, familière, entretenait avec les vivants des rapports de « sympathie » obligés et on lui rendait hommage dans les vitraux des cathédrales (Sainte marie de Lübeck), sur les fresques (Abbaye St Robert de la Chaise Dieu), sur les dalles des pierres tombales (Cathédrale de Courtrai). Les poètes chantaient sa toute puissance (Hélinand de Froidmont, Robert le Clerc d’Arras, Eustache Deschamps, François Villon) aussi bien que les artistes la représentaient à pied ou à cheval, infatigable moissonneuse (Albert Dürer, Hans Holbein, Lucas Cranach, Jacques Callot).

Et parce qu’on vivait dans sa confidence et que la dureté des temps portait à la considérer avec respect et à craindre son courroux, on rangeait soigneusement dans un trou du mur, le petit livre bleu du « Respit de la Mort » de Jehan Le Fèvre, ou d’autres textes similaires acheminés par le colporteur jusqu’au fond des campagnes…

L’idée de la mort a nourri le romantisme et inspiré les poètes de tous les temps et les écrivains. L’évoquer portait à s’entretenir avec elle, voire à l’implorer, ce que traduisent assez bien ces quelques vers du « Fléau » :


 

« Notre-Dame la Mort, toi qui te lèves,

Au battant de nos tambours,

Obéissante –et qui toujours-

Nous fut belle d’audace et de courage,

Notre-Dame la Mort, cesse ta rage,

Et daigne enfin nous voir et nous entendre

Puisqu’ils n’ont point appris, nos fils, à se défendre. »

 

Emile Verhaeren, "Le Fléau", Les Campagnes Hallucinées, 1893

 

sugf8ucg.gif

 

Jusqu’au XIXème siècle et naguère encore, existaient des pratiques, des rituels, des cérémonies et des gestes coutumiers que l’on faisait à l’égard des morts et que l’on ne fait plus guère aujourd’hui, dans nos sociétés « avancées ». Dans les sociétés dites traditionnelles, celles du moins qui subsistent encore -derniers vestiges de civilisations disparues- il en va autrement ; la règle s’est maintenue de considérer le défunt, non point comme un déchet, mais comme un membre à part entière du corps social, simplement parce que ce dernier à la différence de celui des sociétés marchandes, ne s’est pas tout à fait décomposé. Et c’est tellement vrai qu’on y honore toujours les défunts, qu’on les veille chez soi, dans leurs murs, dans le respect des trépassés, comme on le faisait hier encore…

On ne montre plus guère les morts de la famille aux enfants, on les cache… Le petit-fils n’embrasse plus la main crispée ou le front glacé du grand père passé de l’autre côté, mais il avale allégrement, ni plus ni moins qu’il le ferait d’une bande dessinée ou d’un jeu de rôle, les cruautés quotidiennes du petit écran : attentats, accidents, meurtres en tout genres et tortures raffinées…

Je me souviens du premier mort que j’ai vu quand j’étais petit, en l’occurrence c’était une morte, une voisine, l’épicière…

Dans sa chambre de l’étage au-dessus de l’épicerie où ses filles l’avaient disposée, elle reposait, le drap remonté sous le menton, ses deux mains potelées croisées sur sa poitrine. On lui avait arrangé ses cheveux en tresses qui lui faisaient comme une couronne sur la tête. Une couronne de sainte, c’est du moins ce que j’en ai retenu. Elle semblait dormir, paisible, dans la pénombre de la pièce qui sentait la naphtaline. C’était en juillet. Je m’en souviens à cause des mouches qui bourdonnaient dans la chaleur et aussi parce qu’on avait commenté ensemble le feu d’artifice depuis le fond du jardin, quelques jours avant qu’elle ne s’en aille.

Morte ou vivante je la trouvais pareille : gentille. On lui avait mis du coton dans le nez, allez savoir pourquoi ? En tout cas c’est la question que je m’étais posée… Quand elle me voyait rentrer chez elle, elle me donnait toujours une friandise, une de celles qui remplissaient jusqu’à la gueule les bocaux de verre alignés à côté du comptoir… Plus tard, quand j’ai découvert « Mort à Crédit », l’épicière, elle m’a fait penser à madame Bérenge… au chagrin…


 

« … Il est là dans l’odeur de la mort récente, l’incroyable aigre goût… Il vient d’éclore… Il est là… Il rôde… Il nous connaît, nous le connaissons à présent. Il ne s’en ira plus jamais. Il faut éteindre le feu dans la loge . A qui vais-je écrire ? Je n’ai plus personne. Plus un être pour recueillir doucement l’esprit gentil des morts…pour parler après ça plus doucement aux choses… courage pour soi tout seul ! »

 

Louis-Ferdinand Céline, "Mort à Crédit", 1936

 

Les morts ne sont pas tous dans les cimetières, il s’en faut, et depuis que le monde est monde le plus grand nombre gît sous les terreaux et l’on ne saura jamais qui ils furent ni ce qu’ils firent, tous les inconnus des grandes calamités et les anonymes moissonnés sur les champs de bataille. Quelle importance ? Ceux des cimetières témoignent pour eux :


 

« Prends garde à la douceur des choses,

Lorsque tu sens battre sans cause

Ton cœur trop lourd… »

 

P1030551A.jpg
P1020375A.jpg

P1020384A.jpg


 

 

 

 

 

A l’heure où on se débarrasse des morts comme on se débarrasse des vieux qui passent directement de la maison de retraite ou de l’asile au funérarium et au crématorium ; à cette heure qui sonne le glas d’un certain art de vivre et de mourir, on chercherait vainement dans tout l’ attirail de bazar, le tape à l’oeil et la quincaillerie de prêt à porter funéraire, la beauté d’un simple tombeau… Partout l’expression de la vulgarité qui marque le siècle l’emporte et encourage les marbriers à n’extraire le granite ou le marbre des carrières que pour en tirer les horreurs qu’ on voit en l’espèce de caveaux. Et il se trouve de pauvres gens et des tocards pour encourager ce genre de négoce alors qu’on relègue à la décharge les vieilles concessions ! Admirez ces vieilles tombes, souvent faites d’une simple dalle gravée entourée ou non de sa grille à piques, d’une colonne portant sa croix, ou d'un fût tronqué sous des ifs, elles étaient rarement vulgaires.


P1020082A.jpg

 

Mais il en va aujourd’hui des cimetières ceinturés de plaques en ciment ou d’agglomérés de béton, comme de la banlieue, comme des coeurs de ville, comme des campagnes… comme de tout. Ca n’est pas nouveau, simplement ça ne s’est jamais exprimé avec autant de brio ni autant de hargne ; c’est ainsi le signe du temps…

Ca s’appelle la décadence puisqu’il faut l’appeler par son nom…

Quelle importance me direz-vous, si tout lasse, tout passe, tout casse ?


P1030552A.jpg

En ce mois des morts, méditons avec le poète John Gay (1685-1732), l’épitaphe qu’il fit graver sur sa tombe :

 


« La vie est une plaisanterie et tout concourt à le montrer. Cette idée m’est venue un jour ; mais à présent je le sais »