Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

14/07/2023

IN MEMORIAM MARIE-DOMINIQUE

 

MDF 2 ans.jpg

Mardi 11 juillet jour de la Saint Benoît, après une longue, trop longue absence, je suis venu te retrouver Dominique, ma cousine, inséparable compagne de mes jeunes années… Mais je suis arrivé trop tard, tu étais déjà partie, partie pour ce long voyage, « là où le vent n’a plus de feuilles mortes à râteler » comme l’écrit si bien l’auteur de Gaspard des Montagnes.

Lorsque Michel, ton mari m’a appelé en me disant qu’il avait une triste nouvelle à m’annoncer, j’ai compris… J’ai compris et soudainement je t’ai revue, là, présente devant moi, avec ton sourire doux et le visage de ta jeunesse. C’était hier…

 

MDF 3 ans.jpg

Hier… Nous qui pourtant nous sommes perdus de vue si longtemps... Pourquoi ? La faute à qui ? ou plutôt à quoi ?.

Au temps peut-être, qui nous a dévoré allègrement tous les deux quand bien même nous aurions voulu lui échapper, mais rien n’échappe au temps tu le sais bien… Aux occupations professionnelles sans doute, qui nous ont satisfaits et aveuglés à la fois pendant qu’elles nous emprisonnaient… Mais surtout à l’oubli, lequel ayant drapé notre cœur d’une chape de plomb  sans que nous ne nous en rendions compte nous a éloigné l’un de l’autre, parce que l’oubli est un despote qu’il faut traquer sans faillir au risque de tout perdre…

Sous la coupole de l’abbatiale, dans la clarté des vitraux traversés par la lumière du matin, devant ton cercueil je songeais à nos belles années, celles de l’enfance où rien n’est encore consommé, usé, délaissé… Avec toi, ce sont quinze d’entre elles qui sont parties à la dérive emportant dans leur sillage nos souvenirs anciens.

Dans le recueillement de ta famille et de tes amis, écoutant l’Ave Maria de Gounod je me disais, comme je l’avais dit à Neige si tôt disparue : « maintenant, toi,  tu sais ! » et moi, je ne sais pas encore, je ne peux que supposer…

Je veux croire que tu as comme elle, rongée par le même mal, quitté ce monde de la contrainte pour celui de la liberté. Mon cœur me le dit et je veux le croire parce que je sais que le cœur ne ment pas.

En t’en allant, Dominique, tu m’as fait un cadeau, le dernier et le plus cher à mon coeur : tu m’as ramené Sophie ma filleule, tu me l’a ramenée avant que moi aussi je ne m’en aille et tu m’as fait connaître Hélène, sa sœur.

Sophie, que j’ai tenue sur les fonds baptismaux m’est revenue comme nous te pleurions et maintenant que je l’ai retrouvée, je ne veux plus la perdre, tu le sais et moi aussi. A présent, je comprends pourquoi je pensais à vous deux il y a un mois à peine alors que, n’ayant pas eu de nouvelles de toi depuis si longtemps je ne te savais pas à ce point malade. Moi qui ne crois pas au hasard, sais que l’Univers est une structure très intelligente ; quand on le questionne, Il répond. Et Il m’a répondu. Le Seigneur sait ce qu’Il fait, nous pas… Assurément c’est une grâce de le savoir et de le comprendre avant le terme.

GM & MDF.jpg

Je ne peux, chère Dominique que te revoir au temps de notre jeunesse puisque je ne t’ai pas vue vieillir depuis. Alors, à ce souvenir, c’est la rue des Pommiers qui revient vers moi et toi qui court dans les rangs de cassissiers et de framboisiers derrière ce lapin que nous avions baptisé « Lileu », vas savoir pourquoi ? c’est le vol des hannetons à la nuit tombée ; c’est la récolte des escargots dans les feuilles d’iris après la pluie et notre peur bleue des épeires velues corsetées de noir dans leurs toiles tendues au travers des hautes herbes… C’est la campagne et ses mystères… Châlucet, Céreix, les Vignes d’Envaud, la cabane de Marcel qui savait tout faire… Marcel parti trop tôt lui aussi pour ce monde d’outre là dont nous ne savons rien, si lointain et pourtant si proche à la fois… Ce sont nos vacances partagées à la mer ou à Barlanès dans les Pyrénées où nous aimions jouer avec les galets du torrent, ces galets ronds comme des dos de tortues, polis et brillants comme des louis d’or dont nous formions de petites écluses sitôt emportées par la force du courant.

Emportées comme tu le fus, dans un combat inégal…

Pyrénées. - copie.jpg

Quel sera le mien le moment venu ? Je n’en sais rien… Aurais-je même le temps de tirer le sabre ? J’aimerais pouvoir dire comme Lacordaire « Ce que je sais pour demain, c’est que la Providence se lèvera pour moi avant le soleil. » J’espère qu’elle s’est levée pour toi quand tu t’es présentée devant elle.

MDF 18 ans.jpg

Au revoir Dominique, ma cousine et mon amie que la souffrance n’a pas épargnée, comme elle n’a pas épargné Neige et tant d’autres de nos semblables en humaine condition.

 

MDF 23 ans.jpg

Puisque je te compte au nombre de ceux et celles que j’ai aimés, que j’aime et que j’aimerai, puissè-je garder de toi, en moi, « L’essence et la forme divine » évoquées par Charles Baudelaire et dire avec lui, à mon tour, le moment venu :

 

« Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre !

Ce pays nous ennuie, ô Mort ! appareillons !

Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre,

Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons ! »

 

+++++

"L'épreuve dénude la vérité et la fait resplendir pleinement" (Louis Cattiaux, MR, I/27)

"L'aiguillon de la mort est là pour obliger les hommes à rechercher le pourquoi de toutes choses et d'eux-mêmes"(Louis Cattiaux, MR, II/13)

+++++

 


01/11/2010

ORA PRO NOBIS

 

pierresurhauteÉ.jpg

Pierre-sur-Haute (Forez)

« Ora pro nobis » nous demandent les morts en ce jour qui leur appartient.

« Priez pour nous  et si vous ne savez pas le faire pensez à nous, rien qu’un peu, nous qui avons laissé quelques traces sur terre et des souvenirs dans vos cœurs ».

Alors « on » va les « visiter » les morts, ailleurs que dans la mémoire ou par le moyen de la photo posée dans le cadre doré sur le coin de la commode ou de la cheminée ; on va les voir chez eux, au cimetière,  c’est la coutume.

Là se retrouvent les cohortes des familles les bras chargés de chrysanthèmes, fleur d’origine orientale traditionnellement dévolue aux défunts. On s’est muni quelquefois de la balayette et de la truelle, d’un seau et d’une brosse en chiendent, histoire de nettoyer les salissures que 364 jours ont accumulées sur la chape des morts. Les prévoyants s’y sont pris la veille, enfin, s’ils sont du pays. S’ils ont avalé 250 kilomètres et un bon repas, c’est une autre affaire ! Ils parent au plus urgent, composent avec la patine du temps qu’ils font disparaître sous l’alignement des pots de fleurs artificielles, des céramiques et des plaques souvenir et, bien sûr, déposent l’incontournable chrysanthème . On est venu pour ça.

Devant le portail, on cause comme à la sortie de la messe ou du bistrot. Un an qu’on ne s ‘est pas vu, c’est pas rien ! Les petits ont grandi ; c’est l’occasion de demander des nouvelles de la santé en se félicitant d’être de ce côté plutôt que de l’autre, un malheur est si vite arrivé ! Les enfants trépignent… On se quitte après avoir échangé les banalités réconfortantes d’usage et chacun s’en retourne d’où il est venu ou en profite, au passage, pour visiter le voisinage.

Il y a ceux qui viennent honorer les morts le jour d’avant, histoire d’éviter des rencontres inopportunes ou, pour les plus pressés, de se débarrasser d’une corvée à laquelle ils sacrifient tout de même à cause du « qu’en dira-t-on ». Les discrets, les solitaires et les rêveurs s’y risquent les jours suivants, dans le sillage des visiteurs « près de leurs sous », qui ont acheté leur chrysanthème au rabais ou en solde, comme on voudra, enfin un de ceux dont les autres n’ont pas voulu…

Les romantiques s’y rendent à la tombée de la nuit. Les oublieux volontaires et les affranchis des préjugés moraux attachés au souvenir de ce qui ne les concerne plus, ne se déplacent pas du tout.

Dans l’épouvantable capharnaüm du bazar mortuaire contemporain et l’horreur de ses productions, la seule présence des chrysanthèmes aide à oublier, le temps de leur courte vie ce que sont devenus nos cimetières. L’ayant rappelé dans la note du 6 novembre 2009 ( voir Archives 11/2009), je n’ajouterai dans la présente que quelques photos pour mieux illustrer mon propos.

 

desges2.jpg

Desges (Gévaudan)

 

 aulnay5.jpg

Aulnay (Saintonge)

 

c5é.jpg

Grands Chézeaux (Marche)

On y comparera si l’on a quelque peu le goût sûr, la beauté sobre des tombes anciennes à la vulgarité outrecuidante des productions du siècle. Ayant atteint le degré zéro de la création artistique et artisanale, elles témoignent par leur prétention et leur laideur de la faillite de  « l’art » populaire attaché au royaume des morts ; elles en disent long sur l’irresponsabilité de ceux qui s’arrogent le droit, à seules fins d’en tirer bénéfice en les répandant, de corrompre ce qu’il reste encore d’authentique dans l’âme des humbles. Et ils le font d’autant plus facilement qu’ils exploitent l’émotion au travers de symboles qui parlent d’eux-mêmes le langage  de la douleur inconsolable d’une mère ou d’un époux.

 

aut.jpg

Très répandu partout hélàs !

A tout prendre, les charognards du bord des routes sont plus respectables que ces gens qui font métier d’exploiter la mort sous toutes ses formes et d’en vivre. Les charognards du bord des routes, eux, nettoient le terrain et ne laissent rien derrière; ceux des bazars funéraires, non contents de souiller l’enclos des morts de leurs productions ignobles, polluent les âmes et vident les bourses dans le même temps.

Rendons grâce aux chrysanthèmes qui ont la magie de nous faire oublier le temps éphémère de leur courte vie, que nos cimetières sont devenus des dépotoirs où l’on chasse de leurs tombes ceux qui pourtant les ont payées de leurs deniers, pour les remplacer par celles que nous condamnons. Faites en le constat vous-même et vous verrez combien de sépultures anciennes, frappées du sceau de l’infamie sont vouées à être détruites ! Comme les grands arbres de la forêt, destinés à être abattus, ou le bétail, les communes, plutôt que de les prendre à leur charge et de les entretenir sobrement, les ont marqué au fer rouge : « Sépulture réputée être à l’abandon faisant l’objet d’une procédure de reprise. S’adresser à la mairie ». C’est toute l’élégance de la formulation administrative pouvant se résumer en l’occurrence d’une façon plus triviale : « Ote-toi de là que je m’y mette ».

Aussi est ce à la Toussaint, la nuit tombée, qu’il faut aller surprendre « les grands cimetières sous la lune » ou les petits, qu’on appelait si bien dans le vieux temps « l’enclos des morts » ; ils y retrouvent leur majesté ancienne, celle d’un temps où les concessions étaient dites « perpétuelles » et où on pouvait y dormir en paix dans l’attente du grand réveil…

mons5.jpg

Notre-Dame-de-Mons (Livradois)