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30/11/2009

TROIS FOIS RIEN

Goûtons cet extrait de PHARSAMON de Marivaux en réplique aux critiques de Voltaire et appliquons le au théâtre de la politique où les cliques, toutes officines confondues, barbotent en eaux troubles...

 

«  Vous vous étonnez qu'un rien produise un si grand effet. Et ne savez-vous pas, raisonneur, que le rien est le motif des plus grandes catastrophes qui arrivent parmi les hommes ? Ne savez-vous pas que le rien détermine ici l'esprit de tous les mortels ; que c'est lui qui détruit les amitiés les plus fortes, qui finit les amours les plus tendres, qui les fait naître tour à tour ; que c'est le rien qui élève celui-ci, pendant qu'il ruine la fortune de celui-là ? Ne savez-vous pas, dis-je, qu'un rien termine la vie la plus illustre, qu'un rien décrédite, qu'un rien change la face des plus importantes affaires ; qu'un rien peut inonder les villes, les embraser ; que c'est toujours le rien qui commence les plus grands riens qui le suivent, et qui finissent par le rien ? Ne savez-vous pas, puisque je suis sur cet article, que vous n'êtes rien vous-même, que je ne suis rien ; qu'un rien a fait votre critique, à l'occasion du rien qui me fait écrire mes folies ? Voilà bien des riens pour un véritable rien. »


 

 

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10:53 Publié dans Bons Mots | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marivaux, rien

29/11/2009

L'HOMME DE BELLAC

 

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L'homme de Bellac existe, je l'ai rencontré.

On ne lui doit pas l'Apollon ni Amphitryon ni Electre, ni Siegfried et le Limousin ; vous l'aurez compris, il ne s'agit pas de Jean Giraudoux, non, l'Homme de Bellac s'appelle François, François tout court, tant il semble qu'il ne puisse être issu d'aucune filiation particulière excepté celle du sage d'Assise. Qu'il ait des frères ailleurs, sous d'autres cieux, certainement, mais ici, à Bellac, entre le Vincou et la route nationale, lui seul tient la place et soyons sûrs qu'il ne laisserait à personne le droit de la lui disputer !

François de Bellac relève de la seule lignée anonyme du « petit peuple », celui des fadets et des ondins, qu'il faut approcher l'âme pure au risque de se voir tancé de quelque apostrophe bien tournée et bien ciblée parce que ces êtres sensibles ont la réplique habile, le verbe haut, et comme on dit généralement, la « langue bien pendue ». On voit par là que l'Homme de Bellac se « mérite », on ne le traque pas ! Si des circonstances on ne peut plus propitiatoires vous le font rencontrer, vous le reconnaîtrez facilement : il porte le front bas rehaussé d'arcades sourcilières généreuses qui, si on s'y attarde, confèrent à son profil qui cherche en permanence la monnaie, quelque ressemblance avec celui de l'aigle. C'est qu'il vole, comme lui, à de ces hauteurs qui sont l'ordinaire de ce noble animal ! inutile en l'occurrence de préciser qu'il a l'œil vif tout à fait apte à repérer, à des distances auxquelles vous n'oseriez prétendre, le moindre déplacement des points d'assemblage de son environnement familier. Il est attentif à tout et rien apparemment ne saurait le surprendre tant il partage avec les chats certaines aptitudes d'agilité et une patience à toute épreuve.

Si d'aventure vous le croisez, sachez que c'est lui qui se sera arrangé sans qu'il n'y paraisse pour se trouver sur votre chemin ayant senti d'instinct que vous étiez du nombre à lui porter quelque intérêt. Chemin faisant, entré familièrement en confidence, il vous révélera d'un verbe saccadé et truculent, et sans que vous n'ayez besoin de le pousser, les petits secrets de son territoire et les habitudes de ses sujets sur lesquels, à leur insu, il règne en maître.

« Ah ! pouvoir un instant, un instant seulement percer le secret des simples ! sonder les fêlures de leur crâne par lesquelles s'expriment les dieux et en leur compagnie  tutoyer les anges » ! Voilà ce que vous vous direz peut-être après l'avoir quitté, le regrettant déjà.

Contrairement à celui de Néanderthal ou au vieil homme de Tautavel, l'homme de Bellac n'a pas d'âge. Il semble que le temps se soit arrêté tout bonnement sur sa personne à l'âge qu'il a : celui de l'éternelle jeunesse. Façon de dire que l'homme de Bellac est intemporel, qu'il ne relève pas du temps mais du seul espace vital de son petit monde auquel appartiennent l'église, les terrasses et la rue du Coq. Ce royaume, il l'arpente toujours vêtu du même uniforme : casquette de coureur cycliste, pantalon de survêtement, chaussures de sport, pull ou blouson selon la saison. Mais ce qui le singularise plus encore que son habit c'est ce qu'il tient en permanence sous le bras gauche, ployé dans un sac en nylon, qu'il ne s'autoriserait à poser pour rien au monde dès lors qu'il à quitté son toit pour sa tournée... Que tient-il de mystérieux, si dévotement pressé sur son cœur, l'homme de Bellac ? Sa marotte ? L'aurai-je vu ce qu'il porte, m'appartiendrait-il de le dévoiler ?

Ce qu'il tient je ne l'ai pas vu, mais on me l'a dit... quelqu'un dans la confidence ! Alors je vous le livre tel quel, sous toutes réserves : François tient les « starting-blocks » avec lesquels en son temps il remporta sur le stade certain critérium qui le rendit célèbre. Ce prolongement de lui-même, qui doit veiller à son chevet, c'est tout ce qui lui reste de familier passé au stade de reliques. N'étant point destinées au regard profane, il faut être en intelligence ou recommandé pour qu'il consente à vous les dévoiler ! Par contre, il ne se fera pas prier pour vous chanter « l'Aventura », du moins le refrain ; il vous demandera même de le noter... Lui sait très bien à quoi s'en tenir sur le chapitre et son évaluation ne varie pas : 16 ! Vous la confirmerez, ou en rajouterez un peu selon... sans trop forcer toutefois, parce qu'il n'est pas dupe ! Et comme à ses heures il courtise les muses, demandez-lui à l'occasion quelques poèmes de son cru, ils vous surprendront, sinon par la rime, du moins par la précision et souvent la justesse avec laquelle il peint les caractères humains de son petit monde...

« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle... », je songe à l'homme de Bellac, je sais qu'il se promène non point au-dessous, mais au-dessus des nuages de plomb... qu'il se trouve à des encablures du rivage des mesquineries du siècle et des moqueries des gens, que tout l'intéresse et qu'un rien l'occupe et le miracle, c'est qu'il trouve l'aventure sans prendre le large, tout simplement, rien qu'en  traversant le caniveau des ruelles aux plis sinueux qui sont l'ordinaire de son royaume...

 

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26/11/2009

FENRIR

 

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Le loup de fer a croqué le soleil

Un vilain jour.

Il est sorti, pas de velours,

De la forêt métallique

Avec sa suite

Et s'est campé dans la clairière,

Toute une nuit, tranquille et fier,

Auréolé de brume

Et de lumière de lune.

 

Il a couru quarante tours

Entre les troncs d'aluminium

Avant d'atteindre un jour

La grande ville des hommes

Alors,

Il s'est assis sur le rocher de pénitence

Qui tout en haut de la montagne

S'avance,

Bien au-dessus des fins clochers

Et du fourmillement des toits et des fumées.

 

Il s'est assis, le loup de fer,

Dessus sa patte repliée.

Il a compté les cheminées

Et les toitures des usines

Et les machines,

Et sur un signe,

Il a lancé toute sa horde et ses petits

Dans la vallée.



 

 

 

11:13 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : loup, soleil, machines