30/11/2020
NOUS Y SOMMES...
Pour comprendre le communisme, ses outrages et sa capacité de nuisance, il faut avoir lu non seulement Soljénitsyne mais aussi la trilogie incontournable de Thierry Wolton, Sociologie du Communisme de Jules Monnerot, le gros ouvrage de Stéphane Courtois et co-auteurs (le Livre Noir du Communisme), et particulièrement le dernier paru, « l’Effroyable Vérité », synthèse due à la plume sans concessions du professeur Bruno Riondel.
Comparée à une machine, cette idéologie perverse, quant au résultat, vaut le concasseur, le broyeur, le marteau pilon ou le hachoir de charcutier. Ceux d’ailleurs qui en leur temps ont esquissé la figure du monstre, Céline (Mea Culpa), Béraud (Ce que j’ai vu à Moscou) ou Albert Londres dans ses reportages, ne s’y sont pas trompés ! A quoi on ajoutera tous les autres, et ils ne manquent pas, qui en ont dénoncé les crimes et l’hypocrisie institutionnalisée, de Kravtchenko à Zinoviev.
Et pourtant, pourtant, en dépit de toutes les preuves, passées et présentes qui chargent d’un poids himalayen le matérialisme athée, il se trouve encore des émules et des prosélytes de la machine à tuer les peuples. Comprenne qui pourra…
(Marteau pilon du Creusot)
Il faut lire l’ouvrage de Bruno RIONDEL pour deux raisons. La première pour comprendre le siècle ; la seconde, qui explique la première, pour voir comment communisme et capitalisme sauvage marchent main dans la main, qui ne sont en réalité qu’un même corps portant le double visage de Janus. De ce point de vue, la Chine en offre l’exemple parfait.
Les caméras à reconnaissance faciale identifient chaque visage selon son modèle mathématique, qui compte près de 500 millions de chiffres. [CAPA production]
Voici un extrait de l’Effroyable réalité exposant assez bien comment fonctionne, à coups de gros argent, ce que la dissidence appelle à juste titre « le Système » qui nous conduit, si rien ne vient casser ses engrenages, au meilleur des mondes promis par Haldous Huxley :
DU COMMUNISME AU MONDIALISME
… Le mondialisme n’est finalement pas autre chose que la mise en place du communisme suivant d’autres voies plus subtiles que celles qui furent utilisées autrefois, en URSS et ailleurs, par les marxistes-léninistes. L’écrivain britannique H.G. Wells, penseur socialiste de premier plan et théoricien de l’Etat-monde qui proposait de réserver le droit de vote aux personnes très qualifiées, écrivait, en 1940, dans le Nouvel Ordre mondial, que « nous devons réaliser qu’une fédération politique sans une collectivisation économique concomitante est vouée à l’échec », c’est pourquoi, ajoutait l’écrivain, « une révolution profonde, non seulement politique, mais aussi sociale, plus profonde encore que celle entreprise par les communiste en Russie » doit être désormais mise en œuvre au niveau planétaire. Ainsi, concluait-il, « la révolution cosmopolite pour un collectivisme mondial qui est la seule alternative au chaos et à la dégénérescence de l’humanité doit aller bien plus loin que la révolution russe ; elle se doit d’être plus minutieuse et mieux conçue, et son accomplissement requiert un objectif bien plus héroïque et inébranlable ». Tout était dit et tout se réalise sous nos yeux, de nos jours, suivant les objectifs définis autrefois dans les milieux mondialistes dont Wells était l’une des figures de proue. « Communisme » et « mondialisme » ne sont donc en fait que des concepts interchangeables pour désigner un unique projet collectiviste mondial qui est mis en œuvre, depuis plusieurs générations, par le biais d’une même méthode d’action matérialiste dialectique que l’ingénierie sociale, experte dans la création de fronts sociaux multiples, utilise magistralement dans le but de transformer révolutionnairement le monde.
Dire cela ne doit pas être interprété comme étant l’expression d’une perception complotiste de l’histoire faite de théories dont le simplisme le dispute au ridicule, à l’instar de ces thèses conspirationnistes selon lesquelles le monde serait contrôlé par des sociétés secrètes d’ « Illuminati » ou par des « Reptiliens » venus de lointaines galaxies (1). Le professeur qui écrit ces lignes connaît trop bien ce type de fadaises auxquelles certains de ses élèves naïfs adhèrent sans recul et qui doivent être vigoureusement dénoncées, mais il sait aussi que celles-ci sont parfois instrumentalisées pour délégitimer d’authentiques questions politiques qu’il n’est pas politiquement correct d’évoquer et brouiller ainsi le sain discernement populaire (2). C’est ainsi que les très sérieuses problématiques portant sur la politique d’emprise croissante d’une oligarchie mondialiste exerce toujours plus sur les peuples, par le biais des réseaux financiers, des médias, des associations et des think tanks divers et nombreux qu’elle contrôle et utilise pour servir sa quête avide de pouvoir, sont trop souvent délégitimées par des accusations imméritées de « conspirationnisme ». Pourtant, il n’y a là ni complot, ni conspiration, mais tout simplement la réalité pérenne d’une stratégie de mainmise économique et politique qu’une classe financière triomphante, désormais affairée à construire la nouvelle superstructure culturelle collective qui assurera sa domination durable et la préservation de ses intérêts propres, met patiemment en œuvre contre les souverainetés populaires et au mépris du fait démocratique qui leur est consbstanciel.
L’étude des liens étranges que cette puissante oligarchie financière entretenait, dès le début du XXe siècle, avec les réseaux communistes s’avère fondamentale pour comprendre la genèse d’un mondialisme contemporain fondamentalement révolutionnaire qui, aujourd’hui encore, inscrit son action subversive dans le prolongement des stratégies de déstabilisation mise en œuvre, au cours du siècle passé, par les révolutions pseudo-prolétariennes qui ont alors ensanglanté une partie de l’humanité. La question du financement de la révolution bolchevique par les milieux financiers qui ont ainsi curieusement permis à celle-ci de réussir et de survivre constitue l’un des nombreux angles morts d’une recherche historique universitaire contemporaine embourbée dans les sentiers battus que le conformisme idéologique de nature systémique qui la contrôle lui impose de suivre. En effet, dès 1917, la révolution russe fut financièrement aidée par des milieux économiques anglo-saxons qui, en échange de leur soutien, reçurent, de la part des dirigeants bolcheviques, des licences d’exploitation nombreuses pour valoriser le potentiel minier et industriel du nouvel Etat socialiste, à l’instar de la richissime famille Harriman à qui fut concédé un monopole sur le manganèse extrait des mines sibériennes dans lesquelles mouraient à la tâche les esclaves du goulag, tandis que, de leur côté, les Rockefeller signaient un contrat exclusif pour l’exploitation des gisements de pétrole du Caucase.
Dès avant le coup d’Etat d’octobre 1917, les plus hauts dirigeants de la banque germano-américaine Kuhn, Loeb & Co semblent avoir joué un rôle majeur pour permettre la réussite de celui-ci, Max Warburg ayant investi deux millions de roubles dans une maison d’édition créée par les bolcheviques pour diffuser leur propagande, tandis que Jacob Schiff, rapportait le New York Journal American, « passe pour avoir donné 20 000 000 de dollars à la révolution bolchevique », un investissement qui se révéla particulièrement juteux pour le banquier américain car, plus tard, les chefs communistes « ont déposé plus de 600 000 000 de roubles chez Kuhn and Loeb, la banque de Schiff (3) ».
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(1)Selon d’autres affirmations fantaisistes, l’homme n’aurait jamais marché sur la Lune et la Terre serait plate.
(2)En ingénierie sociale, ce type de méthode visant à créer chez les personnes des biais cognitifs (déviations de la pensée logique par rapport à la réalité) par diffusion, dans le réel, de discours faussés est appelée « infiltration cognitive ». Le discours absurde ainsi crée sert à discréditer, par amalgames, les analyses sérieuses qui, de leur côté, remettent en cause la validité de certains conditionnements politiques et médiatiques subis par les masses. Le terme de « complotisme » fut d’ailleurs créé dans les années 1960 par la CIA, dans le but de ridiculiser les révélations gênantes faites sur l’ « Etat profond » américain dont les réalités inconnues du grand public commençaient à filtrer.
(3)New York Journal American, 3 février 1949. Dans un article publié par le Figaro, le 20 février 1932, François Coty, industriel et homme politique, écrivait qu’avant octobre 1917, « les subsides accordés aux nihilistes, par Jacob Schiff, n’étaient en aucun cas des actes de générosité isolés. Une véritable organisation terroriste russe avait ainsi été constituée aux Etats-Unis, à ses frais, et était chargée d’assassiner (en Russie) les ministres, les gouverneurs, les chefs de la police, etc. »
Cet extrait du texte (pages 719 à 724) est tiré des « Problématiques » de la quatrième partie de l’ouvrage du professeur RIONDEL: "L'Effroyable Vérité", éditions l'Artilleur, 2020.
Les crimes et atrocités décrits au travers des 500 premières pages, composent un musée international des horreurs qui pourrait être ubuesque s’il n’était, hélas bien réel. Tous les « grands démocrates » que furent Lénine, Trotsky, Staline, Mao, Pol-Pot et autres conducators, comptant la vie pour rien ont rivalisé en performances. Ces tyrans firent dans le colossal et ils y réussirent sommes toutes assez bien, à hauteur au bas mot de soixante cinq millions de victimes qui ne sont pas un détail de l’Histoire !
Où allons-nous, si nous n’y sommes déjà ?
La manipulation des foules par les « maîtres du monde » atteignant des hauteurs dépassant celles exposées dans l’essai de Tchakhotine, ne laisse guère de place, via la télévision, Internet, et quasiment tous les médias à la réaction contre le Système. Réaction étouffée dans l’œuf avant même d’avoir vu le jour.
Pour ne prendre exemple que de la seule France, aucun recours, rien ne se lève à l’horizon sinon la parodie de l’opposition contrôlée. Le Malin bat les cartes au nez du badaud, et le badaud, hypnotisé, gobe le bonneteau.
En octobre 1917, les bolcheviks, prenant le pouvoir, ont saisi Petrograd, l’ont comme pendue à un crochet et l’ont écorchée de sa civilisation… relatait Albert Londres dans « La Russie des Soviets » (A. Londres Câbles & Reportages, éditions Arléa, 2007)
Eh bien aujourd’hui, en 2020, tout laisse présager que c'est par la tyrannie sanitaire internationale au pouvoir, qui déroule un tapis rouge au totalitarisme mondial, que les peuples écorchés vont perdre leurs civilisations. La tyrannie sanitaire est une lèpre, c’est la Mérule qui ronge le bois de la vie, nous y sommes… Nous en relèverons-nous ?
« … J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours.
…/…
J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ;
L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd. »
(Charles Baudelaire, Chant d’automne)
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23/03/2012
TCHEKHOV A SAKHALINE
Qu’on imagine à 9000 kilomètres de Moscou, au large de la Sibérie, une île tout en longueur battue par la pluie et par les vents, au climat hostile connaissant des écarts annuels de température de plus de 60°, aux épais brouillards, au relief parfois difficile surtout dans sa partie sud, aux sols ingrats tapissés de marécages ou couverts par l’impénétrable taïga et on aura une idée de ce que découvrit Anton TCHEKHOV lorsqu’il débarqua à Sakhaline le 5 juillet 1890.
A ces hostilités naturelles il faut ajouter la colonie pénitentiaire peuplée de criminels de droits commun des deux sexes et de détenus politiques que les Russes y déportèrent dès 1857, assurés qu’ils étaient de ne plus les voir paraître sur le continent.
Le récit de Tchékhov est passionnant ; à ses talents de médecin, il ajoute ceux d’ethnologue et de géographe confirmés auquel rien ne doit échapper des spécificités de l’île qu’il a choisi d’étudier. A trente ans, c’est un homme dans la force de l’âge qui se lance dans l’aventure. Il le faut ! parce que la traversée de l’immense Sibérie, partie en train partie en bateau, en voiture et à pied, équivaut à un véritable parcours du combattant. Quoique malade, il lui faut affronter le froid atroce qui sévit nuit et jour auquel s’ajoutent les intempéries qui le pénètrent jusqu’aux os et, aux premiers rayons de soleil l’agressivité des bataillons de moustiques assoiffés de sang. Les accidents de voiture ne sont pas rares sur le parcours et le franchissement des coupures naturelles s’avère, le plus souvent, problématique.
Taïga sibérienne
Parvenu à Nikolaïevsk, à l’embouchure du fleuve Amour, il ne lui reste plus qu’à passer la Manche de Tartarie pour poser enfin le pied sur l’île du Diable ! Dès lors plus rien ne va échapper à l’observateur sagace qu’est notre aventurier. Tout est prétexte à, descriptions, analyses et exposés scrupuleux du milieu qu’il découvre. Le lecteur marche dans ses pas et mesure à quelles extrémités de misère et d’infamie en est arrivée la population, tant locale qu’allogène, de Sakhaline…
Ce sont les Japonais les premiers qui explorèrent l’île au XVIIe siècle ; puis vint le tour des Russes. D’un commun accord, les deux empires se partagèrent le territoire pour moitié, le sud revenant au Japon jusqu’à ce que ce dernier, en 1875, propose à la Russie d’échanger sa part contre les Kouriles. Dès lors, elle devenait seul propriétaire de ce morceau déshérité de terre insulaire de 1000 kilomètres de long sur une largeur variant de 6 à 160 kilomètre au gré de la latitude.
Tchékhov débarque à Sakhaline en été ; il lui faut donc franchir la passe sur le Baïkal qui, comme il l’écrit, « est tenu de toucher Sakhaline plusieurs fois par été, au Poste d’Alexandrovsk et à celui de Korsakovsk, au sud… » Le reste de l’année, la Manche prise par les glaces transformant l’île en archipel, les plus téméraires où les insensés peuvent toujours tenter de la traverser à pied…
Détroit de Tartarie
Sakhaline, que borde sur sa côte orientale la mer d’Okhotsk, est grande comme deux fois la Grèce ou si l’on préfère, une fois et demie le Danemark.
Dès qu’il arrive à Alexandrovsk, Tchékhov est frappé de la pauvreté de la nature : « … ce ne sont que souches carbonisées ou troncs de mélèzes desséchés par le vent et les incendies, dressés comme des aiguilles de porc-épic. (…) Pas un pin, pas un chêne, pas un érable — rien que des mélèzes étiques, pitoyables, comme rongés qui, loin de faire, comme en Russie, l’ornement des forêts et des parcs, dénoncent un sol palustre, misérable et un climat rigoureux. » Quant aux maisons, elles sont tout bonnement à l’image du reste, pauvres et bâties de bois. L’auteur s’y attardera quand il visitera les isbas des « relégués » ou les iourtes des Giliakhs et des Aïnos, les naturels du lieu.
Aïnou
Le Commandant et le Gouverneur de l’île le reçoivent avec d’autant plus d’aménité qu’ils pensent que leur hôte a été détaché sur place par une société savante ou un journal. Il n’en est rien, c’est de son propre chef que Tchékhov est venu passer trois mois à Sakhaline. Il reçoit néanmoins l’autorisation de se rendre où bon lui semblera et de rencontrer qui il voudra hormis les détenus politiques.
Fort de ces autorisations, il commence par établir méthodiquement, sur des fiches imprimées à cet effet, un recensement de la population des colonies qu’il visite. Tâche ingrate et fastidieuse mais ô combien précieuse ! Les fiches, qui possèdent douze entrées, font apparaître (outre les renseignements coutumiers tels que le nom, l’âge, le sexe, l’adresse) la qualité des recensés (on sait s’il s’agit de forçats, de relégués, de paysans proscrits ou de citoyens libres), leur religion, leur niveau d’instruction et s’ils reçoivent ou non des subsides de l’état.
Il se déplace d’isba en isba et il constate trop souvent que rien ne lui parle « de soin ménager, de confort, de solidité du foyer. La plupart du temps, je trouve le propriétaire seul, célibataire rongé d’ennui, qui semble paralysé par son oisiveté forcée et par la lassitude. (…) Le poêle est éteint, en fait de vaisselle, il n’y a qu’une marmite et une bouteille bouchée avec du papier. »
Il commence par explorer le centre de l’île autour de la Douïka, vallée à l’origine inexploitable que le travail de galérien des forçats a permis de mettre quelque peu en valeur, mais à quel prix ! « Ajoutez à cette somme de labeur et de lutte où l’on vit des hommes travailler dans l’eau jusqu’à la ceinture, les gelées, les pluies glaciales, le mal du pays, les humiliations, les verges, des tableaux terribles viendront envahir votre imagination. »
Ferrage des prisonniers
En poursuivant le récit de Tchékhov, on mesure la misère des détenus et leur condition de vie désastreuse:
« Tous les travaux de construction et l’essouchement furent effectués par les forçats. Jusqu’en 1888, date où fut édifiée l’actuelle prison, ils vivaient dans des huttes dites « iourtes ». C’étaient des cabanes en rondins enterrés à une profondeur de deux archines à deux archines et demie (un mètre quarante à un mètre soixante-quinze) avec des toits de terre battue à double pente. Les fenêtres étaient petites, étroites, à ras du sol, il y faisait noir surtout l’hiver, lorsque les iourtes étaient recouvertes de neige. L’eau du sous-sol montait parfois jusqu’au niveau du plancher, le toit de terre et les murs poreux à demi pourris ruisselaient constamment, de sorte qu’il régnait dans ces caves une humidité terrifiante. Les hommes dormaient sans quitter leur pelisse. Autour de ces masures le sol et l’eau du puits étaient constamment souillés de fiente humaine et de toute sorte de déchets, car il n’y avait ni cabinets ni décharge pour les ordures. »
Au sort des hommes voués à l’épuisement, à la violence, à la boisson, aux accidents et aux maladies pernicieuses il faut ajouter celui des femmes qui pour survivre, libres ou détenues, n’avaient d’autre issue que de se livrer à la débauche et d’y contraindre leurs propres filles dès leur jeune âge.
Lors de sa visite de la prison d’Alexandrovsk, il note le peu de soins apportés à la nourriture des prisonniers, l’absence totale d’hygiène, la promiscuité et ses conséquences à quoi s’ajoute l’absence totale du moindre élément de confort :
« Le forçat rentre des travaux qu’il effectue le plus souvent par mauvais temps, les vêtements transpercés et les souliers pleins de boue ; il n’a pas où se sécher ; il suspend une partie de ses habits près de son bas-flanc, et l’autre, encore mouillée, il l’étend sous lui en guise de literie… »
Il n’y a guère que la nature pour offrir quelque réconfort et si le mélèze partout domine, il demeure néanmoins quelques lieux privilégiés comme la vallée de l’Arkaï pour retenir l’attention du narrateur:
« Outre la beauté de sa disposition, elle est si riche en couleurs, que je ne vois pas trop comment éviter la comparaison usée du tapis bariolé et du kaléidoscope. Voici une verdure épaisse, gorgée de sucs, avec ses bardanes géantes toutes mouillées encore d’une pluie récente ; juste à côté, sur un petit espace qui ne fait guère plus de trois sajènes (six mètres) verdoient un peu de seigle, puis un carré d’orge, puis encore des bardanes, derrière une minuscule pièce d’avoine, puis un carré de pommes de terre, deux tournesols malingres à la tête pendante, puis un triangle de chanvre vert foncé, ici et là se redressent fièrement les candélabres de quelques ombellifères ; toute cette mosaïque est parsemée de petites touches roses, pourpre et vermillon posées par les pavots. »
A Douï, Tchékhov visite la colonie agricole de Sakhaline ; c’est à peine si la prison doit lui envier quelque chose ! Les dortoirs sont occupés par des forçats dont certains accompagnés de leur femme et de leurs enfants. Il les décrit tour à tour, tous sont logés à la même enseigne ; dans l’un d’eux : « un surveillant, un sous officier, sa femme âgée de dix-huit ans, et leur fille ; un forçat et son épouse — de condition libre ; un colon forcé ; un forçat, etc. A ces locaux dignes des Barbares, à ces conditions de vie telles que des jeunes filles de quinze et seize ans sont contraintes de dormir côte à côte avec des forçats, le lecteur peut juger du manque de respect, du mépris avec lesquels sont traités ici ces femmes et ces enfants qui sont pourtant venus volontairement, comme on tient peu à ces êtres, et comme on est loin de toute idée de colonisation agricole. »
Les détenus s’ouvrent à lui, racontent leurs crimes et leurs misères ; beaucoup d’assassins récidivistes, de voleurs impénitents et de falsificateurs. Ce peuple de déchus n’a plus rien à attendre sinon le pire qui consiste à recevoir les verges, le fouet ou à être envoyé aux mines. Et c’est chaque jour trois à quatre cents forçats qui sont désignés pour extraire de la couche carbonifère un mauvais charbon. Quant à ceux qu’on envoie aux travaux routiers dans le froid glacial ou les tempêtes de neige, leur sort ne vaut guère mieux. Mais le pire ne réside pas dans la dureté des travaux miniers où tout se fait à bras d’homme y compris le voiturage des wagonnets qu’il faut pousser et tirer sur des pentes impossibles, il tient « à l’ambiance, la bêtise et la malhonnêteté des gradés inférieurs, qui font qu’à chaque pas les détenus ont à souffrir l’arrogance, l’injustice et le caprice. »
Travaux routiers
Valent-ils mieux que les cafards et les punaises qui sont l’un des fléau de Sakhaline ? « Les murs et le plafond étaient recouverts d’une sorte de crêpe de deuil qui ondulait comme poussée par la brise ; quelques points isolés qui allaient et venaient en hâte et sans ordre, permettaient de deviner de quoi était faite cette masse pullulante et moirée. On entendait des bruissements, des chuchotements à moitié étouffés, à croire que cafards et punaises tenaient quelque hâtif conciliabule avant de se mettre en chemin. »
Il semble, dans cet enfer, que seuls les Ghiliak aient été de nature à apporter quelque note de gaîté. Tchékhov s’attache à les décrire, note leur sociabilité, il observe que « leur expression ne trahit aucunement le sauvage ; elle est toujours réfléchie, humble, naïvement attentive ; tantôt elle s’éclaire d’un sourire large et béat, tantôt elle devient pensive et douloureuse comme celle d’une veuve. » Ils se sont adaptés au climat rude de l’île et ont en conséquence construit leurs iourtes (d’été et d’hiver) et façonné leurs vêtements. Et le narrateur d’ajouter que les Ghiliak, contrairement aux détenus, « n’ont rien de belliqueux, qu’ils répugnent aux querelles et aux bagarres et s’accommodent pacifiquement de leurs voisins. »
Contrairement au nord et au centre de Sakhaline, le sud de l’île paraît plus hospitalier :
« Les colonies du Sud ont des particularités qui ne sauraient échapper à quiconque arrive du Nord. En premier lieu, il y a moins de misère. (…) Les habitants paraissent plus jeunes, plus sains, plus vigoureux (…) On en trouve qui, à vingt ans ou vingt-cinq ans, ont déjà purgé leur peine et occupent les lots qu’on leur a assignés. »
Curieusement, et cela n’échappe pas au médecin qu’est Tchékhov, cette partie de l’île est marquée par la fréquence des empoisonnements à l’aconit (Aconitum napellus).
Il s’attarde, en véritable anthropologue, à nous décrire les aborigènes du Sud que sont les Aïno et s’interroge sur leur probable disparition du fait des guerres, de la stérilité des femmes et surtout des maladies que sont le scorbut, la syphilis et la variole. Comme les Ghiliak, les Aïno sont doux et ne supportent pas la violence ; en quoi ils ne furent guère difficiles à soumettre !
C’est dans le sud de l’île que se sont établis le plus souvent les « propriétaires forçats » :
« Lorsqu’il a fini son temps, le condamné est libéré des travaux forcés et passe dans la catégorie des colons relégués. Ce qui se fait sans délai.(…) Après dix années de résidence à titre de colons forcés, les relégués bénéficient du statut de paysan, condition nouvelle qui leur apporte des droits importants. »
Tchékhov évoque la vie des villages et de leurs autorités, puis il se penche, au chapitre suivant, sur la question féminine.
Alionuska, Victor VASNETSOV 1881
La plupart des femmes sont venues rejoindre leurs époux ou un membre de leur famille. Le narrateur nous prévient : « Ce sont pour la plupart des victimes de l’amour ou du despotisme familial. » Compte tenu de la prédominance de la population masculine de l’île, on imagine le sort réservé aux femmes qu’on prostitue, qu’on vend, qu’on loue, qu’on prête… Quand un convoi de prisonnières arrive sur l’île, les plus jeunes et les plus belles sont filtrées pour être affectées comme domestiques chez les fonctionnaires ou leur servir de compagnes :
« La prison s’est totalement désistée des forçates en faveur de la colonie. Lorsqu’on les emmène à Sakhaline, on ne songe ni à leur châtiment ni à leur amendement, mais à leur aptitude à engendrer des enfants et à tenir une ferme.(…) On voit quelquefois arriver au bagne une vieille femme et sa fille déjà adulte ; elles entrent toutes deux en concubinage chez des colons et se mettent à accoucher à qui mieux mieux. »
Dans le dernier tiers de sa relation, Tchékhov se livre à une étude démographique, sociologique et économique de l’île dont la principale ressource est consacrée à l’activité de la pêche quand la saison s’y prête, c’est-à-dire très peu de jours dans l’année. Le reste du temps, il faut faire avec les très maigres ressources locales, insuffisantes à nourrir la population laquelle doit affronter comme elle le peut la famine qui frappe en priorité le jeune âge :
« Les enfants de Sakhaline sont pâles, maigres, inertes : ils sont vêtus de guenilles et toujours affamés. Comme le lecteur le verra par la suite, ils meurent presque exclusivement de maladies du tube digestif. Une vie de famine, une nourriture qui consiste, parfois durant des mois entiers, de rutabagas et rien d’autre ou, dans les foyers plus aisés de poisson salé, les basses températures et l’humidité soumettant la plupart du temps l’organisme des enfants à une mort lente, par épuisement, par dégénérescence progressive de tous les tissus… »
Les prisonniers connaissent aussi la faim et le pain qu’on leur donne est abominable : « Quand on le rompait, on voyait de fines gouttelettes d’eau étinceler au soleil, il vous collait aux doigts, se présentait comme une masse sale, gluante qu’il était impossible de prendre en main sans dégoût. » Aussi quelques-uns tentent-ils l’évasion avec l’aide des Ghiliak qui les font traverser en canots ou, lorsque la Manche de Tartarie est prise par les glaces. Mais on ne s’échappe pas de Sakhaline sinon pour être déchiqueté par les ours ou mourir de froid dans les marais de l’impénétrable taïga ; c’est pourquoi, le plus grand nombre des évadés reviennent toujours aux prisons, préférant encore à l’enfer du froid sibérien celui des châtiments corporels qui les attend.
Taïga de Sakhaline
L’ouvrage s’achève sur l’hôpital d’Alexandrovsk et ce qu’on y trouve… C’est l’œil du médecin et la plume de l’écrivain qui parlent, et certains détails sont bien de nature à évoquer au lecteur ce que découvrira quarante ans plus tard en visitant l’URSS, un autre médecin écrivain, Louis Ferdinand CELINE…
La misère russe, la misère noire, dostoïevskienne, Tchékhov comme Céline savaient de quoi ils parlaient pour l’avoir tous deux approchée de près...
« Cela suffit au fond ces trois mots qu’on répète : le temps passe… cela suffit à tout…
Il n’échappe rien au temps… que quelques petits échos… de plus en plus sourds… de plus en plus rares… Quelle importance ? » ( LF Céline, Bagatelles pour un Massacre).
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