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19/03/2010

L'IVRE D'IMAGES (1)

 

 

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Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,

L'univers est égal à son vaste appétit.

Ah! que le monde est grand à la clarté des lampes!

Aux yeux du souvenir que le monde est petit!

(Charles Baudelaire, « Le Voyage »)


ALBUMS D'EPICERIE

 

 

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Il fut un temps, entre la première guerre mondiale et le début des années soixante où l'on collectionnait de petites images appelées vignettes, qu'on collait chacune à leur place dans des albums thématiques commandés à l'usine ou demandés à l'épicière du quartier. On trouvait ces images dans des tablettes de chocolat, des boîtes de cacao, des paquets de café, des paquets de biscottes et d'entremets, quelquefois même, dans des boîtes de pâtes alimentaires. On les échangeait à l'école à la faveur des récréations ou dans le fond de la classe, du moins pour ceux qui avaient la chance d'occuper ces places privilégiées !

 

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Chaque fabricant rivalisait de zèle, pour accompagner ses produits des vignettes les plus attractives ! Sur ce point, les grandes marques de chocolat, Menier, Suchard, Poulain se disputaient, à juste titre la première place car chacune, tant par la qualité de ses productions que par la beauté de ses vignettes nous laissait dans l'expectative tant il nous paraissait impossible de pouvoir les départager. Encore était-ce sans compter sur le gros du peloton qui les suivait roue dans roue !

 

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Qui se souvient aujourd'hui de Pupier, Meurise, Tobler, Louit, Guérin-Boutron, Kohler, Aiguebelle, Rozan, Cémoi ? Qui se souvient du café Gilbert et des produits Bozon-Verduraz ? dont le seul nom me ravit le jour où ma grand'mère me remit une boîte en carton pleine des vignettes représentant les généraux, maréchaux et amiraux de la Grande Guerre, patiemment collectionnées par mon père. J'étais bien jeune alors, et n'en ai conservé que le souvenir de les avoir dispersées aux quatre vents... Mais les noms me sont restés de la plupart des chefs de guerre qu'elles représentaient, dont il me semblait que certains sonnaient bien à l'oreille, comme ceux des généraux Guyot de Salins, Langle de Carry, Lenfant, Hirschauer,  ou celui de l'amiral Ronarc'h...

Elles étaient en couleur, comme la majorité des vignettes publicitaires, et le dessinateur avait représenté chacun de ces portraits en buste plutôt qu'en pied, en grande tenue aux couleurs de l'arme. Le dos de l'image nous apprenait en quelques lignes les faits marquants d'une vie glorieuse qui me laissait rêveur quand je disposais en ordre de bataille mes soldats en aluminium. Mais je dois avouer que c'est dans les illustrations des Fables de la Fontaine que je trouvais principalement mon bonheur, d'autant plus que mon aîné de cousin, qui les avait collectionnées avant moi, m'avait remis en une fois suffisamment de doubles pour remplir un album tout entier !  C'est dans ces albums (car il y en avait deux), édités par le chocolat Menier, que j'appris les fables les plus connues ; j'y goûtais, autant que dans le « Benjamin Rabier » ou dans le « Grandville », le talent de l'illustrateur et son pouvoir de suggestion.

Quand la photographie, systématiquement, se mit à remplacer l'image, les albums perdirent à la fois  leur charme et  leur intérêt : ils ne nous firent plus rêver... Ce fut le début de la fin qui marqua les années soixante.

Je me mis alors, d'abord chez les Compagnons d'Emmaüs et sur les brocantes -on disait « marchés aux puces »-  à rechercher l'aristocratie du genre, celle qui tenait le haut du pavé dans les années trente qui avaient précédé mon enfance, et que j'attribue pour ma part au chocolat Pupier dont la trilogie « Europe » « Afrique » « Asie », valait à elle seule qu'on s'y attardât. J'appris ainsi qu'il existait des collectionneurs d'albums comme il existe des collectionneurs de tout ; et qu'il en était qui possédaient de véritables trésors qu'aucun musée ne renfermerait jamais. Trésors sans grande valeur marchande, sans doute, mais riches de leur seule mémoire et de l'empreinte qu'y ont laissée les générations d'enfants et d'adolescents qui les ont aimés et s'en sont nourris, quand bien peu de foyers possédaient une encyclopédie ou même le Larousse illustré en deux volumes où s'abîmer pendant les veillées d'hiver et les jours de mauvais temps !

 

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C'est qu'on y apprenait autre chose, force est de le reconnaître, que dans les vignettes Panini des équipes de « foutebol » ou celles de « starwar »...

On y apprenait par exemple qu'Aristote, en son temps, avait découvert dans la Méditerranée des poissons ruminants, pas moins ! Et l'une des images des chocolats Nestlé-Kolher nous les montre, dans sa série des « Merveilles du Monde ». Ce ruminant,  c'est le scare, appelé aussi « perroquet des mers » à cause de ses vives couleurs ; il n'a rien que de sympathique, et la légende de la vignette nous renseigne : « ... à cause de ses dents acérées, ce poisson coupe des plantes aquatiques dont il fait provision dans ses abajoues ; ce n'est que plus tard qu'il mangera cette nourriture en la mâchonnant préalablement à la manière de la vache. » Quant au rémora, long d'environ un mètre, on nous explique que les indigènes de l'Archipel sud australien s'en servent astucieusement comme ils le feraient d'un chien de chasse, ni plus ni moins qu'en le tenant en laisse et en le hâlant après qu'il ait saisi sa proie ! On  apprend de la même veine, que le tiers du corps du gymnote est constitué par un organe faisant office de pile électrique dont la tension de 800 à 900 volts peu bien nous électrocuter. Nous voilà fort bien renseigné, et voilà de quoi faire naître, sinon des vocations d'ichtyologues, du moins un intérêt certain pour les mystères de la faune marine.

Ouvrons « L'Europe », à la livrée parée de rouge du chocolat Pupier, au hasard d'une page; on y apprend que le « Prince de Saxe-Cobourg , Léopold 1er fut le premier roi de Belgique, après la Révolution de 1830 qui en fit un état indépendant. Veuf de la princesse Charlotte d'Angleterre, il épousa en 1832, la princesse Marie-Louise d'Orléans, fille aînée de Louis-Philippe. ». On y voit le palais de Monaco, un cuirassé de la marine anglaise, les hauts-fourneaux de Gelsenkirchen, Naples et le Vésuve, la bataille de Lépante, des soldats roumains, une vue d'Helsingfors, créée en 1642, capitale de la Finlande, ainsi que la carte de ce pays mystérieux avec ses nombreux lacs.

 

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On doit aux « Cafés Gilbert », qui possédaient deux usines, l'une à Paris, 136 rue Championnet et l'autre à Poitiers, boulevard Pont-Achard, de magnifiques séries thématiques sur les costumes traditionnels, les uniformes, les bateaux, l'agriculture, les chiens, les papillons, les oiseaux, les poissons... Thèmes repris pratiquement par tous les éditeurs avec plus ou moins de bonheur. Quant aux grands faits de l'histoire de France, nombreuses furent les publications à les illustrer au début du vingtième siècle.

 

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Beaucoup de ces albums, patiemment complétés, donnaient droit à un cadeau que je n'ai pour ma part jamais demandé, préférant les conserver intacts plutôt que de me les voir réexpédiés scarifiés par des « poinçonneurs » peu scrupuleux d'épargner les belles images !

A l'heure où ces dernières icônes d'une civilisation riche d'enseignement « populaire » brillent encore de leurs derniers feux dans les boutiques spécialisées, sur les tréteaux des « puces », ou s'échangent sur le net, rendons hommage à tous ceux qui les ont amoureusement conservés pour le bonheur des amateurs, et des collectionneurs d'aujourd'hui. Ils témoignent  d'un temps où tout était prétexte à se cultiver « honnêtement », dans l'acception d'un humanisme populaire disparu. Nous sommes un certain nombre à le regretter...

 

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(à suivre)

 

 

 

18/03/2010

18 MARS 1844

 

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18 mars 1844, naissance à Tikhvine de Nikolaï RIMSKY KORSAKOV

 






 

14/03/2010

14 MARS 1909

 

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André  PIEYRE de MANDIARGUES, né le 14 mars 1909 à Paris, a laissé une œuvre littéraire importante s'inscrivant dans le courant surréaliste auquel il appartint. Ce passionné d'érotisme et de fantastique, qui a touché à tous les genres littéraires ( Poésie, romans, contes, nouvelles, essais, théâtre ), obtint le prix Goncourt 1967 pour son roman La Marge qui connut, sous le même titre, une adaptation cinématographique en 1976.

En 1946, l'auteur fit paraître Le MUSEE NOIR, édité par Laffont ; un recueil de nouvelles dont la première intitulée « Le sang de l'agneau », dédiée à Leonor Fini, résume à elle seule l'univers de Mandiargues contenu tout entier dans la première phrase :

« Marceline Caïn : on eût dit qu'elle était mêlée de cendre, de sable et de sang. »

C'est une histoire, comme il la conclut lui-même, « qui fait frissonner au milieu de la nuit : une histoire de fourrure et de sang. »

Mais c'est dans l'Introduction au Musée noir qu'il faut aller chercher la fascination qu'exerce aux yeux du poète le tellurisme élémentaire et les forces vives de la nature qui renferment bien plus que leur propre substance :

« Le panorama dressé par les sens dans la conscience de l'homme est un écran peu solide ; percé à chaque instant de trous, secoué par les tourbillons, il n'aveugle que ceux qui cherchent précisément à ne rien voir au-delà de son médiocre ready-made. Quelquefois les trous se rejoignent sur le bris des derniers fils du tissu dans une totale discontinuité des images, ou bien les tourbillons renversent entièrement le pauvre appareil, c'est alors l'heure de la voyance, c'est aussi l'heure de l'idiotie, les deux visages absolus de ce que l'on a parfois nommé le mysticisme, mais il est rare, le désirât- on, d'arriver à ces excès, et le plus souvent la mécanique continue à promener au dessus des gouffres aperçus, dans un grincement rassurant de vieillerie, des tableaux dont la laideur et l'horreur même à laquelle ils atteignent de temps en temps sont rendus acceptables par le respect des lois de causalité et le conformisme banal avec lesquels ils se présentent.

Les plus hautes falaises de l'Europe, dit-on, dressent à Berneval, et dessous c'est une grève tourmentée de grands éboulis chaotiques, leurs parois d'une matière douce au toucher quand une cassure vient d'en rafraîchir la surface, mais que l'action du vent et celle de l'humidité saline ont vite revêtue d'une croûte rugueuse allant, entre des bandes de taches bleu sombre, du blanc au gris, au vert sale et à un beige un peu trouble qui est la marque de traînées terreuses descendues du sommet aux jours de tempête. Rien que de la marne avec des noyaux de silex qui deviendront, les uns sur les autres roulés par les vagues, ces galets, en bas, comme une ponte aplatie que l'on voudrait attribuer à des foisons de tortues. Pourtant il demeure dans ces pâles murailles colossalement offertes à l'orgasme de l'écroulement, couronnées de cris d'oiseaux, et qui dominent un fouillis de filets peureusement mis à sécher sur des perches avec des blondeurs tremblantes de crin au soleil, une vie si tendre, de chairs déformées par le titanisme, que ne pourrait l'évoquer aucune parole humaine, sauf, peut-être, le nom d'Astyanax prononcé sous une petite pluie de printemps à l'oreille d'une jeune fille dont on serre les doigts au fond de son manchon de grèbe.

Voilà pour suggérer un seul des dessous de la craie, car il en existe une multitude d'autres. Et toutes ces matières simples ou composées, mais pour l'homme rétif à la connaissance apprise aussi élémentaire que des corps purs : le charbon, le sable, la suie, le plâtre, la glace, la neige, la laine, l'or, le fer, le plomb, le bois, la mousse, le sang, le pain, le lait et le vin, dès qu'elles interviennent dans la sensation, quelles portes n'ouvrent-elles pas sur des coulisses vertigineuses ? Ainsi, la crainte qui entoure le sang répandu par l'hymen lacéré, on aperçoit sans peine qu'elle se rapporte plutôt au meurtre du père et de la mère abolis en même temps du souvenir de la jeune fille dans la rupture violente des disciplines familiales ; meurtre qui pourrait, sur un arrière plan de boucherie, prendre forme un jour avec une terrible précision.

Des lieux et certaines heures unissent, affrontent ou fortifient les auréoles (ou zones d'illumination) propres aux diverses matières. Par ces chocs, par ces combinaisons d'auréoles, naît ce que l'on a communément entendu sous le nom d'atmosphère : un climat propice à la transfiguration des phénomènes sensibles. Allez en forêt saisir le midi frémissant des clairières ; découvrez le minuit des carrières à l'abandon, des plages retirées où s'enjolivent de lune les menues alluvions déposées par le flot ; explorez les gares, les passages, les souterrains des grandes villes, les maisons closes comme des confitures de velours en pots de miroir, les salles de jeu, les foires à la brocante, les théâtres vieillis ; parcourez les gorges des torrents polies et dures telles que des chevaux cabrés, les grottes, les chemins de planches jetés aux marécages ; tant de choses qu'à moins de les voir en aveugle on doit regarder jusqu'à se brûler ou se crever les yeux, et tous les ricanements des bonshommes, toutes les ordonnances de leurs clergés ou de leurs polices, ne pourront plus rien contre l'innocence farouche d'un univers enfin déchaîné... "