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22/04/2010

22 AVRIL 1901

 

 

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En souvenir d'ALEXANDRE VIALATTE, né le 22 avril 1901 à Magnac laval dans la Haute Vienne, savourons un de ses textes, repris dans le volume « Dernières nouvelles de l'homme », publié par Julliard en 1978. Il s'agit d'une affaire de loup, sujet de prédilection dont il partageait le goût avec son ami Pourrat auteur, entre autres œuvres remarquable, de l'incontournable « Gaspard des Montagnes » et du « Trésor des contes ». Ces auvergnats de cœur et de conviction, tous deux fascinés par le bestiaire et sa mythologie, accommodèrent chacun à leur manière des histoires d'animaux. Il entre autant de drôlerie que de gravité dans l'œuvre de Vialatte et c'est par là qu'elle plaît ; elle n'est après tout que le reflet de ce que cache l'écran de la manifestation à des yeux qui ne sont pas encore décillés. Les siens l'étaient, assurément, et la souffrance  y avait largement sa part. Elle se lit en filigrane derrière la drôlerie des mots qui n'est qu'un masque coiffant la dérision de la condition humaine, pas tellement éloignée après tout, de celle des animaux...

La lecture de « Battling le ténébreux » suffira à faire comprendre à ceux qui ne l'auraient pas lu ce que renferme de désespoir une âme torturée. Vialatte fut un homme sérieux qui ne se prenait pas au sérieux ; les Chroniques dont il approvisionna régulièrement "La Montagne" et le magazine "Elle" en sont la preuve ; on ne saurait s'en rassasier, et par les temps qui courent, elles me paraissent plus salutaires que jamais !

Voici donc un extrait du texte écrit pour Les loups d'Henri Pourrat ; à l'inverse des chroniques, il ne s'achève pas par « Et c'est ainsi qu'Allah est grand », mais le cœur y est !

« On ne parle pas assez du loup. Rien n'est plus passionnant que le loup. Le loup est parfaitement hirsute. Le loup est important. La zoologie le réclame, l'hiver le veut, le frisson le suppose. C'est une des grandes nécessités de l'histoire, du folklore et de l'esprit humain. Que d'exploitations agricoles, gérées d'ailleurs avec un zèle heureux par des pères de famille modestes, ne seraient sans lui que des lieux-dits ! Un loup mangeant méthodiquement un sous-préfet en uniforme, ou avalant à la sauvette un petit fonctionnaire rural, dans un site nettement bocager, coupé de ruisseaux et d'ombrages, est une des choses les plus décoratives qu'un graveur puisse imaginer. Surtout quand il les mange en large. Il ne reste bientôt plus sur la neige qu'une casquette de cantonnier, une épée d'académicien.

 

 

 

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Illustration de Granville pour "Le loup devenu berger" des Fables de La Fontaine

 

 

« Quand le gendarme arrive, dit un devoir d' écolier, le loup s'en va en laissant par terre les habits et les os qui restent, mais il en garde un dans la bouche ; il le finit dans sa petite maisonnette. » Telle est la vie ardente du loup.

Du moins dans la littérature.

Elle est d'autant plus méritoire qu'elle doit tout à l'esprit humain. Chacun sait, en effet, que le loup zoologique, celui de Buffon et des Pyrénées, a toujours peur de rencontrer l'homme au coin d'un bois. Ma femme, qui a lu la chose dans une publication, d'ailleurs assez peu nourrissante, assure même que nul animal n'est plus affectueux que le loup, plus domestique, plus avide de salade et affamé de vertus chrétiennes : une famille qui en élevait un aux environs du cercle polaire le nourrissait de radis et de laitages et il participait à la prière du soir.

En face de ces réalités, le loup des légendes représente une réaction inévitable du bon sens, une exigence du paysage, un postulat de la sensibilité. Le loup peut très bien se passer des hommes, l'homme ne peut pas se passer du loup. Où serait le plaisir ?

« Quand le loup se réveille en Pologne, écrit l'enfant que j'ai déjà cité, il mange un pauvre de la paroisse, ça fait crra, crra... et il réveille toute la Pologne. Le loup est grand mais il est vigoureux. » On ne saurait être plus synthétique.

« Le loup n'est pas un oiseau utile parce qu'il ne mange pas les insectes, conclut l'élève déjà cité. On en fait une descente de lit en le bordant d'un feston grenat. »

On voit par là combien les hommes ont cherché à orner et enrichir le loup. C'est parce qu'ils l'ont inventé pour se faire peur, afin d'en être plus rassurés. Aussi veulent-ils des loups vraiment hirsutes pour avoir de grandes émotions qui accroissent ensuite leur sensation de confort, le bonheur étant surtout fait de la fin des petites inquiétudes. Et c'est pourquoi le loup contribue par sa férocité touchante au bonheur de l'humanité.

Tout le monde n'a pas le vrai sens du loup. Henri Pourrat l'avait au plus haut point. C'est ce qui rend ses contes excellents. On y frémit et s'y rassure.

On voit dans quelle ambiance sut travailler Pourrat. Car il avait compris que les hommes ont besoin de loup... »

 

 

 

 

 

16/04/2010

BULLETIN CELINIEN

 

Bulletin célinien N° 318
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« Ce que la mort a scellé l'est pour toujours. C'est même le seul lien qui tienne. »

En couverture de ce 318ème numéro, nous voyons le haut d'un visage qui n'aboiera plus, celui de Céline sur son lit de mort... L'ermite de la Route des Gardes s'est tu définitivement le 1er juillet 1961, vers 18 heures... Rappelons-nous le début de « Mort à Crédit » : « Nous voici encore seuls. Tout cela est si lent, si lourd, si triste... Bientôt je serai vieux. Et ce sera enfin fini. »

Celui qui faisait partie des persécutés qu'évoque Chamfort dans l'une de ses maximes ( « En France , on laisse en repos ceux qui mettent le feu et on persécute ceux qui sonnent le tocsin. » ) repose, comme endormi sur de la neige, dans la pénombre d'une pièce de la villa Maïtou...

Il n'y en avait guère, de neige, en ce premier juillet caniculaire de la mort de Céline, et l' article du bulletin qui nous décrit les dernières heures de sa vie, nous montre l'écrivain au bout de son voyage chercher la nuit, « sous la pierre de sa maison, brûlante comme la Casbah. Il ne supporte plus le soleil, sortant au crépuscule : « Je vais aux commissions. » Il rapporte la viande des bêtes, marcheur qui a perdu son ombre. Les gens de Meudon en le croisant auraient pu dire, comme les habitants de Vérone au sujet de Dante : « Eccovi l'uom ch'è stato all inferno » (Voyez l'homme qui a été en enfer). »

Du 25 ter de la route des Gardes à celle de Vaugirard, la ruelle aux bœufs a gardé l'ombre perdue de celui qui, tous les jours, se rendait aux « commissions », comme il disait. On l'imagine remontant les escaliers, traînant péniblement le sac lourd de  provisions pour les bêtes...

 

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Bas-Meudon, ruelle aux boeufs (source: topic-topos patrimoine-héritage)

 

« Je te dis que je vais crever ! » répète Céline... Chaleur étouffante dès le matin de ce samedi 1er juillet. Lucette, levée à six heures, trouve Louis à la cave, à la recherche d'un peu de fraîcheur, l'air absent »

Les vieux chats se cachent pour mourir, et la plupart des bêtes d'ailleurs, qui ont gardé l'instinct ; venues seules au monde, elles partiront seules. Lui, savait ça, pas de spectacle, pas de visiteurs ! Rien à voir ! Rideau ; la farce est jouée ! et surtout, pas de médecin au chevet... Qu'on en finisse aurait-il dit... une fois pour toutes !

Les animaux qui peuplent l'arche veuve de son nautonier se sont tus, fidèles entre tous : « Il n'y a plus un aboiement, les chats sont invisibles, cachés, il n'y a plus un pépiement d'oiseaux. Toto le perroquet ne parle plus... Il va rester des mois sans parler... »

Après l'avoir veillé, les fidèles et amis de toujours l'accompagnèrent au cimetière des Longs Réages de Meudon où, désormais, il repose. Un voilier est gravé sur la pierre tombale lestée de petits cailloux anonymes, qui sont autant de pommes d'or au jardin des Hespérides. Louis Ferdinand Destouches, dit Céline, est entré dans l'Histoire de la littérature par la grande porte, n'en déplaise à ses détracteurs ; beaucoup n'y rentreront que par les coulisses et la plupart, n'y laisseront aucunes traces.

Le 5 juillet 1961, Kléber HAEDENS rendait hommage à l'écrivain dans un article reproduit dans le présent bulletin : « Ce qui maintenant commence ». Il s'indignait déjà de l'ostracisme dont l'auteur du Voyage faisait déjà l'objet de la part des pouvoirs publics : « On a voulu faire taire Céline et tout récemment encore, une émission préparée par la Télévision française a été interdite à la suite d'on ne sait trop quelles protestations médiocres. Mais voici qui est admirable. Toutes les puissances du jour se liguent contre l'homme seul qui se tient encore debout, un peu par miracle, le dos au mur de sa maison, entre sa femme, ses paperasses, ses clochards et ses chiens. » Et il concluait par cet éloge que n'aurait pas désavoué le philosophe de Sils Maria :  « Le docteur Destouches a donc terminé son voyage au bout de son étrange nuit. Pour Céline et pour son œuvre, ce qui maintenant commence porte un très beau nom, disait Giraudoux, cela s'appelle l'aurore, une de ces aurores qui s'ouvrent désormais pour l'éternité. »

François MARCHETTI nous propose un ultime témoignage de Bente Karild qui avait connu Céline au Danemark ; elle y fait part de la sollicitude de l'écrivain envers elle, dès le moment où il avait perçu son chagrin et son angoisse à la suite d'une cruelle douleur affective. On regrettera que Bente Karild, n'ait pas conservé, à l'instar de nombreux autres correspondants, les lettres que lui avait adressées l'écrivain.

Enfin, c'est avec plaisir que nous découvrons dans ce même bulletin la contribution de Claude Duneton, l'auteur de Bal à Korsör, paru chez Grasset en 1994, à travers une note portant sur Céline et la langue populaire : « Céline n'a pas inventé la langue populaire, c'est plutôt le langage populaire qui l'a inventé lui... ». Sans doute pourrait-on dire la même chose de Bruant. Céline, nourri des classiques, a compris l'usage qu'il pouvait faire de la langue populaire et le parti qu'il pouvait en tirer : ourdir un texte en trois dimensions. Dans cette perspective, reconnaissons qu'il y a dans l'œuvre célinienne, plus d'un point commun avec celle de Praxitèle : il suffit d'être en leur présence pour les reconnaître.

 

 

 

13/04/2010

13 AVRIL 1860

 

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LES TOITS d'OSTENDE (1884)

« Je suis né à Ostende, le 13 avril 1860, un vendredi, jour de Vénus. Eh bien ! chers amis, Vénus, dès l'aube de ma naissance, vint à moi souriante et nous nous regardâmes longuement dans les yeux. Ah ! les beaux yeux pers et verts, les longs cheveux couleur de sable. Vénus était blonde et belle, toute barbouillée d'écume, elle fleurait bon la mer salée. Bien vite je la peignis, car elle mordait mes pinceaux, bouffait mes couleurs, convoitait mes coquilles peintes, elle courrait sur mes nacres, s'oubliait dans mes conques, salivait sur mes brosses... »

Ainsi s'exprime James ENSOR, le peintre de l'étrange qui fascina Verhaeren et Ghelderode.

 

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Ensor doit sans doute beaucoup à ses compatriotes Breughel le Vieux et Jérôme Bosch, mais aussi à Rembrandt et à Goya, à Turner et à Manet ; ce fut avant tout un coloriste qui produisit ses oeuvres les plus réputées entre 1880 et 1885.

André de Ridder, dans la biographie qu'il lui consacra dit de lui : « Il a travaillé, sa vie durant, dans un désert, sans appuis, presque sans amis, réfugié en lui-même et dans le monde merveilleux de la peinture (...) A Ostende, il naquit, il vécut, il se plia à ses habitudes, il réalisa son œuvre (...) Ce cadre se compose d'un paysage : la mer, le ciel, quelques dunes, un bout de campagne pauvre, aux fermes basses, et d'une maison dans une petite ville : celle de sa mère, devenue la sienne, avec la boutique fantasque au-dessus de laquelle il a installé son atelier... »

Je me souviens d'Ostende, la « Reine des Plages » et de la visite que je fis un jour à la maison du peintre, au 27 de la rue de la Flandre qui monte en direction de la mer. Derrière la vitrine de la boutique laquée de vert, des grenouilles naturalisées patinaient sur un miroir au milieu des masques, des coquillages et d'autres objets insolites...

La grand-mère ouvrit ce magasin de souvenirs et de chinoiseries, sa fille prit la suite et entre ces murs, le petit-fils, dans l'atelier qu'il aménagea à l'étage, puisa son inspiration. C'est là qu'il vint à bout de son « grand œuvre » : L'entrée du Christ à Bruxelles, qui fut exposé pour la première fois au Palais des Beaux-Arts à Bruxelles en 1929.

Rien n'a bougé dans la maison, du moins on le suppose, et il semble que le temps s'y soit arrêté là où le peintre l'avait posé. On y sent flotter la présence de quelque chose qu'on a du mal à définir, la même chose qu'on sent dans les toiles et qu'on emporte avec soi sans le vouloir.  Quelque chose qui vous mettrait mal à l'aise si peu que vous y attachiez une intention mauvaise, celle, par exemple, qui vous aurait fait voir les œuvres pour ce qu'elles ne sont pas : des figurations cruelles contagieuses comme la peste et le choléra. Car la mort y rôde son aise, la mort fantasque comme on l'aimait au Moyen Age, burlesque et guillerette dans ses farandoles, celle qui nous tire par la droite et par la gauche et finira bien par nous emporter, n'est-ce pas, puisque c'est elle qui aura le dernier mot !

 

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Le peintre lui même, dans la petite toile remarquable des « squelettes se disputant un hareng saur », n'apparaît-il point en filigrane : hareng saur... art Ensor ? comme déchiré entre le bien et le mal, la lumière et les ténèbres ?

 

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A considérer son œuvre peinte et son oeuvre gravée, on sent bien que ce peintre de la lumière a trempé ses pinceaux dans les ténèbres comme Emile Verhaeren y avait trempé sa plume, et c'est par là, me semble-t-il, qu'il furent l'un et l'autre lumineux.

 

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