14/03/2010
14 MARS 1909
André PIEYRE de MANDIARGUES, né le 14 mars 1909 à Paris, a laissé une œuvre littéraire importante s'inscrivant dans le courant surréaliste auquel il appartint. Ce passionné d'érotisme et de fantastique, qui a touché à tous les genres littéraires ( Poésie, romans, contes, nouvelles, essais, théâtre ), obtint le prix Goncourt 1967 pour son roman La Marge qui connut, sous le même titre, une adaptation cinématographique en 1976.
En 1946, l'auteur fit paraître Le MUSEE NOIR, édité par Laffont ; un recueil de nouvelles dont la première intitulée « Le sang de l'agneau », dédiée à Leonor Fini, résume à elle seule l'univers de Mandiargues contenu tout entier dans la première phrase :
« Marceline Caïn : on eût dit qu'elle était mêlée de cendre, de sable et de sang. »
C'est une histoire, comme il la conclut lui-même, « qui fait frissonner au milieu de la nuit : une histoire de fourrure et de sang. »
Mais c'est dans l'Introduction au Musée noir qu'il faut aller chercher la fascination qu'exerce aux yeux du poète le tellurisme élémentaire et les forces vives de la nature qui renferment bien plus que leur propre substance :
« Le panorama dressé par les sens dans la conscience de l'homme est un écran peu solide ; percé à chaque instant de trous, secoué par les tourbillons, il n'aveugle que ceux qui cherchent précisément à ne rien voir au-delà de son médiocre ready-made. Quelquefois les trous se rejoignent sur le bris des derniers fils du tissu dans une totale discontinuité des images, ou bien les tourbillons renversent entièrement le pauvre appareil, c'est alors l'heure de la voyance, c'est aussi l'heure de l'idiotie, les deux visages absolus de ce que l'on a parfois nommé le mysticisme, mais il est rare, le désirât- on, d'arriver à ces excès, et le plus souvent la mécanique continue à promener au dessus des gouffres aperçus, dans un grincement rassurant de vieillerie, des tableaux dont la laideur et l'horreur même à laquelle ils atteignent de temps en temps sont rendus acceptables par le respect des lois de causalité et le conformisme banal avec lesquels ils se présentent.
Les plus hautes falaises de l'Europe, dit-on, dressent à Berneval, et dessous c'est une grève tourmentée de grands éboulis chaotiques, leurs parois d'une matière douce au toucher quand une cassure vient d'en rafraîchir la surface, mais que l'action du vent et celle de l'humidité saline ont vite revêtue d'une croûte rugueuse allant, entre des bandes de taches bleu sombre, du blanc au gris, au vert sale et à un beige un peu trouble qui est la marque de traînées terreuses descendues du sommet aux jours de tempête. Rien que de la marne avec des noyaux de silex qui deviendront, les uns sur les autres roulés par les vagues, ces galets, en bas, comme une ponte aplatie que l'on voudrait attribuer à des foisons de tortues. Pourtant il demeure dans ces pâles murailles colossalement offertes à l'orgasme de l'écroulement, couronnées de cris d'oiseaux, et qui dominent un fouillis de filets peureusement mis à sécher sur des perches avec des blondeurs tremblantes de crin au soleil, une vie si tendre, de chairs déformées par le titanisme, que ne pourrait l'évoquer aucune parole humaine, sauf, peut-être, le nom d'Astyanax prononcé sous une petite pluie de printemps à l'oreille d'une jeune fille dont on serre les doigts au fond de son manchon de grèbe.
Voilà pour suggérer un seul des dessous de la craie, car il en existe une multitude d'autres. Et toutes ces matières simples ou composées, mais pour l'homme rétif à la connaissance apprise aussi élémentaire que des corps purs : le charbon, le sable, la suie, le plâtre, la glace, la neige, la laine, l'or, le fer, le plomb, le bois, la mousse, le sang, le pain, le lait et le vin, dès qu'elles interviennent dans la sensation, quelles portes n'ouvrent-elles pas sur des coulisses vertigineuses ? Ainsi, la crainte qui entoure le sang répandu par l'hymen lacéré, on aperçoit sans peine qu'elle se rapporte plutôt au meurtre du père et de la mère abolis en même temps du souvenir de la jeune fille dans la rupture violente des disciplines familiales ; meurtre qui pourrait, sur un arrière plan de boucherie, prendre forme un jour avec une terrible précision.
Des lieux et certaines heures unissent, affrontent ou fortifient les auréoles (ou zones d'illumination) propres aux diverses matières. Par ces chocs, par ces combinaisons d'auréoles, naît ce que l'on a communément entendu sous le nom d'atmosphère : un climat propice à la transfiguration des phénomènes sensibles. Allez en forêt saisir le midi frémissant des clairières ; découvrez le minuit des carrières à l'abandon, des plages retirées où s'enjolivent de lune les menues alluvions déposées par le flot ; explorez les gares, les passages, les souterrains des grandes villes, les maisons closes comme des confitures de velours en pots de miroir, les salles de jeu, les foires à la brocante, les théâtres vieillis ; parcourez les gorges des torrents polies et dures telles que des chevaux cabrés, les grottes, les chemins de planches jetés aux marécages ; tant de choses qu'à moins de les voir en aveugle on doit regarder jusqu'à se brûler ou se crever les yeux, et tous les ricanements des bonshommes, toutes les ordonnances de leurs clergés ou de leurs polices, ne pourront plus rien contre l'innocence farouche d'un univers enfin déchaîné... "
17:45 Publié dans Portraits | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pieyre de mandiargues, musée noir, craie, sang, conscience
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