30/06/2010
BULLETIN CELINIEN
Bulletin célinien n° 320
Ce numéro accorde une place importante à la danse. On sait en effet tout l’intérêt que portait Céline à cet art et l’attrait qu’exerçait sur lui les danseuses : une attirance quasi biologique.
On y remarque l’article d’Henri GODARD : « Céline et la danse » ; il rapporte cet extrait de Bagatelle qui en dit long sur la passion célinienne pour les jambes des danseuses : « Dans une jambe de danseuse le monde, ses ondes, tous ses rythmes, ses folies, ses vœux sont inscrits !... jamais écrits !... Le plus nuancé poème du monde !... émouvant ! (…) Le poème inouï, chaud et fragile comme une jambe de danseuse en mouvant équilibre est en ligne, (…) aux écoutes du plus grand secret, c’est Dieu ! C’est Dieu lui-même ! Tout simplement ! (…) La vie les saisit, pures… les emporte… au moindre élan, je veux aller me perdre avec elles… toute la vie… frémissante, onduleuse… ».
N’était-ce point lui qui disait quelque part il me semble : « La véritable aristocratie humaine ce sont les jambes qui la confèrent, pas d’erreur ! »
Et Henri Godard a raison de noter ce que Céline admire particulièrement chez la danseuse : « Une lutte de chaque jour contre les effets que le temps fait subir au corps humain, en le soumettant toujours plus à la pesanteur et en ne lui faisant plus accomplir que des mouvements de moins en moins harmonieux… » et plus loin : « La danseuse est l’être humain qui mène avec le plus d’évidence contre cette mort avant la mort une action perdue d’avance mais glorieuse. »
Aussi n’est-ce point hasardeux qu’il ait écrit des « ballets » auxquels il tenait beaucoup, comme le rappelle Marc LAUDELOUT en rapportant ces mots d’un entretien de Céline avec Georges Conchon en 1958: « Je suis particulièrement fier de mes ballets. Autant mes livres, mon Dieu, je les trouve pas mal, mais les ballets, je les trouve très bien. »
Et curieusement, c’est dans Bagatelles que trois arguments de ballets trouveront leur place, comme s’il fallait « changer de piste », tourner le disque, apporter de la poésie dans un monde de brutes ; façon peut-être à l’auteur de se dédouaner, de montrer sa vraie nature de suggérer de quel côté il se trouve. C’est la question qu’on peut se poser et, à sa manière, l’éditorialiste ne manque pas de la soulever.
Il aura fallu attendre 1959 pour que Gallimard publie en tirage limité les « Ballets sans musique, sans personne, sans rien. » Illustrés par Eliane Bonabel, ils regroupent « La Naissance d’une fée », « Voyou Paul. Brave Virginie », « Van Bagaden », « Foudres et flèches » et « Scandale aux Abysses ». Robert POULET en rendit compte dans « Rivarol » du 30 juillet 1959. La lecture qu’il en fit est rapportée dans ce présent bulletin.
Outre deux pages réservées au courrier des lecteurs, on remarquera dans cette trois-cent vingtième livraison deux inédits rapportés par Marc LAUDELOUT : le premier concerne l’autodafé qu’aurait fait Allemagne hitlérienne du Voyage traduit en 1933 par Isak Grünberg ; il l’explique dans un article intitulé « Voyage au bout de la nuit brûlé par le IIIe Reich ? ». Le second, relate la participation de Céline le 5 mai 1938 à l’occasion de son séjour à Montréal, à l’assemblée du mouvement d’Adrien Arcand (1869-1967), le Parti National Social Chrétien. On le voit d’ailleurs, en première de couverture de ce bulletin, au milieu d’un groupe de fidèles. Cet article fort bien documenté et ses nombreuses notes très intéressantes montrent le soucis qu’avait Céline de préparer l’avenir, lui qui sentait monter la guerre comme le lait posé sur le feu : « Les partis de gauche qui mènent la France la poussent vers la guerre. (…) C’est déguelasse cette affaire. Encore la guerre. Deux fois en vingt ans, je le sais moi, ce que c’est, j’y suis allé, je suis mutilé. » Henri Béraud de son côté ne disait pas autre chose dans ses pamphlets…
C’est donc dans ce contexte surchauffé que l’auteur de Bagatelles songeait à l’exil outre atlantique : « Un seul espoir : le Canada. ». Sans doute, pour sa sécurité, eut-il mieux valu qu’il s’y rendît alors…
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27/06/2010
LIEUX DU CRIME
L’assassin est un peintre au couteau qui dispose les objets de son crime comme l’artiste le fait d’une nature morte sur sa toile. Tout est arrangé à dessein de façon à « séduire » c’est-à-dire à impressionner le spectateur.
Le procédé est toujours le même : le peintre, ou le meurtrier professionnel, sélectionne ce qui en premier frappera l’observateur ; il calcule, analyse et s’applique à l’ouvrage du mieux qu’il peut. La pratique aidant, il le fait machinalement. Ayant en quelque sorte obtenu son brevet de maîtrise, il s’attache à transmettre son art ou à garder jalousement le secret de ses compositions. Le meurtrier occasionnel, lui, emporté par ses humeurs, n’obéissant qu’à l’aveuglement de sa passion, reste un amateur et gâche la toile.
On ne saura jamais quels soins apporta Chardin à ses natures mortes, mais ce que remarquèrent les artistes qui traitèrent de semblables sujets, c’est que toujours, « quelque chose » dépassait du bord du support de la composition : une feuille de vigne, un poireau, la patte d’un lièvre ou la pince d’un homard, mais plus généralement, le manche d’un couteau…
Le procédé ne date pas d’hier, mais sans doute de l’invention de la perspective ; les maîtres flamands en ont usé dès l’instant où ils ont compris quel avantage il accordait à la lecture de l’oeuvre en soulignant la profondeur de champs et la valeur du plan de la scène.
« Mon grand-père m’attendait dans son fauteuil de velours d’Utrecht. Je m’asseyais du côté de sa bonne oreille, car, depuis l’enfance, il était sourd de l’oreille droite, et, sous mes questions, sa langue n’était pas longue à se délier. Je réclamais le plus souvent, tant l’attrait m’en semblait inépuisable, l’histoire de l’Assassinat du petit garçon.
Il s’agissait d’un enfant de cinq ans qu’à l’époque des vacances de 1845, ses parents avaient abandonné dans leur maison de campagne sise à dix kilomètres d’Aubusson, à la garde d’une vieille femme de confiance. Tous les deux –le petit maître et la gouvernante- occupaient le même lit. Par une nuit d’étoiles, quelqu’un était venu, avait défoncé la fenêtre et, bondissant dans la pièce, un marteau de maçon à la main, s’était livré à une effroyable tuerie…
Le soir, quand je me retrouvais dans mon petit lit et que mes parents, après avoir emporté la lumière, me laissaient à mon sommeil ou à mes pensées, je frissonnais de tous mes membres. Le vent sous le rideau de la cheminée, un craquement dans les boiseries, un bruit de pas, le grincement d’une girouette, il n’en fallait pas davantage pour que mon cœur battit à coups précipités. Mais si je parvenais quelquefois à commander à mes angoisses, que devenais-je, grand Dieu ! quand le rêve m’emportait au pays de l’épouvante ? Brusquement, je me trouvais seul dans la maison du crime, en pleine nuit et loin de tout secours. Et, pendant que, les pieds cloués au sol, je cherchais en vain à crier ou à m’enfuir, l’assassin s’avançait vers moi en levant son marteau… »
Ainsi s’exprime Pierre Bouchardon dans ses « Souvenirs » qui furent édités en 1953.
Les œuvres de cet ancien magistrat, né à Guéret le 9 avril 1870, connurent un succès populaire par le fait qu’elles rapportaient, non seulement les procès des grandes affaires criminelles du temps, mais aussi des meurtres plus anciens inscrits au registre des classiques en la matière.
La plupart de ces récits, publiés par Albin Michel, sont encore assez faciles à trouver chez les bouquinistes ou sur le net, avec un peu de patience.
J’ai découvert cet auteur en achetant son « Troppmann » à un bouquiniste du Quai de la Mégisserie en 1970. J’ignorais tout de ce crime à faire « dresser les cheveux sur la tête ». Il eut lieu en 1869 en bordure du chemin Vert, dans la plaine de Pantin… Bouchardon le relate tel quel, dans toute son horreur. Ce magistrat, qui fut successivement juge, procureur de la République, chef du bureau des Affaires criminelles au Ministère de la Justice, président de la Cour d’appel de Paris et conseiller à la Cour de cassation, n’y va pas par quatre chemins et son art de narrateur, tout empreint de la faconde des tribunaux, nous transporte comme si nous assistions au procès, dans la salle d’audience…
Il nous emmène de la même manière sur les lieux du crime et nous fait partager, les yeux grand ouverts, ce que découvrirent les premiers témoins.
Sans doute l’ assassinat du petit garçon eut-il sa part dans la vocation de Pierre Bouchardon ; il le confesse d’ailleurs lui-même dans ses « Souvenirs » : « L’affaire m’obséda à ce point qu’elle ne fut pas étrangère, je le peux croire, à ma décision d’entrer dans la magistrature. » Et, comme il était doué pour écrire, il mit ses dons de narrateur au service de sa plume et nous laissa plus de trente récits, plus terribles les uns que les autres, dont on trouvera la liste en fin de note.
Tels nous surprendront à les relire « Le Crime de Vouziers », « L’Enfant de la Villette », « Le Puits du Presbytère d’Entrammes » ou « L’Affaire Pranzini ». Quant à l’auberge de Peyrebeille, dite « l’Auberge Rouge », sise sur la grand route du Puy à Aubenas, sans doute ne saura-t-on jamais exactement ce qu’il en fut, même si l’on se plaît à montrer au visiteur le four, la « poutre tragique », les chambres maudites… Ce qui est sûr c’est que tombèrent au milieu de la cour sous le couperet les deux têtes des époux Martin et celle de leur domestique Rochette. Une pierre dressée en marque l’emplacement exact.
Je n’ai point, pour ma part, embrassé la carrière de magistrat bien que j’ai été frappé et au même âge, tout autant qu’a pu l’être Pierre Bouchardon, par le récit que me fit ma grand-mère d’un crime abominable ayant eu lieu non loin de la propriété que nous occupions alors à Limoges, dans le quartier du quai Militaire. Souvent, je passais près de la maison du drame, aujourd’hui disparue… Elle occupait, au débouché du tunnel du chemin de fer au lieu dit le Puy-Imbert, l’angle d’une rue ; une grande maison carrée en face d’un lavoir, avec un jardin attenant livré aux broussailles… Et toutes les fois je me disais : « C’est là ! ».
Oui, c’était là qu’un jour de 1889, dans la nuit du 9 au 10 avril, une pauvresse, la femme Souhin, chiffonnière de son état, avait étranglé ses quatre petits dont les âges s’échelonnaient entre onze ans pour l’aîné des garçons et quelque mois pour la dernière-née. Ce que trouva à dire la criminelle qui ne pu, en dépit de ses tentatives parvenir à mettre un terme à ses jours, c’est qu’elle avait été contrainte de tuer ses enfants ne pouvant les nourrir, poussée à l’extrême pauvreté accrue par l’arrestation de son mari, auteur de quelque larcin. C’était un crime de la misère qu’avaient caché ces murs gris et austères ; fallait-il ajouter à l’horreur de ce quintuple infanticide le fait que leur mère, après avoir étranglé ses enfants, les ait jetés dans le puits de la cour ? C’est néanmoins ce que colporta la rumeur et c’est ainsi que me fut contée l’histoire…
Plus tard j’en appris une autre, sanglante celle-ci, et aussi brutale que les meurtres de John Williams rapportés par Thomas de Quincey dans son essai « De l’assassinat considéré comme un des Beaux-Arts ». Le ou les tueurs n’avaient jamais été retrouvés qui avaient égorgé au rasoir dans une rare violence, un soir d’octobre de l’année 1960, les aubergistes du Café du Terminus, en face de la gare des Charentes. Le café a été démoli depuis; on l’a remplacé par un terre-plein arboré dont l’emprise au sol rappelle exactement l’emplacement du bistrot… On trouve ce récit dans la collection « Les Grandes Affaires Criminelles », publiées par les Editions de Borée, dans le volume (T.2) concernant le département de la Haute-Vienne.
Enfin un crime abominable, celui-ci accompli par un attroupement de paysans, m’a longtemps frappé qui fut commis sur la personne de Monsieur de Moneys, dans le village de Hautefaye, en Périgord, dans le Nontronnais, le 16 août 1870. J’avais découvert étant jeune, dans la maison de campagne de mon arrière grand mère, les coupures de journaux qu’elle avait conservées du « Courrier du Centre », où cette affaire avait été relatée en feuilleton. Illustrées de gravures montrant les têtes patibulaires des tueurs, le « crochet » de chiffonnier de l’un d’eux, les masures où on avait traîné le corps ensanglanté de la victime et la mare asséchée dans laquelle on l’avait fait brûler respirant encore, ces illustrations avaient de quoi frapper l’imagination !
Je ne suis jamais allé à Hautefaye, encore que le plan soit connu du « trajet » de la victime. Les lieux ne doivent pas avoir beaucoup changés. On lira cette affaire dans l’ouvrage remarquable d’Alain Corbin paru chez Aubier.
Les crimes de sang sont de loin les plus effrayants. Qui habiterait une maison où il a éclaboussé les murs et parfois jusqu’au plafond ? Qui habiterait le château d’Escoire ou certaine maison de Thorigné sur Due qui fit parler d’elle dans les conditions que l’on sait, il n'y à guère ?
Les lieux du crime ? A bien y réfléchir, et depuis que le monde est monde, il ne doit pas y avoir beaucoup d’endroits sur terre ou quelque meurtre n’ait été commis, en tout cas pour les villes et les campagnes habitées, pour ne pas dire « hallucinées » comme les voyait le poète Emile Verhaeren. Je me suis souvent fait cette remarque en me promenant dans Paris, le Paris historique qui connut les heures sombres de la Terreur ou, pour un oui pour un non, on vous trucidait allègrement au coin d’une rue ou dans l’ombre d’une porte cochère. Quant aux exécutions capitales, au temps où la guillotine fonctionnait sans interruption sur la place de la Révolution dite depuis « de la Concorde », qui saura nous dire combien de litres de sang ont saturé le pavé sous l’échafaud ?
Place du Bouffay, à Nantes, je songeais certain jour à la décapitation des demoiselles Vaz de Melo de la Métairie dont la plus jeune, Olympe, n’avait que quinze ans… C’était le jour même où, place Viarmes, à l’endroit précis marqué au sol par des pavés en croix, me revinrent en mémoire les mots lancés par Charette, fusillé là par la République en 1796: « Et pourtant, nous sommes la jeunesse du Monde ! »
Jeanne à Rouen, Charette à Nantes, Ney près de l’Observatoire à Paris, le Duc d'Enghien dans les fossés de Vincennes, Giordano Bruno à Rome… combien d’autres ? La liste serait longue à dresser des crimes officiels, commis par des assassins bien souvent anonymes portant la robe, la chasuble, la tunique ou l’uniforme ! A peser ce qui dort en chacun de nous de Fouquier-Tinville ou de Torquemada, on se dit qu’il suffirait d’un rien pour expédier de l’autre côté l’adversaire, si l’on n’y prenait garde !
Aussi faut-il, sur les lieux du crime, se poser la question : « Cela a été et cela n’est plus… » en sachant qu’il ne s’agit pas d’un rêve, quelque impensable qu’ait pu être l’événement dont il a été le théâtre. Il semble que le sang soit là, encore tout frais, comme sur la clef du conte de Barbe-Bleue pour nous le rappeler ! Et des lieux terribles s’y prêtent, comme le terrain vague du « Dahlia Noir », les friches industrielles, les anciens abattoirs, les hangars abandonnés, les décharges publiques, qu’affectionnent les assassins soucieux de la discrétion ou de la mise en scène.
Qu’est-ce qui nous pousse, un jour ou l’autre, à aller voir de près le théâtre d’un drame, et bien souvent des années après qu’il ait eu lieu, sinon le besoin impérieux de « l’exorciser » ? de « communier secrètement » avec la victime ? D’imaginer deux secondes, deux secondes seulement qu’on ait été à sa place… Oui, à sa place ou peut-être à celle de l’assassin ?
Les crimes, aussi épouvantables soient-ils, relatés à la une des quotidiens ou des journaux spécialisés ( « Radar » de nos grands parents, ou « Détective »), ont toujours alimenté la littérature populaire et fait recette au Grand Guignol. Et pourquoi ? mais parce qu’ils « plaisent », en dépit de leur horreur même, par le pouvoir qu’ils ont de réveiller en chacun de nous, la peur du « Grand Méchant Loup » des contes de la veillée, la « fascination » devant le tigre.
Ainsi « aime »-t-on avoir peur, quelque envie qu’on en ait ; et sans doute parce que la peur est sage conseillère , mieux vaut ne pas la montrer ! C’est souvent la condition de la survie. Cela s’apprend et cela s’enseigne, au plan personnel comme au plan collectif. Les assassins de tout temps et de tous crins le savent bien, qui comptent sur elle pour alimenter leur palmarès. A y regarder de près c’est ce qui se passe : un chien vous mord quand il sent que vous avez peur. Et peut-être aussi parce qu’il a peur lui-même ?
Qui a dit : « Si les hommes sont si méchants, c’est parce qu’ils ont peur… » ?
Où en sommes-nous, aujourd’hui ?
Œuvres de Pierre BOUCHARDON :
Le mystère du château de Chamblas, (Albin Michel 1922)
Le crime de Vouziers, (Librairie Académique Perrin 1923)
L’auberge de Peyrebeille, (Albin Michel 1924)
L’affaire Lafarge, (Albin Michel 1924)
La tragique histoire de l’instituteur Lesnier, (Librairie Académique Perrin 1925)
Le crime du château de Bitremont, (Albin Michel 1925)
La fin tragique du Maréchal Ney, (Hachette 1925)
L’énigme du cimetière Saint Aubin, (Albin Michel 1926)
Le Magistrat, (Hachette 1926)
Le duel du chemin de la Favorite, (Albin Michel 1927)
La tuerie du pont d’Andert, (Librairie Académique Perrin 1928)
Les dames de Jeufosse, (Albin Michel 1928)
Célestine Doudet, institutrice, (Albin Michel 1928)
L’auberge de la Tête Noire, (Librairie Académique Perrin 1928)
Les procès burlesques, (Librairie Académique Perrin 1928)
Le Docteur Couty de la Pommeraie, (Albin Michel 1929)
Le banquier de Pontoise, (Edition des Portiques 1929)
L’enfant de la Villette, (Nouvelle Revue Critique 1930)
Autres procès burlesques, (Librairie Académique Perrin 1930)
Le cocher de Monsieur Armand, (Edition des Portiques 1930)
Ravachol et Cie, (Hachette 1931)
L’Abbé Delacollonge, (Librairie Alphonse Lemerre 1931)
Troppmann, (Albin Michel 1932)
L’homme aux oreilles percées, (Nouvelle Revue Critique 1932)
La faute de l’Abbé Auriol, (Nouvelle Revue Critique 1933)
La malle mystérieuse, (Albin Michel 1933)
L’affaire Pranzini, (Albin Michel 1934)
Un précurseur de Landru, l’horloger Pel, (Arthaud 1934)
L’assassin X, (Albin Michel 1935)
La dernière guillotinée, (Nouvelle Revue Critique 1935)
Dumollard, le tueur de bonnes, (Albin Michel 1936)
Hélène Jégado, l’empoisonneuse bretonne, (Albin Michel 1937)
Vacher, l’éventreur, (Albin Michel 1939)
Le puits du presbytère d’Entrammes, (Albin Michel 1942)
Madame de Vaucrose, (Albin Michel 1947)
Souvenirs, (Albin Michel 1953)
Orientations :
Editions de BOREE : Collection « Les Grandes Affaires Criminelles ».
Alain CORBIN : Le village des cannibales, Aubier collection historique, 1990.
James ELLROY : Tous les ouvrages parus aux éditions Payot, collection Rivages Noir, et particulièrement « Ma part d’ombre », « Le Dahlia Noir » et « Un tueur sur la route ».
Emile GABORY : Les guerres de Vendée, Laffont, collection Bouquins.
Thomas de QUINCEY : De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts, Poche-Club, Nouvel Office d’Edition 1963.
Charles RIVET : Mémoire noire, Editions René Dessagne.
17:00 Publié dans notes de lecture | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : crimes, meurtres, assassinat, bouchardon, troppmann, sang, hautefaye, peyrebeille, guillotine
07/06/2010
RETOUR A ROUEN
Trente mai 1431 dans l'après-midi, le feu dévore le corps souffrant de la Pucelle qui meurt dans les conditions qu'on sait, abandonnée de tous et rejetée par l'église du temps.
Trente mai 2010, ciel couvert sur la ville... La place du Vieux Marché connaît son animation habituelle des fins de semaines : touristes, vagabonds, ivrognes et drogués... Pas la cour des Miracles mais tout de même, un petit air... A l'emplacement de l'estache où on la lia pour la brûler, une pancarte guère moins que de travaux publics, sur un tertre roussi de plantes mortes entourées de béton, signale le lieu.
Alentours, des arbustes rabougris ont du mal à pousser sur la terre battue transformée en terrain vague ; et partout, sous chaque plantation, au pied de chaque mur, fleurissent des détritus de tous ordres où prédominent les bouteilles et les mégots...
Pas une fleur, pas une gerbe, pas une couronne ce trente mai pour la Pucelle. Est-ce là son « Champ d'Honneur »? ce dépotoir où trône l'œuvre ( ? ) d'une commande publique dont on se demande où le concepteur est allé chercher son inspiration. Sûrement pas dans les canons de la beauté classique qui, à tout le moins, eût évité le pire !
Et le pire est tombé là sous la forme d'une église ( ? ) comme de la boîte de Pandore sur cette terre sacrée, pour ne pas dire comme les bombes alliées de la dernière guerre. Mais, quelque part, Jeanne nous avait prévenu : « Ha ! Rouen, j'ay grant paour que tu ne ayes à souffrir de ma mort ! »...
Les jours qui suivirent furent autant d'heures sombres et donnèrent à leur tour leur tribut de morts à pleurer... Au soir du premier juin, le toit embrasé de la tour Saint Romain de la cathédrale s'effondre ainsi que les cloches ; et dans la nuit, c'est le plancher de la base de la flèche qui, commençant à brûler, entraîne au matin du 2 juin le beffroi tout entier.
Que dire de la ville actuelle ? Qu'elle a conservé de beaux restes ? c'est indéniable en dépit des affronts qui lui sont faits et, ne serait-ce que par son site, elle compte parmi les plus remarquables de France.
On en jugera en l'observant de la colline de Bonsecours, où l'on éleva en 1892 sur le plateau des Aigles près de la basique chargée d'ex-voto, le monument qui abrite la remarquable -pour ne pas dire la plus belle- statue dédiée à Jeanne d'Arc et que l'on doit au ciseau de Louis Ernest BARRIAS.
Cette prisonnière comme tombée du ciel, tournée vers l'occident, regarde tous les soirs se coucher le soleil sur la Seine qui fut son tombeau ; à ses pieds la ville s'étire qui l'ignore et besogne dans la servitude aliénante du siècle, des machines et des banques, du tape-à-l'œil et de l'à-peu-près... Survivent encore les joyaux que sont les églises, le Palais de Justice, le Musée des Beaux-Arts et ses riches collections, la grosse tour du Bouvreuil, quelques maisons à pans de bois et de beaux hôtels classiques que la spéculation foncière n'a pas encore abattus...
Sous les arches du pont Boïeldieu, la Seine hésite devant le reflux de l'estuaire, brise sur les étraves des avant-becs ses eaux vertes que survolent les mouettes dans leurs ballets, et tourne en rond sans se décider à se perdre en mer... C'est là que furent jetés par le bourreau Mathieu Thiérache, au soir du trente mai, dans un sac, certaine parties du corps de la Pucelle. Le feu, en dépit des efforts de l'exécuteur, n'était pas parvenu à les manger: « Et disoit et affirmoit cedit bourrel que nonobstant l'huille, le souffre et le charbon, qu'il avoit appliqués contre les entrailles et le cueur de ladicte Jehanne, toutesfoys, il n'avoit peu aucunement consommer de rendre en cendres les breuilles ni le cueur, de quoy estoit estonné comme d'un miracle tout évident. »(2)
Ainsi le cœur de Jeanne repose en lit de Seine comme tant d'autres, nés sur cette terre qui a bu trop de sang. Il dort, et à refaire le dernier voyage qui fut le sien, de la tour « devers les champs » qui regardait le pays des Godons, en descendant les rues du Moulinet, du Sacre, Dinanderie, des Bons-Enfants et de la Prison, jusqu'au Vieux Marché, on le sent battre un peu en soi quand rien d'autre ne nous habite sinon le souvenir de ce jour fatal.
Le discours prononcé le 31 mai 1964 par André Malraux est resté célèbre, qui se termine ainsi :
« O Jeanne sans sépulcre et sans portrait, toi qui savais que le tombeau des héros est le cœur des vivants, peu importent tes vingt mille statues, sans compter celles des églises : à tout ce pour quoi la France fut aimée, tu as donné ton visage inconnu. Une fois de plus, les fleurs des siècles vont descendre. Au nom de tous ceux qui sont ou qui seront ici, qu'elles te saluent sur la mer, toi qui a donné au monde la seule figure de victoire qui soit aussi une figure de pitié ! »
On aurait aimé, ce trente mai 2010 que le lieu du supplice fut à la hauteur de cet hommage ; nous avons dit ce qu'il en était...
Et pour ajouter à la vulgarité du lieu, songeons à ce que sera demain la place de la cathédrale. Je ne peux, pour ma part, m'empêcher de penser que les « responsables » de ce type de projet et des « aménagements urbains » en général, se comportent, en fait, comme des irresponsables. Car de deux choses l'une : ou ils ont perdu tout sens de la mesure, tout esprit de finesse (que peut-être ils n'ont jamais eu), tout respect du sacré, qui n'est en soi que l'expression parfaite de la sensibilité, ou se sont d'infâmes Tartuffes qui, sous prétexte de « modernité », se moquent comme de l'an quarante (c'est le cas de le dire) de ce qu'ils nous infligent et nous imposent.
Pour ne citer que l'exemple du parvis de la cathédrale, on peut penser qu'il se trouvait là, jadis, des maisons à pans de bois depuis longtemps disparues. En 1902, elles avaient été remplacées par l'hôtel de la Mutuelle Vie, édifié dans le goût ostentatoire de la Belle Epoque.
Au moins avait-il le mérite d'être élevé en pierres de taille et de s'inscrire, quoique décadent, dans la continuité du bâti. Démantelé par les bombardements de 44 il fut remplacé par le monstrueux Palais des Congrès qui pollua l'endroit de 1976 à ces dernières années.
Sans doute y eut-il des Rouennais pour croire au miracle et penser qu'après cette salutaire démolition, ils allaient peut-être avoir droit à un jardin, à un mail planté de beaux arbres ou même à l'unique chêne de Dodone ou à un vénérable platane ! Mais, le mètre carré valant ce qu'il vaut et profit obligeant, ces Rouennais naïfs tout autant que je puis l'être lorsque je me mets à croire qu'il puisse se trouver encore quelque part un élu du peuple suffisamment cultivé et armé de bon sens, ces Rouennais, dis-je, vont avoir droit au digne successeur du bâtard décapité... A croire que la même logique préside au choix, à la commande, aux enjeux et au profit.
Cette logique, qui se traduit par la banalisation de l'espace public déshumanisé et de plus en plus carcéral n'est même plus perçue par la plupart des « usagers » (le terme est atroce mais c'est ainsi) de la ville. Ils vont, sur des chaussées bétonnées, canalisés par les objets de dérision et d'insulte à la nature que sont les ignobles « bacs à fleurs », comme les veaux à l'abattoir, portés par la rumeur de la ville...
Ce n'est plus celle des « petits cris de la rue », des cloches des beffrois, des roues cerclées sur les pavés et des trompes de marine ; ce n'est même plus ce fond sonore où se mêlaient, naguère encore, tant et tant de bruits variés mais à la mesure de l'homme. C'est autre chose, un braillement soutenu de bruits de moteurs, de borborygmes, d'interjections, de « musique » aliénante, un appel démesuré de foire du Trône où se rassemble tout ce que la cité porte en elle de rugueuse vulgarité, d'acide et d'agressif.
Cela roule comme une vague, cela monte et cela s'étale ; Rouen pas plus que les autres villes n'est à l'abri de ce raz de marée qui finira par tout emporter à moins que ne se lève à l'horizon cette « Aurore » que nous sommes quelques uns, encore, à guetter...
(1) Jean Claude VALLA: La France sous les bombes américaines, (Librairie Nationale)
(2) Henri BLAZE de BURY: Jeanne d'Arc, (Perrin et Cie)
22:00 Publié dans carnet de route | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : rouen, la pucelle, jeanne d'arc, bonsecours, barrias, bûcher, la seine, mathieu thiérache