07/09/2010
ANTE DILUVIUM
Avec leurs crocs pointus et leurs serres de rapaces,
Bien avant que les monts
Eurent cédé la place
Aux plaines effondrées,
Ils portaient sur leurs fronts
Des cuirs astiqués.
Sans ouvrir leurs resserres,
A la tombée du soir,
Ils rampaient dans le noir
Sous la peau de la terre.
Ils rampaient sous la laine
Des moisissures jaunies
Qui voilaient les fontaines
Occultées des forêts
Pour s’abreuver la nuit.
Quand ils sortaient l’échine des pierrailles,
On voyait luire leurs carapaces d’écailles.
Larves des autres temps
Qui buviez aux fontaines,
Monstres blêmes,
Ne vous réveillez pas quand le soleil s’allume
Et qu’il chauffe la terre,
Laissez faire,
Tout reprendra sa place sous la lune…
18:38 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : monstres, écailles, forêts, nuit, lune
04/09/2010
LOIN DES FORÊTS ROUGES
Ah ! il faut lire Claude DUNETON… et le relire ! Ses « Forêts rouges » nous enseignent, et comment, sur ce que fut l’URSS héritée du Petit Père des peuples ! Ce paradis auquel crurent tant et tant de « camarades » aujourd’hui sous les terreaux !
Déjà, Céline en 36 nous avait prévenu, qui ne mâchait pas ses mots dans « Mea-Culpa », retour direct d’URSS :
« Ce qui séduit dans le Communisme, l’immense avantage à vrai dire, c’est qu’il va nous démasquer l’Homme, enfin ! Le débarrasser des « excuses ». Voici des siècles qu’il nous berne, lui, ses instincts, ses souffrances, ses mirifiques intentions… Qu’il nous rend rêveur à plaisir… Impossible de savoir, ce cave, à quel point il peut nous mentir !... » et plus loin :
« Le Communisme matérialiste, c’est la Matière avant tout et quand il s’agit de matière c’est jamais le meilleur qui triomphe, c’est toujours le plus cynique, le plus rusé, le plus brutal. Regardez donc dans cette U.R.S.S. comme le pèze s’est vite requinqué ! Comme l’argent a retrouvé tout de suite sa tyrannie ! et au cube encore ! ».
Et du pognon, il y en avait en URSS comme ailleurs, mais réservé aux nantis, aux zélés serviteurs du système ! Popu, c’est la trique qu’il avait droit lui, juste la trique, qui en vertu du vieil adage, veut qu’en poignant vilain il vous oindra. Ça, les apparatchiks, ils l’avaient excellemment pigé. Et Céline aussi : « Là-bas, l’Homme se tape du concombre. Il est battu sur toute la ligne, il regarde passer « Commissaire » dans sa Packard pas très neuve… Il travaille comme au régiment, un régiment pour la vie… La rue même faut pas qu’il abuse ! On connaît ça, ses petites manières ! Comment qu’on le vide à la crosse !... »
Et Henri Béraud, qu’écrivait-il donc, dix ans avant Mea-Culpa, en 25, dans « Ce que j’ai vu à Moscou, l’un de ses grands reportages ?
« Hommes et femmes vont, viennent, se dépassent, s’entre-croisent sans parler et sans rire. Le rire est mort à Moscou, et le silence est roi ; le bitume du trottoir entend tout ce qui ne doit pas être entendu. » C’est ainsi, quand Big Brother,veille...
Et voici plus loin, pour éclairer si possible le prolétaire gaulois, de quoi lui donner à réfléchir :
« Comment on vit à Moscou ? Vous voulez le savoir ? Eh bien voici :
- Assez bien lorsqu’on a beaucoup d’argent ; fort mal lorsqu’on en a peu ; et, lorsqu’on n’en a point, on crève. Tous les vieux sont crevés, et tous les « bourjouis » crèveront, car on leur refuse et le droit de travailler et la permission de quitter la Russie…
La Russie n’a donc pas réalisé la révolution sociale ? Il y aurait, à vous en croire, des camarades riches et des camarades pauvres ? Que racontent donc nos communistes ?...
Un séjour de quelques semaines au pays soviétique montre clair comme le jour que tous les « petits bourgeois » ne sont pas en France ; de même que l’Etat populaire, la Chanaan ouvrière dont on fait admirer le mirage aux travailleurs de Puteaux ou de Saint-Denis, n’est plus, en réalité, qu’un régime capitaliste, fondé comme les autres sur l’inégalité parmi les hommes, sur la résignation des faibles, l’appui des forts et la complaisance des pouvoirs. Voilà la vérité. »
Pour terminer cet édifiant reportage, il rapporte cette histoire qui en dit long :
« A Kiew, M. Trotsky prononçait un discours. On donna ensuite la parole aux contradicteurs. Chose surprenante, il s’en trouva un, un seul, un ouvrier nommé Efimoff.
Ce travailleur parut à la tribune, une canne à la main :
- Camarades, dit-il, vous voyez cette canne. Elle va raconter l’histoire de la Révolution russe. Avant la Révolution, le pays était gouverné par les aristocrates que vous représente la poignée de cette canne. Le fer que voici, c’étaient les forçats. Le milieu, c’était les ouvriers et les paysans.
Il se tut, retourna la canne :
- La Révolution est faite, camarades. Les aristos sont en bas, les forçats sont en haut – et vous n’avez pas changé de place.
L’ouvrier Efimoff, de Kiew, fut passé par les armes dans la semaine qui suivit… »
Claude Duneton, lui, dans « Loin des forêts rouges », part sur les traces de « Falconnet le sculpteur et sa belle-fille Marianne Collot l’étonnant prodige… »(1). C’est à la faveur de ce voyage qu’il nous fait découvrir Saint-Pétersbourg :
« L’été 1991, il faut dire, à Saint-Pétersbourg, le Léningrad à peine débaptisé, on se trouvait rudement dans la mélasse. Des mendiants partout revenus, comme rejaillis des temps anciens, des vieux branlants, affamés ; dans la débâcle ambiante, ils tâchaient de vendre une babiole dans la rue, pour quelques roubles, à faire pitié… ».
Tamara, à laquelle il loue quelques mètres carrés « Trois pièces et une cuisine : un luxe énorme ! », lui raconte sa jeunesse. Des années à relever les matelas contre les murs pour les rabattre, sitôt la nuit venue, au milieu de l’unique pièce traversée à tous moments par les voisins qui eux, vivaient aussi nombreux, derrière la cloison, dans le prolongement… A cinq là-dedans, c’est long, vivre ! les sacrifices quotidiens, l’intimité, la misère. Elle lui dit, sans s’apitoyer sur elle-même, les illusions qu’elle a perdues, Tamara…
Le petit Duneton, dans sa jeunesse, à l’orée des forêts du Limousin, n’est-ce pas, c’est autre chose qui l’angoissait, la peur de ne pas faire d’études, de s’étioler dans l’anonymat qui tout avale, de ne rien pouvoir saisir du vaste monde au-delà de l’horizon borné de son enclos :
« Quand j’avais treize ans j’ai pleuré, un soir, à la nuit tombante. J’ai pleuré à chaudes larmes parce que ma vie se cassait la gueule, déjà. Je venais soudain de voir mon existence entière devant moi… C’était le printemps et j’étais en train de donner à manger aux lapins, dehors, dans leur parc. J’ai compris, en une sorte d’éclair de lucidité, que je ne ferais aucune étude, donc que l’avenir était râpé pour moi. »
Alors le communisme, au fin fond de la Corrèze, qu’est-ce qu’on en attendait ?
« On attendait que ça vienne chez nous. « Un jour tu verras !... » On y mettait même de l’impatience.
Mon père s’en gobergeait d’avance des temps radieux du communisme accompli. Il disait que l’humanité ferait des choses surprenantes un jour, avec le triomphe de la classe ouvrière, comme en Russie.
… Ce sera Cocagne, tu verras !... Comme en Russie ! »
Combien de naïfs idéalistes se sont-ils faits piéger par cette illusion ?
Les vrais salauds, eux, qui avaient tout compris pendant ce temps, donnaient le change en approvisionnant leur compte en banque. Ce Maurice Thorez, par exemple, qui la portait haute et fièrement sa tête de tribun, dans les meetings, comme nombre de ses prosélytes, n’était, à y regarder de près qu’un bateleur de foire, et l’auteur ne lui trouve pas d’excuses :
« Thorez était une ordure, à y regarder en face. Si l’on appelle ordure un type qui ment effrontément, qui est prêt à faire assassiner ses frères à la ronde s’il le faut pour asseoir son pouvoir à lui, ses avantages, ses privilèges – qui bâtit son empire, qu’il appelle « la bonne cause », sur la ruse, les faux semblants. Un type qui savait parfaitement que Staline était un tueur un point c’est marre, et qui profitait à fond du secret, qui avait vécu en prince, choyé comme un prince, en villégiature au bord de la Caspienne, je ne sais plus, dans un château avec sa famille, pendant toute l’Occupation en France, peinard lui, pas privé de caviar, ne pensant qu’à organiser sa rentrée d’acteur, repassant son rôle de sauveur, de fils du peuple intègre. »
Alors, le communisme, vu sous cet angle, forcément, on en revient…
Quand on le peut, parce que là-bas, au temps du Petit Père des peuples, on n'en revenait pas, on en crevait ! de faim, d’épuisement ou de déportation. Compter les morts -et l’auteur ne s’y risque pas- relèverait des travaux d’Hercule ! Certains cependant s’y sont attelés, qui en sont restés à des approximations… Il est vrai qu’à ces hauteurs, on n'en est pas à un mort près ! L’énorme contribution, notons le au passage, revenant aux Koulaks. C’est qu’il avait la technique pour s’en débarrasser sans frais, Joseph, des Koulaks ! rien qu’en leur serrant la ceinture et en les poussant à coups de pompes, vivantes charognes affamées, sur les chemins de l’immense plaine réquisitionnée capital d'état !
L’année 1933 particulièrement, fut tout ce qu'il y a de plus terrible, et Claudine Bascoulergues, qui l’a étudiée de près, citée par Claude Duneton, rapporte des cas de cannibalisme. D’ailleurs si on en veut la preuve et savoir à quoi s’en tenir, il suffit d’ouvrir l’ouvrage de Martin Monestier (Cannibales) pour voir des photos du temps des grandes famines montrant des paysans russes vendant des morceaux de leurs proches sur des étals…
Voilà où peuvent conduire les utopies, et quand la nature s’en mêle, histoire de donner un petit coup de pouce, ça tourne très vite Apocalypse. Les illusions des systèmes à tuer les peuples sont ainsi faites qu’au prétexte de vouloir changer l’homme -qui à y regarder de près, dès qu’il se sent un peu plus fortiche que le voisin, restera jamais qu’une carne- ne font qu’exacerber ses pulsions les plus destructrices. Dans sa grande majorité et sans faire dans le détail « L’homme, il est humain à peu près autant que la poule vole… », dixit Céline. L’auteur des Forêts rouges, célinien distingué, ne dit rien d’autre :
« Voilà la source de l’illusion- et la faiblesse du marxisme-, croire que l’homme » s’améliorait » au rythme de la bicyclette et du moteur à explosion. » Son grand père l’avait compris, homme de bon sens, pour lequel on lui sent une tendresse particulière.
On ne quittera pas ce récit lucide et salutaire, sans dire la beauté du style de l’auteur, son classicisme et sa concision. On n’oubliera pas des phrases comme celle ci :
« Les certitudes à l’eau, toutes les croyances à la dérive, au fil de la Neva qui coulait en grande majesté, large, vaste comme un bras de mer là-haut, devant l’Amirauté. Six ou sept fois la Seine à son plus beau… Quelque chose d’irréel descendait du ciel blanc dans cette fin du mois de juin, la saison des nuits claires. Ça ajoutait de la mollesse à tout, une absence de rythme, une longue résignation générale sans vrais matins et pas du tout de soirs. », qui renvoie à celle-là :
« Ce qui me touche dans ces Grands Nords, partout où baigne la Baltique, c’est qu’il règne cette magie du soleil filtrant, toujours, qui m’aspire, cette lumière suave qui sert de patience - une lumière d’euthanasie qui noie l’envie en attendant la mort. »
Et la dernière enfin, qui ferme l’ouvrage, en hommage à Céline :
« Le voyageur français autrefois disait : « Il n’échappe rien au temps… que quelques petits échos… de plus en plus sourds… de plus en plus rares… Quelle importance ? »
En refermant ce livre, je n'ai pu m'empêcher de penser à Jasna, amie serbe, autre Tamara, autre Macha... Elle aussi s'en est allée, de désillusions en désillusions, dans son pays meurtri, démembré, vendu aux quatre vents maudit des narco-trafficants, de la finance internationale, des politiciens pourris et des agioteurs...
On descendait kneza Mihaila en direction de Kalemegdan... C'était en 2006, dans l'arrière saison. Nous venions de déjeuner d'un poisson de la Sava dans un bon restaurant; en marchant, je commentais à mon amie les façades art-déco et celles, plus austères, des années trente heureusement épargnées par les bombardements... Et puis, nous regardions les gens, pas vraiment tristes, ni vraiment gais non plus. Les vieux particulièrement ou ceux paraissant tels, me rappelaient ces descriptions que j'avais lues des pays de l'Est sous la botte; et sans doute parce qu'ils rasaient les murs plutôt que de tenir le milieu de la rue.
Elle m'enseigna, Jasna, sur le comportement de certains, qu'elle connaissait de réputation. Des gens mis décemment: pardessus élimé sans doute, mais propre; serviette en cuir ou sac en toile à la main. Celui-là, fouillant dans des poubelles ? Un ancien professeur... Cet autre, récupérant des légumes et des fruits avariés ? Un médecin à la retraite...
La retraite ? Quelle retraite ? Celle qu'on tire du peu qui vous reste et dont, au demeurant personne ne veut. Ces "vieux" sont les mêmes que ceux qu'évoquent Claude Duneton dans son livre:
"Certains tenaient contre eux dans leurs bras des ustensiles étranges -un outil de cuisine, un vieux jouet d'enfant, une couverture colorée, n'importe quoi -un morceau de rideau arraché quelque part, dans une intimité qui avait pu être douce. Plus un kopeck depuis des jours et des semaines, depuis qu'on ne leur versait plus leur pension. L'état banqueroute... Ça pourrait arriver n'importe où, attention ! Ça peut vous pendre au cul dans n'importe quel Eden de la planète, étranges hominiens gavés de confiance et d'Etats nounous..."
Et Jasna, elle, pendant ce temps, elle ronge son frein à Novi Beograd, comme tant d'autres, dans les collectifs bétonnés du communisme "à la Tito". Elle a fait des études Jasna, et même poussées, qui l'ont conduites à la direction d'un service à l'hôpital; elle touche pas le tiers d'un smicard de chez nous ou à peine ! c'est dire ! Ça ramène évidemment à des interrogations très terre à terre devant l'assiette ou la penderie. Ça pourrait donner des envies de meurtre, on comprendrait, et surtout, quand les arrogants mafieux juste sevrés, venus d'Albanie ou du Kosovo, vous toisent derrière leurs lunettes fumées, le coude sur la portière, aux volants de 4x4 Mercedes ou Porsche tout ce qu'il y a de plus luxueux...
On a les mêmes chez nous, d'accord; ça reste un mauvais décor tant qu'on n'en est pas tout à fait rendu, encore, à faire les poubelles. Ça pourrait venir et plus tôt qu'on croit ! Y a des signes qui trompent pas ! Il le sait bien l'auteur des Forêts rouges, et je crains fort, sur ce chapitre, qu'il ne soit prophète !...
(1) En 1766, sur la recommandation de Melchior Grimm et de Diderot, il est appelé à Saint-Pétersbourg par Catherine II de Russie pour travailler à la Statue équestre de Pierre le Grand de Russie, ouvrage gigantesque qui coûta 12 années de travail. (Wikipédia)
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