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11/11/2024

AUX MORTS

Jean Droit

(Jean Droit "Les boues de la Somme)

 


 

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Saint-Rémy la Calonne, Meuse

 

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Sépulture d'Alain Fournier

 

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12:52 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0)

14/07/2023

IN MEMORIAM MARIE-DOMINIQUE

 

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Mardi 11 juillet jour de la Saint Benoît, après une longue, trop longue absence, je suis venu te retrouver Dominique, ma cousine, inséparable compagne de mes jeunes années… Mais je suis arrivé trop tard, tu étais déjà partie, partie pour ce long voyage, « là où le vent n’a plus de feuilles mortes à râteler » comme l’écrit si bien l’auteur de Gaspard des Montagnes.

Lorsque Michel, ton mari m’a appelé en me disant qu’il avait une triste nouvelle à m’annoncer, j’ai compris… J’ai compris et soudainement je t’ai revue, là, présente devant moi, avec ton sourire doux et le visage de ta jeunesse. C’était hier…

 

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Hier… Nous qui pourtant nous sommes perdus de vue si longtemps... Pourquoi ? La faute à qui ? ou plutôt à quoi ?.

Au temps peut-être, qui nous a dévoré allègrement tous les deux quand bien même nous aurions voulu lui échapper, mais rien n’échappe au temps tu le sais bien… Aux occupations professionnelles sans doute, qui nous ont satisfaits et aveuglés à la fois pendant qu’elles nous emprisonnaient… Mais surtout à l’oubli, lequel ayant drapé notre cœur d’une chape de plomb  sans que nous ne nous en rendions compte nous a éloigné l’un de l’autre, parce que l’oubli est un despote qu’il faut traquer sans faillir au risque de tout perdre…

Sous la coupole de l’abbatiale, dans la clarté des vitraux traversés par la lumière du matin, devant ton cercueil je songeais à nos belles années, celles de l’enfance où rien n’est encore consommé, usé, délaissé… Avec toi, ce sont quinze d’entre elles qui sont parties à la dérive emportant dans leur sillage nos souvenirs anciens.

Dans le recueillement de ta famille et de tes amis, écoutant l’Ave Maria de Gounod je me disais, comme je l’avais dit à Neige si tôt disparue : « maintenant, toi,  tu sais ! » et moi, je ne sais pas encore, je ne peux que supposer…

Je veux croire que tu as comme elle, rongée par le même mal, quitté ce monde de la contrainte pour celui de la liberté. Mon cœur me le dit et je veux le croire parce que je sais que le cœur ne ment pas.

En t’en allant, Dominique, tu m’as fait un cadeau, le dernier et le plus cher à mon coeur : tu m’as ramené Sophie ma filleule, tu me l’a ramenée avant que moi aussi je ne m’en aille et tu m’as fait connaître Hélène, sa sœur.

Sophie, que j’ai tenue sur les fonds baptismaux m’est revenue comme nous te pleurions et maintenant que je l’ai retrouvée, je ne veux plus la perdre, tu le sais et moi aussi. A présent, je comprends pourquoi je pensais à vous deux il y a un mois à peine alors que, n’ayant pas eu de nouvelles de toi depuis si longtemps je ne te savais pas à ce point malade. Moi qui ne crois pas au hasard, sais que l’Univers est une structure très intelligente ; quand on le questionne, Il répond. Et Il m’a répondu. Le Seigneur sait ce qu’Il fait, nous pas… Assurément c’est une grâce de le savoir et de le comprendre avant le terme.

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Je ne peux, chère Dominique que te revoir au temps de notre jeunesse puisque je ne t’ai pas vue vieillir depuis. Alors, à ce souvenir, c’est la rue des Pommiers qui revient vers moi et toi qui court dans les rangs de cassissiers et de framboisiers derrière ce lapin que nous avions baptisé « Lileu », vas savoir pourquoi ? c’est le vol des hannetons à la nuit tombée ; c’est la récolte des escargots dans les feuilles d’iris après la pluie et notre peur bleue des épeires velues corsetées de noir dans leurs toiles tendues au travers des hautes herbes… C’est la campagne et ses mystères… Châlucet, Céreix, les Vignes d’Envaud, la cabane de Marcel qui savait tout faire… Marcel parti trop tôt lui aussi pour ce monde d’outre là dont nous ne savons rien, si lointain et pourtant si proche à la fois… Ce sont nos vacances partagées à la mer ou à Barlanès dans les Pyrénées où nous aimions jouer avec les galets du torrent, ces galets ronds comme des dos de tortues, polis et brillants comme des louis d’or dont nous formions de petites écluses sitôt emportées par la force du courant.

Emportées comme tu le fus, dans un combat inégal…

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Quel sera le mien le moment venu ? Je n’en sais rien… Aurais-je même le temps de tirer le sabre ? J’aimerais pouvoir dire comme Lacordaire « Ce que je sais pour demain, c’est que la Providence se lèvera pour moi avant le soleil. » J’espère qu’elle s’est levée pour toi quand tu t’es présentée devant elle.

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Au revoir Dominique, ma cousine et mon amie que la souffrance n’a pas épargnée, comme elle n’a pas épargné Neige et tant d’autres de nos semblables en humaine condition.

 

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Puisque je te compte au nombre de ceux et celles que j’ai aimés, que j’aime et que j’aimerai, puissè-je garder de toi, en moi, « L’essence et la forme divine » évoquées par Charles Baudelaire et dire avec lui, à mon tour, le moment venu :

 

« Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre !

Ce pays nous ennuie, ô Mort ! appareillons !

Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre,

Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons ! »

 

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"L'épreuve dénude la vérité et la fait resplendir pleinement" (Louis Cattiaux, MR, I/27)

"L'aiguillon de la mort est là pour obliger les hommes à rechercher le pourquoi de toutes choses et d'eux-mêmes"(Louis Cattiaux, MR, II/13)

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06/04/2023

LE CHANT DU COQ

Rien ne me plaît comme le chant du coq à la campagne. Je l’écoute éveiller son harem au crépuscule du matin et pour ne rien perdre de cet appel vieux comme le monde, j’ouvre la fenêtre quand bien même il ferait froid… Alors le chant du coq réveille en moi mes souvenirs rassemblés autour de cette pensée récurrente : le jour se lève, c’est l’heure où l’homme meurt...

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Le soir, en la nuit venue, j’aime écouter d’une même oreille le chant des grenouilles assemblées autour de la mare ou posées en vigile sur les larges feuilles des nénuphars. C’est une mélodie lancinante qui n’est pas à la portée de plus d’un citadin ! Le serait-elle, qu’ils ne la comprendraient pas. Les grenouilles sont bavardes autant sinon plus que les corneilles et les choucas qui ont bâti dans les grands arbres au fond du parc. Je les observe du petit salon vert qui regarde le sud. Ils vont, ils viennent, tournent autour de leurs nids sans se lasser, poussent leurs cris plaintifs pareils à ceux des corbeaux des champs de bataille ou de la glèbe fraîchement retournée…

J’aime le son des cloches que ne parvient pas à couvrir le ronflement lointain de l’autoroute apporté par le vent quand il vient de l’est, ce qui, heureusement, est assez rare.

Les cloches rythment les heures et comptent les jours qui nous restent à les entendre jusqu’à ce qu’elles nous accompagnent à l’enclos des morts. Quand elles s’ébranlent à l’occasion des cérémonies le clocher tremble. Du moins je le crois tant elles mettent d’ardeur à sonner fort !

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Les chants de coqs, de corneilles et de pies, aux quatre coins du monde sont semblables. Ils ne relèvent ni de l’anglo-saxon, ni du serbo-croate, du suédois,  chinois, swahili, bourachasti, iakoute, nahuatl ou de l’algonkin des plaines, ils relèvent de la seule langue des oiseaux qui est partout la même et en dit long quand on sait l’entendre !

L’an passé, des pies téméraires, battant des ailes comme tournent les roues des moulins, se sont approchées de la grande maison tentées par la nourriture des chats répartie dans leurs assiettes au pied du perron. Les pies, qu’on dit voleuses n’ont pas fait mentir leur réputation, elles ont pioché côte à côte avec les vieux chats dans les mêmes assiettes les bons morceaux. Ayant dans leur jeune âge épuisé les plaisirs de la chasse, les vieux chats, affectant d’ignorer leur présence, ont laissé faire ces effrontées qui, non contentes de s’être repues sont allées un peu plus loin sous les lauriers pirater les croquettes des hérissons. Aujourd’hui, les pies qui ont agrandi leur famille sont devenues de plus en plus gourmandes et de plus en plus osées. Rien ne les arrête. Tout juste si elles ne passent pas le seuil de la porte !

Pour en revenir aux coqs, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, on notera qu’il s’en trouve de plus bavards que d’autres même si la majorité préfère s’égosiller au lever du jour que pendant la journée. Il arrive à quelques-uns à ce qu’il paraît, de cocoricoter pendant la nuit. C’est ainsi, que sur la minuit, fut annoncée l’arrivée de Jehanne la Pucelle certain jour de janvier 1412 à Domrémy, dans le Barrois mouvant, autrement dit en Champagne. Arrivée s’entend plutôt que naissance puisqu’aux dernières nouvelles, tout laisse à entendre que la Pucelle fut acheminée en son jeune âge, de l’alcove d’Isabeau au berceau de sa nourrice des bords de Meuse à seules fins de bouter les godons hors de France.

Le coq, il faut l’admettre, n’a pas volé son nom de Chanteclerc. N’entendant rien au solfège, je ne saurais vous dire sur quel accord se base son chant. Je pencherais si j’osais pour le « ré », parce que le ré veille… tout simplement.

Si les coqs ont inspirés La Fontaine, Jules Renard, Alexandre Vialatte et tant d’autres c’est qu’il y avait matière à dire sur le personnage et qu’ils l’ont fait beaucoup mieux que je ne saurais m’y employer.

A ce propos, je n’ai pas oublié ces pages admirables de René Benjamin où il raconte comment Gaspard dans un ultime élan du cœur, imita le chant du coq, pour mettre un terme à l’agonie du moribond attendant vainement le lever du jour.

Les voici :

 

« Le sergent agonisait, mais ne mourait pas. Il avait toute sa tête , et il lui semblait, se raccrochant à la suprême espérance de ceux qui meurent la nuit, que s’il atteignait le jour, peut-être encore il s’en tirerait. Mais le jour était si loin !... Il demandait l’heure toutes les minutes avec angoisse. La sœur, patiente, lui répondait doucement. Vers minuit, comme il étouffait davantage, il dit :

- Est-il bientôt quatre heures ?...

Et la religieuse eut ce mot divin :

- Oui, mon petit… Encore un peu de courage et on va être « rendu… »

Mais soudain, il se désespéra ; il se mit à pleurer ; il geignait : « Y a un coq… un coq qui chante à quatre heures… »

Et il ne chantait pas.

Gaspard n’avait pas le cœur à dormir. Il venait d’entendre ces derniers mots. Il se dressa sur son séant, dans son lit, puis il rejeta ses couvertures, enfila sa culotte, et furtivement, à quatre pattes, il se coula hors du dortoir.

Et alors… alors au bout de deux minutes, le coq chanta.

C’était une voix un peu étrange, éraillée, un peu trop humaine. Mais le sergent s’arrêta d’étouffer :

- Ma… sœur, entendez-vous ?

- Je vous l’avais dit, fit-elle. Il est quatre heures.

Il avait confiance : le jour allait paraître. Il mourut calmé, presqu’en souriant. »

 

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Et puisqu’il est dit que tant d’aurores doivent encore luire avant la fin, ne craignons rien, croyons simplement, tant qu’il restera des coqs pour les annoncer, elles paraîtront...