06/04/2023
LE CHANT DU COQ
Rien ne me plaît comme le chant du coq à la campagne. Je l’écoute éveiller son harem au crépuscule du matin et pour ne rien perdre de cet appel vieux comme le monde, j’ouvre la fenêtre quand bien même il ferait froid… Alors le chant du coq réveille en moi mes souvenirs rassemblés autour de cette pensée récurrente : le jour se lève, c’est l’heure où l’homme meurt...
Le soir, en la nuit venue, j’aime écouter d’une même oreille le chant des grenouilles assemblées autour de la mare ou posées en vigile sur les larges feuilles des nénuphars. C’est une mélodie lancinante qui n’est pas à la portée de plus d’un citadin ! Le serait-elle, qu’ils ne la comprendraient pas. Les grenouilles sont bavardes autant sinon plus que les corneilles et les choucas qui ont bâti dans les grands arbres au fond du parc. Je les observe du petit salon vert qui regarde le sud. Ils vont, ils viennent, tournent autour de leurs nids sans se lasser, poussent leurs cris plaintifs pareils à ceux des corbeaux des champs de bataille ou de la glèbe fraîchement retournée…
J’aime le son des cloches que ne parvient pas à couvrir le ronflement lointain de l’autoroute apporté par le vent quand il vient de l’est, ce qui, heureusement, est assez rare.
Les cloches rythment les heures et comptent les jours qui nous restent à les entendre jusqu’à ce qu’elles nous accompagnent à l’enclos des morts. Quand elles s’ébranlent à l’occasion des cérémonies le clocher tremble. Du moins je le crois tant elles mettent d’ardeur à sonner fort !
Les chants de coqs, de corneilles et de pies, aux quatre coins du monde sont semblables. Ils ne relèvent ni de l’anglo-saxon, ni du serbo-croate, du suédois, chinois, swahili, bourachasti, iakoute, nahuatl ou de l’algonkin des plaines, ils relèvent de la seule langue des oiseaux qui est partout la même et en dit long quand on sait l’entendre !
L’an passé, des pies téméraires, battant des ailes comme tournent les roues des moulins, se sont approchées de la grande maison tentées par la nourriture des chats répartie dans leurs assiettes au pied du perron. Les pies, qu’on dit voleuses n’ont pas fait mentir leur réputation, elles ont pioché côte à côte avec les vieux chats dans les mêmes assiettes les bons morceaux. Ayant dans leur jeune âge épuisé les plaisirs de la chasse, les vieux chats, affectant d’ignorer leur présence, ont laissé faire ces effrontées qui, non contentes de s’être repues sont allées un peu plus loin sous les lauriers pirater les croquettes des hérissons. Aujourd’hui, les pies qui ont agrandi leur famille sont devenues de plus en plus gourmandes et de plus en plus osées. Rien ne les arrête. Tout juste si elles ne passent pas le seuil de la porte !
Pour en revenir aux coqs, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, on notera qu’il s’en trouve de plus bavards que d’autres même si la majorité préfère s’égosiller au lever du jour que pendant la journée. Il arrive à quelques-uns à ce qu’il paraît, de cocoricoter pendant la nuit. C’est ainsi, que sur la minuit, fut annoncée l’arrivée de Jehanne la Pucelle certain jour de janvier 1412 à Domrémy, dans le Barrois mouvant, autrement dit en Champagne. Arrivée s’entend plutôt que naissance puisqu’aux dernières nouvelles, tout laisse à entendre que la Pucelle fut acheminée en son jeune âge, de l’alcove d’Isabeau au berceau de sa nourrice des bords de Meuse à seules fins de bouter les godons hors de France.
Le coq, il faut l’admettre, n’a pas volé son nom de Chanteclerc. N’entendant rien au solfège, je ne saurais vous dire sur quel accord se base son chant. Je pencherais si j’osais pour le « ré », parce que le ré veille… tout simplement.
Si les coqs ont inspirés La Fontaine, Jules Renard, Alexandre Vialatte et tant d’autres c’est qu’il y avait matière à dire sur le personnage et qu’ils l’ont fait beaucoup mieux que je ne saurais m’y employer.
A ce propos, je n’ai pas oublié ces pages admirables de René Benjamin où il raconte comment Gaspard dans un ultime élan du cœur, imita le chant du coq, pour mettre un terme à l’agonie du moribond attendant vainement le lever du jour.
Les voici :
« Le sergent agonisait, mais ne mourait pas. Il avait toute sa tête , et il lui semblait, se raccrochant à la suprême espérance de ceux qui meurent la nuit, que s’il atteignait le jour, peut-être encore il s’en tirerait. Mais le jour était si loin !... Il demandait l’heure toutes les minutes avec angoisse. La sœur, patiente, lui répondait doucement. Vers minuit, comme il étouffait davantage, il dit :
- Est-il bientôt quatre heures ?...
Et la religieuse eut ce mot divin :
- Oui, mon petit… Encore un peu de courage et on va être « rendu… »
Mais soudain, il se désespéra ; il se mit à pleurer ; il geignait : « Y a un coq… un coq qui chante à quatre heures… »
Et il ne chantait pas.
Gaspard n’avait pas le cœur à dormir. Il venait d’entendre ces derniers mots. Il se dressa sur son séant, dans son lit, puis il rejeta ses couvertures, enfila sa culotte, et furtivement, à quatre pattes, il se coula hors du dortoir.
Et alors… alors au bout de deux minutes, le coq chanta.
C’était une voix un peu étrange, éraillée, un peu trop humaine. Mais le sergent s’arrêta d’étouffer :
- Ma… sœur, entendez-vous ?
- Je vous l’avais dit, fit-elle. Il est quatre heures.
Il avait confiance : le jour allait paraître. Il mourut calmé, presqu’en souriant. »
Et puisqu’il est dit que tant d’aurores doivent encore luire avant la fin, ne craignons rien, croyons simplement, tant qu’il restera des coqs pour les annoncer, elles paraîtront...
15:46 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : coq, grenouilles, pies, corneilles, corbeaux, choucas, benjamin, heure, mort, crépuscule, chant, ré, meuse, pucelle, jehanne, domrémy, aurores, moulins, ailes, serbo-croate, suédois, chinois, iakoute, algonkin, monde, la fontaine, vialatte, renart, parc, chats, hérisson, glèbe
04/05/2010
THEATRE DE LA CRUAUTE
Plus que tout autre saison, le printemps conduit son cortège de drames. C'est quand la vie se renouvelle en effet, que la mort approvisionne sans compter son tableau de chasse. Je me dis ça tous les ans et tous les ans je le vérifie : les merles volent trop bas ; les hérissons traversent en hésitant, et trop lentement, les chemins qui tuent ; les chats, dans l'ivresse des amours, font des kilomètres pour aller chercher leur mort ou se font tuer devant la porte...
Même les lapins et les chevreuils, rescapés des dernières cartouches, y laissent leur peau.
Source: Hullnudd, site Les Abbesses de Gagny-Chelles
Et que dire des hulottes, renards, ragondins, et autres écureuils ? A ce palmarès peu glorieux de l'automobiliste, il faut ajouter la tuerie de ses semblables ; la chose est connue et sur ce point nous n'épiloguerons pas. Laissons les vivants pleurer leurs morts, il s'en trouve sans nul doute beaucoup d'innocents dans le lot ; quant aux autres, c'est après tout justice que la pareille leur soit rendue s'ils ont, au demeurant, volontairement écrasé un animal dépourvu de toute défense dans cette lutte inégale. Car il se trouve des vicieux pour alimenter l'hécatombe et leur palmarès, c'est certain, des vicieux qui « font des cartons » comme ils disent, contribuant sans états d'âme au génocide du hérisson, car c'est bien d'un génocide qu'il s'agit !
Source: Jardin Amateur
Songeons que ce petit animal inoffensif à la carapace d'oursin, qui n'a pour toute défense que le moyen de se rouler en boule, est en train de disparaître. Et pourtant, il faut aller chercher son origine au-delà de 50 millions d'années dans la famille la plus ancienne des mammifères, celle des insectivores. Il en a traversé des calamités ! et de terribles ! Il n'est pas sûr qu'il survive à l'automobile... Et à l'automobile, il faut ajouter les poisons qui contaminent sa chaîne alimentaire, quotidiennement déversés sur cette terre épuisée qui fut pourtant fertile... Autant dire que ses jours sont comptés ! Ainsi, ceux qui ont échappé à la route achèvent leur courte vie dans les hautes herbes, sous quelque souche, ou autre abri de fortune, piégés par les pesticides et dans des douleurs qu'on imagine, quand ce n'est pas dans la marmite des amateurs...
Sur les routes, on voit de gros solitaires ou des familles entières décimées. Ce carnage, dont les charognards font ripaille se passe de nuit comme de jour, car beaucoup de hérissons, attaqués sans relâche par la vermine qui prolifère, perdent tous repères et, désarmés autant qu'affaiblis par ces parasites voraces, deviennent d'autant plus vulnérables et se montrent le jour, sans la protection des ténèbres. Affaiblis, et perturbés dans leurs cheminements, ils progressent désorientés ou stationnent sur les routes. Qui dira jamais l'agonie des mourants cruellement fauchés par les roues, qui traînent lamentablement leurs tripes sanglantes sous la lune ou le grand soleil comme les agonisants de la Grande Guerre le faisaient dans les barbelés ? Du haut de leurs perchis, les nettoyeurs du bitume savourent d'avance leur festin...
Une peau parcheminée par le vent, le soleil et la pluie, et sur laquelle se dressent encore quelques piquants, c'est tout ce qu'il reste bientôt de leur habit.
Habit qui pourtant est une armure, apte à défendre le hérisson contre ses prédateurs, mais hélas, à l'inverse des pieux des Anglais à Azincourt, elle ne peut rien contre des chevaux-vapeur aux mains de chauffards irresponsables.
Un hérisson sur la route s'évite facilement, et pour peu qu'on soit attentif et respectueux de la vie animale on ralenti, on s'arrête ou on fait un écart. Et à moins que d'être un très mauvais conducteur, on épargne la vie de ce petit animal beaucoup plus facilement que celle d'un chevreuil bondissant d'un fourré, qui peut vous surprendre dans un éclair sans que vous n'y puissiez rien... Gageons que si le premier, faisait à la sacro-sainte bagnole autant de dégâts que le second, il est probable qu'il y aurait moins de ces petites victimes sur les routes !
Mon chat Ferdinand, tué par un chauffard en 2009
Moi qui me tape annuellement un certain nombre de kilomètres, ne compte plus le nombre de chats tués rencontrés que j'ai ramassés et déposés sur le bas-côté ou dans le fossé lorsque j'ai pu m'arrêter, histoire de ne pas donner l'occasion à des tordus de les transformer en carpettes. La pire des saisons pour ces grands fauves en miniature dont nous sommes un certain nombre à partager le goût, n'est point tant le printemps que l'été, saison propice aux grandes transhumances des meutes décérébrées qui n'épargnent rien sur leur passage. Et quand on n'abandonne pas minet, ou l'encombrant toutou en rase campagne à défaut du refuge, on le largue en cours de route directement par la portière ; cela s'est vu, cela se voit malheureusement à chaque ressac de la marée humaine.
Dans les laboratoires on continue d'expérimenter à vif en dépit du respect dû à la vie ; dans les abattoirs on tue plus que de besoin à seules fins d'enrichir les uns et d'intoxiquer les autres ; du côté du levant, on se livre à d'ignobles vivisections sous le prétexte qu'elles font partie des traditions culinaires ; partout dans le monde, et à chaque seconde, on tue et on torture dans l'hystérie collective des arènes sanglantes...
Moloch a de beaux jours devant lui !
Fritz lang, Métropolis, 1927
Nous n'en finirions pas d'égrener le chapelet sans fin des animaux martyrs. Celui des hommes, nous le connaissons mieux et y attachons plus d'importance, forcément... Mais pourquoi, au fait ? A cause de la « conscience de soi » ? De la créature faite « à l'image de Dieu » ? Du respect dû à la « personne humaine » ? Comme si les animaux, ne relevaient en fin de compte que du Diable, et qu'on doive leur en manquer !
Eau-forte, Félix Bracquemond, 1852
Sur le chapitre, les religions, dans leur grande majorité, n'ont pas compté beaucoup de Saints François ! force est de le constater. Combien de chouettes a-t-on clouées aux portes des étables ? Combien d'ânes a-t-on lapidés ? Combien de chats a-t-on jetés vivants dans des brasiers ou écorchés pour honorer des sacrifices ?
A chaque seconde tombe une vie, dans des conditions épouvantables, pendant qu'une autre surgit quelque part dans le monde, qui ne sait pas, l'innocente, ce qui l'attend !
Qu'un seul nid d'oiseau, un seul, rempli de sa couvée toute neuve soit soudainement détruit par l'orage, suffit à prouver que le spectacle du monde n'est rien d'autre qu'un théâtre de la cruauté, et quel ! Il n'y a que les sots pour ne pas le voir, et les naïfs pour espérer qu'il puisse un jour, « in fine », changer...
L'enfer est ici, dans la beauté secrète du Diable; il ne faut pas le chercher ailleurs.
Et tant que ce monde durera, on n'en finira pas de s'interroger sur le Diable et le Bon Dieu, de chercher à percer l'énigme du Janus bifront, de prendre Saint Ouen pour Cythère et les vessies pour les lanternes ! Et on le fera, jusqu'à ce qu'on comprenne le sourire de la Joconde ou celui de l'Ange de Reims, qui n'en est pas si éloigné...
Il nous reste encore quelques souffrances à expier !
13:46 Publié dans Chroniques du temps présent | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hérisson, renard, chauffard, la joconde