13/04/2010
13 AVRIL 1860
LES TOITS d'OSTENDE (1884)
« Je suis né à Ostende, le 13 avril 1860, un vendredi, jour de Vénus. Eh bien ! chers amis, Vénus, dès l'aube de ma naissance, vint à moi souriante et nous nous regardâmes longuement dans les yeux. Ah ! les beaux yeux pers et verts, les longs cheveux couleur de sable. Vénus était blonde et belle, toute barbouillée d'écume, elle fleurait bon la mer salée. Bien vite je la peignis, car elle mordait mes pinceaux, bouffait mes couleurs, convoitait mes coquilles peintes, elle courrait sur mes nacres, s'oubliait dans mes conques, salivait sur mes brosses... »
Ainsi s'exprime James ENSOR, le peintre de l'étrange qui fascina Verhaeren et Ghelderode.
Ensor doit sans doute beaucoup à ses compatriotes Breughel le Vieux et Jérôme Bosch, mais aussi à Rembrandt et à Goya, à Turner et à Manet ; ce fut avant tout un coloriste qui produisit ses oeuvres les plus réputées entre 1880 et 1885.
André de Ridder, dans la biographie qu'il lui consacra dit de lui : « Il a travaillé, sa vie durant, dans un désert, sans appuis, presque sans amis, réfugié en lui-même et dans le monde merveilleux de la peinture (...) A Ostende, il naquit, il vécut, il se plia à ses habitudes, il réalisa son œuvre (...) Ce cadre se compose d'un paysage : la mer, le ciel, quelques dunes, un bout de campagne pauvre, aux fermes basses, et d'une maison dans une petite ville : celle de sa mère, devenue la sienne, avec la boutique fantasque au-dessus de laquelle il a installé son atelier... »
Je me souviens d'Ostende, la « Reine des Plages » et de la visite que je fis un jour à la maison du peintre, au 27 de la rue de la Flandre qui monte en direction de la mer. Derrière la vitrine de la boutique laquée de vert, des grenouilles naturalisées patinaient sur un miroir au milieu des masques, des coquillages et d'autres objets insolites...
La grand-mère ouvrit ce magasin de souvenirs et de chinoiseries, sa fille prit la suite et entre ces murs, le petit-fils, dans l'atelier qu'il aménagea à l'étage, puisa son inspiration. C'est là qu'il vint à bout de son « grand œuvre » : L'entrée du Christ à Bruxelles, qui fut exposé pour la première fois au Palais des Beaux-Arts à Bruxelles en 1929.
Rien n'a bougé dans la maison, du moins on le suppose, et il semble que le temps s'y soit arrêté là où le peintre l'avait posé. On y sent flotter la présence de quelque chose qu'on a du mal à définir, la même chose qu'on sent dans les toiles et qu'on emporte avec soi sans le vouloir. Quelque chose qui vous mettrait mal à l'aise si peu que vous y attachiez une intention mauvaise, celle, par exemple, qui vous aurait fait voir les œuvres pour ce qu'elles ne sont pas : des figurations cruelles contagieuses comme la peste et le choléra. Car la mort y rôde son aise, la mort fantasque comme on l'aimait au Moyen Age, burlesque et guillerette dans ses farandoles, celle qui nous tire par la droite et par la gauche et finira bien par nous emporter, n'est-ce pas, puisque c'est elle qui aura le dernier mot !
Le peintre lui même, dans la petite toile remarquable des « squelettes se disputant un hareng saur », n'apparaît-il point en filigrane : hareng saur... art Ensor ? comme déchiré entre le bien et le mal, la lumière et les ténèbres ?
A considérer son œuvre peinte et son oeuvre gravée, on sent bien que ce peintre de la lumière a trempé ses pinceaux dans les ténèbres comme Emile Verhaeren y avait trempé sa plume, et c'est par là, me semble-t-il, qu'il furent l'un et l'autre lumineux.
21:29 Publié dans Portraits | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : ensor, ostende, masques, squelettes