09/11/2009
A PROPOS DE MURS
Tout a été dit sur la chute du mur de Berlin... ou presque.
Néanmoins, et à la faveur de l'anniversaire de cet événement aujourd'hui vieux de vingt ans qui projeta derechef dans « l'Histoire » ceux qui pensaient en être sortis, du moins à l'est, rappelons quelques évidences :
- La première, c'est qu'il n'est point de muraille qui ne puisse être franchie ;
- La seconde, c'est que la solidité d'un mur vaut ce que vaut celle de ceux qui l'ont édifié ;
- enfin la troisième c'est que les murs les plus solides ne sont pas de nature à se laisser photographier...
De tout temps et en tous lieux les hommes ont élevé des murs, il n'est que de parcourir la « toile » à défaut de parcourir le vaste monde pour s'en convaincre !
Les plus anciens -souvent d'ailleurs les plus solides- ont laissé de belles traces : Grande Muraille de Chine, murs cyclopéens amérindiens, mur d'Hadrien, murs vitrifiés, enceintes de toutes sortes et de toutes catégories... Bref, on s'enfermait pour se protéger. En cela, le limes romain, séparant la « civilisation » des « barbares », faisait en occident figure de pionnier par sa longueur, sans concurrencer pour autant la Grande Muraille. On sait -ou on imagine- ce qu'il en coûta d'efforts aux culs-terreux du temps pour élever l'un et l'autre !
Avec le progrès (empiler des agglomérés de ciment ou couler du béton de décoffrage, étant devenu un jeu d'enfant ou presque) et la machine aidant, on ne se priva pas, sous des prétextes variés, de matérialiser et si possible de façon durable, certaines frontières qu'on voulait rassurantes et qui sentaient le soufre, poison comme chacun sait de toutes formes de subversions...
Et parce qu'il convenait de contenir l'ennemi, du dehors comme du dedans, on ne lésina pas sur les moyens à engager. Ainsi la ligne Maginot, construite à grands frais sur le dos du contribuable, merveille de technologie et quoique coriace, ne suffit-elle pas à contenir les panzers des divisions du voisin. C'est qu'elle n'était pas achevée me direz-vous ! Possible ; mais un mur n'est jamais achevé tout à fait, ni sur la longueur, ni et encore moins sur la hauteur : il y a toujours moyen de le contourner ou de le passer, par le haut ou par le bas. Ceux qui l'ont fait en savent quelque chose ! du moins ceux qui en sont revenus !
Aussi n'était-il que temps, le 9 novembre 89 de mettre un terme à celui de Berlin.
Qu'il ait emporté avec ses décombres une partie du « soviétisme », nulle ne le contestera ; mais force est de constater qu'il n'a rien emporté du communisme qui hélas, dans ses derniers bastions, continue à faire son content de victimes quotidiennes ; tout autant d'ailleurs qu'en peut faire le capitalisme vorace, sans foi ni loi, dont la chute du même mur a favorisé l'irrésistible et cruelle expansion. Voyez où nous en sommes ! Alors « la liberté pour quoi faire ? » aurait dit Bernanos, oui, la liberté pour quoi faire quand, aux murs du dehors, les financiers internationaux et leurs affidés ont substitué ceux du dedans, bien plus redoutables encore ! Qu'on ne passe pas parce qu'on n'en voit ni le début ni la fin ! ni l'incommensurable hauteur, ni l'abyssale profondeur...
Ces colosses nous écrasent, nous violent et nous vident sans états d'âme. Non contents de piller les richesses de la planète et de cambrioler les caisses des états, il leur faut d'avantage encore cambrioler les cerveaux des ressortissants. Grands démolisseurs de frontières ils moissonnent large et s'entendent avec l'ennemi d'hier pour en finir une fois pour toutes avec la diversité, les particularismes, les identités et la richesse des « nations », ennemis du jour. Et s'il flattent apparemment les différences en faisant croire à la valeur de l'échange et au grand partage, c'est à seules fins d'enterrer définitivement, dans la grisaille de lendemains qui déchanteront et dont on ne revient pas, l'idée même d'appartenance à une communauté de destin.
La chose n'est pas nouvelle, diaboliser les particularismes et l'idée de nation a toujours été le fait des apatrides, de ceux qui se veulent les « citoyens du monde ». Dès lors, le combat (s'il y en a un) ne se posera plus en terme de lutte de classes dans une dialectique qui a fait son temps mais en lutte de castes, non point dans l'acception traditionnelle (tri fonctionnalité), mais dans celle du bipartisme entre Nantis (Bobos et Néocons détenteurs du pouvoir = Citoyens du Monde) et les Autres... Ces Autres, dont nous sommes un certain nombre à faire partie, je les opposerai volontiers comme « Sujets de la Terre », aux Citoyens du Monde, parce que c'est bien d'une inversion des valeurs qu'il s'agit. Ces citoyens du monde sont des colosses aux pieds d'argile ; comme Druon Antigon a trouvé sur son chemin le centurion Gracchus Brabo, ils trouveront un jour le leur (pas si lointain peut être), avec lequel il devront compter. Ne serait-ce que parce que ce monde transitoire est soumis au mouvement éternel qui ébranle toutes les forteresses et fait s'écrouler tous les murs... et surtout :
parce qu' "il y a tant d'aurores qui n'ont pas encore lui"...
Friedrich Nietzsche, Aurore, 1881
15:56 Publié dans Chroniques du temps présent | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : berlin, soviétisme, bernanos, nietzsche
Commentaires
Sujets de la terre, oui.
Cela me va .
Écrit par : solko | 11/11/2009
Ce monde qui s'en va vers un autre, le monde de la mondialisation soviéto-libérale qui, inéluctablement, par implosion concrète du mythe de la croissance infinie et notamment, des ressources énergétiques illimitées, débouchera - débouche déjà, pour ceux qui savent le voir - sur un monde démondialisé, c'est, finalement et surtout, un monde de produits moches parce qu'aussi uniformes que ceux qui s'en servent.
"On" est leur allitération récurrente, comme dans "population" (au lieu de "peuple" ou de "gens").
Ainsi : béton (c'est un régal, celui-là : "bête-on"), goudron, pavillons...
Et, évidemment, chaque Monsieur On revendique, toujours avec la même allitération, "son" béton, "son" goudron, "son" pavillon.
Preuve que l'existence de ce personnage falot se résume à l'absence d'identité, à la propriété matérielle ou intellectuelle d'une portion (tiens, encore le "on" !) du magma informe de la prospérité commune.
Consommati-on.
C'est très... con.
Poil au ment-on.
Etonnant comme ce qui est fondamentalement déstructurant structure, aux yeux des imbéciles, leur univers d'éléments calcinés, morts et déterrés, leur palais des glaces de l'informe et de l'hideux, qui leur tient lieu de raison de vivre.
C'est un travail de fossoyeur qui nous attend.
A moins que toute cette horreur ne s'enterre toute seule.
Écrit par : Boreas | 14/11/2009
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