07/11/2009
HOMO POLITICUS
On a découvert à la faveur de grands travaux, dans un étage de l'éocène, un homme tertiaire vieux d'un peu plus de quarante millions d'années ; il reposait sur le dos à la façon d'un gisant, dans les caillasses du lutétien supérieur dans une sorte de coffre (fort ?) qu'un kornak employé à creuser un canal, avait entamé des mâchoires de sa grosse Poclain... Bien que la chose soit restée secrète, nous l'avons apprise de certain chimiste que nous tenons pour un ami sûr...
Sitôt la découverte faite, des anthropologues, dépêchés d'urgence en la circonstance, arrivèrent sur place précédés de gendarmes mobiles chargés d' éloigner au plus vite les badauds qui commençaient à s'attrouper. Le fossile -car il s'agissait d'un fossile, trouvé « in-situ » dans une stratigraphie ne renfermant ordinairement que quelques coquilles de gastéropodes et des oursins pétrifiés- surprit d'autant plus les hommes de science, qu'il parut d'une fraîcheur étonnante lorsque la pelle eût fait sauter d'un coup de dent vigoureux le couvercle du sarko-phage. D'une fraîcheur telle, qu'on l'eut cru placé dans sa boîte de la veille...
Jamais en effet de mémoire d'homme, on ne s'était trouvé en face d'une telle découverte, d'un tel phénomène, enfin d'une telle... comment dire ? MONSTRUOSITE. Car le fait est qu'à la considérer de près, la « chose » s'avérait monstrueuse...
Les spécialistes s'accordèrent très vite qu'ils convenait de toute urgence de la cacher au public, lequel, gendarmes compris, ne devait retenir de l'exceptionnelle découverte que le seul conteneur. Bien sûr, il y avait le conducteur de la pelle qui, tout de même, avait bien dû voir un peu de ce qu'il y avait à l'intérieur, mais enfin, c'était un allogène qui ne comprenait que quelques bribes de français, et auquel échappaient tout à fait les subtilités de la géologie. Aussi, feignant de le mettre dans la confidence de sorte qu'il ne retienne de sa découverte rien d'autre que s'il l'eût tirée d'une décharge publique, on lui expliqua à demi mots que son geste salutaire venait de mettre un terme à dix années d'enquête policière : il venait, ni plus ni moins, que de retrouver un cadavre bien embarrassant qui avait fait suffisamment parler de lui de son vivant. Ca lui suffit comme explication ; après tout, c'est tous les jours ou presque qu'on en trouvait de part le monde des cadavres de gens découpés en morceaux, sur les dépotoirs, dans les poubelles, les réfrigérateurs ou les consignes des gares... Rien d'étonnant par conséquent à ce qu'il ait trouvé le sien enterré en rase campagne. Il en conclut que l'assassin devait être un perfectionniste très obstiné pour avoir pris la peine de le dissimuler si profondément...
Le couvercle remis en place et la foule dispersée, on fit porter la chose au saint des saint de ces messieurs : le Laboratoire de Paléontologie Humaine. Quand on eut fermé à double tour les lourdes portes de l'établissement et pris soin de vérifier qu'aucun intrus ne s'était glissé à l'intérieur, on se pencha -non sans quelque crainte- sur la cuve décapsulée... Le verdict fut unanime, l'examen ne relevait pas de la compétence de ces messieurs mais assurément de celle d'un médecin légiste assisté d'un anatomiste ayant fait ses preuves. Eux c'était les os... que les os, rien que les os... Pas ce qui se présentait sous leurs yeux...
Parce que ce qu'ils voyaient en effet, à moins qu'ils ne rêvassent, relevait de la science fiction ! C'était vraiment surprenant : il s'agissait bien d'un homme, et des plus modernes encore, tout ce qu'il y avait de moderne en nature de sapiens-sapiens très sapiens ! Et tout habillé ! Mais acéphale. Où donc était passé la tête ? A sa place -on n'osait toucher mais enfin chacun pouvait voir qu'à sa place- il y avait une protubérance pas plus grosse qu'un poids chiche, attachée au cou par un pédicule à la façon d'un polype... La complexion du sujet, à l'évaluer, était plutôt petite et les jambes légèrement arquées. Tout autour du corps -qu'on avait pris le soin d'habiller d'un très officiel complet bleu marine- était disposée (sans doute en guise d'offrandes ?) une quincaillerie de brillants de toutes sortes parmi lesquels de petits parachutes dorés et un certain nombre de montres de prix... On balança pour savoir si l'on pouvait l'extraire illico de sa boîte ou s'il convenait d'attendre l'anatomiste.
On opta pour la seconde solution et on ne fut pas long à l'attendre l'anatomiste, car celui-ci et son collègue, dès la nouvelle sue, impatients de passer à l'action avaient différé tous leurs rendez-vous...
Avec mille précautions -quoique le corps, en dépit de son grand âge fût loin de vouloir tomber en poussière- on l'extirpa de sa boîte et on l'allongea sur la table de dissection. Une fois dévêtu, chacun se rendit à l'évidence : c'était bien d'un homme qu'il s'agissait, encore que celui ci, comme on pu l'observer, était pourvu d'un troisième testicule... On aurait pu peut être, avant de s' évertuer à le disséquer, examiner d'abord ce qu'il y avait au fond de la caisse et dans les poches des vêtements. Mais on était pressé, tellement pressé qu'on en oublia même de noter la position des bras...
La main gauche en effet se trouvait prise sous l'avant-bras droit rabattu sur le biceps tandis que de la main droite au poing fermé, ne sortait qu'un doigt : le majeur pointé en direction de l'épaule. Pas besoin de chercher très loin la signification de cet arcane ! la « chose » aurait voulu faire un bras d'honneur qu'elle ne s'y serait pas prise autrement !
Quand on l'eut triturée de part en part et découpée en rondelles on s'aperçut qu'à part la tête, ce troisième testicule et l'absence de cœur (remplacé par une pompe miniaturisée), elle était tout ce qu'il y avait de plus normal. Le plus inquiétant était ce défaut de tête, ou plutôt cette microcéphalie qu'on passa au scanner par crainte de l'ouvrir prématurément et d'en perdre ainsi le contenu si contenu toutefois il y avait. Force fut d'admettre qu'il n'y avait rien d'autre que du vide à l'intérieur, un vide sidéral... C'est quand on analysa le troisième testicule du « fossile » qu'on se rendit compte que c'était là ce qui lui tenait lieu de cerveau : on y trouva en effet des hémisphères tout à fait conformes à ceux que renferment ordinairement la boîte crânienne...
Et l'on s'interrogea une fois de plus sur les desseins impénétrables de la Nature...
Finalement, et pour se changer les idées on en vint à fouiller le fonds du coffre. Il n'était que temps ! Car contrairement au « fossile », ce qui restait à l'intérieur de la caisse sous la « quincaillerie », c'est à dire un certain nombre de tubes en aluminium identiques à ceux dans lesquels on glisse les gros havanes, commençait à fondre on ne sait trop pour quelles raisons. On n'eut que le temps d'en retirer ce qui ressemblait à des microfilms... On allait enfin en savoir plus !
Hélas, la déception fut à la hauteur de l'écoeurement car il n'était question, lorsqu'on les eut développés, que de fausses factures et de royalties, de reconnaissances de dettes et de pots de vin, de compromissions et de passes droit, de vente d'armes et de stupéfiants, de corruption et de chantage, d'affaires louches et scélérates enfin « d'affaires », d'affaires rien que d'affaires et toujours d'affaires... Et comme tout ça sentait le roussi et le « déjà-vu » on prit la (sage ?) décision de tout remettre en boîte - le fossile itou- et de le livrer aux flammes purificatrices de façon à ce que personne n'en sache jamais rien.
N'était-ce point ce qu'il y avait de mieux à faire ?
13:04 Publié dans Chroniques du temps présent | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : éocène, fossile, quincaillerie, affaires
Commentaires
J'ai été témoin de cette histoire vraie. Parole de scout.
Et si tant est que le temps revienne, que rêvent hyènes ou que revit haine, nous serons tous des défossoyeurs, des défalsificateurs de faussaires et de concussionnaires.
Cette engeance, désormais, se retrouve grouillante et pullulante en toutes les places et en toutes les sinécures de la raie publique, de celle-là même dont les ancêtres, pour arroser de sang sa naissance ambiguë, coupèrent et piquèrent des têtes de taille ordinaire, celles-ci, et les promenèrent par des rues dont les pavés furent, longtemps après, arrachés ou goudronnés comme pour en finir avec ces goutelettes écarlates (d'aucuns disaient bleues) qui, elles aussi, s'étaient réfugiées dans la terre, cette mère qui nous reprendra chacun à notre tour, car elle reprend indifféremment les bons et les méchants.
Et nous, les bons, il faudra bien qu'on pète la gueule aux méchants, ou au moins qu'on laisse faire la foule en furie, comme d'habitude mais ce coup-ci, à l'envers (c'est-à-dire que sur les piques, cette fois, il n'y aura que des têtes microcéphales ou testiculaires, tant pis pour le spectacle - et il faudra prévoir de bien les appointir, les piques...).
Avec cela - on ne vous le dira même pas, parce que personne ne se pose jamais ce genre de questions -, que l'existence de tout ce joli monde est aussi assurée que ma voiture et ma maison.
Il n'en reste pas moins que l'assurance, caution de l'irresponsabilité comme disait Napoléon, ne prévient pas l'accident. Elle ne fait qu'ajouter à la croyance au malheur, la foi en une indemnisation.
Qui sait, d'ailleurs, si, dans un sinistre général, pris en charge par une compagnie inconnue, il n'apparaîtrait pas quelque sombre dessein (ou quelque lumineux dessein, hein, après tout on n'en sait rien et il est permis de dire tout et son contraire - voire, de le penser, pour ceux qui savent : il y en a) ; quelque dessein, dis-je, ourdi par une entité mystérieuse, de faire croire à l'existence comme à celle d'une bougie, alors que seule la flamme de celle-ci est réelle ?
Eh bien, mes amis, c'en est assez.
A défaut de pouvoir se définir, il faut bien se déterminer à quelque chose.
Pour ma part, c'est résolu : le premier microcéphale qui passe, je lui embroche une couille.
Si ça ne gagne pas, ça débarrasse.
Et j'espère beaucoup en la coopération de mes semblables (que je cherche toujours, cela dit).
Écrit par : Boreas | 09/11/2009
Boreas, oui, nous sommes plusieurs à penser la même chose... et c'est encourageant ! Mais aux dernières nouvelles, hélas, il paraîtrait que les membres épars de la chose découpée se soient multipliés et éparpillés de par le monde en autant de clones efficaces... Qu'à cela ne tienne, après tout ils servent les desseins du Kali-Yuga et s'empaleront d'eux-même sur les piques qu'ils auront forgées; il ne tient qu'à nous de les y aider !
Écrit par : AGARIC | 09/11/2009
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