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23/11/2010

BULLETIN CELINIEN

Bulletin Célinien N° 324

 

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L’infatigable Marc LAUDELOUT, auquel rien de ce qui touche à Céline de près ou de loin ne semble échapper, rappelle dans ce numéro de novembre quelques vérités. Il apporte notamment -en réponse aux critiques de certain lecteur de la revue « Commentaire »- des précisions toujours utiles à ceux qui, comme ce lecteur et le directeur de cette revue, seraient susceptibles de se laisser abuser par des jugements hâtifs autant que partiaux témoignant, sinon d’une mauvaise connaissance de l’œuvre et de son auteur, du moins d’opinions partisanes asservies à la politique contemporaine de la pensée  « correcte ». Assurément, nous ne partageons pas l’opinion de ceux qui lisent Céline avec des gants et double dose d’antidote à seules fins d’obtenir leur certificat de civisme ou d’être considérés par le gratin aux ordres, qui continue hélas à faire la pluie et le beau temps dans le monde des Lettres…

Céline l’avait prédit et l’on n’en finirait pas de répertorier les travaux universitaires qui lui sont régulièrement consacrés. Il s’en trouve de particulièrement intéressants et parmi ceux-ci, celui qu’ Yves PAGES a présenté pour l’obtention de sa thèse de doctorat en 1991. Frédéric SAENEN l’évoque sous son titre « Céline, fiction du politique », dans une note qu’il lui consacre.  Cette thèse, initialement publiée par les éditions du Seuil en 1994 est aujourd’hui reprise par Gallimard dans la collection « TEL ». De l’aveu de Frédéric Saenen ces 474 pages donnent, dès la dernière tournée, « la furieuse envie de replonger dans le Voyage, Guignol’s band ou la trilogie allemande. Avec un regard vraiment neuf. »

Faisant suite à une note relatant les demandes réitérées de Céline à son éditeur pour se voir, de son vivant, publié dans la Pléïade, ce numéro publie deux lettres inédites de Céline à Claude Gallimard, datées respectivement de 1960 et 60 ou 61. On y lira entre autre, sur le ton qui nous est familier : « …je vois venir la Pentecôte c’est-à-dire la Toussaint, mais pas du tout ma Pléïade, dont on a tant parlé… » De fait jamais Céline ne se verra « pléiadé » de son vivant puisque, décédé comme on sait le premier juillet 61, ce Panthéon des lettres ne lui ouvrira ses portes qu’en février 1962. Il aura fallu tout de même attendre 48 ans avant que ne soit publiée la correspondance et encore, non intégralement ; quant au demeurant, sentant par trop le soufre, il est douteux qu’il puisse rejoindre un jour le gros de l’œuvre…

Marc Laudelout nous livre un intéressant dossier sur Roland CAILLEUX. Médecin comme Céline et attaché comme lui aux médecines naturelles et à l’hygiénisme. Cailleux, comme son confrère, fut aussi écrivain, beaucoup moins connu cependant, et de petit tirage. Il a néanmoins laissé avec « Saint Genès ou la vie brève », publié en 1943, un exercice de style qui prouve son talent et ses exigences en littérature.

 

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Admirateur de Céline, il le fut, mais avec réserves, son tempérament critique le portant à se méfier des exagérations et des plaintes céliniennes. On verra d’ailleurs, en se reportant à des notes datées du 19 juin 1957 ce que pensait vraiment Cailleux de Céline ; il n’est pas tendre ! Les céliniens avertis n’y apprendront rien car Cailleux enfonce des portes ouvertes mais tout de même, en 1957, combien savaient cela ? Ces observations acerbes sinon réelles n’enlèvent rien à celui qui fut d’une certaine façon, avec ses qualités et ses défauts, « humain trop humain » en même temps que le plus grand auteur de son temps.

La rencontre de Roland Cailleux avec Marcel Aymé, en janvier 1943 a donné lieu à une narration inédite dictée à sa femme. On lira avec intérêt ces quelques lignes publiées dans ce dossier et on retiendra entre autres le portrait qu’il donne de l’auteur de Travelingue : « Les deux traits caractéristiques qui frappent d’abord chez Marcel Aymé, ce sont ses grandes oreilles et ses silences. S’il a de grandes oreilles, c’est pour mieux écouter sans doute. Il est très difficile de ne jamais dire un mot et Marcel Aymé y réussit en prenant un air particulier où l’on croit déceler l’ennui, la timidité, le « Qu’est-ce que je fous ici ?... » et le « Qu’est-ce que je pourrais foutre de mieux ailleurs ?... »

On trouvera enfin le brouillon de la lettre adressée le 12 septembre 1943 par Cailleux à Céline pour lui demander son avis au sujet de son Saint Genès. On y lira ces lignes qui contredisent par quelque côté ce que pensait Cailleux de Céline en 1957… « J’ai eu une presse excellente par ici et je pourrais croire que c’est arrivé si je ne me disais que, par ces temps de crise de papier, on peut pondre n’importe quelle ordure, elle aura toujours du succès. Mais vous, vous ne mentez pas. » dixit. Alors pourquoi s’offusquer sur le tard d’un  travers des plus répandus, de celui qui pourtant avait prévenu, dans le Voyage: «  Il faut choisir, mourir ou mentir. Je n’ai jamais pu me tuer, moi… ».

Enfin, David LABREURE signe un article sur Céline et la médecine du travail, dans lequel, s’appuyant sur les observations du Docteur Destouches sur le taylorisme et le fordisme, il montre tout l’intérêt que  ce dernier portait à l’observation de l’état de santé des travailleurs au sein même de l’entreprise ainsi qu’à leur affectation à des taches adaptées à leurs déficiences ou à leurs handicaps. Extraite du Cahier Céline n°3 (Gallimard 1977), cette sujétion montre aussi qu’en ce domaine, Céline était en avance sur son temps :« Il serait sans doute possible d’étudier sérieusement, dès à présent, les modalités éventuelles d’emploi de ces malades chroniques dans l’industrie. » 

 

 

22/10/2010

BULLETIN CELINIEN

Bulletin célinien N°323

 

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Marc LAUDELOUT signe un article des plus intéressants relatif aux souvenirs des deux avocats ayant défendu Céline : maîtres Albert Naud et Jean-Louis Tixier-Vignancour. On connaît les griefs d’accusation plus ou moins recevables portés contre l’écrivain ; ce qu’on sait moins, c’est la stratégie qu’adoptèrent ces deux magistrats pour tirer leur client d’une situation fâcheuse.

Tous deux jouèrent d’habileté conformément à leur caractère assurément aux antipodes l’un de l’autre. Naud, le premier, avec prudence - conscient qu’il était, en ces temps pourris de revanche et de délation qu’il jugeait lui-même exécrables, d’avancer en terrain miné – tenta de faire admettre à l’exilé qu’il devait acquiescer à la condamnation d’un an de prison, rendue par défaut, et qu’il convenait pour lui de rentrer en France. On imagine la réaction de Céline, qui en aucune manière, n’envisageait le retour avant que l’amnistie n’ait été accordée.

Tixier-Vignancour ayant compris qu’il était inutile de chercher à convaincre Céline et qu’il n’obtiendrait pas plus de succès que n’en avait obtenu son confrère, mit donc tout en œuvre pour obtenir l’amnistie ; et il l’obtint, par le moyen d’un stratagème évoqué par David ALLIOT dans son ouvrage : « l’Affaire Louis-Ferdinand Céline. Les archives de l’ambassade de France à Copenhague, 1945-1951. Horay, 2007 ».

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Jean-Louis Tixier-Vignancour (doc: Assemblée nationale)

 

 

Tixier en effet, en s’appuyant sur la loi du 16 août 1947 « accordant l’amnistie aux grands invalides de guerre qui n’ont pas été condamnés à plus de trois ans de prison et dont la peine est définitive », va plaider en présentant son client sous son véritable patronyme et non sous son nom d’auteur, et cela, comme on dit, « à la cloche de bois », sans même avoir prévenu ses proches…

Le jugement est rendu le 20 avril 1951 après une courte délibération, et l’amnistie est accordée attendu, comme l’évoquera plus tard le Commissaire du gouvernement Camadeau, qu’il « n’y avait pas de quoi fouetter un chat ». Prudence obligeant, Tixier gardera le secret le temps nécessaire à ce que le ministère public ne puisse plus se pourvoir en cassation… C’est donc le 26 avril qu’il annoncera la nouvelle à la presse provoquant les cris d’orfraie notamment de « l’Humanité », qui n’attendait que la curée pour se jeter sur l’ignoble « collabo ».

On en saura de fait un peu plus en consultant l’ouvrage de David Alliot, sur les tractations « dans la coulisse » de l’habile avocat, et ses intelligences avec le Commissaire du gouvernement…

Marc Laudelout, en brossant un rapide portrait des deux défenseurs montre combien Céline, évidemment, délaissa quelque peu Maître Naud le trouvant sans doute trop frileux, au profit de son confrère chez qui il devait apprécier les traits de caractères incisifs et redoutables propres à sa famille d’esprit ayant bien senti, comme le fit observer Pierre MONNIER, que là où « Naud, ancien résistant, s’efforçait de sauver un coupable, Tixier se battait pour un innocent. »

C’est le 1er juillet 1951 que Louis et Lucette rentrent en France par avion ; diminué par ses années de prison et d’exil mais libre et en possession de ses pleins droits civiques, il ne restera au « maudit » que dix courtes années jour pour jour pour achever son œuvre puisque, par un curieux concours de circonstances il s’éteindra chez lui, au Bas-Meudon, le 1er juillet 1961…

A l’appui de cet article figure une chronologie de l’épopée célinienne de 1947 à 1951, tirée du « Calendrier d’exil » d’Eric MAZET et Pierre PECASTAING.

Faisant suite au texte de Marc Laudelout, Thierry BOUCLIER résume les arguments de défense sur lesquels s’est appuyé Maître Tixier-Vignancour pour blanchir son client. Et dans la foulée est reproduit le texte qu’André BRISSAUD fit paraître le 13 mai 1951 dans l’hebdomadaire belge « Le Phare dimanche ». Il y rappelle qu’en 1950, il fut l’un des « seuls –ou à peu près- à dire que cette condamnation ne déshonorait que ses juges à gage, asservis à l’exécutif. ». Et nous retiendrons particulièrement sa dernière phrase : « La trahison des clercs français n’est certainement pas là où une presse asservie a bien voulu la voir »…

Ce numéro d’octobre s’achève sur la deuxième partie de l’étude de Gérard PEYLET intitulée « Le paysage urbain crépusculaire dans Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit ». L’auteur a bien raison de s’appuyer sur les travaux de Michel Collot, philosophe du paysage qui a saisi la relation de l’être à l’étant au travers de l’approche intimiste du paysage, « miroir de l’affectivité ». L’un et l’autre se façonnent en réciprocité et Céline le prouve dans les descriptions qui sont les siennes des champs de bataille, de la banlieue, des villes, de la campagne… L’homme n’est pas éloigné de son sujet –même quand il en rajoute - c’est un sensitif, nous le savons, dont l’âme s’exprime par le moyen qu’elle a trouvé de transmettre l’indicible. Rappelons nous Gide :  « Ce n’est pas la réalité que peint Céline ; c’est l’hallucination que la réalité provoque ; et c’est par là qu’il intéresse. »  

On pourrait dire de la « noirceur » de l’oeuvre célinienne qu’elle grésille parce qu’elle contient de la lumière ; elle préfigure, sans le dire, ce qu’il pourrait y avoir au bout de la vie, c’est en cela que le pessimisme célinien, à mes yeux, n’est pas foncièrement nihiliste. Je lui trouve même, quelque part, un côté rédempteur en vertu  d’une logique qui veut que l’on traverse le noir avant de voir la lumière.

C’est vrai, comme le fait remarquer l’auteur, que le jour, chez Céline, mange les hommes à sa façon aussi bien que la nuit, et que les brumes et les brouillards les engloutissent de la même manière. Mais ne dit-on pas que le crépuscule du matin, au chant du coq, est aussi le moment « où l’homme meurt » ? Le rapport à la mort, familier au docteur Destouches, ne peut pas se résumer, chez lui, à la seule matérialité de la cessation des fonctions de la machine humaine ; cet homme avait trop « l’âme celte » pour s’arrêter aux seules apparences…

Il reste a étudier son paysage « caché », c’est un exercice qui pourrait réserver des surprises !

Mentionnons, pour en terminer, une note de l’éditorialiste présentant l’ouvrage récemment paru d’André DERVAL : « L’accueil critique de Bagatelles pour un massacre » ed. Ecriture, 2010.

Vous trouverez comme chaque fois à l’intérieur du bulletin une liste d’ouvrages disponible à commander au BC, BP 70, B 1000 Bruxelles 22, ou directement par courrier électronique : celinebc@skynet.be

 

23/09/2010

BULLETIN CELINIEN

Bulletin célinien N° 322

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On trouvera dans cette livraison un texte des plus intéressants livré à la Revue célinienne en 1979 par Jean ROUGERIE. C’est à cet acteur de second rôle (qui tourna cependant dans plus de cinquante films), à cet homme de théâtre « indépendant », que l’on doit la première adaptation à la scène des « Entretiens avec le Professeur Y ». C’était en 1975, et le spectacle eut lieu à Antony, sur les planches du théâtre Firmin- Gémier qu’il dirigeait.

Comme le fait remarquer le texte, le titre n’allait pas de soi, et le risque était grand d’essuyer un échec, cependant, contre toute attente, la pièce reçut un accueil des plus  chaleureux , au point que Jean Rougerie entreprit de la rejouer à trois reprises, en 1976, 1981 et 1986 sous le titre « Interviouve ». L’acteur y excella, tout autant que Jean Saudray qui lui donnait la réplique. Ceux de ma génération qui ont pu voir le téléfilm « Quatre-vingt-treize » réalisé par Alain Boudet en 1962 sur un scénario de Claude Santelli, se souviennent de Jean Saudray, l’inoubliable Halmalo de l’œuvre hugolienne. Il fit un « Professeur Y » des plus convaincant.

C’est par Paul Chambrillon -comme il le confesse dans l’article- que Jean Rougerie fit la connaissance de Céline. Et c’est par là, pourrait-on dire, que tout a commencé :

 «  On parle de tout avec Chambrillon. De Céline aussi. Il l’a connu (…) On écoute les chansons… évidemment, je me mets à lire Céline. C’est très beau, c’est très grand ! Admirable, émouvant ! Quel poète ! Lyrique ! Toujours lyrique !... Je ne parlerai pas de lui plus longuement… ce n’est pas l’envie qui m’en manque, remarquez… mais je ne suis pas critique (c’est bête mais chacun de nous l’a ressenti, n’est-ce-pas ?... vous avez vu les trois points… l’influence naturellement… Quand on vient de lire Saint-Simon, c’est pareil… On ne rêve plus que d’imparfaits du subjonctif, même pour écrire à son percepteur…)

Alors Rougerie est conquis, enthousiasmé, et, comme il le précise lui-même, le théâtre étant « un acte essentiellement amoureux », il montera la pièce en procédant à « quelques aménagements scéniques » et en se résignant à devoir couper la fin :

« Bien plus douloureuse fut ma décision de couper toute la fin qui n’est que récit fantastique, mais récit tout de même (…) Si on veut le rendre scénique, il faut le Châtelet. C’est une autre option. »

Jean Rougerie ne rencontra Céline qu’au travers de ses œuvres, mais il eut, grâce à Paul Chambrillon, le bonheur de pourvoir s’entretenir avec Madame Destouches :

« Madame Destouches est là, charmante, gentille comme il n’est pas possible. Elle vous écoute, vous répond mais, malgré elle, est mal rassurée… on lui donne l’impression qu’on veut encore du mal à son mari. Au travers de ses paroles toutes douces, on croit entendre : « Je vous en supplie ! Laissez-le tranquille ! Ne lui faites plus de mal ! »

On notera cette observation de Jean Rougerie et on s’en souviendra :

« On parle Céline, on ne le joue pas. Parce qu’il y a avant tout, chacun le sait, un langage Céline. Inutile donc de chercher autre chose : tout est là, clair, brillant, scintillant, génial. Le texte classique en somme. »

C’est, en effet, suffisamment clair et il n’y a rien à ajouter.

Né le 9 mars 1929 à Neuilly sur Seine, Jean Rougerie a quitté définitivement la scène le 25 janvier 1998 à Ivry sur Seine. Un célinien de cœur s’en est allé ce jour là.

Le texte de Paul CHAMBRILLON lui rendant hommage, publié en 1998, est repris dans le présent numéro : « Salut mon vieux Jean. Te voilà rendu sur des rives que l’on espère paisibles… »

A l’occasion de l’  « Affaire Bettancourt », tant médiatisée, Marc LAUDELOUT apporte quelques précisions sur les relations de « Céline et l’Oréal ». Comme l’éditorialiste l’explique, la méfiance –a tord ou à raison- de l’écrivain à l’égard d’Eugène Schueller, ne l’a pas empêché, se trouvant exilé au Danemark, de sympathiser avec le représentant de l’Oréal à Copenhague. Il nous rappelle aussi que Pierre Monnier, l’auteur de « Ferdinand furieux », célinien de toujours, fit, à partir des années cinquante, toute sa carrière chez l’Oréal qui fut, soit dit en passant, une arche bien venue pour nombre de « réprouvés » de la dernière guerre.

Maître François GIBAULT, de son côté, accorde à Frédéric SAENEN, quelques éclaircissements quant aux tribulations de l’auteur du Voyage avec le Droit. Le ton est donné :

« Céline se méfiait des juges (…) Il préférait régler lui-même ses comptes, à sa manière, en « duel », comme il le fit avec Sartre. ».

Deux avocats comme on sait, eurent à défendre Céline : Maître Tixier-Vignancour et Maître Albert Naud. Et comme le rapporte François Gibault, les deux hommes ne s’aimaient guère, justement à cause de Céline. L’honneur revint à Tixier d’obtenir, « par un formidable tour de passe-passe (…) l’amnistie qui permit à Céline de revenir en France sans risque d’arrestation. »

François Gibault, rappelons le, est président de la Société des Etudes céliniennes. A ce titre et depuis 25 ans, il organise tous les deux ans un colloque international où se retrouvent chercheurs et enseignants « venus des quatre coins du monde ».

A la question posée par Frédéric Saenen : « Quand l’œuvre de Céline tombera-t-elle dans le domaine public ? » réponse est donnée que ce sera en 2031 et non, précise Maître François Gibault, « en 2011 comme beaucoup le croient, puisque la protection est maintenant de 70 ans à compter du décès de l’auteur, avec cette précision que, pour les œuvres posthumes, ce délai ne courre qu’à compter de la publication. »

François Gibault, tout en regrettant de ne pas avoir connu l’ermite de Meudon, pense, comme biographe, qu’il en a peut-être été mieux ainsi. Dans le cas inverse, c’eut sans doute été au risque de se voir égarer sur de fausses pistes par celui, justement, qui n’aimait guère qu’on parle de lui, ni qu’on le montre. On sait combien, sur le chapitre, ses photographes ont dû jouer de ruse et l’on imagine quels efforts ont dû déployer ceux qui ont réussi à le « traîner » derrière la caméra ! Et pourtant, quel homme s’y est montré plus vrai et moins surfait que lui ?

On ne refermera pas ce 322ème numéro sans évoquer la première partie de l’étude de Gérard PEYLET sur « Le paysage urbain crépusculaire dans Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit. ». Cette étude est tirée du 68ème cahier du Laboratoire Pluridisciplinaire de Recherches sur l’Imaginaire appliqué à la Littérature, des Presses Universitaires de Bordeaux (2005).

L’auteur, au travers d’extraits choisis, dégage la caractéristique du paysage célinien qui est la part d’ombre, entre chiens et loups, par laquelle il nous séduit. Peut-être, au fond, parce que c’est dans le noir que pousse la graine, et que cette œuvre, à sa manière, est lumineuse. Quoi que lunaire, c’est toujours de la lumière du soleil qu’il s’agit ; c’est justement par ce côté là que Céline brille.

Cette grande caractéristique du paysage célinien qu’évoque l’auteur de l’article : « L’attirance du néant à travers des images de décomposition, de dissolution, de chute. » n’est-elle que cela ? N’est-elle pas aussi  la tentative d’en finir  une fois pour toutes  avec « la confusion, l’enlisement, la misère », le mal ?

Ah ! que ne cache-t-il pas cet horizon de suie ! Il faut donc chercher au-delà du noir et du désespoir pour trouver ce que portent en eux de compassion les mots et les images ; il faut « marquer le pas » comme devant ces tableaux que l’on regarde parfois dans les musées sans les voir… Il faut s’arrêter dans l’œuvre célinienne comme on le sent, quand on le sent, et passer en quelque sorte de l’autre côté pour comprendre la parole de Nietzsche : « Ecris avec ton sang, et tu sauras que le sang est esprit. »