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22/10/2010

BULLETIN CELINIEN

Bulletin célinien N°323

 

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Marc LAUDELOUT signe un article des plus intéressants relatif aux souvenirs des deux avocats ayant défendu Céline : maîtres Albert Naud et Jean-Louis Tixier-Vignancour. On connaît les griefs d’accusation plus ou moins recevables portés contre l’écrivain ; ce qu’on sait moins, c’est la stratégie qu’adoptèrent ces deux magistrats pour tirer leur client d’une situation fâcheuse.

Tous deux jouèrent d’habileté conformément à leur caractère assurément aux antipodes l’un de l’autre. Naud, le premier, avec prudence - conscient qu’il était, en ces temps pourris de revanche et de délation qu’il jugeait lui-même exécrables, d’avancer en terrain miné – tenta de faire admettre à l’exilé qu’il devait acquiescer à la condamnation d’un an de prison, rendue par défaut, et qu’il convenait pour lui de rentrer en France. On imagine la réaction de Céline, qui en aucune manière, n’envisageait le retour avant que l’amnistie n’ait été accordée.

Tixier-Vignancour ayant compris qu’il était inutile de chercher à convaincre Céline et qu’il n’obtiendrait pas plus de succès que n’en avait obtenu son confrère, mit donc tout en œuvre pour obtenir l’amnistie ; et il l’obtint, par le moyen d’un stratagème évoqué par David ALLIOT dans son ouvrage : « l’Affaire Louis-Ferdinand Céline. Les archives de l’ambassade de France à Copenhague, 1945-1951. Horay, 2007 ».

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Jean-Louis Tixier-Vignancour (doc: Assemblée nationale)

 

 

Tixier en effet, en s’appuyant sur la loi du 16 août 1947 « accordant l’amnistie aux grands invalides de guerre qui n’ont pas été condamnés à plus de trois ans de prison et dont la peine est définitive », va plaider en présentant son client sous son véritable patronyme et non sous son nom d’auteur, et cela, comme on dit, « à la cloche de bois », sans même avoir prévenu ses proches…

Le jugement est rendu le 20 avril 1951 après une courte délibération, et l’amnistie est accordée attendu, comme l’évoquera plus tard le Commissaire du gouvernement Camadeau, qu’il « n’y avait pas de quoi fouetter un chat ». Prudence obligeant, Tixier gardera le secret le temps nécessaire à ce que le ministère public ne puisse plus se pourvoir en cassation… C’est donc le 26 avril qu’il annoncera la nouvelle à la presse provoquant les cris d’orfraie notamment de « l’Humanité », qui n’attendait que la curée pour se jeter sur l’ignoble « collabo ».

On en saura de fait un peu plus en consultant l’ouvrage de David Alliot, sur les tractations « dans la coulisse » de l’habile avocat, et ses intelligences avec le Commissaire du gouvernement…

Marc Laudelout, en brossant un rapide portrait des deux défenseurs montre combien Céline, évidemment, délaissa quelque peu Maître Naud le trouvant sans doute trop frileux, au profit de son confrère chez qui il devait apprécier les traits de caractères incisifs et redoutables propres à sa famille d’esprit ayant bien senti, comme le fit observer Pierre MONNIER, que là où « Naud, ancien résistant, s’efforçait de sauver un coupable, Tixier se battait pour un innocent. »

C’est le 1er juillet 1951 que Louis et Lucette rentrent en France par avion ; diminué par ses années de prison et d’exil mais libre et en possession de ses pleins droits civiques, il ne restera au « maudit » que dix courtes années jour pour jour pour achever son œuvre puisque, par un curieux concours de circonstances il s’éteindra chez lui, au Bas-Meudon, le 1er juillet 1961…

A l’appui de cet article figure une chronologie de l’épopée célinienne de 1947 à 1951, tirée du « Calendrier d’exil » d’Eric MAZET et Pierre PECASTAING.

Faisant suite au texte de Marc Laudelout, Thierry BOUCLIER résume les arguments de défense sur lesquels s’est appuyé Maître Tixier-Vignancour pour blanchir son client. Et dans la foulée est reproduit le texte qu’André BRISSAUD fit paraître le 13 mai 1951 dans l’hebdomadaire belge « Le Phare dimanche ». Il y rappelle qu’en 1950, il fut l’un des « seuls –ou à peu près- à dire que cette condamnation ne déshonorait que ses juges à gage, asservis à l’exécutif. ». Et nous retiendrons particulièrement sa dernière phrase : « La trahison des clercs français n’est certainement pas là où une presse asservie a bien voulu la voir »…

Ce numéro d’octobre s’achève sur la deuxième partie de l’étude de Gérard PEYLET intitulée « Le paysage urbain crépusculaire dans Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit ». L’auteur a bien raison de s’appuyer sur les travaux de Michel Collot, philosophe du paysage qui a saisi la relation de l’être à l’étant au travers de l’approche intimiste du paysage, « miroir de l’affectivité ». L’un et l’autre se façonnent en réciprocité et Céline le prouve dans les descriptions qui sont les siennes des champs de bataille, de la banlieue, des villes, de la campagne… L’homme n’est pas éloigné de son sujet –même quand il en rajoute - c’est un sensitif, nous le savons, dont l’âme s’exprime par le moyen qu’elle a trouvé de transmettre l’indicible. Rappelons nous Gide :  « Ce n’est pas la réalité que peint Céline ; c’est l’hallucination que la réalité provoque ; et c’est par là qu’il intéresse. »  

On pourrait dire de la « noirceur » de l’oeuvre célinienne qu’elle grésille parce qu’elle contient de la lumière ; elle préfigure, sans le dire, ce qu’il pourrait y avoir au bout de la vie, c’est en cela que le pessimisme célinien, à mes yeux, n’est pas foncièrement nihiliste. Je lui trouve même, quelque part, un côté rédempteur en vertu  d’une logique qui veut que l’on traverse le noir avant de voir la lumière.

C’est vrai, comme le fait remarquer l’auteur, que le jour, chez Céline, mange les hommes à sa façon aussi bien que la nuit, et que les brumes et les brouillards les engloutissent de la même manière. Mais ne dit-on pas que le crépuscule du matin, au chant du coq, est aussi le moment « où l’homme meurt » ? Le rapport à la mort, familier au docteur Destouches, ne peut pas se résumer, chez lui, à la seule matérialité de la cessation des fonctions de la machine humaine ; cet homme avait trop « l’âme celte » pour s’arrêter aux seules apparences…

Il reste a étudier son paysage « caché », c’est un exercice qui pourrait réserver des surprises !

Mentionnons, pour en terminer, une note de l’éditorialiste présentant l’ouvrage récemment paru d’André DERVAL : « L’accueil critique de Bagatelles pour un massacre » ed. Ecriture, 2010.

Vous trouverez comme chaque fois à l’intérieur du bulletin une liste d’ouvrages disponible à commander au BC, BP 70, B 1000 Bruxelles 22, ou directement par courrier électronique : celinebc@skynet.be