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28/02/2018

IN MEMORIAM LOUISE MINAUD... LOUIS ROUSSEAU, 28 FEVRIER 1794

Louise Minaud 15 jours... Louis Rousseau 7 ans: entre les deux, 108 victimes innocentes...

 

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Le 28 février 1794 à l’aube, 3500 hommes aux ordres des généraux Cordelier, Crouzat et du commandant Martincourt, composant la 5ème colonne des 6 chargées par Turreau de mettre la Vendée à feu et à sang, s’avancent en plusieurs sections en direction des Lucs, venant de l’est par les deux rives de la Boulogne…

Elles n’épargneront rien sur leur chemin ; 564 habitants des deux sexes et de tous âges seront massacrés dans des conditions épouvantables, le plus souvent à l’arme blanche ! Ce sont les ordres de Turreau que des criminels de guerre bien trempés tels les généraux Louis Grignon (1748-1825), Etienne Cordelier (1767-1835), Jean-Baptiste Huché (1749-1805), François Amey (1768-1850) vont exécuter partout sur le territoire en rivalisant de zèle, plus rien en effet ne devant subsister de la Vendée, ni « brigands », ni cheptel, ni bâtiments. C’est la tactique de la « terre brûlée » visant à faire de la Vendée le département « Vengé ».

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Grâce au martyrologe de l’abbé Barbedette, dressé aux Lucs un mois après le drame, nous avons les noms de 110 enfants dont les âges s’échelonnent de 15 jours à 7 ans massacrés tout au long de cette journée tragique du 28 février (vendredi 10 ventôse de l’an II) et une partie du lendemain 1er mars par les hommes de Cordelier.

Gravés dans le marbre, à l’intérieur de la chapelle construite en 1866 sur les ruines de l’église Notre Dame du Luc, on peut lire les noms de la plupart des victimes, parmi lesquels ceux des 110 enfants.

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  1. Marie-Modeste AIRIAU, de la Ricoulière, 5 ans et 7mois,
  2. Thomas AIRIAU, de Villeneuve, 10 mois,
  3. Joseph ARCHAMBAUD, de Puyberne, 20 mois,
  4. Agathe ARNAUD de Belleville (tuée au Lucs ) 4 ans et demi,
  5. Etienne BERIAU, de l’Erzandière.15 jours,
  6. Marie-Madeleine BERIAU, de Roblin, 2 ans et 11 mois,
  7. Jeanne BERIAU, du Petit-Luc, 4 ans,
  8. Marie BERNARD, de la Jarrie, 3 ans,
  9. Céleste BOISSELEAU, de la Grézaudière, 6 ans,
  10. Pierre BOISSELEAU, son frère, 2ans 9 mois
  11. Jean BOISSELEAU, de la Gaconnière, 6ans et demi,
  12. François BOSSIS, du bourg du Grand-Luc, 7 mois,
  13. Joseph BOSSIS, son frère, 23 mois,
  14. Louis BOSSIS, autre frère, 5 ans,
  15. Pierre BOUET, de la Surie, 27 mois,
  16. Louis BOURON, de Bourgneuf, 3 mois,
  17. Madeleine BOURON, sa cousine, de Bourgneuf, 3 ans,
  18. Marie CHARUAU, de la Guyonnière, 2 ans,
  19. Marie-Madeleine CHARUAU, sa sœur, 4ans et 3 mois,
  20. Jean CHARRIER, de la Devinière, 3 ans,
  21. Marie DAVIAUD, de l’Erzandière, 1 mois,
  22. Pierre DAVIAUD, son frère, 5 ans et 8 mois,
  23. Jeanne DAVIAUD, au Petit-Luc, 2 ans et 11 mois,
  24. Pierre DAVIAUD, son frère, 4 ans et 10 mois,
  25. Louis EPIARD, du Chef-du-Pont, 5 ans et 10 mois,
  26. Jean-François ERCEAU, de la Sorinière, 27 mois,
  27. Pierre FETIVEAU, de la Gaconnière, 27 mois,
  28. N…FETIVEAU, son frère, 3 mois,
  29. Jeanne FEVRE, du Chef-du-Pont, 5 ans et demi,
  30. Suzanne FORGEAU, de la Sorinière, 20 mois,
  31. Rose-Aimée FORT, du Champ-Dolent, 31 mois,
  32. Pierre-René FORT, son frère, 5 ans et 9 mois,
  33. Marie-Anne FOURNIER, bourg du Grand-Luc, 30 mois,
  34. Jacques FOURNIER, son frère, 5 ans et 5 mois,
  35. Marie GARREAU, de la Cornetière, 7 ans,
  36. Marie-Anne GAUTRET, de la Guénière,7 ans,
  37. Pierre GEAI, des Temples ; 25 mois,
  38. Jean GIRARD, du Chef-du-Pont, 1 an,
  39. Marie-Jeanne GIRARD, sa sœur, 4 ans et 2 mois,
  40. Pierre GIRARD, leur frère, 6 ans et 4 mois,
  41. Pierre GOUIN, des Temples, 1 an,
  42. Louis GRALEPOIS, de la Grézaudière, 13 mois,
  43. Jeanne GRALEPOIS, de la Bretonnière, 5 ans,
  44. Pierre GRATON, du Puy, 3 ans et 4 mois,
  45. Jeanne GRIS, de la Cernetière, 5 mois,
  46. Pierre GRIS, son frère, 5 ans,
  47. Lubin GUILLET, du Bourg du Grand-Luc, 6 ans,
  48. Marie GUITET, de l’Erzandière, 4 ans et demi,
  49. Marie HERMOUET, du bourg du Grand-Luc, 5 mois,
  50. Louis HIOU, de Bourgneuf, 2 ans et 11 mois,
  51. Marie-Anne JOLI, de la Bromière, 27 mois,
  52. Marie MALARD, du Marchais, 4 ans,
  53. Jean MALIDIN, de la Primaudière, 18 mois,
  54. Marie MALIDIN, sa sœur, 3 ans et 11 mois,
  55. Jeanne MALIDIN, de la Bruère, 3 ans,
  56. Rose MALIDIN, sa sœur, 6 ans et 2 mois,
  57. Joseph MANDIN, du bourg du Grand-Luc, 23 mois,
  58. Louis MANDIN, son frère, 5 ans et 9 mois,
  59. Véronique MARTIN, de la Moricière, 1 an,
  60. Marie-Françoise MARTIN, du Petit-Luc, 2 ans,
  61. Louise MARTIN, sa sœur, 5 ans et 4 mois,
  62. Rosalie MARTIN, de la Guénière, 2 ans et 10 mois,
  63. Louise MARTIN, sa sœur, 5 ans et 3 mois,
  64. Rosalie MARTINEAU, de Bourgneuf, 2 ans et 11 mois,
  65. Jean MIGNEN, de la Sorinière, 1 an,
  66. Louise MINAUD, du Brégeon, 15 jours,
  67. Louise-Marie MINAUD, sa sœur, 15 mois,
  68. Jean MINAUD, leur frère, 5 ans et 3 mois,
  69. Pierre MINAUD, autre frère, 6 ans et 11 mois,
  70. Jeanne MINAUD, de la Davière, 15 mois,
  71. André MINAUD, son frère, 4 ans et 2 mois,
  72. Véronique MINAUD, leur sœur, 6 ans et 8 mois,
  73. Pierre MINAUD, leur cousin de la Davière, 4 ans,
  74. Louise MINAUD, de l’Ethelière, 33 mois,
  75. Marie-Anne MINAUD, sa sœur, 6 ans et 11 mois,
  76. Anne MORILLEAU, de la Primaudière, 2 ans
  77. Céleste MORILLEAU, sa sœur, 6 ans et 5 mois,
  78. Jean PERROCHEAU, du Retail, 5 ans et 3 mois,
  79. Pierre POGU, de la Pellerinière, 22 mois,
  80. Jean POGU, son frère, 5 ans,
  81. Rose PREVIT, de Villeneuve, 10 mois,
  82. Marie PREVIT, sa sœur, 6 ans,
  83. Rose REMAUD, de Bourgneuf, 4 ans et 11 mois,
  84. Marie REMAUD, de la Grande-Métairie, 4 ans et demi,
  85. Pierre RENAUD, de la Nouette, 18 mois,
  86. Catherine RENAUD, sa sœur, 3 ans et demi,
  87. Jeanne RENAUD, leur cousine, de la Nouette, 4 ans,
  88. Marie-Anne RENAUD, de la Petite-Brosse, 4 ans,
  89. Pierre RENAUD, son frère, 6 ans et demi,
  90. Marie RICOULEAU, de la Bromière, 22 mois,
  91. Jeanne ROBIN, de la Retardière, 5 ans,
  92. Marie-Anne RORTAIS, de la Guyonnière, 4 ans,
  93. Jeanne ROUSSEAU, de la Gaconnière, 23 mois,
  94. Jean ROUSSEAU, son frère, 3 ans et 11 mois,
  95. Louis ROUSSEAU, autre frère, 7 ans,
  96. Victoire ROUSSEAU, cousine, de la Gaconnière, 11 mois,
  97. Jeanne ROUSSEAU, sœur de Victoire, 4 ans,
  98. Jeanne SAVARIAU, de la Sorinière, 5 ans et 10 mois,
  99. Pierre SIMONEAU, de la Moricière, 6 mois,
  100. Jean SIMONEAU, son frère, 4 ans et 10 mois,
  101. Jacques SIMONEAU, de la Bugelière, 18 mois,
  102. Joseph SIMONEAU, son frère, 5ans,
  103. Perrine SIMONEAU, cousine, de la Bugelière, 8 mois,
  104. Henri SORET, du Petit-Luc, 2 ans,
  105. Jacques SORIN, de la Bromière, 5 mois,
  106. Jean SORIN, son frère, 3 ans et 3 mois,
  107. Madeleine TENET, du Chef-du-Pont, 7 ans,
  108. Louis VRIGNAUD, de la Ricoulière, 23 mois,
  109. Marie-Jeanne VRIGNAUD, de la Cornetière, 3 ans
  110. Jean-Baptiste VRIGNAUD, son frère, 4 ans et 5 mois.

 

 

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Un vitrail du transept de l’église des Lucs sur Boulogne commémore ce tragique événement ainsi que la mort du curé Voyneau lardé de coups de sabres et de baïonnettes et auquel furent arrachés la langue et le cœur au Gué de la Malnaye, au bas du Petit-Luc…

Voilà où peut mener le fanatisme associé à la cruauté, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Pacifier la Vendée au prix du sang et des larmes fut le choix de la Convention qui déclarait le 1er août : « Le pays sera incendié et rasé. Soldats de la liberté, il faut que les brigands soient exterminés avant la fin octobre. Le salut de la patrie l’exige. »

En donnant son blanc seing à Turreau (« Je ne puis tuer, incendier, massacrer femmes et enfants sans votre permission. »), le Comité de Salut public, le 6 février, lui pardonnait d’avance tous les excès : « Tu te plains de n’avoir pas reçu l’approbation formelle de tes mesures, elles paraissent bonnes et tes intentions pures ! Exterminer les brigands jusqu’au dernier, voilà ton devoir. »

A partir de là, rien d’étonnant à ce qu’un Grignon ordonne à ses hommes : « Passez au fil de la baïonnette tout ce que vous rencontrerez d’habitants sur votre passage. Je sais qu’il peut y avoir quelques patriotes dans ce pays. C’est égal, nous devons tout sacrifier. »

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Turreau

Rien d’étonnant non plus à ce qu’un Amey (lequel soit dit au passage a son nom inscrit sur l’Arc de Triomphe côté sud, de même que Turreau a le sien inscrit côté est) ait été accusé d’avoir jeté vivants hommes et femmes dans les brasiers allumés sur son passage et à ce qu’un Huché, monstre ivrogne et sanguinaire, se revendiquant lui-même « boucher de chair humaine » ait fait mutiler et couper des gens en morceaux.

Plus de 600 villes et bourgs, sans compter les écarts et les milliers de maisons isolées furent ainsi voués à la disparition totale par les colonnes infernales aux ordres de celui qui, dans l’histoire, demeurera le bourreau de la Vendée, le général Louis Marie Turreau (1756-1816). Assurément la Convention le préféra à Kléber qui, ayant compris que la Vendée avait été écrasée à Savenay après la tragique virée de Galerne et les massacres du Mans voulait la pacifier, lui, en se conciliant ses habitants. Tel ne fut pas l’avis de Turreau « Ce n’est pas mon plan… » qui préféra transformer le pays en un vaste abattoir, ce qui, somme toute, s’inscrivait dans la logique de la Terreur.

Aujourd’hui, ces lieux qui ont vu tant d’horreur témoignent toujours de ce que des français firent subir à des compatriotes qui ne pensaient pas comme eux. Commanditaires et exécutants, tous ont leur part de responsabilité. Elle pèse lourd et on en sent le poids dans le silence de la chapelle du Petit Luc, élevée sur sa butte, sous les ombrages d’arbres centenaires peuplés d’oiseaux veillant sur les victimes innocentes.

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23/02/2018

LE SANG DES GLAIEULS

La boucherie Brutus occupait sur la place une parcelle en longueur qui s’étendait en légère déclivité du caniveau de la rue jusqu’au talus de la voie ferrée au pied duquel coulait le ruisseau. Au fond de la boutique s’ouvrait une porte vitrée de quatre carreaux dépolis. Elle donnait accès à la cuisine. A partir de là, par une porte semblable, on gagnait le laboratoire et ensuite la tuerie, directement sous le hangar où Libéral Brutus travaillait les bêtes.  

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(Peinture de Paul Laurent COURTOT)

A cette époque, dans les campagnes, les bouchers abattaient chez eux et dans les conditions qu’on imagine. Traverser cette enfilade de pièces obscures toutes baignées d’une persistante odeur de saindoux ranci, c’était comme de passer dans un tunnel dont on ne savait au juste si on sortirait vivant. Au bout quand même, après avoir affronté cette épreuve qui revenait à passer le Styx ou l’Achéron, l’audacieux pouvait souffler, le jardin tout baigné de lumière le recevait comme Saint-Pierre au Paradis, dans le rouge éclatant de ses glaïeuls abreuvés du sang des agneaux...  

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- Tu connais le chemin Victor ? Les choses ont pas beaucoup changé depuis le départ de mon défunt mari, tu t’en doutes hé ! Je ne t’accompagne pas. Fais attention aux orties et aux ronces en passant, hein ? Tu verras, y en a plus que de légumes tu sais ! Quand j’eus fermé derrière moi la porte du laboratoire où des piles de plats en aluminite et de raviers fleuris reposaient sur des paillasses carrelées de blanc ainsi qu’à l’ hôpital ou dans les morgues, je débouchai dans l’abattoir, lequel se résumait de fait à un hangar adossé sur l’arrière de la maison et dont le faîtage montait jusqu’à hauteur de la fenêtre de la chambre du couple. Le cousin Brutus avait tenu cet édifice suffisamment élevé de façon à pouvoir hisser par le palan à chaîne les bêtes abattues. Libéral, de la sorte, en les ouvrant sur leur longueur dans le gras du ventre d’un habile et unique coup de lame effilée, pouvait aisément les éviscérer au dessus du baquet prévu à cet effet, toujours disposé à recevoir leurs entrailles fumantes, comme les labours de la Marne avaient reçu celles de l’Oncle Arsène. En soi, l’endroit, au premier coup d’oeil, n’avait rien que de rassurant. Même, il pouvait donner le change en laissant croire qu’ il ne s’agissait là que d’un simple bûcher. Cependant, à le détailler, c’était une autre affaire, il s’avérait terrible et fascinant à la fois.  

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(Peinture de Felice BOSELLI)

Je fus quelques minutes à méditer sur le seuil, dans l’ombre chaude de la tuerie désaffectée où bourdonnaient des mouches bleues. Appuyé au mur du fonds voisin, le billot en forme d’établi usé jusqu’à la trame, portait encore, de part et d’autre de sa tête de bœuf sculptée dans le hêtre, ses ustensiles d’inquisiteur glissés dans leur feuillure. Il y avait là toutes sortes de lames adaptées à leur besogne, scies, feuilles et tranchoirs affûtés. A un clou planté sur le travers, pendait le fusil à aiguiser, le même que celui que portait le loup à sa ceinture sur les gravures de Granville...

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N’étaient-ce la poussière et les toiles d’araignées qui les décoraient, on aurait pu croire que le boucher avait rangé ses outils de la veille. Je ne touchai à rien. Comme je me tenais à peu près à l’endroit où devait naguère se trouver le tueur, je modifiai ma position et m’approchai du mur et de l’anneau scellé dans la pierre auquel Libéral attachait les bêtes, comme si c’était à mon tour et à cette place de recevoir le coup fatal. Plut au ciel que le boucher fut habile artisan ! J’y songeais en me souvenant d’histoires qu’on racontait sur Vaugirard où des tueurs avinés manquaient plus d’une fois les chevaux, les estropiant terriblement avant que de les achever. Combien de bœufs et combien de veaux le cousin Brutus avait-il assommés sans trembler, sur ce ciment encore gras de ses oeuvres ? Combien d’agneaux bêlants et de cochons grognants avait-il égorgés sous l’emprise de son genoux impitoyable ? Et de chevreaux donc, de chevreaux tout palpitants, dont il savait sa femme gourmande ? Oui, combien de sanglotants chevreaux immolés sans pitié par ses puissantes mains à seule fin d’engraisser le corps obèse de la bouchère et celui de ses pratiques ? Je fus fut quelques secondes à m’abîmer dans la sensation étrange qu’un jour, comme tout le monde, il me faudrait consentir moi aussi à me laisser attacher à l’anneau. Comme le veau, je ne saurais pas qui viendrait me chercher. Ni où, ni quand ça se passerait. Ni pour nourrir quoi... Sans doute valait-il mieux ne pas savoir. A moins que... Mais aurais-je la patience, et le courage ? Aurais-je le temps, devant que ne se lève l’ombre fatale qui tout efface ? Car “si tôt les morts refroidissent” ! N’est-ce pas ? Et d’ailleurs, que disait-elle d’autre la sentence lue en chemin, sur le gnomon de l’église ?  

“Comme une ombre qui passe et qui ne revient pas"

Ainsi passent nos jours qui s'en vont à grands pas."

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Sous le hangar bardé de planches disjointes noircies au carbonyle, je pensai à la détresse des animaux et sentis soudainement le poids insupportable de leur souffrance m’ habiter tout entier. Ça montait dans mes jambes du caniveau naguère tout gluant de sang, tombait sur mes épaules du plancher à claires-voies du galetas où séchaient les peaux. Ça sortait des murs comme de la gueule ouverte d’une gorgone vomissant les sanglots plaintifs du chevreau qu’on égorge ou le grognement inouï du cochon auquel le boucher fait un sourire d’une oreille à l’autre pendant que siffle indifférente la locomotive qui passe le pont, là-bas dans la courbe, au bout du jardin, sur le remblai...  

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Ça me traversa, m’assaillant de partout... Je n’allai pas jusqu’aux glaïeuls à petits pas ! j’ y courus avec l’envie de crier très fort comme le petit apprenti de la “Vie écarlate” de Pierre Gascar: “ Mon Dieu, mon Dieu, faites qu’on ne tue plus jamais les moutons...”. 

 

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( Texte extrait du chapitre XXVI de "Le Temps revient" )