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20/09/2011

BULLETIN CELINIEN

Bulletin célinien n° 333

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Cette livraison de septembre s’ouvre sur l’hommage rendu à Céline au cimetière de Meudon à l’initiative de François GIBAULT, président de la Société des Etudes céliniennes. Marc LAUDELOUT en donne un résumé dans son éditorial. A l’occasion de cette cérémonie, François Gibault improvisa une allocution reproduite dans ce bulletin, en rappelant que 50 000 exemplaires de Voyage au bout de la nuit sont vendus en France chaque année sans parler des traductions.

Michel UYEN signale la parution d’un nouveau livre sur l’exil danois. Cet ouvrage, intitulé « Le dernier voyage. Les années d’exil de Céline au Danemark, 1945-1951 » à été écrit par Nico Keuning, déjà auteur en 1993 d’un « Céline, de Rennes à Saint-Malo ». Voici donc un nouveau livre sur un sujet déjà traité et notamment par Helga Pedersen, Claude Duneton, Eric Mazet et Pierre Pécastaing, David Alliot et François Marchetti…

Marc Laudelout signe la réception critique du Céline de Henri Godard au sujet duquel la presse en général ne tarit pas d’éloges. Ce sont les « céliniens » qui, note l’éditorialiste, expriment le plus de réserves et notamment Philippe ALMERAS, dont le présent bulletin publie la critique du Céline de Godard dans un article intitulé « Céline à la sauce velours ».

Alméras commence par rappeler quelques vérités bien sonnantes et notamment celles que lui a inspiré le colloque de Beaubourg où se sont exprimés « des exorcistes tous formés aux méthodes, aux formules conjuratoires et aux tabous du professeur émérite. Le colloque Céline de Beaubourg en février a été une démonstration presque caricaturale de la chose, les clercs chargés de commenter Céline se relayant pour le conjurer et répudier toute collusion avec lui. » Et de poursuivre – au sujet du même colloque- qu’une pleine salle de célinien aient pu « écouter sans broncher une succession de post-céliniens dire l’horreur que leur inspirent « les pamphlets » alors que personne ne leur en demandait tant. (…) Voir l’année du cinquantenaire, le sujet d’une « célébration » refusée agrémenté d’une succession de qualificatifs négatifs par de supposés admirateurs marque le résultat du réarmement moral depuis la guerre. » C.Q.F.D. Faut-il s’en étonner ? Assurément non. En un temps où les larbins des officines de la  political-correctness et autre soft-ideologie  font l’opinion, rien d’étonnant à ce que des chercheurs sans aucun doute talentueux, surfent sur la même vague en évitant prudemment les lames de fond. A l’inverse, après avoir lu Alméras, on rejette Céline ou on le prend en bloc, tel quel, comme il est, comme un chien avec ses crocs ou un chat avec ses griffes. Comme un rosier avec ses épines. Le mérite de Philippe Alméras est d’apporter quelque clarté dans une approche que d’aucuns jugeront sans complaisance et que je trouve ni plus ni moins qu’honnête. Elle n’entame rien de l’intérêt que je peux porter pour ma part à l’œuvre écrite d’un personnage hors du commun et sans aucun doute « humain » par là, trop humain pour méconnaître sa « viande » et conséquemment celle des autres. Lui, au moins avait cette faculté de ne pas s’illusionner sur les mérites de ceux qui comme on dit tiennent le « haut du pavé » et servent les gagnants. Si Céline était un saint, cela se saurait. C’était un homme, un homme tout court avec ses défauts, ses emportements, ses faiblesses et ses élans du cœur et, dirons- nous, de l’âme, avec le talent en plus, qui fait défaut au plus grand nombre, de là sa force.

Ce que reproche Alméras à Godard en somme, c’est d’avoir « mis à couvert l’objet de ses recherches » de s’être livré, en quelque sorte, à une épuration du sujet. Cela étant, tout amateur de Céline sait bien qu’il a aujourd’hui à sa disposition -tant l’arsenal est approvisionné- de quoi se renseigner au mieux sur la part d’ombre et les motivations de l’auteur de Bagatelles et à quoi s’en tenir. A lui de se faire une opinion. J’ai fait la mienne. J’apprécie autant le travail de Godard que celui d’Alméras mais pour deux raisons différentes. Pour le premier, parce que sa biographie ne ressemble à aucune autre et que j’ai eu plaisir à la lire ; pour le second, parce qu’il n’hésite pas à s’avancer en terrain miné quand c’est nécessaire. Il le fait sans complaisance et sans haine. Du moins c’est ce qu’il me semble. Ce qu’il me semble aussi, à première vue, c’est que ces deux-là (Godard, Alméras) ne doivent pas s’aimer beaucoup ! Très « universitaire » tout ça, rien que de banal… Qu’en aurait-il pensé, Ferdinand, hein ?

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En 1957, Pierre DUVERGER prenait ce cliché de la maison du Bas Meudon reproduit en page 14 de ce numéro. On y voit l’écrivain sur le balcon en compagnie de son épouse. Cette photo, est reprise parmi bien d’autres dans l’ouvrage de 92 pages que fait paraître Imec Editeur-écriture. Comme le rappelle Marc Laudelout, Pierre Duverger, qui fit la connaissance de Céline en 1943 à Saint-Malo, est l’auteur de l’unique série de photos en couleurs de Céline. C’est aussi lui qui photographia l’écrivain sur son lit de mort le 1er juillet 1961.

On lira enfin la deuxième partie de l’étude de Pierre de Bonneville intitulé « Villon et Céline ». Il y démontre que Villon, comme Céline, « n’écrit que sur le mode de la satire et de la charge : le Lais -ce qu’on appelle le Petit testament- et le Testament sont des règlements de comptes. Voyage au bout de la nuit, le premier ouvrage de Céline est déjà un pamphlet ». Et plus loin après avoir mis l’accent sur leur nature prédestinée de « moutons noirs, de mauvais enfants, d’êtres maudits, de persécutés », l’auteur rapporte ces mots de Céline à Francine Bloch :  « Je suis une saloperie qu’on aurait dû pendre… on me le dit, on me l’écrit, eh bien dame, c’est curieux, comment qu’il a réchappé à ça, ce con-là ? Il aurait dû être pendu depuis longtemps, ou bien empalé ou n’importe quoi… » Voilà comme on l’aime, Céline, en verve !

Ce 333ème numéro du bulletin s’achève sur la présentation de l’Année Céline 2010, parue aux éditions du Lérot. Elle renferme entre autres des lettres de Céline (à Herminée Howyan, Georges Michau, J.G. Daragnès, Georges Geoffroy, Paul Marteau, Jules Almansor, Maurice Lemaître, Claude Gallimard, etc…), une étude de Gaël Richard « Sur les routes d’Eure et Loir, hiver 1918, une étude de Guillaume Grondin : « La science grotesque. La représentation de la figure du savant dans les romans de Céline », ainsi qu’une bibliographie critique et un index des œuvres, des noms et des lieux cités par Céline.

Et puisque ce numéro est dédié à Claude LEVEILLEE, artiste aussi prolifique que talentueux disparu le 9 juin dernier, je vous invite en guise d’hommage, à écouter encore une fois, et pour certains, peut-être pour la première fois, sa merveilleuse chanson « Frédéric » qu’il composa et interpréta en 1962.



27/05/2010

27 MAI 1894

 

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Comment ne pas évoquer ce 27 mai, la naissance de Louis Ferdinand CELINE ?

Il voit le jour vers 16 heures à Courbevoie, l'an 1894, 12 Rampe du Pont comme il le précise lui-même à plusieurs reprises dans ses textes ou ses interviews. Ainsi dès les toutes premières lignes du premier volume de la trilogie, « D'un château l'autre » :

« Pour parler franc, là entre nous, je finis encore plus mal que j'ai commencé... Oh ! j'ai pas très bien commencé... je suis né, je le répète, à Courbevoie, Seine... je le répète pour la millième fois... »

Dans la biographie magistrale qu'il lui a consacré, Frédéric Vitoux rappelle l'entretien de Céline avec André Parinaud, à Meudon, en 1953 : « Il m'a fallu cinquante-huit ans pour traverser la Seine. Car je suis né de l'autre côté, là-bas, et j'ai maintenant, tous les jours, le paysage de mon enfance sous les yeux. »

De son exil danois, il répondait en 1949 à Galtier-Boissière qui lui demandait une notice biographique : « Mon cher Galtier, le mieux est de m'inscrire comme « Louis-Ferdinand Destouches, né le 27 mai 1849 à Courbevoie (Seine) ». Ainsi mes amis et mes ennemis me verront cent ans et bien près d'être mort et seront tous bien contents. »

Donc, natif de Courbevoie, tout comme Arletty à laquelle il écrivait en 1947 : « Mon cœur est à la rampe du pont. » Et dans des lettres adressées du Danemark à Albert Paraz: « Embrasse Arletty pour moi. Je l'aime. On s'est dit au revoir sans grand espoir de se revoir en des temps bien abominables. Mais on a l'esprit du Pays entre nous, l'âme des choses et de la Rampe... J'ai des nouvelles... Il paraît que ça va bien... J'en suis heureux... elle est un bout de ma chanson... si déchirée... Qu'elle pense à moi passant par là rebord de la Seine... J'y suis toujours... »

 

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Il ne reste rien, aujourd'hui, de la Rampe du Pont, sinon le souvenir qu'évoque François Gibault, dans le premier des trois volumes d'une biographie qui fait référence : « La Rampe du Pont, aujourd'hui disparue, permettait aux véhicules venant de Courbevoie d'accéder au pont de Neuilly. Venant de Paris, quand on tournait à droite, juste après avoir franchi le pont, on passait devant chez les Destouches. Les habitations de la Rampe qui étaient pour la plupart des petites maisons à un étage ont été démolies et les rues débaptisées. La Rampe du Pont, qui se situait à la fin du siècle dernier entre la Seine, la rue Hébert, la cour de l'Ancre et la place Napoléon-Ier, se trouva prise pour un temps entre l'avenue du Général-de-Gaulle, qui mène au Rond-Point de la Défense, la rue des Anciens-Combattants et le square des F.F.I. Les travaux d'aménagement du quartier de la Défense ont à nouveau tout bouleversé. Aujourd'hui, immuable et sereine, il ne reste que la Seine à n'avoir pas encore changé de nom. »

Terminons cette évocation par cet extrait de lettre à Albert Paraz, datée du 4 octobre 1947, cité par François Gibault : « Je suis né à Courbevoie, 12 Rampe du Pont, en 1894, la Seine a gelé, ma mère crachait le sang, comme toi, de misère il faut le dire, elle a vécu 74 ans. Elle était ouvrière dentellière. Elle est morte aveugle. On a toujours été bien travailleur dans ma famille. Et bien cons. Arletty, ma pote, est aussi ma payse, elle est née à Courbevoie, un peu plus bas, Rampe du Pont. Quand tu sortiras tu iras voir la caserne, elle est célèbre par son architecture militaire Restauration. Vigny y a tenu garnison.

Henri IV a failli se noyer, Rampe du Pont, au gué d'autrefois, en allant rendre visite à je ne sais quelle putain. Plus exactement passage de l'Ancre, une petite impasse en revers de la rampe, ah, on en connaît un bout sur la banlieue ! Mon cœur y est toujours. »

Céline fut unique et le restera. Inégalable, inégalé, il continue de briller comme l'astre d'Apollon sur la littérature du XXème siècle et continuera d'éclairer celle des siècles à venir, sans être prêt de s'éteindre.

Voici, en souvenir de son anniversaire de naissance, un extrait un peu long mais savoureux de « Guignol's Band » :

« On est parti dans la vie avec les conseils des parents. Ils n'ont pas tenu devant l'existence. On est tombé dans les salades qu'étaient plus affreuses l'une que l'autre. On est sorti comme on a pu de ces conflagrations funestes, plutôt de traviole, tout crabe baveux, à reculons, pattes en moins. On s'est bien marré quelques fois, faut être juste, même avec la merde, mais toujours en proie d'inquiétudes que les vacheries recommenceraient... Et toujours elles ont recommencé... Rappelons-nous ! On parle souvent des illusions, qu'elles perdent la jeunesse. On l'a perdue sans illusions la jeunesse !... Encore des histoires !...

Comme je dis... Ça s'est fait d'emblée. On était petit, con de naissance, tout paumé de souche.
On serait né fils d'un riche planteur à Cuba Havane par exemple, tout se serait passé bien gentiment, mais on est venu chez des gougnafes, dans un coin pourri sur toutes parts, alors faut pâtir pour la caste et c'est l'injustice qui vous broye, la maladie de la mite baveuse qui fait vantarder les pauvres gens après leurs bévues, leurs cagneries, leurs tares pustulantes d'infernaux, que d'écouter c'est à vomir tellement qu'ils sont bas et tenaces ! Mois après mois, c'est sa nature, le paumé gratis il expie, sur le chevalet « Pro Deo », sa naissance infâme, ligoté bien étroitement avec son livret matricule, son bulletin de vote, sa face d'enflure. Tantôt c'est la Guerre ! C'est la Paix ! C'est la Reguerre ! Le Triomphe ! C'est le Grand Désastre ! Ça change rien au fond des choses ! il est marron dans tous les retours. C'est lui le paillasse de l'Univers... Il donnerait sa place à personne, il frétille que pour les bourreaux. Toujours à la disposition de tous les fumiers de la planète ! Tout le monde lui passe sur la guenille, se fait les poignes sur sa détresse, il est gâté. J'ai vu foncer sur nos malheurs toutes les tornades d'une Rose des Vents, raffluer sur nos catastrophes, à la curée de nos résidus les Chinois, les Moldors, les Smyrnes, les Botriaques, les Marsupians, les Suisses glacieux, les Mascagâts, les Gros Berbères, les Vanutèdes, les Noirs-de-Monde, les Juifs de Lourdes, heureux, tout ça, bien régalés, reluis comme des folles ! A nous faire des misères abjectes et rien du tout pour nous défendre. François mignon, ludion d'alcool, farci gâteux, blet en discours, à basculer dans les Droits de l'Homme, au torrent d' Oubli, la peau et l'âme tournées bourriques de dégoutâtion d'obéir, de se faire secouer son patrimoine, son épargne mignonne, sa chérie, sa fleur des transes, que ça lui sert à rien jamais de s'évertuer froncer sérieux, que c'est plus franc à se mettre charogne et tout fainéant pisser sous lui, que c'est toujours du kif au même, qu'il est marron dans tous les blots, qu'il existe pas dans la course, qu'il est voué à dalle éperdu. De plus qu'en abjection du monde, il a dérouté les caprices qu'on se fatigue même de le dépecer, de le détruire encore davantage, qu'il est réprouvé de tous les bouts ! Le Puant à l'Univers ! Salut ! Encore un peu d'injustice, il s'abomine, dégueule son sort... C'est les protestations atroces.
La Révolution dans les âmes... Faut comprendre un peu les déboires. Tout le mode s'est venu faire la poigne sur lui en position soumise. Tout l'Univers s'est régalé sur Con-le-François-quoi-quoi-pute, jusqu'au moment où tout lui flanche, lui débouline par le fondement ! Alors c'est l'infection suprême et les plus acharnés s'éloignent... Il reste béant là sur l'étal... décomposé, vert à lambeaux, plus regardable... Il s'en dégage une odeur telle que les plus dégueulasses se tâtent, se tergiverssent pour le finir !... »

 

 

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