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29/06/2011

BULLETIN CELINIEN

Bulletin N° 331

 

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« Ce qui impressionnait d’abord, c’était son regard, intense, inquisiteur et subjuguant. » Ainsi s’exprime Colette Destouches en parlant de son père. Née à Rennes en 1920 d’Edith Follet, Colette TURPIN-DESTOUCHES s’est confiée à David Alliot qui rapporte dans son gros ouvrage « D’un Céline l’autre » paru dans la collection Bouquins chez Laffont en mai dernier, l’entretien qu’il eut avec elle en 2001. Dans le bloc-note de ce numéro 331, Marc LAUDELOUT livre quelques uns des propos qu’elle tint sur son père lors de la journée Céline du 30 mars 1996 où elle fut l’invitée d’honneur. Il y ajoute des extraits de souvenirs de Colette Destouches (souvenirs dont elle commença la rédaction dans les années 1990). Elle se souvient de la rédaction du voyage quand, toute petite, elle entendait son père déclamer au milieu de la nuit en riant, des morceaux de ce qu’il venait de coucher  du "Voyage", sur le papier…

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Colette à 13 ans

Elle explique comment la famille, et notamment l’oncle Louis, furent bouleversés à la lecture de « Mort à Crédit ». Elle se souvient de son père au retour de l’exil, quand elle le revit chez les époux Marteau à Neuilly : « … Je vis un vieillard méconnaissable, qui descendait au milieu des fresques, très doucement, tout en pleurant. Il est là, il se jette dans mes bras, et je le reconnais. Il est si léger, si vieux… Nous ne parlons pas. »

A la suite de ces confidences, on trouve une lettre de Céline à sa fille, datée de janvier ou février 1950. Il s’y plaint des conditions de vie dans sa « chaumière », de la pluie, du froid, de l’humidité glaciale… Six petits dessins exécutés de la main gauche accompagnent le texte.

L’académicien Frédéric VITOUX, l’un des biographes les plus connus de Céline, présente la récente étude d’Henri Godard parue chez Gallimard (594 pages, collection « biographies »). Disons le tout de suite, de lecture agréable et richement documenté, l’ouvrage est passionnant ; Frédéric Vitoux dit de cette somme qu’elle « dégage d’emblée une autorité que l’on pourrait qualifier de magistrale. Quel critique, quel historien, quel universitaire pourraient disputer aujourd’hui à Godard (à qui l’on doit entre autres les scrupuleuses éditions critiques de Céline en « Pléiade ») une telle maîtrise, nourrie par des dizaines d’années de réflexions, d’études, d’enseignement et d’analyses ? ». Cette biographie s’appuie tout entière sur la correspondance (très abondante) de l’écrivain ; c’est ce qui la rend si vivante et attractive.  On imagine le travail qu’il a fallu à son auteur pour sélectionner ces matériaux, les organiser, et construire sa biographie qui mérite de côtoyer les meilleures dans la bibliothèque des amateurs.

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 A la suite de cette présentation, le bulletin reprends des propos d’Henri Godard sur Céline, recueillis par Grégoire LEMENAGER, et parus dans le Nouvel Observateur du 19 mai 2011. Il y est question entre autres du « génie littéraire » et de l’attitude de Céline pendant et après la guerre.

On connaissait les confessions de Lucette Destouches à Véronique Robert, ouvrage critiqué en son temps pour son approche « approximative » de la vérité ; voici celles de la danseuse Maroushka : « Une enfance chez Louis-Ferdinand Céline », paru chez Michel de Maule. Il y est peu question de Céline, entre aperçu à la faveur des descentes et montées d’escaliers ! Marc Laudelout ne ménage pas ses critiques ! Il n’est pas le seul et comme il le fait remarquer à juste titre l’ouvrage aurait plutôt dû s’appeler «  Une enfance chez Lucette Destouches »… Mettons tout de même au crédit  de l’auteur le fait qu’elle restitue un peu pour son lecteur l’ambiance du 25 ter route des Gardes dans la description qu’elle fait de cette villa mystère nichée sur la pente d’un coteau dominant Paris au milieu d’un îlot de verdure peuplé d’animaux autour d’un vieil homme.

Autre spécialiste de Céline et non des moindres, Philippe Alméras vient de revoir et d’augmenter son volumineux « Céline, entre haines et passion » dont la première parution remonte à 1994. Il est interviewé ici par Marc Laudelout. A la question posée par ce dernier sur le peu d’empathie que son interlocuteur semble avoir  avec son sujet, Philippe Alméras répond : « C’est une impression que je regrette ; Si je n’avais pas « empathisé » avec l’homme et l’écrivain, je ne l’aurais pas fréquenté aussi longtemps et je n’aurais pas encaissé avec autant de constance les déboires que vous mentionnez… » Voici ce qu’il dit, plus loin, quand l’éditorialiste lui parle de Bagatelles pour un massacre comme l’un des chefs-d’œuvre de Céline sur le strict plan littéraire : « Je ne suis pas loin de partager cet avis dans le domaine de ce qu’il appelait « le style vengeance ». Mais je lis ce « pamphlet » dans la continuité des « romans » (…) ce qui me conduit à voir dans Bagatelles un « pamphlet-roman » : un roman non transposé, non crypté et un art poétique ».

Quant à savoir ce qu’il adviendra de la destinée de l’écrivain dans un siècle, voici comment il la voit :  « Si la neutralisation consensuelle des goûts et des idées se maintient et s’impose, Céline restera le réjouissant blasphémateur en valeurs humanitaires, le seul, l’unique ».

A lire également de Philippe Alméras :  « Voyager avec Céline » (210p. Editions Dualpha 2003) et : « Sur Céline » ( 250p. Editions de Paris 2008) et surtout le précieux "Dictionnaire Céline" ( 879p. Plon 2004).

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On trouvera en fin de bulletin un article de Robert GILLET paru dans « La dernière heure », Bruxelles 1950, et une note de Marc Laudelout au sujet de la correspondance à Alexandre Gentil ( directeur d’une clinique à Nogent-sur-Marne et ami très proche de l’écrivain). Ces 36 lettres, correspondant à 116 pages inédites, ont été acquises le 10 mai dernier par un collectionneur privé. Souhaitons qu’elles puissent, un prochain jour, faire l’objet d’une publication venant grossir la correspondance déjà volumineuse proposée par divers éditeurs.

27/05/2010

27 MAI 1894

 

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Comment ne pas évoquer ce 27 mai, la naissance de Louis Ferdinand CELINE ?

Il voit le jour vers 16 heures à Courbevoie, l'an 1894, 12 Rampe du Pont comme il le précise lui-même à plusieurs reprises dans ses textes ou ses interviews. Ainsi dès les toutes premières lignes du premier volume de la trilogie, « D'un château l'autre » :

« Pour parler franc, là entre nous, je finis encore plus mal que j'ai commencé... Oh ! j'ai pas très bien commencé... je suis né, je le répète, à Courbevoie, Seine... je le répète pour la millième fois... »

Dans la biographie magistrale qu'il lui a consacré, Frédéric Vitoux rappelle l'entretien de Céline avec André Parinaud, à Meudon, en 1953 : « Il m'a fallu cinquante-huit ans pour traverser la Seine. Car je suis né de l'autre côté, là-bas, et j'ai maintenant, tous les jours, le paysage de mon enfance sous les yeux. »

De son exil danois, il répondait en 1949 à Galtier-Boissière qui lui demandait une notice biographique : « Mon cher Galtier, le mieux est de m'inscrire comme « Louis-Ferdinand Destouches, né le 27 mai 1849 à Courbevoie (Seine) ». Ainsi mes amis et mes ennemis me verront cent ans et bien près d'être mort et seront tous bien contents. »

Donc, natif de Courbevoie, tout comme Arletty à laquelle il écrivait en 1947 : « Mon cœur est à la rampe du pont. » Et dans des lettres adressées du Danemark à Albert Paraz: « Embrasse Arletty pour moi. Je l'aime. On s'est dit au revoir sans grand espoir de se revoir en des temps bien abominables. Mais on a l'esprit du Pays entre nous, l'âme des choses et de la Rampe... J'ai des nouvelles... Il paraît que ça va bien... J'en suis heureux... elle est un bout de ma chanson... si déchirée... Qu'elle pense à moi passant par là rebord de la Seine... J'y suis toujours... »

 

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Il ne reste rien, aujourd'hui, de la Rampe du Pont, sinon le souvenir qu'évoque François Gibault, dans le premier des trois volumes d'une biographie qui fait référence : « La Rampe du Pont, aujourd'hui disparue, permettait aux véhicules venant de Courbevoie d'accéder au pont de Neuilly. Venant de Paris, quand on tournait à droite, juste après avoir franchi le pont, on passait devant chez les Destouches. Les habitations de la Rampe qui étaient pour la plupart des petites maisons à un étage ont été démolies et les rues débaptisées. La Rampe du Pont, qui se situait à la fin du siècle dernier entre la Seine, la rue Hébert, la cour de l'Ancre et la place Napoléon-Ier, se trouva prise pour un temps entre l'avenue du Général-de-Gaulle, qui mène au Rond-Point de la Défense, la rue des Anciens-Combattants et le square des F.F.I. Les travaux d'aménagement du quartier de la Défense ont à nouveau tout bouleversé. Aujourd'hui, immuable et sereine, il ne reste que la Seine à n'avoir pas encore changé de nom. »

Terminons cette évocation par cet extrait de lettre à Albert Paraz, datée du 4 octobre 1947, cité par François Gibault : « Je suis né à Courbevoie, 12 Rampe du Pont, en 1894, la Seine a gelé, ma mère crachait le sang, comme toi, de misère il faut le dire, elle a vécu 74 ans. Elle était ouvrière dentellière. Elle est morte aveugle. On a toujours été bien travailleur dans ma famille. Et bien cons. Arletty, ma pote, est aussi ma payse, elle est née à Courbevoie, un peu plus bas, Rampe du Pont. Quand tu sortiras tu iras voir la caserne, elle est célèbre par son architecture militaire Restauration. Vigny y a tenu garnison.

Henri IV a failli se noyer, Rampe du Pont, au gué d'autrefois, en allant rendre visite à je ne sais quelle putain. Plus exactement passage de l'Ancre, une petite impasse en revers de la rampe, ah, on en connaît un bout sur la banlieue ! Mon cœur y est toujours. »

Céline fut unique et le restera. Inégalable, inégalé, il continue de briller comme l'astre d'Apollon sur la littérature du XXème siècle et continuera d'éclairer celle des siècles à venir, sans être prêt de s'éteindre.

Voici, en souvenir de son anniversaire de naissance, un extrait un peu long mais savoureux de « Guignol's Band » :

« On est parti dans la vie avec les conseils des parents. Ils n'ont pas tenu devant l'existence. On est tombé dans les salades qu'étaient plus affreuses l'une que l'autre. On est sorti comme on a pu de ces conflagrations funestes, plutôt de traviole, tout crabe baveux, à reculons, pattes en moins. On s'est bien marré quelques fois, faut être juste, même avec la merde, mais toujours en proie d'inquiétudes que les vacheries recommenceraient... Et toujours elles ont recommencé... Rappelons-nous ! On parle souvent des illusions, qu'elles perdent la jeunesse. On l'a perdue sans illusions la jeunesse !... Encore des histoires !...

Comme je dis... Ça s'est fait d'emblée. On était petit, con de naissance, tout paumé de souche.
On serait né fils d'un riche planteur à Cuba Havane par exemple, tout se serait passé bien gentiment, mais on est venu chez des gougnafes, dans un coin pourri sur toutes parts, alors faut pâtir pour la caste et c'est l'injustice qui vous broye, la maladie de la mite baveuse qui fait vantarder les pauvres gens après leurs bévues, leurs cagneries, leurs tares pustulantes d'infernaux, que d'écouter c'est à vomir tellement qu'ils sont bas et tenaces ! Mois après mois, c'est sa nature, le paumé gratis il expie, sur le chevalet « Pro Deo », sa naissance infâme, ligoté bien étroitement avec son livret matricule, son bulletin de vote, sa face d'enflure. Tantôt c'est la Guerre ! C'est la Paix ! C'est la Reguerre ! Le Triomphe ! C'est le Grand Désastre ! Ça change rien au fond des choses ! il est marron dans tous les retours. C'est lui le paillasse de l'Univers... Il donnerait sa place à personne, il frétille que pour les bourreaux. Toujours à la disposition de tous les fumiers de la planète ! Tout le monde lui passe sur la guenille, se fait les poignes sur sa détresse, il est gâté. J'ai vu foncer sur nos malheurs toutes les tornades d'une Rose des Vents, raffluer sur nos catastrophes, à la curée de nos résidus les Chinois, les Moldors, les Smyrnes, les Botriaques, les Marsupians, les Suisses glacieux, les Mascagâts, les Gros Berbères, les Vanutèdes, les Noirs-de-Monde, les Juifs de Lourdes, heureux, tout ça, bien régalés, reluis comme des folles ! A nous faire des misères abjectes et rien du tout pour nous défendre. François mignon, ludion d'alcool, farci gâteux, blet en discours, à basculer dans les Droits de l'Homme, au torrent d' Oubli, la peau et l'âme tournées bourriques de dégoutâtion d'obéir, de se faire secouer son patrimoine, son épargne mignonne, sa chérie, sa fleur des transes, que ça lui sert à rien jamais de s'évertuer froncer sérieux, que c'est plus franc à se mettre charogne et tout fainéant pisser sous lui, que c'est toujours du kif au même, qu'il est marron dans tous les blots, qu'il existe pas dans la course, qu'il est voué à dalle éperdu. De plus qu'en abjection du monde, il a dérouté les caprices qu'on se fatigue même de le dépecer, de le détruire encore davantage, qu'il est réprouvé de tous les bouts ! Le Puant à l'Univers ! Salut ! Encore un peu d'injustice, il s'abomine, dégueule son sort... C'est les protestations atroces.
La Révolution dans les âmes... Faut comprendre un peu les déboires. Tout le mode s'est venu faire la poigne sur lui en position soumise. Tout l'Univers s'est régalé sur Con-le-François-quoi-quoi-pute, jusqu'au moment où tout lui flanche, lui débouline par le fondement ! Alors c'est l'infection suprême et les plus acharnés s'éloignent... Il reste béant là sur l'étal... décomposé, vert à lambeaux, plus regardable... Il s'en dégage une odeur telle que les plus dégueulasses se tâtent, se tergiverssent pour le finir !... »

 

 

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