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17/02/2017

BAGATELLES POUR UN CADAVRE

L’ouvrage que viennent de faire paraître M. Taguieff et Mme Duraffour, s’il nous tombait des mains sur les pieds, nous ferait assurément plus mal que ceux de ce cher Antoine Blondin n’en auraient fait sur les pieds de Ferdinand ! 

D’abord par son poids (près de 1200 pages, dont plus de 380 de notes et références ce n’est pas rien !) ensuite par son contenu répétitif, lourd comme du plomb. Du plomb de chasse s’entend, du gros calibre, tiré à bout portant sur la bête noire que M. Taguieff et Mme Duraffour se sont promis d’abattre. Calibre 12 pour Ferdinand, matraque pour le lecteur, pour bien lui faire entrer dans le crâne au lecteur que Céline fut un salaud sur toute la ligne, un salaud consommé, forcené, voire atavique, du tout fréquentable, de surcroît au talent discutable, à peine ces légistes accordent-ils aux deux premiers romans un intérêt littéraire à l’exclusion de toute la suite. Comme quoi la haine rend aveugle. Cela étant, leur livre n’apprendra rien aux céliniens qu’ils ne sachent déjà.

 

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A la lecture de l’ouvrage on sent que M. Taguieff, qui s’est tapé à lui seul le plus gros du pavé, s’est donné un mal fou pour tenter de régler définitivement le compte à son  salaud  favori et, comme aurait dit ce dernier, lui clouer le bec « une fois pour toutes ! ».

Mais c’était oublier l’écho, la petite musique de l’écho que rien n’arrêtera jamais plus, pas même la plume de M. Taguieff aussi habile soit-elle, ni encore moins celle de Mme Duraffour qui pourtant s’est fait un devoir d’extirper comme une tumeur cancéreuse le mal absolu des écrits maudits, pour éviter que les métastases n’envahissent, comme elles l’ont fait des céliniens, célinologues, célinomanes, célinolâtres et autres abrutis familiers de l’homme et de l’oeuvre, les cervelles des générations de lecteurs à venir, s’il s’en trouve encore, parce qu’au train où vont les choses, on peut douter.

M.Taguieff a donc servi la bête en premier piqueur et Mme Duraffour, dans la foulée, est venue lui disputer la curée, les fouailles, en expliquant comment Céline non seulement aurait été au courant du sort réservé aux Juifs par les hitlériens, aurait été autant dire dans la confidence des dignitaires nazis, mais par sa plume débridée, aurait contribué ni plus ni moins à lui tout seul à remplir les camps et conséquemment, à l’élimination physique des détenus.

Ce n’est pas rien d’avoir engrangé un aussi grand nombre de preuves qui, pour beaucoup, n’en sont pas, ou du moins ne sont qu’apparences de preuves, en quoi il est malhonnête de les présenter comme preuves.

Certes, il est des mots qui tuent, qui tuent moralement, parce que physiquement ça s’est encore jamais vu. Ça n’excuse pas tout mais enfin, des mots restent des mots, aussi « nauséabonds » soient-ils pour nos co-auteurs.

Qu’attendent-ils M. Taguieff et Mme Duraffour du « clochard » de Meudon, des excuses puisque c’est la mode d’en faire ? des excuses posthumes s’entend ?

M’est avis que s’il sortait de sa tombe, Ferdinand leur en ferait à sa manière à tous deux des excuses et de belles ! ils verraient alors, nos co-auteurs, ce qu’il en coûte de fouiller les poubelles au crochet, car s’il y a du délateur chez Céline, il y a assurément du flic chez ces deux-là qui, faute de pouvoir le pendre en réalité le pendent en effigie.

Cela étant, on ne niera pas que les co-auteurs de ce volumineux dossier à charge aient une grand érudition, qu’ils aient beaucoup lu, remué beaucoup de poussière, balayé large, traqué l’antisémite jusqu’au diable Vauvert, qu’ils soient descendus « travailler » en Torquemada Céline aux enfers, y débusquer même Aristide Bruant, le chansonnier populaire !

Répéter à longueur de lignes que Céline fut un délateur doublé d’un ladre et d’un pleutre, un plagiaire de culture superficielle pétri de vulgarité et de formules toutes faites, sans profondeur d’intelligence ni d’esprit, que de surcroît ce fut un monstre dépourvu de toute forme d’empathie, un suppos de Satan, c’est un point de vue que nous sommes quelques uns, tout de même, à ne pas partager.

Céline sans aucun doute connaissait sa « viande » pour ne pas se faire trop d’illusions sur celle des autres, et parce qu’il se méfiait de « l’homme » et de sa nature imprévisible (homo homini lupus), il en a voulu aux hommes en général. C’est par là qu’il gêne ses détracteurs en particulier qui tous, généralement, sont de grands humanistes nés à des encablures du rivage de la grève sur laquelle lui, il a vu le jour. Rappelons-nous :« C’est naître qu’il aurait pas fallu. », ceci explique peut-être que l’auteur des pamphlets ait cristallisé dans le « juif » tout ce qu’il sentait d’exécrable dans l’humain, en acte, et au fond de lui, en sommeil. Ce faisant, en réveillant ce vieux démon qui dort en chacun de nous, qui le premier a abattu la mâchoire d’âne sur la tête de l’autre, il a pris un risque énorme, celui de ne pas suffisamment le tenir en laisse, ce en quoi il a péché par défaut quand M. Taguieff et Mme Duraffour, s’érigeant en justiciers, pèchent à son endroit par excès et sans scrupules.

J’aurais assez bien vu, moi, en première page de leur réquisitoire la parole de Desnoyers : « Il est des morts qu’il faut qu’on tue. »

C’est gênant, des fois, les morts, surtout quand ils ont eu le talent qui les a fait passer à la postérité.

« …J’aime mieux raconter des histoires. J’en raconterai de telles qu’ils reviendront, exprès, pour me tuer, des quatre coins du monde. Alors ce sera fini et je serai bien content. » (Mort à Crédit)

 

 

16/02/2011

BULLETIN CELINIEN

Bulletin célinien N° 327

 

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Consacré pour l’essentiel aux réactions entraînées par la décision du Ministre de la Culture de retirer le nom de Céline du recueil des célébrations nationales 2011, ce numéro de février reprend un très beau texte de Jean DUTOURD écrit en 1972, à l’occasion de la mort de Lucien Rebatet. On y trouvera également la suite de l’étude de Laurie VIALA (Illustrer le texte célinien, III), ainsi qu’un calendrier dressé par l’éditorialiste pointant les principaux refus de toutes les tentatives visant à rendre hommage à l’écrivain.

2011, n’en déplaise à certains sera l’année Céline par excellence et tous les commémorés, soyons en sûr, ne seront pas de taille à y porter ombrage. Saluons pour commencer l’initiative de France Culture qui diffuse cette semaine, tous les soirs à 20 heures, quelques unes des interviews peu connues. C’est toujours un plaisir de les redécouvrir et c’en est un assurément de les entendre pour la première fois.

Comme le note Marc LAUDELOUT dans son éditorial, à présent que 10.000 exemplaires du premier tirage du recueil sont passés au pilon : « La morale républicaine est sauve et Serge Klarsfeld dit son « soulagement »…

On l’a compris, le maître chanteur –qui n’en est pas à son coup d’essai - a été entendu et deux fois plutôt qu’une par ses thuriféraires qui, quelle que soit leur place au plus haut niveau de l’Etat, ne sont à les regarder de près que ses sous-fifres ou, comme aurait dit elle-même la bête noire de monsieur Klarsfeld : des petits « à la manière de… ».

On imagine la réaction d’Henri GODARD (lequel avait rédigé le texte sur Céline) devant l’attitude du ministre ! Voilà de quoi vous débarrasser une fois pour toutes de vos illusions ! On consultera à ce propos la note de la page 9 du bulletin : « Monsieur Klarsfeld a le bras plus long que moi. »

On lira successivement les points de vue de Philippe BILGER, avocat général près la cour d’appel de Paris, et celui de Jérôme LEROY, écrivain et journaliste.

Nous retiendrons la conclusion du premier : « Ce serait une seconde mort de Louis-Ferdinand Céline (…) L’humanité dans sa totalité serait privée de lumières décisives sur elle-même si un ressentiment collectif, plus d’un siècle après sa naissance, parvenait à nous persuader que la morale du grand écrivain est plus importante que son œuvre.

Pour ma part je continuerai à lire avec passion Céline et même s’il avait été aussi un « parfait salaud », ce ne serait pas à d’autres qu’à moi d’en décider et d’en tirer les conséquences. »

Le second, qui observe que « les grands céliniens ont réglé ce problème des pamphlets quand ils veulent montrer la portée de cette œuvre majeure qui reçoit aujourd’hui les postillons d’indignés qui n’ont décidément que ça à faire. Ils prennent tout, dans sa globalité, ils n’éludent pas. » en profite au passage pour donner une leçon de grammaire à Monsieur Delanoë, lequel, encore une fois, a manqué l’occasion de se taire.

On lira enfin le point de vue de Pierre ASSOULINE, romancier, journaliste et critique littéraire qui, après avoir appris la décision du ministre, juge que « la volte-face est indigne et injustifiable. On saura désormais à quelle aune il convient de mesurer les prochaines décisions du ministre de la Culture. En attendant, son art consommé de la langue de bois lui permettra certainement d’expliquer comment son désaveu n’a en rien bafoué l’indépendance des historiens, conservateurs et universitaires membres du Haut Comité chargé de préparer les célébrations nationales. »

Parmi les nombreuses autres réactions, on retiendra celle d’Alain CORBIN : «… il y aura toujours quelqu’un pour dire qu’il est inadmissible de célébrer Thiers parce qu’il a écrasé la Commune, Turenne parce qu’il a ravagé le Palatinat et Rousseau parce qu’il a abandonné ses enfants. » ; celle d’Anne  KLING : «  … on en arrive tellement au stade de la caricature dans les exigences formulées et les empressements serviles à y répondre qu’il faut ça pour dessiller certains yeux qui n’avaient pas encore saisi l’ampleur de la chose. En ce sens, ces dérisoires polémiques, parfaitement à l’image d’un pouvoir lui-même minable, sont des plus utiles et nécessaires. » ; et celle de Philippe REGNIEZ, éditeur : « Quant à la commémoration elle-même, outre qu’en retirer Céline est de la censure pure et simple, elle ne nous fait ni chaud ni froid quand on regarde les personnages qui ont les faveurs du ministère de la culture, et les noms de ceux qui aujourd’hui reçoivent la légion d’honneur. Grâce à Dieu, l’œuvre de Céline se place à un autre niveau et c’est à ce niveau-là qu’il convient de savoir si les Français d’aujourd’hui méritent ou non Céline. »

Félicitons Marc Laudelout d’avoir repris dans son bulletin l’article que fit paraître Jean Dutourd en 1972 dans l’hebdomadaire Matulu. On y retrouve tout le talent de notre cher académicien et surtout son discernement en face de la conjuration des imbéciles. Remplaçons le nom de Rebatet par celui de Céline et on aura la réponse qu’il aurait pu faire aux zélés censeurs du système :

« … un artiste est essentiellement un homme qui se métamorphose. (…) Evidemment, il est impossible de faire comprendre cela aux terroristes de la vie littéraire française qui ont des catégories mentales de conseillers municipaux. Pour eux, un individu comme Rebatet doit être supprimé ou tout au moins réduit au silence pour diverses raisons : parce qu’il est un grand pécheur, parce qu’il a choisi le noir au lieu du blanc (crime métaphysique), parce qu’il est un ennemi politique, enfin parce que le talent est par nature antipathique. »

C’est à un éloge de Tardi que se livre Laurie Viala dans la troisième partie de son étude et elle a raison, parce que l’illustrateur de Céline non seulement connaît tous les coins et les recoins du Paris de la jeunesse de Ferdinand mais aussi parce qu’il a été vérifier sur place le décor des théâtres d’opération extérieurs à la capitale. Et puis, comme l’auteur du Voyage, Tardi, il faut le reconnaître, excelle dans l’allégorie, dans « l’hallucination que la réalité provoque », pour ne pas faire mentir André Gide.

 

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On retrouve les mêmes décors et scènes de rue dans les fantastiques aventures d’Adèle Blanc-Sec, la couleur en plus, car Tardi, au même titre qu’un dessinateur, est un coloriste. A tel point que son trait noir et blanc et ses à-plats  qui illustrent le texte célinien, renferment aussi de la couleur ; mais il a eut raison, il fallait la suggérer ici et ne point la montrer : Le sang comme la boue se suffisent à eux-mêmes.

En lisant les « Années d’opprobres » qui couvrent la troisième de couverture de ce numéro 327, on se pose la question de savoir quelle nouvelle offense, quelle nouvelle insulte sera faite à la mémoire du veilleur de la route des Gardes. Hélas, il n’est plus là pour mordre ! C’est bien dommage…