23/09/2010
BULLETIN CELINIEN
Bulletin célinien N° 322
On trouvera dans cette livraison un texte des plus intéressants livré à la Revue célinienne en 1979 par Jean ROUGERIE. C’est à cet acteur de second rôle (qui tourna cependant dans plus de cinquante films), à cet homme de théâtre « indépendant », que l’on doit la première adaptation à la scène des « Entretiens avec le Professeur Y ». C’était en 1975, et le spectacle eut lieu à Antony, sur les planches du théâtre Firmin- Gémier qu’il dirigeait.
Comme le fait remarquer le texte, le titre n’allait pas de soi, et le risque était grand d’essuyer un échec, cependant, contre toute attente, la pièce reçut un accueil des plus chaleureux , au point que Jean Rougerie entreprit de la rejouer à trois reprises, en 1976, 1981 et 1986 sous le titre « Interviouve ». L’acteur y excella, tout autant que Jean Saudray qui lui donnait la réplique. Ceux de ma génération qui ont pu voir le téléfilm « Quatre-vingt-treize » réalisé par Alain Boudet en 1962 sur un scénario de Claude Santelli, se souviennent de Jean Saudray, l’inoubliable Halmalo de l’œuvre hugolienne. Il fit un « Professeur Y » des plus convaincant.
C’est par Paul Chambrillon -comme il le confesse dans l’article- que Jean Rougerie fit la connaissance de Céline. Et c’est par là, pourrait-on dire, que tout a commencé :
« On parle de tout avec Chambrillon. De Céline aussi. Il l’a connu (…) On écoute les chansons… évidemment, je me mets à lire Céline. C’est très beau, c’est très grand ! Admirable, émouvant ! Quel poète ! Lyrique ! Toujours lyrique !... Je ne parlerai pas de lui plus longuement… ce n’est pas l’envie qui m’en manque, remarquez… mais je ne suis pas critique (c’est bête mais chacun de nous l’a ressenti, n’est-ce-pas ?... vous avez vu les trois points… l’influence naturellement… Quand on vient de lire Saint-Simon, c’est pareil… On ne rêve plus que d’imparfaits du subjonctif, même pour écrire à son percepteur…)
Alors Rougerie est conquis, enthousiasmé, et, comme il le précise lui-même, le théâtre étant « un acte essentiellement amoureux », il montera la pièce en procédant à « quelques aménagements scéniques » et en se résignant à devoir couper la fin :
« Bien plus douloureuse fut ma décision de couper toute la fin qui n’est que récit fantastique, mais récit tout de même (…) Si on veut le rendre scénique, il faut le Châtelet. C’est une autre option. »
Jean Rougerie ne rencontra Céline qu’au travers de ses œuvres, mais il eut, grâce à Paul Chambrillon, le bonheur de pourvoir s’entretenir avec Madame Destouches :
« Madame Destouches est là, charmante, gentille comme il n’est pas possible. Elle vous écoute, vous répond mais, malgré elle, est mal rassurée… on lui donne l’impression qu’on veut encore du mal à son mari. Au travers de ses paroles toutes douces, on croit entendre : « Je vous en supplie ! Laissez-le tranquille ! Ne lui faites plus de mal ! »
On notera cette observation de Jean Rougerie et on s’en souviendra :
« On parle Céline, on ne le joue pas. Parce qu’il y a avant tout, chacun le sait, un langage Céline. Inutile donc de chercher autre chose : tout est là, clair, brillant, scintillant, génial. Le texte classique en somme. »
C’est, en effet, suffisamment clair et il n’y a rien à ajouter.
Né le 9 mars 1929 à Neuilly sur Seine, Jean Rougerie a quitté définitivement la scène le 25 janvier 1998 à Ivry sur Seine. Un célinien de cœur s’en est allé ce jour là.
Le texte de Paul CHAMBRILLON lui rendant hommage, publié en 1998, est repris dans le présent numéro : « Salut mon vieux Jean. Te voilà rendu sur des rives que l’on espère paisibles… »
A l’occasion de l’ « Affaire Bettancourt », tant médiatisée, Marc LAUDELOUT apporte quelques précisions sur les relations de « Céline et l’Oréal ». Comme l’éditorialiste l’explique, la méfiance –a tord ou à raison- de l’écrivain à l’égard d’Eugène Schueller, ne l’a pas empêché, se trouvant exilé au Danemark, de sympathiser avec le représentant de l’Oréal à Copenhague. Il nous rappelle aussi que Pierre Monnier, l’auteur de « Ferdinand furieux », célinien de toujours, fit, à partir des années cinquante, toute sa carrière chez l’Oréal qui fut, soit dit en passant, une arche bien venue pour nombre de « réprouvés » de la dernière guerre.
Maître François GIBAULT, de son côté, accorde à Frédéric SAENEN, quelques éclaircissements quant aux tribulations de l’auteur du Voyage avec le Droit. Le ton est donné :
« Céline se méfiait des juges (…) Il préférait régler lui-même ses comptes, à sa manière, en « duel », comme il le fit avec Sartre. ».
Deux avocats comme on sait, eurent à défendre Céline : Maître Tixier-Vignancour et Maître Albert Naud. Et comme le rapporte François Gibault, les deux hommes ne s’aimaient guère, justement à cause de Céline. L’honneur revint à Tixier d’obtenir, « par un formidable tour de passe-passe (…) l’amnistie qui permit à Céline de revenir en France sans risque d’arrestation. »
François Gibault, rappelons le, est président de la Société des Etudes céliniennes. A ce titre et depuis 25 ans, il organise tous les deux ans un colloque international où se retrouvent chercheurs et enseignants « venus des quatre coins du monde ».
A la question posée par Frédéric Saenen : « Quand l’œuvre de Céline tombera-t-elle dans le domaine public ? » réponse est donnée que ce sera en 2031 et non, précise Maître François Gibault, « en 2011 comme beaucoup le croient, puisque la protection est maintenant de 70 ans à compter du décès de l’auteur, avec cette précision que, pour les œuvres posthumes, ce délai ne courre qu’à compter de la publication. »
François Gibault, tout en regrettant de ne pas avoir connu l’ermite de Meudon, pense, comme biographe, qu’il en a peut-être été mieux ainsi. Dans le cas inverse, c’eut sans doute été au risque de se voir égarer sur de fausses pistes par celui, justement, qui n’aimait guère qu’on parle de lui, ni qu’on le montre. On sait combien, sur le chapitre, ses photographes ont dû jouer de ruse et l’on imagine quels efforts ont dû déployer ceux qui ont réussi à le « traîner » derrière la caméra ! Et pourtant, quel homme s’y est montré plus vrai et moins surfait que lui ?
On ne refermera pas ce 322ème numéro sans évoquer la première partie de l’étude de Gérard PEYLET sur « Le paysage urbain crépusculaire dans Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit. ». Cette étude est tirée du 68ème cahier du Laboratoire Pluridisciplinaire de Recherches sur l’Imaginaire appliqué à la Littérature, des Presses Universitaires de Bordeaux (2005).
L’auteur, au travers d’extraits choisis, dégage la caractéristique du paysage célinien qui est la part d’ombre, entre chiens et loups, par laquelle il nous séduit. Peut-être, au fond, parce que c’est dans le noir que pousse la graine, et que cette œuvre, à sa manière, est lumineuse. Quoi que lunaire, c’est toujours de la lumière du soleil qu’il s’agit ; c’est justement par ce côté là que Céline brille.
Cette grande caractéristique du paysage célinien qu’évoque l’auteur de l’article : « L’attirance du néant à travers des images de décomposition, de dissolution, de chute. » n’est-elle que cela ? N’est-elle pas aussi la tentative d’en finir une fois pour toutes avec « la confusion, l’enlisement, la misère », le mal ?
Ah ! que ne cache-t-il pas cet horizon de suie ! Il faut donc chercher au-delà du noir et du désespoir pour trouver ce que portent en eux de compassion les mots et les images ; il faut « marquer le pas » comme devant ces tableaux que l’on regarde parfois dans les musées sans les voir… Il faut s’arrêter dans l’œuvre célinienne comme on le sent, quand on le sent, et passer en quelque sorte de l’autre côté pour comprendre la parole de Nietzsche : « Ecris avec ton sang, et tu sauras que le sang est esprit. »
18:21 Publié dans notes de lecture | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : céline, laudelout, chambrillon, monnier, gibault, rougerie, saudray, nietzsche
09/11/2009
A PROPOS DE MURS
Tout a été dit sur la chute du mur de Berlin... ou presque.
Néanmoins, et à la faveur de l'anniversaire de cet événement aujourd'hui vieux de vingt ans qui projeta derechef dans « l'Histoire » ceux qui pensaient en être sortis, du moins à l'est, rappelons quelques évidences :
- La première, c'est qu'il n'est point de muraille qui ne puisse être franchie ;
- La seconde, c'est que la solidité d'un mur vaut ce que vaut celle de ceux qui l'ont édifié ;
- enfin la troisième c'est que les murs les plus solides ne sont pas de nature à se laisser photographier...
De tout temps et en tous lieux les hommes ont élevé des murs, il n'est que de parcourir la « toile » à défaut de parcourir le vaste monde pour s'en convaincre !
Les plus anciens -souvent d'ailleurs les plus solides- ont laissé de belles traces : Grande Muraille de Chine, murs cyclopéens amérindiens, mur d'Hadrien, murs vitrifiés, enceintes de toutes sortes et de toutes catégories... Bref, on s'enfermait pour se protéger. En cela, le limes romain, séparant la « civilisation » des « barbares », faisait en occident figure de pionnier par sa longueur, sans concurrencer pour autant la Grande Muraille. On sait -ou on imagine- ce qu'il en coûta d'efforts aux culs-terreux du temps pour élever l'un et l'autre !
Avec le progrès (empiler des agglomérés de ciment ou couler du béton de décoffrage, étant devenu un jeu d'enfant ou presque) et la machine aidant, on ne se priva pas, sous des prétextes variés, de matérialiser et si possible de façon durable, certaines frontières qu'on voulait rassurantes et qui sentaient le soufre, poison comme chacun sait de toutes formes de subversions...
Et parce qu'il convenait de contenir l'ennemi, du dehors comme du dedans, on ne lésina pas sur les moyens à engager. Ainsi la ligne Maginot, construite à grands frais sur le dos du contribuable, merveille de technologie et quoique coriace, ne suffit-elle pas à contenir les panzers des divisions du voisin. C'est qu'elle n'était pas achevée me direz-vous ! Possible ; mais un mur n'est jamais achevé tout à fait, ni sur la longueur, ni et encore moins sur la hauteur : il y a toujours moyen de le contourner ou de le passer, par le haut ou par le bas. Ceux qui l'ont fait en savent quelque chose ! du moins ceux qui en sont revenus !
Aussi n'était-il que temps, le 9 novembre 89 de mettre un terme à celui de Berlin.
Qu'il ait emporté avec ses décombres une partie du « soviétisme », nulle ne le contestera ; mais force est de constater qu'il n'a rien emporté du communisme qui hélas, dans ses derniers bastions, continue à faire son content de victimes quotidiennes ; tout autant d'ailleurs qu'en peut faire le capitalisme vorace, sans foi ni loi, dont la chute du même mur a favorisé l'irrésistible et cruelle expansion. Voyez où nous en sommes ! Alors « la liberté pour quoi faire ? » aurait dit Bernanos, oui, la liberté pour quoi faire quand, aux murs du dehors, les financiers internationaux et leurs affidés ont substitué ceux du dedans, bien plus redoutables encore ! Qu'on ne passe pas parce qu'on n'en voit ni le début ni la fin ! ni l'incommensurable hauteur, ni l'abyssale profondeur...
Ces colosses nous écrasent, nous violent et nous vident sans états d'âme. Non contents de piller les richesses de la planète et de cambrioler les caisses des états, il leur faut d'avantage encore cambrioler les cerveaux des ressortissants. Grands démolisseurs de frontières ils moissonnent large et s'entendent avec l'ennemi d'hier pour en finir une fois pour toutes avec la diversité, les particularismes, les identités et la richesse des « nations », ennemis du jour. Et s'il flattent apparemment les différences en faisant croire à la valeur de l'échange et au grand partage, c'est à seules fins d'enterrer définitivement, dans la grisaille de lendemains qui déchanteront et dont on ne revient pas, l'idée même d'appartenance à une communauté de destin.
La chose n'est pas nouvelle, diaboliser les particularismes et l'idée de nation a toujours été le fait des apatrides, de ceux qui se veulent les « citoyens du monde ». Dès lors, le combat (s'il y en a un) ne se posera plus en terme de lutte de classes dans une dialectique qui a fait son temps mais en lutte de castes, non point dans l'acception traditionnelle (tri fonctionnalité), mais dans celle du bipartisme entre Nantis (Bobos et Néocons détenteurs du pouvoir = Citoyens du Monde) et les Autres... Ces Autres, dont nous sommes un certain nombre à faire partie, je les opposerai volontiers comme « Sujets de la Terre », aux Citoyens du Monde, parce que c'est bien d'une inversion des valeurs qu'il s'agit. Ces citoyens du monde sont des colosses aux pieds d'argile ; comme Druon Antigon a trouvé sur son chemin le centurion Gracchus Brabo, ils trouveront un jour le leur (pas si lointain peut être), avec lequel il devront compter. Ne serait-ce que parce que ce monde transitoire est soumis au mouvement éternel qui ébranle toutes les forteresses et fait s'écrouler tous les murs... et surtout :
parce qu' "il y a tant d'aurores qui n'ont pas encore lui"...
Friedrich Nietzsche, Aurore, 1881
15:56 Publié dans Chroniques du temps présent | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : berlin, soviétisme, bernanos, nietzsche