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17/05/2022

ISALINE DES MONTAGNES

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Crédit photo Le Nouvelliste

 

Partir seule à seize ans accompagnée de deux boucs sur les sentiers des Alpes Suisses témoigne d’un caractère bien trempé, d’une confiance absolue dans sa bonne étoile et d’un grand courage. Ça n’est pas donné à tout le monde ! Ça l’est d’autant moins quand la résistance physique et la force mentale font défaut. Isaline, qui ne manque ni de l’une ni de l’ autre, s’est lancée dans l’aventure le 2 août 2021 avec l’intention, sur un parcours de plus de 200 km de relier par les pistes des crêtes et des cols, le Simplon au Grand Saint Bernard en compagnie de ses deux caprinés.

Les video réalisées par Alexandre Lachavanne, consultables sur le site « Passe-moi tes jumelles » dont on trouvera les liens infra, relatent toutes deux cette aventure peu commune surtout en raison de l’âge de la protagoniste. Il suffira d’ailleurs, pour bien comprendre la motivation de cette dernière et en peser le poids, de se poser la question : « Voyons, que faisais-je au même âge ? », on aura la réponse et on comprendra ce que « détermination » et « confiance » veulent dire.

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Isaline, assurément, en sait quelque chose ! En la suivant par l’image et par la pensée sur les pentes alpines, on comprend au fil de magnifiques horizons, que l’« âme de la montagne » et Isaline ne font qu’un et l’on pense au chantre de l’Auvergne, l’écrivain Henri Pourrat immortel auteur de Gaspard des Montagnes. Isaline à ce propos, semble sortie tout droit des pages du livre-trésor ayant enchanté ma jeunesse. Quand il m’arrive aujourd’hui de le tirer des rayons de ma bibliothèque pour en relire les dernières pages, l’émotion qui me saisit est toujours la même quand à l’aube, le soleil paraissant à Pierre sur Haute, on ne sait exactement ce qu’il advient d’Anne-Marie Grange, on ne peut qu’imaginer et il convient de le faire par le cœur plutôt que par la tête car le cœur lui, ne ment pas.

Je ne doute pas qu’Isaline eût enchanté Henti Pourrat s’il l’avait connue tant elle me semble partager avec l’héroïne de « Gaspard » des qualités rares. Des qualités remontées du vieux monde, quand ce dernier avait encore un sens, quand la liberté de faire ou de ne pas faire relevait exclusivement du message délivré par le Christ mort aussi pour l’âne roué de coups et tous les souffrants de la terre.

Nul doute qu’Isaline ait en partage des frères et des sœurs de par le vaste monde. Des compagnons à la foi de charbonnier ayant pour devise « Ne crains point, crois seulement » ; des compagnons à l’âme bien trempée ayant compris qu’en venant au monde, ils l’avaient reçu en dépôt et qu’ils en étaient, conséquemment responsables…

Isaline aux tresses d’or et aux yeux de bleu céleste, à peine sortie de l’adolescence n’est pas née d’hier ; il y a des lustres que son âme court la montagne en compagnie du petit peuple qui ne se montre ordinairement qu’aux cœurs purs. En compagnie du petit peuple et de ses chers compagnons qu’on appelle des « bêtes », allez savoir pourquoi ?, je lui souhaite de courir longtemps dans le vent de la Montagne et quand ce dernier décidera de l’emporter de méditer devant que de partir pour le grand voyage, le beau poème du sage père de Gaspard : le Vent de la Montagne…

…Je veux partir, je veux prendre la porte,

Je veux aller

Là où ce vent n'a plus de feuilles mortes

A râteler…

 

Elles ne courent pas les rues les filles comme Isaline. En ces temps obscurs de corruption et de dilution consommée de toutes les valeurs elles sont la promesse de l’aube et l’espérance de lendemains meilleurs. On nous dirait qu’elles descendent directement du Ciel, qu’elles sont nées de la rosée et du sel de la Terre qu’il ne nous viendrait pas à l’esprit d’en douter.


 


07/05/2010

7 MAI 1887

 

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Naissance d'Henri POURRAT à Ambert dans le Puy-de-Dôme le 7 mai 1887

« C'était, dit la vieille, au temps du grand Napoléon, et quand on commença de faire la guerre en Espagne... », ainsi commence la première pause de la première veillée de Gaspard des Montagnes d'Henri Pourrat.

« Le plus loin dont il me souvienne, c'est 1815, l'année que les étrangers vinrent à Paris, et où Napoléon, appelé par les messieurs du château de l'Herm « l'ogre de Corse », fut envoyé à Sainte-Hélène, par delà les mers... », ainsi commence Jacquou le Croquant d'Eugène Le Roy.

« Et voici Pauline au haut des trois marches, encore en larmes, qui sourit.

Puisqu'il en fut ainsi... », ainsi s'achève le premier ;

« Et, dans une pleine quiétude d'esprit, demeuré le dernier de tous ceux de mon temps, rassasié de jours comme la lanterne des trépassés du cimetière d'Atur, je reste seul dans la nuit, et j'attends la mort. », ainsi s'achève le second...

L'un et l'autre ont tiré de leur sol la substance de leur œuvre et s'il existe entre ces deux histoires quelques points communs, Gaspard doit sans doute beaucoup plus aux légendes du terroir et au mythes qui en font une véritable épopée que Jacquou le croquant plus axé sur une critique de la société rurale du XIXème siècle.

Par ailleurs Henri Pourrat a construit son Grand Œuvre dans le temps et il est juste de dire que Gaspard des Montagnes véhicule la transmission d'une sapience populaire éternelle.

 

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Henri Pourrat a recueilli patiemment la matière de son oeuvre en quêteur attentif, dans la tradition orale de son pays, comme Elias Lönnrot l'a fait du Kalevala ; il l'a transcrite dans un style imagé qui n'appartient qu'à lui, pétri dans la terre auvergnate à l'eau des sources vives, et cuite au grand soleil de la montagne.

Comme le fait remarquer son biographe Pierre Pupier, il existe dans Gaspard un « ordre intérieur » qu'il convient de décrypter « à plus haut sens », et il poursuit :  « Pourrat avait beaucoup écouté toutes ces choses depuis longtemps racontées dans la campagne ambertoise, et même de plus loin venues se fondre aux vieux contes. Il en a tiré « l'histoire à cent histoires » dont parle le Congé de Gaspard. Des données brutes de la tradition orale, il fallait passer à l'écriture, trouver une forme accordée à la substance de l'œuvre et ainsi créer une « poétique »... La geste de Gaspard est une épopée rustique.

Pour cela il fallait trouver une écriture : ce fut ce style oral-écrit que l'on a pu appeler « le vert parler d'Henri Pourrat ».

 

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Quand j'ai découvert Gaspard des Montagnes, l'impression que me laissa la lecture de l'ouvrage fut si forte, que je n'eus de cesse de découvrir l'endroit où elle  était censée avoir eu lieu. Je partis donc en Livradois sur les traces de Gaspard et d'Anne-Marie Grange... Je trouvai dans les bois de Saint Amand Roche Savine le « château des sept portes »,  je rôdai alentour de ce qui subsistait des Escures, je montai à Pierre sur Haute... Je fis, en deux jours le plein de souvenirs et compris à quel point cette histoire restait vivante, par là sa force, et c'est tout l'art d'Henri Pourrat d'avoir su lui donner ce souffle de vie.

Voici quelques lignes tirées des premières pages de Gaspard et qui précèdent « la nuit terrible d'Anne-Marie Grange » :

« Elles n'ont rien de trop gai, les forêts qui s'en vont sur ces plateaux, du côté de la Chaise-Dieu. Des sapins, des sapins, des sapins, jamais une âme. Les chemins sablonneux s'enfoncent de salle obscure en salle obscure, parmi la mousse et la fougère, sous ces grandes rames balançantes. Les grappes du sureau rouge tirent l'œil, ou bien quelque pied de digitale pourprée. Il y a des endroits où le soleil semble n'avoir point percé depuis des mondes d'années : c'est sombre, c'est noir, c'est la mort. Une forêt comme celle de la complainte de sainte Geneviève de Brabant, où des ermites peuvent vivre solitaires et qu'on imagine pleine de loups, de renards, de blaireaux. A dix pas, sait-on ce qui se ce cache derrière ces fûts gercés des arbres où la résine met des traînées de suif ? Tout remue, mais remue à peine. Tout est silence, mais un silence traversé de vingt bruits menus. Une belette qui se sauve, un souffle de vent dans la feuille des houx, une fontaine qui s'égoutte derrière la roche. Et lorsque le sentier monte en tournant sous le couvert, à travers les masses de pierres détachées, dans le désordre des sapins penchés sur leurs nœuds de racines, on croirait aller vers des cavernes de faux monnayeurs et de brigands. Pas une âme, et pourtant il semble que quelqu'un soit tapi par là en embuscade. Il faut avoir l'esprit bien fort pour ne pas se laisser gagner par la peur. »

 

 

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Les Escures, bois de François Angeli

 

On est dans l'ambiance, celle d'un temps en effet où l'on savait goûter délicieusement les peurs aux veillées, à la lueur de l'âtre et à la lumière falote du chaleil ; et ce n'est point hasardeux si la nuit terrible d'Anne-Marie qui commence alors que la nuit tombe et que le vent se lève dans les sapins, est annoncée par cette précision :

«Il paraît que même dans un noir de poix la présence d'une personne se marque par une sorte de phosphorescence au blanc de ses yeux. Et on a nommé cette histoire l'histoire des Yeux Blancs, parce qu'on raconte que Zulime, lorsqu'elle s'était baissée pour regarder sous le lit, aurait vu dans ce fond de nuit luire deux yeux grands ouverts sur elle... »

Henri Pourrat ébauche Gaspard des Montagnes en 1918 et l'achève en 1931 ; la genèse de ce gros ouvrage, paru au cours du temps en plusieurs livrets lui aura donc prix treize années, treize années de quête et d'assemblage qui furent assurément propices à la transformation intérieure de cet homme qui avait le « sens de la terre » et conséquemment, pourrait-on ajouter, celui du ciel.

Les contes parurent par la suite en treize tomes édités par Gallimard. Ils furent repris dans une édition illustrée et regroupés par thème, chez le même éditeur en 7 volumes, sous la direction de Claire Pourrat entre 1977 et 1986: Le Diable et ses diableries, Les Brigands, Au Village, Les Amours, Les Fées, Le Bestiaire, Les Fous et les sages.

 

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Tous les contes commencent par le traditionnel « Il y avait une fois ». Il est souvent question du Diable et du Bon Dieu ; le premier apparaît sous diverses formes et sous divers noms dont ceux de Barraban, Rapatou ou Ricouquin, et quand ce n'est pas l'un d'eux, c'est tout bonnement le Diable. Les mots et leur arrangement sont non seulement savoureux, ils sont magiques, en ce sens qu'ils vous font voir les choses sous ce qu'elles pourraient être ou qu'elles sont peut être, savoir ? Tel rocher  dont on voit le dos moussu, là-bas, en lisière du bois, n'est-il pas plus qu'un rocher ? quelque bête endormie, dont on soupçonne, en soi, la présence maléfique. Car l'art du conte n'est-il point de réveiller ce qui dort au fond de nous de profondément endormi dans les cavernes abyssales de l'inconscient collectif ?

 

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Encore faut-il avoir la manière de les conter, et celle de Pourrat est unique :

« Il y avait une fois une fille si blanche que quand elle buvait, on voyait le vin lui couler tout au long de la veine. »

« Il y avait une fois, eh bien, il y avait le diable. Et il en faisait tant et plus, en ce vieux temps. »

« Il y avait une fois une poule noire... Il n'y en a pas tellement, de poules noires, toutes noires. »

« Il y avait une fois un garçon... Mais je commence l'histoire comme un conte... Ha, pas du tout ! C'est une histoire. Tout ce qu'il y a de plus histoire. »

« Il y avait une fois le Barraban. Vous savez qui : le cornu. Les sorcières le nommaient le Barraban, par amitié ! »

« Il y avait une fois... C'était la grande fois, celle du premier Noël. »

Il est des tournures qu'on n'oublie pas, dans  « Le conte du chauche-vieilles », Pourrat explique à sa manière ce qu'est ce cauchemar :

« On l'appelle chauche-vieilles parce qu'il s'assoit sur le bréchet des vieilles femmes et les chauche, les foule, jusqu'à les étouffer. Certaines qui ont osé le tâter, disent qu'il est tout velu et de poil assez doux, mais sa masse pèse plus que du plomb. »

 

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Et dans  « Le conte de l'homme fort et de la birette » il nous explique ce qu'est cette façon de bête :

« Un jour, un peu tard, sur le soir - et tard aussi dans la saison -, il revenait d'une foire en montagne. Il avait coupé par le bois, pour profiter du clair de lune.

Tout à coup, devant  lui, sur  le chemin, il  voit une  manière de  longue bête blanche. Ni loup ni chèvre, ni chien ni chat : une birette.

Bête si l'on veut, qui n'a que l'apparence d'une bête. Sa peau, on dit qu'elle la cache dans quelque niche, au fond d'un arbre creux. Dès qu'elle l'a vêtue et lacée, elle est birette ; et alors, et alors... »

 

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Dans celui de « Marion, Mariette et la marâtre », il est question d'une chienne garelle qui est une chienne de pouvoir : «... elle n'avait que ce mot de chienne garelle à la bouche. Garelle, comme on dit garous les loups sorciers à poil hérissé qui courent de nuit les pacages. »

 

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Mais c'est une chienne, moins terrifiante que la chose sur laquelle butte le Pipette du « conte de la pache avec la diablesse » : « Tout à coup, et il manqua de trébucher et de s'allonger, il a donné dans quelque chose : il ne sut même pas ce que c'était d'abord. On aurait dit d'une de ces pelotes de broussailles, de branches mortes, et de ronces qu'on fait en émondant les haies, quelques ramas d'épines comme les gamins en traînent au feu de joie pour le dimanche des brandons.

Ou bien d'une araignée, d'une bête garelle, toute en poils, toute en pointes, toute en pattes. Et des mèches grises et des griffes noires. Une femme peut-être, mais plus barbue qu'une bique et quelque peu harpie. »

 

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Et dans ces histoires du vieux temps, jamais la drôlerie n'est absente ; elle fait partie de la farce de l'existence qui n'est qu'une tragi-comédie renouvelée. Cette drôlerie, on la rencontre chez Alexandre Vialatte, l'ami de toujours, qui l'exprime d'une autre façon, cachant un sentiment tragique de la vie qu'on ne retrouve pas chez Henri Pourrat. Chez ce dernier le sentiment religieux l'emporte sur le scepticisme.

Henri Pourrat est mort dans la souffrance de son cancer mais dans l'assurance de la grâce, le 16 juillet 1959 à Ambert vers 22 heures ; ne disait-il pas lui-même dans « Le Blé de Noël » :

«  Mais la mort n'est qu'une apparence. Tout est profond et tout est simple. »

Oui, tout est simple... C'est nous, qui compliquons.

Voici, pour saluer sa mémoire, le poème qu'il écrivit sur « le vent de la montagne » :

«  Le vent qui souffle à travers la montagne

Me rendra fou.

Je veux partir, je veux prendre la porte,

Je veux aller

Là où ce vent n'a plus de feuilles mortes

A râteler

Plus haut que l'ombre aux vieilles salles basses

Où le feu roux

Pour la veillée éclaire des mains lasses

Sur les genoux ;

Aller plus haut que le col et l'auberge

Que ces cantons

Où la pastoure à la cape de serge

Paît ses moutons ;

Que les sentiers où chargés de deux bannes

Sous les fayards,

Le mulet grimpe au gris des feux de fanes

Faisant brouillard.

Ce vent me prend, me pousse par l'épaule,

Me met dehors,

La tête en l'air, le cœur à la venvole,

Le diable au corps.

Il faut partir et prendre la campagne

En loup-garou :

Le vent qui souffle à travers la montagne

M'a rendu fou.

 

Orientations de lecture

D'Henri Pourrat :

- Gaspard des Montagnes

- Le Trésor des Contes

- Dans l'herbe des trois vallées

- Le Meneur de loups

- Le secret des compagnons

- Georges ou les journées d'Avril

- Vent de mars

- Le chasseur de la nuit

- Le blé de Noêl

Sur Henri Pourrat :

Pierre Pupier : Henri Pourrat et la grande question (Sang de la terre)