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30/11/2011

30 NOVEMBRE 1667

Naissance de Jonathan SWIFT à Dublin

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Tableau de Thomas Pooley

Connu principalement pour les « Voyages de Gulliver » qu’il publie en 1726, le doyen SWIFT l’est également pour le « Conte du Tonneau » qui lui vaudra l’inimitié de la reine Anne. Car Swift n’a pas la langue dans sa poche, satiriste, pamphlétaire et moraliste, on connaît ses « Pensées sur divers sujets moraux et divertissants » (1706). La première donne le ton :

 "Nous avons juste assez de religion pour nous haïr, mais pas assez pour nous aimer les uns les autres." 

Voici un extrait de sa Conclusion au Conte du Tonneau, elle concerne les écrivains :

« J’ai un mot à dire au sujet des auteurs profonds qui sont devenus si nombreux ces derniers temps, et je sens d’ailleurs que le public, toujours judicieux, est bien décidé à me compter dans leur groupe. Il m’est donc venu à l’idée, à propos de cette question de profondeur, qu’il en était des auteurs comme des puits. Tout homme qui a de bons yeux voit jusqu’où va le plus profond d’entre eux, à condition qu’il s’y trouve de l’eau, mais souvent, quand il n’y a vraiment rien d’autre au fond que de la terre sèche et de la saleté, même si le puits s’arrête à un yard et demi du sol, il passera pour un abîme insondable, simplement parce qu’il est terriblement obscur.

Je suis en ce moment en train d’expérimenter un procédé très fréquent parmi nos auteurs modernes et qui consiste à écrire sur Rien. Quand le sujet est complètement épuisé, on laisse courir sa plume, cette plume que certains appellent le fantôme de l’Inspiration, car elle aime à se promener une fois que le corps est mort. Et à dire vrai, je crois qu’il n’y a rien au monde de moins bien partagé que la conscience du moment où il faut dire : « J’ai fini ». Pendant que l’auteur écrivait son livre, lui et ses lecteurs ont eu tout le temps de devenir amis et il leur est devenu dur de se séparer. De sorte que j’ai constaté quelquefois qu’il en était de la fin d’un volume comme de celle des visites, où les cérémonies qu’on fait pour prendre congé durent aussi longtemps que la conversation qui les a précédées. La conclusion d’un traité ressemble à celle de la vie humaine, qui a été quelquefois comparée à la fin d’un festin, d’où bien rares sont ceux qui se réjouissent de sortir « comme le convive repu de la vie », dit Lucrèce. Car les hommes aiment à demeurer assis, une fois le repas fini, ne fût-ce que pour somnoler et même dormir profondément tout le reste du jour. Mais, sur ce dernier point, je diffère entièrement des autres auteurs, et je serais très fier de moi, si je pouvais d’une manière ou d’une autre contribuer au repos de l’Humanité, surtout à une époque aussi trouble et agitée que la nôtre. »

Entrée au Panthéon des lettres en 1965, l’œuvre de Jonathan Swift ne couvre pas moins de 1600 pages dans la Pléiade. C’est en parcourant ses écrits, et notamment le « Journal manuscrit à Stella », les « Lettres du drapier » et les « Petits écrits en prose » (dont on retient surtout la « Modeste proposition concernant les enfants des classes pauvres » qu’il conseille ni plus ni moins que de manger), qu’on découvre Swift. Au travers du provocateur, l’homme de finesse qu’il fut n’a cessé de s’observer, s’employant à dénoncer les défauts qu’il avait en partage avec ceux qui faisaient l’objet de ses diatribes.

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On retiendra cet extrait de la belle préface qu’Emile Pons rédigea en 1963 pour l’édition de ses œuvres en Pléiade :

« Comme membre du clergé, il avait prêché contre les trois concupiscences : de l’argent, de la chair, et de l’orgueil. Comme moraliste, il avait redit qu’il les voyait triompher chez les hommes. Comme personnage de légende, il devait les avoir vaincues toutes trois. On est étonné de voir le nombre de ses dupes. En vérité, Swift a aimé l’argent, il a aimé la gloire, et il a aimé les femmes ; mais comme il ne s’aimait pas lui-même, il a écrit toute sa vie pour fustiger ses penchants. Cela devait d’autant mieux abuser ses biographes, qu’en marge de son œuvre littéraire, il a laissé quelques pièces de complaisance destinées à montrer combien il était désintéressé, méritant et chaste. »

22/11/2011

BULLETIN CELINIEN

Bulletin célinien N°335

 

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On trouvera, en page 7 de ce numéro du BC, un intéressant compte-rendu du Voyage au bout de la nuit, présenté par Benoît LEROUX et dû à la plume de Jeanne Alexandre (1890-1980), militante socialiste, pacifiste et féministe. Ce texte, publié dans Libres Propos en janvier 1933, est enthousiaste et élogieux. Pour elle, la lecture du Voyage s’apparente à un parcours initiatique semé d’épreuves ; à ses propres dires : « On en sort rompu. » Parmi les extraits qu’elle a choisi, il y a celui-ci qui résume assez bien l’univers célinien : « La lumière du ciel, à Rancy, c’est la même qu’à Détroit, du jus de fumée qui trempe la plaine depuis Levallois. Un rebut de bâtisses tenues par des gadoues noires au sol. Les cheminées, des petites et des hautes, ça fait pareil de loin qu’au bord de la mer les gros piquets dans la vase. Là-dedans c’est nous. Faut avoir le courage des crabes aussi… »

Devant cette « Somme de la Misanthropie », Jeanne Alexandre note : « Cette œuvre informe et puissante vibre secrètement d’une sorte d’enthousiasme — enthousiasme de la pitié et de la colère ; il s’y cache, comme malgré l’auteur, une entreprise à la Pascal, une furieuse apologie de la religion de l’Humanité. » Ce qui la portera à conclure en toute lucidité célinienne :  « Regarder le mal en face et à fond, c’est s’armer contre lui. La fureur apocalyptique est optimiste : tout va changer et le jugement approche ! Le seul vrai pessimiste est l’homme qui ne veut rien voir, et qui sourit. »

Rémi ASTRUC signe un article bien à propos sur « Céline et la question du patrimoine » d’où il ressort que si Céline appartient  au patrimoine des Lettres françaises, il n’appartient pas à celui de la Nation. On s’en doutait ! L’intérêt de la note de Rémi Astruc est de montrer en quoi l’affaire du cinquantenaire raté et le refus de patrimonialisation de Céline (au même titre que celui d’Alexis Carrel), traduisent assez bien les états d’âme de la clique politico culturelle au pouvoir. Ah ! « la grande peur des Bien Pensants », pour parodier Bernanos. Car ne l’oublions pas, dans « bien-pensant » et « puritaine », comme l’avait lumineusement vu Louis Cattiaux, se cachent « panse bénite » et « putainerie »… c’est dire ! Il n’y aura donc pas de rue Louis-Ferdinand Céline et encore moins d’avenue.

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Comme l’écrit très justement Rémi  Astruc : « (les) figures de la singularité absolue, (sont) irrécupérables collectivement, en raison principalement du fait que leur œuvre s’oppose frontalement au projet d’intégration communautaire républicain. »

Dans « Le Soir » du 20 janvier 1938, Jean Renoir signa un billet qui n’encense pas Céline ! Le fait que l’auteur de Bagatelles ait traité la « Grande Illusion » de propagande juive, n’est sans doute pas étranger au coup de gueule du cinéaste qui renvoie la balle au « baratineur » Céline : « M. Céline n’aime pas Racine. Voilà qui est vraiment dommage pour Racine. Moi, je n’aime pas les imbéciles, et je ne crois pas que ce soit dommage pour M. Céline, car une seule opinion doit importer à ce Gaudissart de l’antisémitisme, c’est la sienne propre. »

Marc LAUDELOUT qui reprend ce texte paru dans le numéro 63, printemps 2011, de la revue 1895, apporte quelques précisions utiles quant à l’opinion que se faisait Renoir de Céline. Elle se résume en deux mots : il l’admirait. On y apprend aussi combien le parcours de ce cinéaste de talent fut sinueux. Ceci, sans doute, explique cela.

Pierre de BONNEVILLE livre dans ce numéro de novembre la dernière partie de son étude « Villon et Céline » dans laquelle il met l’accent sur la porté tragi-comique des œuvres respectives et leur  « musique » particulière. « La musique seule est un message direct au système nerveux. Le reste est blabla. » dixit Céline. C’est sur elle qu’est construit tout entier l’édifice littéraire célinien, et c’est par elle qu’il se place au premier rang. Cioran, que cite Pierre de Bonneville, avait compris le rôle fondamental de la musique dans l’émotion : « J’aime en musique, comme en philosophie et en tout, ce qui fait mal par l’insistance, par la récurrence, par cet interminable retour qui touche aux dernières profondeurs de l’être et y provoque une délectation à peine soutenable. »

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Pierre de Bonneville montre comment le parallèle entre Céline et Villon est articulé autour de la farce.  Céline s’est mis à sa fenêtre pour regarder Carnaval qui passe : « Croyez-moi le monde est drôle, la mort est drôle ; et c’est pour ça que mes livres sont drôles, et qu’au fond je suis gai. » (entretien avec Robert Poulet).

Pierre de Bonneville a raison de rapprocher l’œuvre célinienne de celle, picturale, de James Ensor, elles sont analogues sur plus d’un point.

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Rappelons-nous de même l’intérêt de  Céline pour l’œuvre de Pierre Breughel et particulièrement pour la « Fête des fous » ou « Combat de Carnaval et de Carême » ; on y trouve tous les paramètres de la condition humaine que résume à lui seul le tableau de la « Parabole des Aveugles ». C’est toujours, en fin de compte, le même petit air de cornemuse qu’on finit par entendre…

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11/11/2011

11 NOVEMBRE 1918

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Le 11 novembre à 11 heures, le feu était arrêté sur tout le front des armées alliées. Un silence impressionnant succédait à cinquante-trois semaines de bataille. Les peuples pouvaient entrevoir le rétablissement de la paix dans le monde. Le lendemain, j’adressais un ordre du jour de félicitations aux armées alliées :

« Officiers, sous-officiers, soldats des armées alliées.

« Après avoir résolument arrêté l’ennemi, vous l’avez pendant des mois, avec une foi et une énergie inlassables, attaqué sans répit.

« Vous avez gagné la plus grande bataille de l’Histoire et sauvé la cause la plus sacrée : la liberté du monde.

« Soyez fiers !

« D’une gloire immortelle vous avez paré vos drapeaux.

« La postérité vous garde sa reconnaissance.

« Le maréchal de France,

Commandant en chef des armées alliées :

F. Foch. »

 

Maréchal FOCH : Mémoires pour servir à l’histoire de la guerre de 1914-1918 (2 volumes, Plon 1931)


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« Et ma guerre est finie. Je les ai tous quittés, ceux qui sont morts près de moi, ceux que j’ai laissés dans le layon de la forêt, aventurés au péril de  mort. Je ne veux plus me rappeler mes premières nuits d’hôpital agitées de cauchemars délirants, ni la table blanche et nue et les gants rouges du chirurgien, ni ce goût d’éther dans ma gorge, ni l’âcre petite pipe de l’infirmier Bastien, ni les trous que creusaient ses doigts dans mon bras bronzé de gangrène.

(… ) On vous a tués, et c’est le plus grand des crimes. Vous avez donné votre vie, et vous êtes les plus malheureux. Je ne sais que cela, les gestes que nous avons faits, notre souffrance et notre gaieté, les mots que nous disions, les visages que nous avions parmi les autres visages, et votre mort.

Vous n’êtes guère plus d’une centaine, et votre foule m’apparaît effrayante, trop lourde, trop serrée pour moi seul. Combien de vos gestes passés aurai-je perdus, chaque demain, et de vos paroles vivantes, et de tout ce qui était vous ? Il, ne me reste plus que moi, et l’image de vous que vous m’avez donnée.

Presque rien : trois sourires sur une toute petite photo, un vivant entre deux morts, la main posée sur leur épaule. Ils clignent des yeux, tous les trois à cause du soleil printanier. Mais du soleil, sur la petite photo grise, que reste-t-il ? »

 

Maurice GENEVOIX : Ceux de 14 (Flammarion, collection Points P231, 2007)


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« Le maréchal Foch, le vainqueur, repousse tout additif, toute déclaration et toute négociationultérieure.
Son épée est sur la table.

Vae victis !

Alors on signe. A six heures du matin, le 11 novembre, dans la forêt de Compiègne, dans le wagon-salon du maréchal Foch.

11 novembre.

Dans la matinée, l’ordre arrive aux troupes de suspendre les hostilités sur tout le front à partir de midi.

Les mitrailleuses crépitent encore ça et là. Des obus passent en sifflant, dans les deux sens et éclatent en dégageant de petits nuages ronds de fumée grise. Des maisons brûlent.

(…) Vers midi le combat diminue visiblement d’intensité.

Il faiblit lentement et avec hésitation. Par moments il s’arrête déjà entièrement pour quelques secondes. La guerre râle et respire difficilement.

(…) Tout à coup c’est un silence de mort.

Lentement les fantassins sortent de leurs trous.

En face d’eux, à cent mètres, les sentinelles ennemies sont debout, baïonnette au canon. Les casques plats des Anglais et les casques ronds des Français sont nettement reconnaissables. On se voit pour la première fois depuis quatre ans sans se tirer les uns sur les autres.

Le silence persiste.

Cinq minutes, dix minutes, une demi-heure.

Les compagnies, poignées d’hommes, se rassemblent et se dirigent vers les cantonnements qui leur ont été assignés.

Des sentinelles restent en arrière. C’est vrai —ce n’est pas un rêve— ce n’est pas un cauchemar— tout est passé. La guerre est finie. On ne tire plus. Il n’y a plus de balle, ni d’éclat d’obus. Les listes des pertes sont closes.

On reverra ses foyers.

Au plus profond des cœurs jaillit une émotion sourde, une hésitation violente entre l’allégresse et la douleur atroce.

Ô terre natale ! Ô patrie ! »

 

Werner BEUMELBURG : La Guerre de 14-18 racontée par un allemand (Bartillat 2001)

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